© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : L'enseignante nous raconte une expérience qu'elle a vécue avec un petit garçon en deuxième année. Pour situer un peu le contexte, c'était la première fois qu'elle enseignait en deuxième année. De plus, elle était nouvelle enseignante dans cette école située dans un milieu semi-rural.

TITRE: LE SOURIRE DANS LES YEUX

C'est l'histoire d'un enfant dont j'avais entendu parler abondamment, par les enseignants surtout. On me l'avait décrit en termes très négatifs. Je savais qu'en prenant cette classe-là, j'allais avoir cet élève qui était très problématique. J'avais aussi un souvenir visuel de lui quand il était en maternelle ; ça m'avait frappée, l'image d'un petit garçon dans son coin avec le pouce dans la bouche. C'était comme une photo que j'avais dans ma tête quand je pensais à lui. Je n'avais pas du tout eu de contact avec lui, car l'occasion ne s'était pas présentée.

Le mois de septembre a été très difficile, parce que je ne savais pas où je m'en allais dans ma matière. De plus, j'avais ce petit garçon qui était, effectivement, à la hauteur de sa réputation : il était très problématique, il me répondait, il m'envoyait promener, il était très difficile. Je le contrôlais d'une certaine façon, mais j'avais juste l'impression que je le contrôlais. Je tenais le couvercle d'un chaudron à deux mains en me disant qu'il n'avait pas encore sauté. J'étais épuisée de ma situation d'enseignement (1) parce que c'était nouveau, mais aussi parce la réaction de cet enfant venait me gruger beaucoup d'énergie.

Avec cet enfant, j'avais l'impression que le feu était pris à quelque part, mais c'était sans compter qu'il y en avait d'autres. J'avais juste misé sur lui, en sachant qu'il fallait que je le surveille. Mais il est arrivé deux nouveaux élèves qui venaient de l'extérieur et que personne ne connaissait. Eux aussi présentaient certains problèmes de comportement. Ils ont formé une espèce de triangle ; ces deux autres élèves alimentaient mon copain. Ils l'affrontaient, ils le confrontaient, alors il était particulièrement survolté. Je l'avertissais souvent : « Arrête, assois-toi ! Tu ne parles pas en même temps que moi ! », des choses comme ça. Ça marchait plus ou moins. Je n'avais pas l'impression qu'on faisait grand-chose de positif ensemble. Je me disais qu'une bonne journée, il allait me regarder en pleine face et m'envoyer promener. Je savais qu'il l'avait déjà fait, qu'il avait affronté ouvertement son enseignant de l'année précédente. C'est un enfant qui, au point de vue du langage, pouvait aller très loin : envoyer promener, sacrer après son professeur. J'avais peur que ça arrive.

À la fin de septembre, j'étais épuisée et je me disais que ça n'avait pas de bon sens. Je ne pouvais pas imaginer que j'allais passer l'année comme ça. J'avais réalisé que l'affrontement pur (2), ça ne menait à rien avec lui, ni les ordres, ni les avertissements. À l'école, on a un petit système de motivation avec un passeport, des avertissements par écrit et tout ça. Ça non plus n'avait pas l'air de le déranger. D'ailleurs, souvent il me disait : « Tu ne me fais pas peur. » Je lui répondais : « Moi non plus, tu ne me fais pas peur. » J'avais quand même une petite tendresse pour lui à quelque part... Je savais qu'il pouvait exploser, mais j'avais une petite affection pour lui. Il y avait quelque chose en lui qui m'attachait ; l'image que j'avais de lui à cinq ans me revenait.

J'ai regardé ce que je voulais améliorer et je me suis ramassée avec plein de choses que je voulais régler : ses déplacements lors des entrées et des sorties, les récréations, les allers aux toilettes, les changements d'enseignant pour la musique et l'éducation physique. Dans le fond, tous les changements, tous les déplacements étaient problématiques. Il y avait aussi ses résultats scolaires qui étaient problématiques ; c'est un enfant qui était en échec partout. Ça faisait beaucoup de choses à considérer. Je me suis dit que je ne pouvais pas tout faire en même temps. Je me suis alors demandé ce qui me dérangeait le plus pour m'apercevoir que ce n'étaient pas les moments où il était avec moi, mais avec les autres. Je me sentais responsable, c'était mon élève. C'était quasiment comme si on me disait : « C'est ton élève, regarde ce qu'il a fait encore. Qu'est-ce que tu vas faire avec ça ? Mets-lui des avertissements. » Ça me dérangeait beaucoup. Effectivement, il y avait un problème quand il y avait beaucoup d'élèves ; on aurait dit qu'il devenait encore plus excité, énervé. S'il était dans le fond de la cour et que, sur son chemin, il y avait 20 élèves, il rentrait dans les 20. Lui, c'était la ligne droite ! Dans le rang, c'était : « Ne me touche pas ! » Sa bulle était bien importante. On a tous essayé, on a essayé avant moi de lui dire : « Ne fais pas ça... ça ne se fait pas. » Ça n'a pas marché. Lui dire n'était pas suffisant, il fallait trouver des outils pour ne plus que ça arrive.

Je lui ai alors proposé de venir me retrouver dans la classe quand l'autobus arriverait, quand je n'étais pas de garde. Il sortait de l’autobus comme une petite bombe parce qu’il s’était chicané. Je lui ai dit que j'avais besoin d'aide pour faire plein de choses. J'ai inventé cette histoire-là, même si je trouvais ça lourd un petit peu. Je lui ai dit que j'aimerais qu'il vienne m'aider pour passer des cahiers, des choses comme ça, que j'avais pensé à lui pour m'aider parce qu'on avait des relations un petit peu difficiles et que ça nous permettrait de jaser aussi pendant ce temps-là. Dans le fond, je ne voulais pas qu'il voie ça comme une punition, je ne voulais pas non plus qu'il se doute de mon but, parce que c'était assez pour qu'il me dise non. Il était très fier et très content ; il a trouvé que c'était une bonne idée. J'avais dit aussi : « Parles-en avec tes parents. Il faudrait qu'ils soient d'accord parce que c'est sûr que tu vas avoir moins de temps pour jouer. C'est ton temps à toi, je ne peux pas t'empêcher de jouer. Parles-en avec ta mère et si vous êtes d'accord, moi en tout cas, ça me rendrait service. » C'est vraiment de cette façon que je lui ai présenté ça, comme un service à me rendre : « En même temps, on va pouvoir parler, régler nos affaires sans tout le monde. » Mais je n'avais pas beaucoup insisté là-dessus.

Je me disais qu'il fallait que je lui trouve des tâches qu'il aime faire pour le garder dix minutes le matin, les récréations où je ne gardais pas et dix minutes le midi. Je m'arrangeais toujours aussi pour qu'au moment chaud, celui où ils sont 180 dans le corridor, il ait une petite tâche à la fin pour qu'il sorte un petit peu après les autres. Je lui ai fait faire toutes sortes d'affaires : passer des cahiers, découper des billets... On a toujours plein de tâches à faire : des choses manuelles, du découpage, des petites choses comme ça. Je lui ai montré comment la photocopieuse fonctionnait, j'avais prévenu les autres enseignants. Je lui avais dit : « C'est toi qui vas aller voir les surveillants et leur demander de te débarrer la porte. Si un matin, ça ne te tente pas et que tu ne viens pas, je vais comprendre. Mais si tu ne viens jamais, je vais me trouver quelqu'un d'autre. » Ce n'était pas une punition, c'était clair dans ma tête que ce n'était pas punitif. Ce que je voulais, c'était l'enlever de cette situation problématique qui était difficile pour lui, pour moi et pour tout le monde dans l'école. Il est devenu très, très fier et ça nous a aussi permis de jaser. J'essayais toujours de parler de choses positives avec lui, mais c'est arrivé qu'on revienne sur des choses qui s'étaient produites en classe. Cette routine a duré presque toute l'année, sauf à l'occasion, peut-être une fois par 15 jours, où il ne venait pas. À certaines récréations, il me disait : « J'aimerais ça aller jouer. » Je lui répondais que c'était bien correct. Il y a eu des moments, quand je n'avais rien à lui faire faire, où j'ai dit : « Aujourd'hui, on va prendre des vacances. »

Pendant les petits moments où il était tout seul avec moi, j'en profitais pour l'encourager dans ses tâches. Par exemple, s'il découpait, je lui disais qu'il découpait bien. Enfin, je pouvais lui dire quelque chose de positif. Sa relation avec moi a changé et sa relation avec les autres professeurs aussi. Il a arrêté de se faire disputer par les autres professeurs. Je me suis aussi efforcée de parler de lui positivement. Tout le monde me disait que de toute façon, il s'en allait en classe TC, c'est-à-dire une classe à effectifs réduits pour les élèves manifestant des troubles de comportement. Même si j'avais des moments difficiles avec lui, à la salle des professeurs, c'étaient toujours ses bons coups que je racontais, toujours, toujours, toujours. Comment il était fin, drôle, etc.

Tout ça a enlevé bien des sujets de réprimande ; il était moins en conflit avec les autres élèves, avec les enseignants qui le gardaient, moi ou les autres. Il avait donc beaucoup moins d'avertissements. Il les a vus disparaître un peu sur son passeport et ça a enlevé beaucoup de pression, beaucoup de discussions. Il était fier d'être là, même qu'il faisait l'envie de ses camarades. Un jour, des élèves ont dit : « Pourquoi est-ce tout le temps lui ? »Les enfants sont quand même assez perspicaces dans ces situations-là. Ils avaient vu cet enfant souvent en crise et ils ont aussi vu le changement. Ma relation avec lui devenant meilleure, je lui disais : « Hé que tu es fin ! Une chance que je t'ai... Les amis, une chance qu'il est là lui... » Donc les élèves y trouvaient aussi leur compte, ils étaient contents : le fait de ne plus se faire bousculer dans la cour, de ne plus se faire crier des noms, de ne plus se faire envoyer promener, de ne plus se faire sacrer après, pour eux aussi c'était une pause. On ne s'en est jamais parlé, mais ils le devinaient même si j'avais un but d'amélioration de son comportement derrière tout ça.

Tranquillement, son image de lui-même a changé. J'avais aussi imaginé un autre scénario : l'après-midi on va aux toilettes et on revient à la classe. Pour ce déplacement, il fallait qu'il vienne, il n'avait pas le choix. Quand il descendait, c'était inévitable, il y en avait qui se plaignaient : « Il m'a fait ci, il m'a fait ça, il m'a bousculé, il m'a poussé. » On avait développé un petit côté humoristique l'un envers l'autre, on se faisait des blagues. J'avais dit avec un grand sourire : « Moi, à cette heure-là, je suis bien tannée d'être ici. J'ai rien que le goût de m'en aller. Je pense que ça prendrait quelqu'un pour me surveiller. » Il a bien ri quand je lui ai demandé : « Est-ce que tu accepterais de me surveiller et de surveiller la porte pour ne pas que je la prenne, la porte ? » C'était comme un petit jeu entre nous deux ; il allait vite, vite à la salle de bains, il revenait et il s'installait sur le bord de la porte, il tenait la poignée et il me regardait en riant. C'est un enfant avec qui j'ai beaucoup utilisé l'humour.

À un moment donné, une professeure est arrivée dans le corridor, très fâchée, en disant : « Bon, c'est quoi le règlement pour le sacrage ? » Elle va voir la direction de l'école : « Ça n'a pas de bon sens, il sacre, son langage est épouvantable. » Moi j'écoutais en me disant : « Il ne faut pas que je parle, ce n'est pas mon problème, je leur ai dit de régler leur problème avec lui. » Un peu plus tard, je me suis dit : « Non, je ne peux pas laisser passer ça. » Je vais voir la direction : « C'est vrai qu'il a sacré et que ce n'est pas correct. Je ne suis pas d'accord pour qu'il sacre, mais il a fait une chose par exemple, je lui ai dit que s'il avait un problème avec un ami d'aller demander l'aide de l'adulte quand il sentait qu'il allait exploser. » C'est un truc que je lui donnais : « Quand tu es trop fâché et que tu penses que ça va aller trop loin, va demander de l'aide. Il y a toujours des adultes dans la cour, il y a toujours quelqu'un qui peut t'aider. » Et c'est ce qu'il avait fait. Il était fâché contre son compagnon qui lui avait donné un coup de poing, parce que les autres enfants les provoquent ces enfants-là aussi là. Comme il sentait qu'il allait sauter dessus, il est allé le dire à la surveillante, mais il l'a dit avec son langage à lui, avec une série de jurons, puis des « je vais lui casser la gueule ». Le langage n'était pas approprié, mais il l'avait dit à un adulte. Il avait fait ce que je lui avais conseillé. Je me disais que si on le punissait, il ne nous ferait plus confiance après. J'ai beaucoup travaillé ça aussi, quand il faisait quelque chose d'un peu positif, même si ce n'était pas comme on aurait voulu, il était important de souligner le positif.

J'ai eu des échecs, des moments, des journées où je me suis plantée. Il a fait une vraie crise dans l'année. Je ne sais pas ce qui s'était passé. Il arrive de sa période de musique dans une colère qui n'était pas contre moi mais contre le professeur de musique, mais c'est moi qui subissait la crise. Ça ressemblait à 45 minutes de « Va te promener, tu m'énerves ! » Je lui disais de ne pas parler comme ça, qu'on s'était entendus... Mais il était en crise, il avait perdu le contrôle, il n'y avait plus rien à faire. Ces 45 minutes ont été très, très longues. Tout ce que je pouvais faire, c'était attendre que la classe finisse. On est une petite école où on n'a pas de technicien ou d'éducatrice spécialisée. Le directeur est là une journée sur deux. Cette journée-là la direction n'était pas là. Pendant tout le temps de sa crise, je me demandais : « Qu'est-ce que je fais ? Je ne peux pas le sortir, il ne voudra pas, c'est sûr. Si je sors avec le groupe, je ne peux pas le laisser tout seul et je ne peux pas laisser mon groupe tout seul. » J'essayais de ne pas me mettre en colère, de lui parler doucement, de l'ignorer. Je lui disais : « Tu es fâché, je comprends que tu sois fâché, mais je ne comprends pas que tu me parles comme ça. Essaie de te calmer. » Au début, c'était la violence et dès que je commençais à parler et qu'il me récitait toute une série de jurons, je ne le regardais plus : « Est-ce que tu es calmé ? » « Va te promener. » Il y avait le groupe aussi, j'étais sûrement rouge. Il se retournait vers les autres et les élèves venaient me voir et me disaient : « Il m'a dit ci, il m'a dit ça. ». Je leur répondais : « Il est fâché, je ne suis pas d'accord avec ce qu'il dit, mais je pense que ça ne donnerait rien que je lui parle. » Il y a une autre chose que j’ai travaillée beaucoup avec lui, c'était de lui apprendre à diriger sa colère vers la personne concernée. Maintenant, il s’excuse beaucoup plus facilement et il reconnaît ses torts. Il ne faisait jamais ça. C’est un enfant impulsif. Je lui disais : « Tu es fâché contre tel, dis-lui : « Je suis en colère ! Je suis fâché ! »

Il y avait la relation avec les parents (3) que j'ai réussi à établir. Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, je n'avais aucune idée. J'avais rencontré la mère à la réunion de groupe à la fin de septembre et elle était venue m'en parler. Je lui avais dit : « On va y aller au fur et à mesure. Je n'ai pas encore élaboré de stratégies. Il va falloir qu'on trouve un terrain d'entente. » Pauvre madame, elle avait une petite image d'elle-même : « Je le sais que je ne suis pas bonne. » Je sentais qu'elle était très sur la défensive. Elle s'était assez fait frapper sur la tête par les gens autour. J'ai établi une bonne relation de confiance avec les parents ; je les ai fait venir en octobre. J'ai été chanceuse, la maman et le papa étaient à la maison quand j'ai appelé. Inutile de dire que ça n'allait pas bien à la maison non plus. C'est un enfant qui prenait du Ritalin et l'an passé, à l'automne, il y a eu un reportage à la télévision sur les effets secondaires du Ritalin. Tout de suite, dans la semaine suivante, j'ai perdu le contrôle sur mon petit bonhomme. J'ai eu un flash, je me suis dit : « Je suis sûre qu'ils ont écouté le reportage et qu'ils ont arrêté de lui donner du Ritalin. » J'en étais convaincue, c'était un reportage dont on avait beaucoup entendu parler. J'ai vu tout de suite un effet, une bombe. Alors, je les ai invités à venir. Ils sont venus avec un petit peu de crainte : « Qu'est-ce qu'elle nous veut, la maîtresse ? Elle va encore nous dire que... » Je leur ai dit calmement ce qui se passait dans ma classe sans leur poser de questions : « Écoutez, ça n'allait pas si mal, je sentais qu'on faisait des pas ensemble, puis là, cette semaine ça ne va pas du tout. Il est impoli, il est grossier, ça ne marche pas. » J'ai identifié des faits aux parents et je leur ai demandé ce qu'ils en pensaient, pourquoi depuis une semaine il y avait eu ce changement-là. Je n'ai pas du tout fait allusion à la télévision. C'est tout de suite venu : « On a vu ce reportage-là, on ne sait pas c'est quoi les effets, il ne mange plus, puis ci, puis ça... » Alors j'ai dit : « Moi je ne peux pas vous dire de lui en donner ou de ne pas lui en donner, mais je peux juste vous dire ce qui se passe. » Les parents souvent se sentent coupables, ils se font dire que c'est presque de leur faute. « S'il était diabétique, on lui donnerait de l'insuline, il est hyperactif, il ne l'a pas demandé, ce n'est pas de votre faute, ce n'est pas de la mienne, ce n'est pas de la sienne. Si vous n'êtes pas convaincus, retournez voir votre médecin pour ajuster la dose. » Je les ai rassurés ; j'ai essayé de ne pas les juger, de leur faire sentir que je les comprenais, que c'était difficile. On dirait qu'à partir de ce moment-là, ça a cliqué et ils m'ont offert leur collaboration. Par la suite, je l'ai toujours eue, je leur ai dit que j'appréciais cette collaboration-là. Par exemple, une fois il est allé très loin et j'ai dit : « C'est de valeur, mais tu t'en vas à la maison, moi je ne te garde pas comme ça ». C'était entendu avec la mère, j'avais son horaire de travail, je n'aurais pas dit ça n'importe quand, je savais qu'elle était là, je l'ai appelée et elle est venue le chercher tout de suite. J’avais appelé : « Il s’est passé ça et je pense que ce serait mieux qu’il ne revienne pas. On a besoin tous les deux de se calmer ». Dans l’après-midi, avec le groupe, j’en avais parlé parce qu’il n’était pas là. Je leur avais expliqué qu'ils le connaissaient, quand il était trop fâché, il était comme ça, mais il fallait l’aider à ne plus être comme ça. L’aider à ne plus être comme ça, c’est ne pas s’en occuper. « Laissez-le tranquille ! Vous le savez qu’il prend vite les nerfs ! »

Voici une autre intervention que je faisais beaucoup avec cet enfant : je lui donnais le choix face à quelque chose. Jusqu'en décembre, s'il faisait quelque chose de pas correct et que je disais : « Là, tu arrêtes. » C'était tout le temps non. J'étais tannée qu'il me dise non, lui c'était pour ne pas perdre la face devant les copains, devant le groupe. J'avais essayé plein d'affaires pour ne pas qu'il me dise non. Alors, j'ai décidé de lui suggérer un choix où il n'avait pas le choix finalement. Deux choses qui étaient pareilles, mais il fallait qu'il se conforme à ce que je lui demande. Quand je disais une conséquence, je la faisais tout le temps, si je lui disais : « Là, j'appelle à la maison. » Je le faisais. J'ai établi avec lui un contrat pour le comportement en classe. En janvier, je trouvais qu'en classe, c'était plus difficile. Il y avait des hauts et des bas ; il reste que c'est un enfant problématique. Le problème de déplacement est réglé. On va voir ce qu'on pourrait faire en classe maintenant pour qu'il se mette à la tâche plus vite. Le défi que je lui avais fixé était de se mettre à la tâche dans un délai raisonnable. Je lui ai expliqué ce que ça voulait dire. « Quand je donne une consigne, tu la fais rapidement. Tu ne résistes pas, tu ne t'obstines pas. » On établissait ça ensemble toujours en lui donnant le choix : « C'est une suggestion. Est-ce que tu penses que ce serait le fun, faire ça ? Si tu ne veux pas, moi ça ne me dérange pas, on ne le fera pas c'est tout. » Je pense qu'il embarquait entre autres parce qu'il avait le choix, il se sentait respecté. Il ne fallait pas que tu l'obliges mais, dans le fond, ça marchait tout le temps. Il voulait que je m'occupe de lui, il voulait de l'attention. Il y avait tout un système de récompenses au bout de ça, après un certain nombre de semaines réussies. On a eu des moments privilégiés ensemble. Je lui demandais : « Si tu atteins ton objectif, qu'est-ce que pourrait être la récompense ? » « J'aimerais ça aller dîner au McDonald avec toi. » « O.K., on va y aller. » C'est un enfant avec qui j'ai beaucoup investi de temps, c'est sûr. Mais ce n'était pas une corvée parce que j'étais gagnante au bout de la ligne.

En janvier, j'ai dit aux parents : « Il ne passera pas sa deuxième année, ça serait vous mentir de dire qu'il va la passer. Mais on va travailler le comportement et l'an prochain, il passera sa deuxième année. » Les parents étaient d'accord. Moi, j'ai accepté de le garder. On m'a offert de l'envoyer dans une autre école, les parents avaient accepté. Mais c'est sûr qu'au mois de juin, quand on a pris la décision de le garder à notre école, ils étaient soulagés. Je l'ai encore cette année et on travaille la deuxième année ; le comportement, on n'en entend plus parler. Il prend encore du Ritalin. J'ai d'autres élèves qui sont difficiles cette année. Au début de l'année il leur disait : « Vous êtes mieux de l'écouter parce qu'elle a une maususse de tête de cochon, elle va vous le faire faire. » Il est encore bien vivant, ça ne sera jamais un ange. Cette année, on travaille plus son impulsivité. Je lui dis : « Quand tu es fâché, respire trois fois, pense à autre chose. » Il trouve ça drôle. Il n’y a rien qui lui fasse plus plaisir, quand on arrive en conseil de coopération, que de se faire dire qu’il s’est amélioré. Il va aller en troisième année, pas fort, mais ça reste que c'est un hyperactif et qu'il a de la misère à se concentrer. Il m'a dit au début de l'année : « Je suis comme changé en dedans. Ce n'est plus pareil comme avant. » Tout le monde me dit : « Mon Dieu, il a des sourires dans les yeux cet enfant-là. » On voit qu'il est heureux. Je pense que l'image que j'avais de lui à la maternelle cinq ans, le pouce dans la bouche dans un coin, m'avait beaucoup touchée. Cet enfant avait besoin d'amour, d'attention et de respect. C'est difficile de dire ce qui lui a fait le plus de bien. C'est juste lui qui pourrait le dire puis encore, avec ses mots d'enfant de huit ans.


1- La préparation nécessaire pour enseigner à un nouveau degré

Ce qui a joué peut-être au mois de septembre dans ma préoccupation, c'est l'espèce de montagne que j'ai eue en avant de moi, de me voir face à une nouvelle tâche et avec un élève comme ça. Ça a joué, c'est sûr, parce qu'au début, j'étais apeurée à l'idée d'affronter tout ça. Le défi de ne pas savoir ce que tu vas faire la semaine prochaine. Au moins, quand tu connais ton programme, tu as le temps de préparer ton matériel ou le choix d'activités que tu as à faire. J'ai de la misère à vivre ça. J'aime ça savoir à l'avance ce qui s'en vient, de voir mon étape. Ne pas savoir ce que j'allais faire dans deux semaines m'insécurisait beaucoup. Je trouvais que c'était trop. Au début, je me disais : « Comment je vais faire pour passer à travers toute ma planification et m'occuper de lui en même temps ? » Même s'il n'y avait pas juste lui et qu'il y en avait d'autres.

2- La relation avec des enfants difficiles

C'est une guerre de pouvoir. L'affrontement, c'est le pouvoir. Ces enfants-là, souvent, ils veulent avoir le dessus sur toi. Ils sont prêts à n'importe quoi pour l'avoir. Si tu t'embarques là-dedans et que tu décides que c'est toi qui vas l'avoir, c'est un match à finir qui n'en finit plus. Mais moi, je me disais : « Il faut que je gagne, mais il faut que je lui donne l'impression qu'il n'a pas perdu. » J'en ai déjà eu des affrontements avec des élèves. J'ai réalisé que je sortais brisée parce qu'on se disait des choses parfois qu'on ne pensait même pas, des choses pour se défendre puis pour blesser. J'ai beaucoup vécu ça au deuxième cycle. Mais, avec le temps, j'ai compris qu'il faut miser sur l'idée que ces enfants-là ont, à quelque part, besoin d'affection et d'attention. Je suis convaincue que tous les enfants sont comme ça. Ça fait partie d'une de mes convictions personnelles. Au deuxième cycle, j'ai eu des bons cas de comportement. Quand tu leur donnes du temps à eux, c'est rare que ça ne marche pas. J'ai eu des classes de cinquième année assez vivantes, mais je réussissais du moment que j'investissais un peu de temps... Ils voient ça comme un privilège quand tu leur donnes un peu d'attention. Il faut aussi beaucoup d'humour, prendre le temps de rire, d'avoir du plaisir. Il ne faut pas juste se mettre dans des situations désagréables, il faut aussi se mettre dans des situations d'apprentissage où on rigole, même de nos erreurs. Je ris beaucoup dans la classe.

3- L'importance qu'elle accorde aux relations avec les parents

Quand j'étais au préscolaire, j'ai appris à travailler avec des adultes aussi. Quand je travaillais avec des parents, je ne pouvais pas dire : « C'est correct ce que tu fais ou ce n'est pas correct ce que tu fais. » C'étaient des adultes, ça m'a appris à dialoguer et à dire les choses de manière positive. Mes années à la maternelle-maison m'ont permis de me rapprocher des parents. Maintenant, les parents ne me font plus peur. Quand je dis que je vais faire quelque chose, je le fais : « Si ça ne s'améliore pas, on va ensemble rencontrer tes parents pour que ça aille mieux. » J'ai fait des rencontres enfants-parents-enseignante puis ça donne quand même des bons résultats. Je parle aux parents avant, mais les enfants sont responsables de leurs actes. Il ne faut pas penser qu'ils ne comprennent rien là-dedans, pas du tout. C'est comme ça que je fonctionne.