© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Un enseignant de français raconte une situation qui s'est déroulée dans un groupe de deuxième secondaire, lors d'un début d'année. Il avait alors environ 20 ans d'expérience, donc il avait pas mal d'assurance et se sentait assez à l'aise avec les débuts d'année. C'est un récit où il ne s'agit pas d'un élève en particulier, mais bien de tout un groupe d'élèves.

TITRE: FAUX PAS

Une année, dans ma tâche d'enseignement, on m'a confié un groupe d'élèves performants de deuxième secondaire. J'avais déjà eu, en complément de tâche, à deux ou trois reprises, un groupe de deuxième secondaire, mais jamais de performants. Ici, il y a un groupe de performants en première et deuxième secondaire. J'avais les performants de première secondaire en alternance ; on était deux enseignants en première secondaire et on se partageait les groupes d'année en année. Mais cette année-là, l'enseignant en deuxième secondaire voulait vivre une expérience en première secondaire et souhaitait avoir les performants de première et deuxième secondaires ; il ne voulait pas partager. Je n'avais pas accepté qu'il ait les deux groupes de performants. Donc, comme l'enseignant voulait vivre une expérience en première et que je tenais mon bout (partager), il a accepté d'avoir les performants de première secondaire et il m'a laissé le groupe de deuxième secondaire, un peu contre son gré, avec ce genre de discours : « Des élèves de deuxième, ce n'est pas comme des élèves de première : les performants sont exigeants, plus subtils, ils ne se conduisent pas comme ceux de première. » Son but n'était pas de m'aider ; il désirait peut-être que je finisse par abandonner. Je dois avouer que son discours, malgré l'expérience que j'avais, m'avait fait un peu peur ; ce qui a fait que j'ai accueilli ce groupe-là en me sentant un peu mal à l'aise (1). Ça me revenait toujours dans l'esprit : « C'est vrai, ce sont des élèves plus vieux, je ne sais pas trop, trop. J'ai toujours enseigné en première, peut-être que c'est vrai que ça ne se conduit pas de la même façon ? » Ce qui m'avait surpris un peu aussi en accueillant les élèves, c'est qu'il y avait seulement quatre ou cinq garçons dans le groupe ; tout le reste, c'étaient des filles. Mon expérience en première secondaire m'avait habitué à des groupes équilibrés entre gars et filles, ce qui n'était pas le cas en deuxième. Généralement, à ce niveau, les performants sont des filles, mais je ne le savais pas. Le fait de les accueillir comme ça, un peu sur mes gardes, en laissant mon expérience de côté puis en portant beaucoup plus d'attention au discours de cet enseignant-là, tout ça fait que je n'étais pas moi-même. J'étais déjà mal à l'aise au départ.

Le cas qui nous concerne consiste en la préparation d'une période de lecture (environ trois semaines en début d'année). Il y avait une période par cycle ; c'était de la lecture gratuite en première et deuxième secondaires, de la lecture où l'élève choisissait un volume qui l'intéressait à la bibliothèque. La lecture se faisait en classe, mais il n'y avait pas de retour sur celle-ci. C'était uniquement dans le but de développer le goût de lire, sans évaluation. J'avais dit aux élèves dès les premiers cours : « Ici, ce n'est pas une période de lecture où tu te promènes pendant toute la période pour aller chercher un ou deux volumes à la bibliothèque. Tu arrives avec ton volume de la bibliothèque, c'est une vraie période de lecture. » Ce n'était pas l'habitude que les élèves avaient acquise en première secondaire. Pendant la période, ils se promenaient régulièrement, ils allaient à la bibliothèque et je pense que ça, ça les avait un peu fâchés. J'ai vu tout de suite - il y avait des indices - qu'ils voulaient me prouver quelque chose, mais je ne savais pas ce qui s'organisait ; il y avait des petits sourires, des regards en coin.

Je sentais qu'il y avait quelque chose qui se passait ; peut-être voulaient-ils me montrer qu'ils étaient en deuxième secondaire et que moi, j'étais un enseignant de première ? Je savais qu'il se tramait quelque chose, mais je ne pouvais pas l'identifier très clairement. Je leur avais donné un certain temps, une quinzaine de jours, pour que chacun se rende à la bibliothèque et se choisisse un livre qui l'intéressait afin qu'on puisse commencer la période de lecture, le moment venu. Mais, régulièrement, je vérifiais, je leur demandais : « Est-ce que vous avez votre volume de lecture ? » Il y avait toujours une fille un peu spéciale, entre autres, qui était derrière la classe et qui entraînait les autres. Je voyais les sourires, les réactions des autres ; les trois quarts des gars embarquaient aussi. Ils répondaient des choses correctes, peut-être comme : « Oui, oui, on l'a notre livre de lecture. On va l'avoir. Faut pas t'en faire, on est des performants. » Cependant, je ne vérifiais jamais, car je voulais les traiter comme des grands, pas comme des premières. Si ça avait été des élèves de première secondaire, quand j'ai vu ces petites réactions-là, je serais intervenu tout de suite. Je veux dire que je leur aurais montré mes couleurs, j'aurais exigé qu'ils se conforment aux directives : me prouver que chacun était allé à la bibliothèque emprunter un volume avant la date fixée pour la première période de lecture (2). Mais j'avais toujours, dans la tête, ce discours de ce collègue d'expérience (3) .

Enfin, la période de lecture arrive : je vois arriver un premier groupe d'élèves, quatre ou cinq, avec leur volume, mais ils avaient tous le même volume. Je ne réagis pas et je les laisse aller. D'autres élèves arrivent avec le même volume encore. Finalement, c'est tout le groupe qui avait le même volume : c'était le Nouveau Testament. Je manquais de sécurité puis d'audace sûrement quand je suis arrivé en classe pour que ces élèves le décèlent et en profitent ; je n'ai pas réagi au premier signe. C'était la première fois qu'un groupe faisait ça ; tu sens que tout un groupe d'élèves commencent à tramer quelque chose, tu ne sais pas quoi, c'est le début de l'année. Si tu perds le contrôle, tu te dis : « Quelle année je vais passer ! »

Je savais qu'il fallait réagir, mais je ne savais pas comment ; il ne fallait pas que ça passe comme ça parce que là, je me sentais un peu ridiculisé dans mes exigences. Pour une fois, j'avais une période en avant de moi pour réfléchir. Ce n'est pas toujours comme ça que ça arrive dans l'enseignement, mais cette fois-là, j'avais du temps. Je pense que le fait de ne pas réagir tout de suite les a déstabilisés. Je leur ai souhaité bonne lecture et je les ai laissé lire, peut-être aussi ricaner ; je leur ai laissé le temps de voir ce que je ferais, ou de l'imaginer... Probablement que ce qu'ils voulaient, c'était me faire faire une colère, me faire perdre les pédales, puis une fois que je les aurais perdues, c'est encore eux qui auraient eu le dessus. Il faut que tu gardes le contrôle de la situation, mais aussi il faut que tu te retrouves, une fois que tu t'en es sorti et que le malaise est disparu ; pour moi, c'était ça l'important. Je me souviens d'avoir insisté sur le fait que c'étaient des élèves de parole, que c'est vrai que tout le monde avait son volume, mais le fait qu'ils avaient le Nouveau Testament, je ne suis pas embarqué sur ce terrain-là : aucune réaction sur le Nouveau Testament. Je ne savais pas comment réagir de toute façon là-dessus ; je ne savais pas ce que j'aurais pu leur dire. Mais je suis sûr qu'ils s'attendaient à une réaction dans ce sens-là. Le fait de ne pas intervenir, je pense que ça les a déséquilibrés un peu, désarçonnés ; j'ai peut-être pris une quinzaine de minutes. Finalement, je me suis souvenu, c'était peut-être l'année précédente, qu'avec un groupe d'enseignants on avait justement préparé du matériel ; aussi curieux que ça puisse paraître, c'était du matériel sur certains passages de l'Évangile comme la conversion de Zachée. Ça allait du mot-mystère en passant par les questions ouvertes, les questions à choix multiples, les dessins à colorier, toutes sortes de choses. Je savais que ce matériel se trouvait dans un local, tout prêt, au sous-sol. Je me souviens d'avoir pris le temps d'écrire un petit message en vers au tableau. Du contenu, je ne me souviens pas trop exactement, mais ça avait rapport avec le choix du volume : un même volume pour tous, c'était la première fois que ça arrivait et ils m'obligeaient, en quelque sorte, à agir différemment des années précédentes. J'avais pris le temps de rimer ça. Je leur disais que je comptais sur leur grande maturité, que je m'absentais pour quelques minutes mais que je revenais. Donc, je m'en vais faire photocopier un travail justement sur la conversion de Zachée, une recherche.

Je quitte et je fais un nombre suffisant de copies (32) d'un travail de recherche sur la conversion de Zachée. Je reviens avec ma pile de feuilles ; le message au tableau prend du sens, mais je les laisse continuer. Là, je voyais que les réactions commençaient à être différentes : je voyais des gars qui regardaient surtout cette fille-là (celle qui menait le bal depuis trois semaines). Elle commençait peut-être elle aussi à être intriguée ; elle voyait que j'étais sur leur terrain. Je venais de mettre le pied sur leur terrain et de les placer dans l'incertitude « Qu'est-ce qu'il y avait sur ces feuilles et qu'est-ce qu'il va faire avec ? » Mais dans ce temps-là, il ne faut pas en abuser non plus ; il faut vraiment y aller modérément, sinon tu renverses la vapeur et tu perds le contrôle. C'est-à-dire qu'il ne faut pas que tu te sentes fort du fait que tu viens de renverser la vapeur ; c'est toujours à gérer avec précaution. Il suffit d'une maladresse et tu viens de leur redonner le terrain ; il ne faut pas que les élèves sentent que tu en profites pour assouvir une vengeance. Je les laisse continuer, je ne parle pas. Juste avant de partir, deux minutes avant la fin, je leur passe le questionnaire ; j'ai attendu jusqu'à la fin parce qu'ils auraient pu réagir et je ne le voulais pas. Je voulais leur donner le temps d'y réfléchir chacun individuellement, parce que si je l'avais donné 20 minutes avant la fin, je suis sûr que deux filles en particulier seraient tout de suite venues essayer de défaire tout ça, de négocier quelque chose, parce que, elles, elles se sentaient mal à l'aise devant tout le groupe. Chacun sentait que quelque chose lui pendait au bout du nez et que c'était la faute de ces deux filles-là s'ils en étaient rendus à ce point. De mon côté, je voulais que chacun sente aussi ce que j'étais capable de faire, que j'avais des exigences. Je leur ai demandé des réponses pour la prochaine période de lecture, mais mon espérance, c'était qu'il y ait des réactions avant cette période-là. C'était une période par cycle, donc ça me donnait un cycle. C'étaient des cycles de six jours, ça me donnait alors un petit peu plus qu'une semaine pour observer les réactions.

Dans mon esprit à moi, l'intention était de leur donner du temps pour se reprendre, pour réagir autrement ; je ne voulais pas leur faire quelque chose d'entêté où l'élève ne peut pas se reprendre, ni faire de prise de conscience. À chaque période de français, les élèves revenaient se défendre, ça me permettait d'évaluer, de démordre tranquillement mais toujours en leur rappelant mes exigences, en leur rappelant que c'était moi l'enseignant. Ce n'étaient pas des exigences pour des exigences, mais je voulais leur montrer que je pouvais aussi les accueillir s'ils étaient capables d'agir selon les règles, que j'étais capable de les respecter aussi : c'était surtout ça que je voulais. Mon expérience me disait aussi qu'il fallait que je fasse semblant un peu de continuer (4), que j'embarque là-dedans pendant un bout de temps avec eux.

Un autre enjeu concernait l'image de l'enseignant... Disons qu'en première secondaire, je n'étais pas si mal, j'avais une dizaine d'années d'expérience ; dans le fond, je ne voulais surtout pas que ceux qui m'avaient dit : « Tu sais, des deuxièmes ce n'est pas comme des premières », aient raison. Il y avait tout ça à défendre, à porter en même temps. Tu ne changes pas de tâche comme ça non plus, je ne voulais pas être pogné pour une année à vivre ça, vraiment pas. Quand je voyais tout un groupe comme ça, un groupe d'élèves très brillants, me traquer à chaque fois qu'on entrait dans la classe, je sentais que quelque chose se préparait. Ils n'étaient pas méchants pendant qu'on faisait le français, mais je voyais tout le temps qu'il y avait quelque chose qui s'organisait. Je les avais provoqués dans le sens où j'avais été très directif, trop directif.

Finalement, on n'a pas corrigé la recherche : les élèves n'ont pas eu à la faire parce que dès le lendemain, ceux qui n'étaient pas en accord avec ces leaders-là n'étaient pas intéressés à faire un travail de recherche. Mais ils étaient vraiment intéressés à aller chercher un volume à la bibliothèque et en faire une vraie période de lecture. Il y avait au moins deux filles là-dedans qui sont venues : celles qui me répondaient quand je leur demandais si chacun avait leur volume de lecture, avec un petit sourire en coin. Je pense que le groupe d'élèves avait des attentes face à ces deux filles qui les avaient amenés là et ils s'attendaient à ce qu'elles fassent le chemin à l'inverse ; je pense que c'était leur idée. Ces filles-là sont venues me trouver pour me demander : « Écoute là, on va se reprendre. » Ça s'est réglé, et tout le reste de l'année, ça a été un vrai plaisir de travailler avec ces élèves. Bien sûr, je ne pouvais pas leur dire oui tout de suite : « Bien O.K., laissons tomber ça! » Il fallait que je vérifie leur bonne intention. Le lendemain, on n'était pas en lecture, on était en français. Donc, ça me permettait de mettre un terme à leur négociation. Ils arrivaient un peu avant le début des cours pour négocier. Je leur donnais toujours assez de corde pour leur laisser une espérance aussi ; il ne faut pas que tu bloques, jamais, mais tu le sens par expérience. Je ne voulais pas de punition bête comme dire : « Tiens, faites ça puis je ne démords pas. » Je savais qu'il y avait des élèves qui n'étaient pas coupables et que c'était une façon de les récupérer aussi. Il y avait tout un discours derrière ça, en début de période. Les négociations, moi je mettais ça au clair en début de période avec le reste du groupe ; je leur permettais de vérifier ce que j'accueillais au fur et à mesure, de leur laisser une espérance aussi. J'ai sûrement dit aussi aux élèves qu'il y en avait des moins coupables que d'autres et j'en ai sûrement profité pour leur dire que ce n'était pas bien de suivre comme ça, que ça pouvait causer plus de tort que de bien. J'arrivais de première, mais je n'étais pas si bête que ça... Le but était de leur faire vivre le malaise que moi je vivais quand on n'est pas, je dirais d'une certaine façon, authentique dans notre communication, dans nos relations entre maître et élèves. On a appris à se respecter.

En début d'année, les élèves viennent te tester et probablement d'une façon plus évidente quand tu as des groupes de performants. Il faut que tu révèles tes couleurs en début d'année, sans peur. Pour moi, le faux pas que j'ai fait, c'est justement d'avoir eu peur, d'être arrivé là avec la peur ; les élèves l'ont senti, ils ont vu que je manquais d'assurance. Il faut demeurer soi-même, son expérience ça ne trompe pas. En début d'année, quand tu accueilles un groupe d'élèves, c'est toujours plus utile de te référer à ton expérience que de te référer aux discours des autres.

J'ai conservé une carte que l'une des filles m'a laissée un moment donné avant de partir, à la fin de l'année, parce qu'après, nous sommes souvent revenus sur ce fait-là. Je leur disais : « Vous m'avez passé un sapin entre les dents », alors ils m'avaient dessiné un sapin entre les dents ! C'est exceptionnel comme situation parce que j'avais le temps de réagir. Ça m'a permis de découvrir qu'il vaut mieux laisser l'élève sur de l'incertain que d'exploser tout de suite. Quand il y a quelque chose qui cloche, souvent ma réaction c'est simplement de m'arrêter. Parfois, quand j'entendais quelque chose dans la classe, en écrivant au tableau, je savais qu'il se passait quelque chose. Quand je n'étais pas sûr de l'élève, je m'arrêtais tout simplement d'écrire puis de parler ; le silence, c'est mortel. Je me retournais puis je regardais, je voyais bien l'élève ; tu vois à travers les réactions, tu peux toujours, sans trop d'erreurs, accuser quelqu'un. Généralement, je le regarde en pleine face, puis je vois qu'il est mal à l'aise et je dis : « As-tu compris ? » Souvent, il va me dire : « Ce n'est pas moi, c'est lui. » « Je le sais, mais tu es dans le coup toi aussi, as-tu compris ? » Je ne vais pas plus loin, ce n'est pas nécessaire. Finalement, dans toutes les situations, tu peux te permettre d'observer les réactions de l'élève, celui qui a tort. Le simple fait de t'arrêter, l'élève se pose des questions. Le fait de ne pas intervenir, c'étaient les deux coupables qui étaient prises avec la solution du problème ; comme elles menaient le bal depuis 15 jours, je sentais tout le groupe derrière elles. C'était aussi la seule façon de les obliger à avoir encore tout le groupe derrière elles, mais pour un autre motif. Je me laissais tirer les oreilles un peu, mais il n'aurait pas fallu que je ferme les portes au point de couper toute espérance parce qu'ils ne seraient pas venus négocier après.


1- Sa stratégie pour repérer les leaders en début d'année

À chaque début d'année, par exemple, si au premier cours un élève allait se placer derrière la classe et commençait à parler puis à s'amuser un peu avec les voisins, je savais qu'il fallait l'avoir à l'oeil. Généralement, pour moi, c'était l'indice d'un leader d'une petite clique d'élèves qui se retrouvaient et qui avaient probablement l'intention de continuer là où ils s'étaient laissés l'année précédente. Pour moi, c'était important. Si, après la dernière cloche, l'élève continuait quand même à parler, tout de suite je le changeais de place et je lui donnais toujours une place en avant. Généralement, il me demandait pourquoi : « Je n'ai rien fait, qu'est-ce... ? » Moi, je répondais tout simplement : « C'est vrai tu n'as rien fait mais tu n'es pas fait pour être en arrière de la classe. C'est une question d'équilibre, il me semble que le paysage est mieux comme ça. » Généralement, ça passait comme ça sauf que je ne fermais jamais les portes non plus. Je disais : « Un moment donné, si tu as le goût de retourner en arrière, tu me le diras et je verrai à ce moment-là parce que pour être derrière la classe, ça prend une qualité que tu ne possèdes pas encore actuellement, mais peut-être que... » Le fait de dire ça, je pense que ceux qui restaient derrière se sentaient un peu comme l'obligation de prouver qu'ils étaient responsables. En même temps, j'en profitais, ça me servait pour passer un double message. Quand il me demandait de changer de place, je l'accueillais comme ça, les choses étaient réglées, je n'avais pas plus de problèmes que ça.

2- La colère, ça ne règle rien

Il m'est arrivé de donner un coup de poing sur le volume d'un élève, de déchirer quelques pages sans le faire exprès. Peut-être que ça surprenait un peu tout le monde, mais ce sont des colères que je regrettais par la suite ; ça ne règle pas les choses. C'est vrai que tu ne règles rien comme ça, tu t'emportes inutilement et les élèves le voient bien. Il y a peut-être une crainte qui s'installe, mais ça n'apporte pas de solutions.

3- Ce que veut dire faire partie du corps

Enseigner, c'est aussi faire partie d'un corps enseignant, d'un groupe ; tu en portes en même temps les forces et les faiblesses. Quand tu enseignes en deuxième secondaire, tu accueilles les élèves qui ont déjà peut-être certains travers, des fois peut-être plus que d'autres, ça dépend. Vieillir - prendre de l'expérience - ça t'apporte aussi la faculté de mettre des nuances dans les discours des enseignants qui, selon les circonstances, veulent dire différentes choses. Quelqu'un peut te dire : « Les performants, c'est pas comme les élèves de régulier », sauf que s'il te le dit au moment où on est dans le partage des tâches, ce n'est pas comme s'il te faisait cette même réflexion en cours d'année, au moment où tu vas le trouver en lui disant : « Écoute, moi j'ai tel problème avec ces élèves-là. » Ça n'a plus le même sens, ça n'a pas la même signification. Donc, tu apprends à lire tout ça. Il y en a certains qui font le tour des enseignants du niveau précédent et s'informent un peu sur différents cas difficiles. Moi, j'ai toujours refusé ça, parce que je ne voulais pas accueillir un élève en le diminuant au départ. Il y a des fois où je n'ai jamais su que j'avais des doubleurs, ou alors je l'ai su quand l'année était commencée ; l'année avait peut-être 5-6 mois puis je l'ignorais encore. Il y a des habitudes qui ne conviennent pas à ta personnalité et qui vont te nuire beaucoup au lieu de t'aider.

4- L'expérience

Il ne faut pas que tu arrives handicapé devant un groupe d'élèves dans le sens où tu arrives avec la peur. Je dirais que c'est probablement inévitable au cours d'une carrière : par exemple, quand tu changes de niveau, tu as toujours peur un peu. Quand tu mets les pieds sur du terrain neuf, tu as toujours peur un peu. Ton expérience s'élargit d'année en année, avec les différentes clientèles. Puis, même quand tu passes d'un niveau à l'autre, tu n'es pas toujours bien servi par ton expérience. Tu apprends à mettre des nuances là-dedans aussi ; il faut que tu le vives, dans le fond. Dans le récit que j'ai choisi, je ne voulais pas les organiser bêtement, mais leur montrer qu'on pouvait établir une relation intéressante, tout en respectant la distance nécessaire entre l'enseignant et l'élève. Un maître ça doit rester un maître, c'est quelqu'un qui établit les règles du jeu, puis l'élève doit les respecter, parfois les négocier, parce que ça se peut que tu te trompes et ça, je l'ai vérifié moi-même. J'ai même déjà dit aux élèves que j'avais été trop exigeant et que je m'en étais rendu compte en faisant l'exercice demandé. C'est tout ça l'expérience.