© Audet, G. (2006).

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TITRE: MES EXPÉRIENCES AVEC DES ENFANTS D'AILLEURS

J'enseigne depuis plus de vingt-cinq ans et j'ai enseigné dans différentes régions du Québec et en immersion française dans l'ouest Canadien. Au cours de ma carrière, j'ai eu différentes expériences avec des enfants d'ailleurs. Les situations dont je vais parler se sont déroulées dans une école de banlieue située dans un milieu que je qualifierais de « moyennement favorisé ». Il y a une année où j'ai eu une petite Roumaine. J'ai eu aussi une petite Colombienne, une petite fille Chinoise et un petit Noir qui venait d'Haïti. Les expériences que j'ai eues avec ces enfants-là sont différentes.

La première, c'est une petite Roumaine qui est arrivée en maternelle. Elle avait des grosses difficultés d'apprentissage. Ce n'était pas tellement sa participation en classe, sa relation avec moi ou sa relation avec les autres qui étaient problématiques, parce que de ce côté ça allait quand même bien. C'est côté apprentissage que c'était difficile. Et le problème qui a découlé de cela, c'est la difficulté, pour les parents, d'admettre que l'enfant pouvait avoir ce genre de difficultés.

Souvent, les enfants adoptés sont des enfants que les parents désirent depuis longtemps. Ils vont les chercher... alors c'est précieux. En tant qu'enseignants, on est les premiers à dire aux parents que leur enfant peut avoir des difficultés. Je trouve que c'est encore plus difficile pour ces parents-là. Ça été dur pour moi de faire accepter aux parents que leur enfant était en difficulté, qu'il faudrait passer des tests, qu'il faudrait aller plus loin, investiguer. Ça été long. Par contre, une fois que ça été mis en branle, les parents collaboraient davantage. Ils me disaient : « Peut-être qu'on s'y attendait... » Il faut dire que c'est une petite fille qui avait vécu en orphelinat et qui était sous-stimulée parce que souvent, les enfants étaient laissés dans leurs lits. Tranquillement aussi, la mère s'ouvrait à l'histoire de l'enfant... Mais les débuts ont été difficiles.

La première fois que j'ai abordé le sujet avec eux, c'était assez stressant. Déjà, quand c'est un enfant qui n'est pas adopté, on comprend que c'est difficile pour les parents. Mais dans ces cas-là, tu sais que les parents sont allés le chercher, qu'ils l'ont désiré, qu'ils l'ont attendu, alors c'est plus difficile encore. Il faut prendre plus de précautions, bien amener le problème et s'assurer que les parents comprennent bien. Je pense qu'il faut vraiment arriver avec des faits sur ce qui se passe avec l'enfant, sur ses échecs, ses réussites. Il faut aussi s'assurer l'appui du spécialiste parce que bien souvent, quand il y a des difficultés, on demande au psychologue de venir observer en classe pour voir comment ça se passe. S'il n'y a pas d'évaluation de commencée, il peut y avoir des commentaires ou des observations à donner aux parents pour pouvoir entreprendre des démarches. Il ne faut surtout pas cacher aux parents que leur enfant à des difficultés. Je pense qu'une fois que c'est accepté de leur part, ils comprennent. Je pense que ces parents-là s'y attendaient, mais ils ne voulaient pas l'admettre. Tu ne sais pas les antécédents de l'enfant quand tu vas le chercher. Il peut arriver certaines choses que tu n'avais pas prévues...

Ensuite, j'ai eu une petite Colombienne. Je dirais que la difficulté était au niveau du comportement, de l'hyperactivité; il y avait aussi un déficit d'attention. Alors, il y avait beaucoup de choses qui entouraient cet enfant-là. Ça été le même problème qu'avec l'enfant dont j'ai parlé avant : la difficulté pour les parents d'accepter cela. Et ça été très long cette fois, malgré le fait que j'avais l'expérience de la première fois, avec la petite Roumaine. La réaction des parents a été beaucoup plus grande : la mère a été presque deux mois à ne pas vouloir me parler. Elle disait que l'enfant n'était pas en difficulté, qu'elle était petite, qu'il fallait lui laisser le temps de prendre de la maturité... J'essayais de lui expliquer que quand un enfant se roule par terre et n'est jamais à son travail, ça ne fonctionne pas. Je ne peux pas laisser vingt enfants de rouler par terre...

Ça été au fil des mois, jusqu'à ce que je lui demande de revenir me voir au bulletin pour qu'on parle des difficultés. La mère a fini par sentir que j'insistais. Je continuais à lui dire qu'il y avait des choses qui étaient problématiques et qu'il faudrait pousser l'évaluation plus loin. Finalement, elle a pris la décision d'aller voir son médecin et elle a demandé un rendez-vous avec un pédopsychiatre. Suite à cela, tout s'est enclenché. Je pense que la mère était vraiment blessée, mais je l'ai fait parce que je devais le faire. Je ne pouvais pas reculer et dire que tout allait bien. Je suis toujours restée sur mes positions et j'ai essayé de parler à la mère, de lui faire comprendre. Je pense que c'est au niveau de l'école que ça l'inquiétait, le fait que ça allait se savoir que son enfant était en difficulté. On dirait qu'elle était allée faire son investigation elle-même, à l'extérieur de l'école, avec des professionnels et elle est revenue un peu après avec les résultats. L'enfant était effectivement en difficultés et c'était problématique. Elle est allée en première année et je pense qu'elle a doublé. Encore une fois, j'avais le mauvais rôle. J'avais à informer les parents de choses qu'ils n'étaient pas nécessairement prêts à entendre. Et peut-être que c'était encore plus difficile pour ces parents parce qu'ils avaient tellement attendu leur enfant...

J'ai aussi eu une petite Chinoise. Elle, ce n'était pas un enfant en difficulté mais c'était une enfant hyper gâtée, un « enfant-roi ».C'était difficile avec le père. La relation était très bonne, mais lorsque je dénonçais un comportement ou que je ciblais ceux sur lesquels il faudrait faire un effort, les parents prenaient vraiment cela à la légère. Ils étaient très sympathiques. Ils n'ont pas réagi négativement, mais il reste qu'ils n'étaient pas prêts à mettre plus de limites, plus de règles. Ils trouvaient toujours des excuses aux comportements. Ils avaient toujours de bonnes excuses : elle est petite, on l'a tellement désirée, elle est tellement fine... On dirait qu'il n'en voyait pas de problème. Pourtant, comme elle était très gâtée, ça se répercutait dans son comportement avec les autres. J'essayais de leur expliquer que le comportement de leur fille était différent quand elle était seule à la maison de quand elle était à l'école, avec dix-neuf autres élèves.

Ça n'a pas été problématique. Je faisais quand même passer mes messages sur les difficultés qu'il y avait au niveau du comportement. Ce n'est pas tant que le comportement était problématique, mais c'était un enfant qui avait besoin d'avoir plus de limites, plus de règles, si elle voulait fonctionner comme il le faut. Et c'était mon rôle de le dire. En tant qu'enseignante, tu ne peux pas passer à côté de cela. Tu ne peux pas excuser des comportements parce qu'il y a eu sous-stimulation auparavant ou encore parce que l'enfant n'a pas de limites quand elle est chez elle. On ne peut pas les excuser, il faut travailler. On est là pour le bien-être de l'enfant et on est là pour assurer un bon cheminement de l'enfant. C'est à nous de dire les choses, même si c'est difficile parfois, même s'il faut mettre des gants blancs... C'est notre rôle.

J'ai aussi eu une expérience quand j'enseignais à Vancouver, dans un milieu d'immersion française. Il y avait vingt élèves dans ma classe et il y avait un petit Noir. Lui, c'était un enfant qui avait de gros problèmes d'hyperactivité et de déficit d'attention. Ça été difficile aussi de faire admettre à la mère.... En plus, il y avait tout le contexte de l'autre langue, car il fallait qu'il apprenne le français. C'était un anglophone qui devait apprendre le français, mais en plus il avait tous ces problèmes-là. À chaque fois que je rencontrais la mère, je lui expliquais comment c'était difficile pour cet enfant-là d'être en immersion et que ça serait peut-être mieux pour elle qu'elle le place dans une école anglophone.

Tous les tests avaient été faits avant son entrée à l'école, donc on savait vraiment que c'était ces difficultés-là. La mère a eu beaucoup beaucoup de difficultés à accepter que c'était trop difficile, que c'était trop demander à l'enfant. Ça aurait été dans sa langue et ça aurait été difficile... En plus, il avait l'apprentissage de l'autre langue et je pense qu'il avait une autre langue à la maison parce qu'il était Haïtien, si je ne me trompe pas. C'était l'anglais à l'extérieur, le français à l'école et une autre langue maternelle à la maison... Alors pour un enfant qui est en difficultés, qui est en déficit d'attention et qui est hyperactif, c'est beaucoup.

Finalement, à la fin de l'année, elle a accepté de le mettre dans une école anglophone pour quelques années. Elle a fini par comprendre, mais ce fut pénible... En plus, je ne peux pas m'empêcher de penser que si l'acceptation s'était faite plus tôt, ça aurait donné une chance à l'enfant de ne pas passer plusieurs mois sans que ça fonctionne vraiment. Parce que c'est un choix du parent de mettre son enfant dans un programme d'immersion. Tu as donc le choix aussi de le changer d'école quand ça ne fonctionne pas. Ça aurait pu se décider très rapidement, mais c'est la même chose partout : il faut attendre les services. C'est toujours assez long. C'est toujours assez long de faire bouger des choses, mais ce que je retiens de toutes ces interventions-là, c'est que tu ne peux pas baisser les bras face à cela. Il faut que tu tiennes ton bout, parce que le parent n'acceptera pas nécessairement ce que tu dis la première fois. Il faut aussi que tu t'assures des appuis. Dans le cas de ce petit bonhomme-là, j'étais allée voir la direction et la psychologue pour leur dire qu'il fallait qu'ils m'appuient là-dedans. La mère est même allée voir un autre psychologue pour se faire dire les mêmes choses que je lui avais dites. Mais on est toujours les premiers, les enseignants de maternelle, à dire ces choses-là. C'est dur à passer. Des fois ça va en première ou en deuxième année avant que les parents finissent par accepter... Et si tu n'es pas sûre de toi là-dedans, tu peux avoir envie de reculer. L'expérience t'aide là-dedans aussi, mais il faut être persévérant.