L'analyse des récits dont nous disposions nous a menée à présenter une théorisation de « l'altérité en acte » en sept jalons, en progression vers un idéaltype de l'engagement de l'enseignant envers l'enfant « d'une autre culture ». Dans cet ordonnancement, chacun des jalons, du premier au septième, marque un saut qualitatif dans la relation éducative que l'enseignant développe avec l'enfant « d'une autre culture ». À chacun de ces jalons, un ou des récits agissent à titre de prototypes, en ce sens qu'ils sont ceux qui « caractérisent » le mieux le jalon en question. Pour plus de détails sur la démarche d'analyse par théorisation ancrée réalisée, nous invitons le lecteur à lire la thèse doctorale dont la référence se trouve dans la section présentant nos publications.

Les prototypes associés aux jalons

Un aperçu des jalons

Un premier jalon. L'interculturel : de l'importance d'en faire une question prioritaire ou quand le rapport à l'Autre n'est pas envisagé
Dans le récit de ce premier jalon, c'est la pertinence même de l'intervention interculturelle comme problème de pratique et comme objet d'investigation à privilégier qui est remise en question. L'enseignante n'entre pas, à proprement parler, dans un rapport à l'Autre avec l'enfant « d'une autre culture ».

Un deuxième jalon. L'interculturel : de l'importance d'en faire un problème spécifique ou quand le rapport à l'Autre est uniformisé
Dans le récit de ce jalon, la situation rencontrée est problématisée et résolue comme un problème pédagogique et non comme un problème « interculturel ». L'enseignante se refuse à considérer l'enfant comme « différent culturellement »; elle ne prend pas acte de cette spécificité chez l'enfant.

Un troisième jalon. L'interculturel : de l'importance de se responsabiliser ou quand le rapport à l'Autre est évacué
Dans le récit de ce jalon, on ne se reconnaît pas une responsabilité personnelle quant à l'intégration des enfants « d'une autre culture ». L'enseignante ne s'attribue pas le pouvoir d'action nécessaire pour s'engager dans un rapport à l'Autre avec l'enfant ; elle considère que la responsabilité incombe davantage au système éducatif en général.

Un quatrième jalon. L'interculturel : de l'importance d'une compétence légitimée ou quand le rapport à l'Autre est dévié par les parents
Dans les récits de ce jalon, on apprend qu'un espace d'intervention minimal est indispensable pour établir un rapport à l'enfant « d'une autre culture », qu'un sentiment de compétence lié à cet espace est nécessaire et qu'il ne faut pas tenir pour acquis qu'il soit attribué à l'enseignant par les parents. Pour les enseignantes, cet espace d'intervention est menacé : elles vivent les situations auxquelles elles sont confrontées comme une tentative d'un autre acteur (en l'occurrence les parents) de s'immiscer dans celui-ci.

Un cinquième jalon. L'interculturel : de l'importance d'un pouvoir d'action au service de l'enfant ou quand le rapport à l'Autre est intercepté par la culture
Dans les récits de ce jalon, on problématise et résout les situations auxquelles on est confronté comme des « problèmes de culture ». Ainsi, les enseignantes ne sont pas en mesure d'établir un rapport à l'enfant « d'une autre culture » : la culture « brouille » leur rapport à l'agir interculturel et agit tel un écran entre elles et l'enfant.

Un sixième jalon. L'interculturel : de l'importance de délimiter son espace d'intervention ou quand le rapport à l'Autre s'incarne dans une relation fonctionnelle
Dans les récits de ce jalon, on fait le choix, vu les contraintes qu'on perçoit, de se délimiter un « espace » pour agir auprès de l'enfant. Dans cette zone qu'on se délimite et à l'intérieur de laquelle on investit son énergie, les enseignants réussissent à établir une relation avec l'enfant « d'une autre culture », bien que celle-ci soit perçue par eux comme nécessairement « limitée ».

Un septième jalon. L'interculturel : de l'importance de mobiliser la compétence de l'Autre ou quand le rapport à l'Autre s'incarne dans une relation intersubjective
Dans les récits de ce jalon, on est « sensible » aux enfants « d'une autre culture ». Plus spécifiquement, chez les enseignantes, tout se passe comme si cette sensibilité s'exprimait dans leur manière de problématiser et de résoudre la situation, qui tient compte à la fois du fait que les enfants soient « d'une autre culture » et du fait qu'ils soient en même temps des élèves dans une classe, rendant ainsi possible l'établissement d'une relation empreinte d'intersubjectivité entre elles et l'enfant.