© Audet, G. (2006).

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TITRE: IL AVAIT PEUR DE MOI

Cette année-là, l'année de ma première classe, la journée de l'accueil correspondait avec la fête de Jacob. Il avait cinq ans. C'était le plus jeune de la classe, mais physiquement c'était le plus grand et le plus costaud. Je savais qu'il était anglophone, alors je faisais attention pour parler moins vite. Dès la première journée, j'ai remarqué que c'était un enfant qui n'était pas capable de s'arrêter. Il était toujours en mouvement et il avait beaucoup de difficulté à être à l'écoute. Probablement que, même si je faisais attention pour parler moins vite, c'était tout de même trop vite pour lui. En fait, il parlait un peu français, mais il ne le maîtrisait pas autant que les autres enfants de la classe. C'était sa deuxième année au Québec et il fréquentait une garderie l'année précédente.

Dès le mois de septembre, il y a eu des « On ne veut pas jouer avec lui parce qu'il brise nos affaires », « Il ne comprend pas notre jeu » de la part des autres enfants de la classe. Il y a eu une mise à l'écart parce que sa façon d'agir n'était pas adaptée aux autres. Il était violent. « Lui avez-vous expliqué? », « Avez-vous essayé de l'accepter? » Je n'étais pas pour dire : « Ne va pas jouer, les autres ne te veulent pas ». Parce que lui, il arrivait avec son auto, bing! bang! Il brisait tout. Il était comme dans sa bulle. Quand il ne comprenait pas quelque chose et qu'il y avait un enfant qui s'approchait trop près de lui, il le frappait. C'était automatique. Quand il ne comprenait pas trop pourquoi il y avait plein de monde qui venait vers lui, bang! il donnait des coups de poing. Ce n'était pas seulement pousser, c'était vraiment des coups de poing. Aussi, il était maladroit. Par exemple, en jouant aux blocs (parce que c'est tout ce qu'il faisait) il se retournait, il accrochait quelqu'un et il lui faisait mal. Il était vraiment gauche. Souvent, quand il faisait mal, c'était accidentel. C'est comme s'il blessait deux fois.

En fait, ce qui était problématique avec Jacob c'était la violence et la langue aussi. Il fallait que je travaille au niveau de la langue pour qu'il apprenne à mieux parler français parce qu'il en perdait de gros bouts, mais il y avait aussi l'attitude avec les autres. Il ne comprenait pas tout, donc... Probablement que le problème de violence était lié au problème de langue, parce que quand il ne comprenait pas il donnait un coup de poing. Par exemple, quand il y avait une consigne à suivre, souvent il ne se rappelait pas toutes les étapes parce que c'était en français. Quand il y avait un enfant qui prenait son dessin et qui lui disait : « Jacob, regarde, il faut que tu le donnes à Isabelle », il ne comprenait pas pourquoi l'enfant prenait son dessin. Il pensait que l'autre prenait son dessin donc, il lui donnait un coup. Après, j'essayais de le faire réfléchir sur son geste : « Pourquoi as-tu fait ça? » « Il a pris mes affaires. » « Sais-tu pourquoi il l'a pris? » Il ne voulait pas m'écouter. Il m'évitait vraiment. Quand je voulais lui parler, parce que les cas de violence c'était impardonnable, il avait vraiment peur de moi. Au départ, c'était une limite.

Quand j'ai rencontré la mère, je lui en ai parlé. Je lui ai aussi parlé du fait qu'il faisait mal aux autres enfants et qu'ils n'aimaient pas ça. Si cela continuait, il serait retiré du groupe parce que les autres enfants commençaient à le mettre de côté.

Je me suis aussi servie du livre « Le conte chaud et doux des chaudoudoux ». C'est un livre sur les relations sociales. Il permet aux enfants de réaliser ce qui fait plaisir (les chaudoudoux) et ce qui fait de la peine (les froidpiquants) ainsi que les émotions que cela entraîne chez ceux qui les reçoivent. C'est l'idée que j'avais trouvée pour qu'il comprenne ce qu'on peut faire, ce qu'on ne peut pas faire, ce que les gens aiment, ce que les gens n'aiment pas, quand tu frappes un ami, c'est un froidpiquant... Là, il voyait ce que c'était. Aussi, en utilisant cela, ça lui permettait de parler plus. Parce que quand il parlait dans la classe, il y avait un enfant en particulier, un leader qui essayait d'entraîner les autres, qui disait « on ne comprend pas ce que tu dis ». Mais les chaudoudoux et les froidpiquants permettaient de régler ce problème-là aussi.

Mais ça ne réglait pas tout. On s'assoyait à la causerie et, à plusieurs reprises, il a fallu que je l'assoie sur une chaise à côté parce qu'il blessait les autres. En fait, ça arrivait à toutes les fois qu'on faisait un rassemblement et qu'on s'assoyait tous ensemble. Il a finalement fallu que je trouve des moyens pour diriger tout tout tout, pour que tout soit encadré, tout soit dirigé. J'avais un système de montgolfières pour quand on était assis. Quand tu étais assis et que tu faisais bien ça, ta montgolfière restait en haut. Si je t'avertissais, elle descendait. Il a fallu que je fasse des règles pour tout dans la classe. Quand je les ai mises en place, c'était pour que tout le groupe en profite, mais c'était pour lui en particulier.

À la détente, Jacob ne faisait pas de détente. J'ai mis sur pied un système d'auto-évaluation de la détente. Ils savaient tous ce qu'était une belle détente (ne pas se promener, ne pas parler, ne pas bouger, ne pas jouer...). Je leur demandais : « As-tu fait une belle détente? » et si la réponse était oui et que j'étais d'accord, ils avaient des petites étampes ou des collants. Au début, Jacob n'était pas capable de s'auto-évaluer, de dire : « Non, je n'ai pas fait une belle détente », c'était « oui » parce qu'il voulait le collant. « Je ne peux pas être d'accord avec toi. » Après presque deux semaines, il a dit : « Non, je n'ai pas fait une belle détente » et, jusqu'à la fin de l'année, il a fait des belles détentes. J'ai continué peut-être un mois et j'ai arrêté de donner des cadeaux. Il fallait que ça devienne normal. Moi, une fois que je n'avais plus de problèmes avec la détente, j'étais contente. Mais la détente ce n'est pas long. Il fallait que je contrôle tout le reste de la journée et ce, même s'il avait des évaluations de chaque demi-journée dans son agenda en plus.

Un autre problème que j'avais était dans le vestiaire. Parce que lui, dans le vestiaire, ça pressait. Il était tout le temps le premier habillé, même l'hiver. Quand il était habillé et que je lui disais de s'asseoir, lui, avant de s'asseoir, il agaçait tout le monde. Il tapait sur tout le monde, il bousculait, il se chicanait. C'était automatique, je le « perdais ». Il fallait que je trouve quelque chose pour le renforcer. J'avais fait un quadrillé que j'étampais quand il faisait bien ça. Tous les enfants en avaient un. Cette idée-là m'était venue plus tard. C'était au début d'octobre. Dans l'immédiat, je voulais régler les problèmes dans la classe.

Malgré tout, il avait encore peur de moi. Je pense que c'est pour ça que c'est seulement à la fin d'octobre que cela a commencé à aller mieux. Je lui disais : « Je ne veux pas te chicaner, je veux savoir, je veux comprendre... » J'en avais parlé à sa mère lorsque je l'ai rencontrée et je pense que cela a beaucoup aidé. Je lui ai dit : « Écoutez, moi je veux l'aider, je ne suis pas son ennemie ». D'après moi, je ne suis pas certaine, mais elle lui en a parlé à la maison. À partir de ce moment-là, j'ai eu beaucoup d'aide de la mère. Jacob a commencé à me faire plus confiance et ça s'est mis à entrer dans l'ordre. Toute l'atmosphère de la classe a changé. C'était l'escalade vers le bonheur. Le français était plus facile, il comprenait plus... Il a changé d'ami. Il était moins violent. Ses valeurs ont changé et il s'est mis à ne plus avoir peur de moi à cause de la collaboration avec sa mère.

En fin de compte, au mois de novembre, ça allait déjà mieux. Au départ, je me suis servie de le mettre à l'écart parce que j'avais tellement d'autres problèmes à régler, d'autres « cas » à m'occuper. Je le mettais à l'écart et quand tous mes autres problèmes étaient réglés, j'allais le voir. Je n'étais pas seulement centrée sur lui. Je ne m'attendais pas vraiment à ça pour ma première classe, mais je ne peux pas dire que j'aurais pu intervenir plus rapidement. Le climat général de la classe faisait que ce n'était pas possible.