© Larouche, H. (2000).

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Préambule : Le récit suivant est un cas qui s'échelonne sur deux ans. L'éducatrice, qui a sept ans d'expérience en service de garde, raconte certains moments intenses qu'elle a vécus avec un enfant de cinquième année, qu'elle décrit comme étant un rebelle. La relation de confiance qu'elle a su établir avec lui a permis de poursuivre son cheminement scolaire.

TITRE: MON « IRLANDAIS »

C'est l'histoire d'un jeune, Mathew, que j'ai eu en cinquième et en sixième année. Quand il est arrivé, c'était le style «rebelle». Vraiment, il était baveux. C'est vraiment le terme, il était baveux. Mattthew était batailleur, menteur et ça a même été jusqu'au vol, mais c'est un enfant qui avait un fond extraordinaire. C'était une façade pour se donner de l'assurance car c'est un enfant qui a très bon coeur et qui est sensible, très, très sensible. Pour le cacher, il prend tout de suite les devants. Il a une façon de parler, de dire bonjour, un sourire, quand tu lui parles, il te regarde du coin de l'oeil en voulant dire : elle, je ne pourrai pas lui en passer. Tout de suite, tu le sais quel enfant va essayer de t'en passer ou qui ne sera pas capable de t'en passer. Lui c'était franc. C'était le genre de gars qui m'affrontait et je me disais : on va arriver à fonctionner ensemble. Parce que la facilité que j'ai avec les grands c'est : tu me parles de telle façon et je te parle de la même façon. On a une certaine complicité dans un sens. Si tu es impoli, je vais l'être, c'est donnant-donnant. Juste en le voyant rentrer dans la porte, je l'ai tout de suite identifié. Ça fait quand même des années que je suis avec des jeunes. En rentrant il me pique une paire d'yeux, il me fait un sourire et il rentre. Je me suis dit: c'est beau toi mon gars je vais te «chercher» cette année. Je le savais que si je le mettais de mon bord, je ferais ce que je voulais avec cet enfant-là.

Il y avait différentes choses qui faisaient qu'il n'était pas un enfant «ordinaire». Par exemple, il avait les cheveux roux. Ce n'est pas tous les enfants qui ont les cheveux roux. Quand on est blond, brun, on ne se fait pas écoeurer, mais quand on est roux, oui. Il avait sa casquette et il était rasé jusqu'à la casquette. Un moment donné on était assis dehors sur la petite galerie, je lui ai dit «tu dois avoir chaud» et je lui ai enlevé sa casquette. Le soleil reflétait dans ses cheveux. Je lui dis: «eh tu es chanceux, tu as vraiment une belle couleur de cheveux. À 20 ans les filles vont te courir après». Puis j'en mettais, il me dit «non, ils rient de moi, ils m'appellent carotte». «C'est parce que ce sont des jeunes, mais attend une fille quand elle va avoir 16-17 ans...» C'était vraiment une belle couleur de roux, l'autre éducatrice qui était là a embarqué elle aussi. À partir de ce moment-là, la casquette a disparu graduellement. Il a laissé pousser ses cheveux un petit peu. Aussi, il a été affecté beaucoup par le départ de son père. Il était très agressif envers ça. Le fait qu'il ne connaissait pas son père le marquait, de temps en temps j'abordais cela avec lui. On fait parfois un camp lors de journées pédagogiques et on couche à l'extérieur. Mes plus vieux, je les gardais toujours plus longtemps le soir et on jasait ensemble autour d'un feu. C'est à ce moment-là que j'étais allé chercher l'idée du père. Il a une mère extraordinaire et deux soeurs.

Matthew était dans un groupe «olé olé» cette année-là. Dans mon groupe, j'ai des maternelles et des quatrième, cinquième et sixième années. J'ai les deux extrêmes dans mon local. J'ai demandé cela à la responsable il y a trois ans. Je lui ai dit : « je suis certaine que le mixte des deux, ça va être le fun! ». Elle m'a dit «on peut l'essayer et si tu vois que ça ne va pas, il n'y aura pas de problème à revenir comme avant». La responsable est quand même assez ouverte à beaucoup de choses que je lui propose. J'étais toujours toute seule avec ce groupe-là, mais étant donné que j'avais des grands, ils me donnaient un coup de main et ça allait bien. Assez souvent, c'était les filles qui s'avançaient pour aider sauf cette année-là. J'ai dit que j'avais besoin des gars et c'est là que je suis allée chercher Matthew, parce que déjà il me dérangeait. Un moment donné je me suis demandé comment je pourrais aller le chercher, lui. L'année commençait. En plus, j'avais besoin d'aide avec les petits de maternelle. Je lui ai dit : «J'aimerais que tu t'occupes des maternelles. Tu serais en charge d'eux le temps que je fasse réchauffer la bouffe. Tu leur fais sortir leurs choses de leur boîte à lunch, tu m'apportes leurs plats pour qu'ils restent assis. C'est ce que je te demande, est-ce que tu es prêt à le faire?» Il me dit « oui ». «Alors on va te donner ton repas gratuit, tu vas être un aide». Il fallait lui donner un genre de récompense et aussi sa mère ne lui payait pas toujours les repas du traiteur, monétairement ça n'adonnait pas. Alors c'est pour ça que je lui ai dit «tu vas toujours avoir ton repas gratuit, mais je te demande de me donner un coup de main». En plus, les petits se sont fait une image de ce gars-là. Quand ils le rencontraient, ils le saluaient : salut Matthew! C'était flatteur pour lui, il y avait plusieurs enfants qui l'appréciaient car il était correct avec les jeunes. Avec les grands c'était toujours de se battre ou de baver, mais avec les petits il n'avait pas de problème. J'étais allée le chercher comme ça, parce que je le responsabilisais. Je me disais qu'il est leader et que s'il est de mon bord, je n'aurais pas de trouble. Il était très agréable, si un petit avait besoin pour faire couper ses affaires, il le faisait. Un moment donné, il m'avait dit «je vais étudier là-dedans et je vais venir travailler avec toi». Je lui ai répondu «oui tu serais bon, mais avec les petits parce qu'avec les grands, tu es trop baveux». C'est vrai qu'il était bon, car il se donnait la peine.

En cinquième année son prof était un homme et ça ne fonctionnait pas avec lui. Il avait besoin de quelqu'un qui était plus encadrant. Je vais souvent prendre ma pause dans la salle des professeurs, je leur parle. Son prof me dit que ça ne fonctionnait pas du tout, il dérange, il ne fait pas à moitié ses travaux. En tout cas, c'était le pire élève de sa classe. Il avait même barbouillé son bureau, il n'y avait rien qu'il n'avait pas fait! Je lui ai dit «il n'est pas si pire que ça Bruno, Il m'aide sur l'heure du midi!» Il a été surpris: «Il fait ça?!» «Bien oui il fait ça!» Matthew aimait son enseignant, car il n'avait pas beaucoup de devoirs et de leçons. Mais, dans un autre sens, il ne l'estimait pas, car il pouvait lui passer n'importe quoi. Bruno est très correct comme prof, mais il ne venait pas à bout de Matthew. Une semaine avant que l'école finisse, Matthew lui dit «je vais avec Huguette au service de garde et je vais l'aider avec les maternelles». Il lui a répondu «c'est correct, vas-y, mais tu vas laver ton bureau avant.» De toute manière la dernière semaine, à part les examens, ils ne font que faire du ménage. La piscine ouvrait à ce moment-là et j'y allais avec les maternelles en après-midi. Il venait avec moi. En réalité Bruno aimait mieux le voir avec nous que de le voir traîner dans le chemin ou voler dans les magasins ou quoi que ce soit. C'était mieux pour le jeune. Les dernières journées, c'était plutôt les examens et le ménage des classes. Donc il me donnait un coup de main, on avait fait un spectacle de fin d'année au centre culturel et il m'aidait pour la décoration. La directrice adjointe était aussi d'accord. Il fallait que tout le monde soit d'accord. Elle aussi avait pour son dire qu'au moins, on sait qu'il est là et qu'il ne traîne pas ailleurs.

Ça ne marchait pas non plus avec le prof d'éducation physique, Pierre. Ça ne fonctionnait pas du tout, du tout. Pierre était toujours là en après-midi quand j'allais au local du personnel prendre ma pause, puis lui aussi s'en plaignait. Une fois entre autres, Pierre était très fâché après lui. Je finissais ma pause comme il arrive dans la salle des profs, il montait l'escalier et a dit : «où est-ce qu'il est Matthew?» Mais je n'avais pas de raison de l'avoir vu car j'étais à ma pause... Il y avait aussi Marthe, la directrice adjointe qui était là. Elle me regarde : «je ne l'ai pas vu» ai-je répété. En fait, je l'avais vu passer en courant. Pierre demande encore «où il est passé?», sur un ton agressif. Je me suis dit ce n'est pas le temps qu'il le voie, on va avoir de la misère tout le monde. Donc je l'ai protégé dans un sens, c'était délibéré car je ne voulais pas avoir du trouble avec lui, il s'en venait avec moi. Je voulais savoir la version de Matthew, j'avais eu celle de Pierre. Pierre l'a dit en gros «il a brisé telle affaire et il m'a dit que ce n'était pas lui, quand je lui ai dit d'aller réfléchir, il a sacré son camp».

Matthew c'était un gars qui n'aimait pas l'injustice. D'habitude s'il avait fait quelque chose, il était prêt à en assumer les conséquences. Mais si quelqu'un l'accusait de quelque chose qu'il n'avait pas fait, il devenait très rebelle. Il devenait très agressif et dépréciait tout le monde. Son sac d'éducation physique était resté sur le crochet. Il y a des crochets juste en haut des marches. Pierre a dit «bon il va revenir chercher son sac». Je me suis dit «tu ne le connais pas, il ne viendra pas chercher son sac. Il s'en balance de ne pas faire laver son linge». Alors le prof est entré dans le bureau de Marthe, j'entendais parler fort. Moi je suis allée au service de garde car j'avais l'atelier de devoirs et de leçons dans le local d'ordinateurs. Matthew est venu me trouver. Je lui ai dit «quelle niaiserie que tu as encore faite? Pierre est sans connaissance». Puis là je suis partie à rire. «Voyons donc, tu vas le faire mourir du coeur, ça n'a pas d'allure ton affaire!» Il me dit «oui, Pierre était en maudit. Il me dit que j'ai cassé un bâton. C'est un tel qui l'a fait, moi je l'ai ramassé et ça tombe sur mon dos». Je lui dis «va t'expliquer». «Il est trop enragé, il ne m'écoutera pas.» Il n'avait pas tort non plus. Je lui ai dit «ok fais tes devoirs et leçons, on va dire cela à ta mère». Le lendemain Marthe attendait déjà la mère. La mère avait une très belle complicité, elle venait à l'école pour parler à la direction, elle collaborait toujours. Le lendemain je vois Pierre et je lui dis «il n'est pas si pire que ça. Il fait telle chose au service de garde. Il doit y avoir quelque chose qui ne passe pas entre vous deux. C'est quoi qu'il a fait réellement? Raconte-moi ta version, j'ai eu celle de Matthew». «Comme ça tu l'as vu?» «Je l'ai vu après, mais je n'étais pas pour te l'envoyer parce que tu étais trop choqué». Il a dit que c'était correct. Là-dessus, avec les profs, je dois dire que c'est bien parce qu'ils sont corrects. Alors il m'a dit «ok». Je lui ai dit «regarde, là, tu es plus calme et lui aussi. Essayez donc de vous expliquer. Sa mère est supposée venir. C'est facile de se parler, vous allez voir.» Mais ça ne marchait pas mieux... Matthew savait où aller le piquer à la bonne place, il ne lui donnait pas de répit et Pierre se fâchait tout de suite.

Quand Matthew arrivait pour l'atelier de devoirs et leçons je lui demandais «comment ça a été aujourd'hui?». Il me répondait : «parle-moi s'en pas, il y a un tel avec qui je me suis chicané». «Qu'est-ce que tu lui as fait?» «Bien je l'ai juste accroché de l'épaule!» Je lui disais alors «oui il va se laisser accrocher et il ne ripostera pas? Toi aimerais-tu cela te le faire faire?» «Bien non!» «C'est justement, fais attention.» C'était comme cela qu'on se parlait. S'il arrivait en « garrochant » son sac, je savais que ça avait été une journée d'enfer, je ne parlais même pas. Je disais «ok tout le monde on sort nos cahiers, on fait nos devoirs et nos leçons». Puis après je le gardais en dernier pour lui demander ses leçons et c'est là que je jasais un petit peu avec lui. Les autres enfants étaient partis, à ce moment-là, j'en savais un petit peu plus.

L'année a passé de cette façon, il y a eu toutes sortes d'affaires qui se sont passées, des vols, des bris par exemple. Il y a en eu dans le local de musique, parce qu'il n'aimait pas le prof de musique. Elle ne barrait jamais sa porte. Le midi il pouvait dire «je vais porter les vidanges», il y allait et en même temps il descendait dans le local de musique pour briser des choses. Dans le local d'arts plastiques, c'est l'endroit où on dîne, s'il voyait quelque chose qui pouvait lui plaire, il le prenait. Mais il le ramenait parce que je disais «telle chose a disparu!». Comme le matériel n'était pas à nous, je ne pouvais pas contrôler tout le matériel. Avant qu'il sorte, je lui disais «tu as pris quelque chose» et il me disait «c'est correct» et il me le donnait. Il fallait que je l'aie tout le temps à l'oeil. Il fallait toujours que je fasse la police, mais il valait la peine. «Il a un bon fond, je vous le dis». C'est toujours le mot que je pouvais dire de lui. Il valait vraiment la peine, mais il m'a demandé beaucoup d'énergie.

Il ne le faisait pas contre moi, c'était une mauvaise habitude pour avoir de l'argent. Alors le truc que j'ai choisi pour le faire cesser le plus possible cela, c'était de lui donner une job et de le rémunérer. Je lui ai dit «ok, tu as le goût d'avoir de l'argent de poche, alors tu vas travailler. Moi je vais te payer.» Je le prenais dans mes poches à moi ça par exemple. Il n'y avait pas d'entente avec la responsable, on n'avait pas de raison de payer un enfant. «Je vais te donner 5$ par semaine et tu vas m'aider autant chez les grands que chez les petits. Si j'ai affaire à aller dans la grande cour, tu vas surveiller les petits. Tu es avec moi, on travaille ensemble.» Il me dit «ça marche». «Mais le jour où tu vas déroger de cela on annule tout. J'ai confiance en toi mais il ne faut plus qu'il y ait rien. Il ne faut plus que je n'entende rien sur ce qui se passe à l'école. Est-ce clair?» «Ah tu étais au courant?» «C'est évident que j'étais au courant. Je sais telle, telle affaire, à telle place et je sais que c'est toi.» J'en ai parlé avec sa mère. Matthew n'avait pas seulement de mauvais côtés. Par exemple, un midi on a tellement ri, j'avais une fille dans mon groupe, Catherine, une fille super. Elle était très féministe, Matthew l'achalait tout le temps. Je disais toujours à Matthew, un jour tu vas trouver chaussure à ton pied, il va y avoir une fille qui va te ramasser! Un moment donné elle était tannée, il va pour s'asseoir, elle tire le banc et il se ramasse par terre. Il était insulté! Moi je riais tellement que j'en pleurais. J'ai dit «Matthew ton orgueil vient de manger un dur coup!» En plus il avait tombé comme il faut. Catherine ne savait plus trop comment réagir parce qu'elle savait qu'il répondait tout de suite. J'ai dit «tu n'as pas le droit de toucher aux femmes!» «Oui mais elles, elles ont le droit de nous toucher?!» «Elle ne t'a pas touché, elle a juste enlevé ton banc.» Je jouais sur les mots comme ça. Catherine a embarqué. Je ne voulais pas qu'ils se battent. «Voyons donc Matthew, tu es plus galant que ça! C'est une fille qui t'a mis à ta place, ça brise l'orgueil un peu!» On a niaisé un peu là dessus, les autres gars ont embarqué mais pas méchamment. Les autres filles disaient «Wow Matthew tu es galant, tu ne te venges pas!» Ça a viré en blague. Il y avait une complicité entre mes grands, c'était agréable.

Un autre conflit a surgi quand il était en sixième, pas avec son enseignante car avec elle aussi il avait des bornes, comme avec moi et avec sa mère. Mais avec Pierre ça ne fonctionnait toujours pas. Un moment donné alors que je sortais de ma pause, Matthew est venu me trouver en disant: «là je suis écoeuré! Je sacre mon camp! Tout ce que tu me dis, ce n'est pas vrai qu'il sont comme ça...» Car moi je lui disais «Marthe est bien correcte, prends le temps de lui en parler». Il était très agressif, il s'était même sauvé. Marthe me dit «laisse-le faire, on le met à la porte». «Il n'en est pas question, il va venir s'expliquer.» Pierre dit «ça ne donne rien, c'est une tête dure!» Je lui réponds du tact au tact: «deux bornés qui se rencontrent, c'est ça que ça fait Pierre.» Il me restait 10 minutes avant l'atelier des devoirs et des leçons. Je suis partie en arrière de lui, le temps qu'il débarre son bicycle, j'ai pu le rejoindre. Je lui ai dit «tu vas rentrer». «Non je ne rentre pas». «Tu vas rentrer, si tu ne le fais pas pour les autres, fais-le pour toi.» «Moi je ne vaux rien.» «Ce n'est pas vrai, tu ne sais pas tout ce que tu vaux. Moi je le sais. Je sais aussi que c'est une façade que tu te fais. Depuis que je te connais ça a toujours été des façades. Veux-tu faire comme ton père, te sauver? Affronte-les!» Il a pleuré. Ça me fait quelque chose de le voir comme ça car moi j'y tiens à cet enfant-là. Je sais qu'on est capable de faire quelque chose avec lui. Puis c'est un de mes plus vieux. «Ok si tu ne veux pas le faire pour tes profs, ni pour la direction, ni pour toi, alors fais-le donc pour moi! Je pense que l'énergie qu'on a mis ensemble depuis deux ans, mérite bien cela.» Il continue d'avancer, puis il me regarde. «Tu sais que j'ai l'atelier de devoirs et leçons et que tu pénalises tout un paquet d'enfants. Viens, je sais que tu peux leur parler». Il veut rentrer mais c'est son orgueil qui le retient. Quand il faisait cela je lui disais «tête de cochon comme un Irlandais» car moi j'ai été élevée avec des Irlandais. Je dirais qu'ils sont têtus, qu'ils ont bornés mais qu'ils ont bon coeur. Quand ils disent non, il ne faut pas qu'ils disent oui. Durant les deux années dans mon groupe quand il se choquait je disais «bon l'Irlandais qui se choque» on revirait cela en farce et il se mettait à rire. Je fais signe de partir, là il revient, il reculait. C'était comique de le voir faire, mais en même temps ce n'était pas drôle. Quand j'ai vu ça, j'ai dit «attends-toi que Pierre va gueuler car il n'est vraiment pas content encore une fois. Marthe va te menacer d'être à la porte car là ils en ont vraiment assez. Mais écoute-les et après donne ta version. S'ils ne veulent pas t'écouter, prends ce que tu as à prendre et quand tu arriveras chez vous, explique-toi avec ta mère et viens les rencontrer demain. Au moins tu vas avoir fait le geste de venir. Il ne faut jamais que tu te sauves d'une situation.»

Il est rentré avec moi. Le directeur était dans son bureau, il le voit et le laisse passer. Pierre et Marthe étaient dans l'autre bureau, je cogne et je leur dis «Matthew est venu s'expliquer». Pierre l'interpelle tout de suite en rentrant mais je lui dis «une minute, il a pris la peine de venir s'expliquer, donne-lui au moins la chance de s'expliquer». Pierre est prompt, il est comme ça, mais c'est un gars bien correct. Ils s'affrontaient tout le temps ces deux-là. J'ai dit à Matthew «j'aimerais ça que tu dises à Pierre ce que tu lui reproches. Peut-être que vous pourriez vous parler après?» «Il est comme ma soeur!» Parce que sa soeur ne le laissait jamais s'expliquer, c'est elle qui gérait tout. J'ai dit à Pierre «change, ce n'est pas compliqué tu ressembles à sa soeur!» Pierre a souri et Marthe aussi. «Là je vous laisse, je m'en vais à l'atelier de devoirs et leçons». J'ajoute : «Matthew, si tu as le goût, tu viens me retrouver à l'atelier pour m'en donner des nouvelles. Sinon tu t'en vas chez vous tout simplement et on s'en reparle demain. Mais demain, moi je t'attends pour que tu viennes m'aider avec les jeunes.» En même temps, je passais le message à Marthe et à Pierre qu'il m'aidait avec les jeunes.

Avec moi, il savait qu'il y avait des restrictions. Matthew l'a même dit. J'ai su cela il y a seulement 15 jours. C'est son enseignante de sixième année qui l'avait entendu lorsqu'il avait jasé avec un ami. Avec elle aussi il avait des bornes, elle donnait plus de devoirs et leçons que son enseignant de cinquième. Matthew chialait qu'elle en donnait trop. Je lui disais «tu t'en vas au secondaire, arrête de niaiser. Si tu n'apprends rien en sixième, tu ne seras pas prêt pour le secondaire. Viens pas chialer». Il me disait «oui, tu n'as pas tort». «Tu n'as rien qu'à étudier et arrête de chialer». On fonctionnait comme cela. J'étais capable de lui parler de cette façon, il le prenait.

Sa mère était une personne super. C'était la femme qui recevait toujours bien ce que j'avais à lui dire. Les vols ce n'était pas évident de lui en parler, parce qu'elle le savait ce qui se passait. Je lui disais «telle affaire a disparu de l'école, je ne sais pas, jasez donc avec Matthew, peut-être qu'il peut savoir c'est qui. Les jeunes se tiennent ensemble, des fois ils peuvent se le dire, pour pas que ça lui tombe sur le dos». C'était la façon dont j'approchais la mère. Elle me regardait, elle souriait et elle me comprenait. J'ai pour mon dire, il me semble que c'était mieux pour elle de le savoir comme cela. En plus je n'avais pas de preuve tangible que c'était lui. Quand il arrivait et que je lui disais «Matthew?!» et qu'il me faisait une face en voulant dire «ah non, t'as pas encore deviné!». «Bien oui et tu as tant de temps pour le ramener».

Il y a eu une fois de trop... Il était en morale et il avait volé le portefeuille du professeur. Elle avait dit «le dernier dans le local, c'était lui.» Marthe me fait venir et me dit «ça tomberait sur le dos à Matthew». «Regarde Marthe, avant de faire quelque chose, veux-tu, je vais tâter le terrain? Si ce n'est pas lui, tu sais le trouble qu'on peut avoir après! En plus, disons que j'aime mieux qu'il soit mollo ces temps-ci.» Elle me répond «c'est correct.» Quand il arrive, je lui dis «Matthew, viens ici». Il me dit «Quoi? Qu'est-ce qu'il y a?» «C'est assez, la goutte est sur le bord du vase et elle va déborder! C'est fini, est-ce clair? Je t'ai donné des chances. Avec tout ce que je sais, je peux te faire pendre ici! C'est assez. On se regarde des yeux, c'est fini as-tu compris là?» Il me dit «bien ce n'est plus moi qui l'ai.» Je lui dis «combien que tu as et combien l'autre a?» Je pense que c'était vingt-deux dollars à peu près. «Tu vas ramasser l'argent. Les payes que je te donne, tu vas les prendre et les redonner à Marthe au complet!» Il n'avait pas volé le portefeuille au complet, il avait pris l'argent dedans. «Tu as le temps de ramasser l'argent, tu vas le donner à Marthe et tu vas faire des excuses au professeur de morale». Il m'a répondu «tu m'en demandes trop!» «Ça ce n'est pas mon problème. Tu as fait un geste, tu vas assumer ton geste. Tu gagnes, tu n'as plus de raison de voler! Est-ce que c'est clair? Tu ne prends pas ce qui ne t'appartient pas. Si tu as besoin d'argent, tu le sais que je suis là, ok? Tu sais que tu me le dois après, c'est une dette. Tu as une dette, tu la payes.»

Matthew était sur la bonne portée pour la délinquance. Il aurait viré mal, s'il n'y avait pas eu sa mère, Andréanne et moi qui l'encadrions. Je ne suis pas mieux qu'une autre mais avec Matthew ça a bien fonctionné. Je le savais que ça valait la peine d'investir. C'est évident qu'il y a eu des rechutes et qu'on a recommencé. Andréanne m'a dit à la fin de l'année «il y a des fois, Matthew me faisait damner, je te rencontrais par hasard et tu me disais: Andréanne, Matthew a fait telle chose hier avec les jeunes. Les jeunes ont aimé cela. Alors je me disais, comment fait-elle pour lui faire faire des affaires de même et moi il me fait tant damner? Alors je me disais c'est vrai qu'il n'est pas si pire et là je repartais moins choquée. Tu lui as sauvé bien des punitions». Je lui ai répondu «Je ne pouvais pas dire le contraire, il me les faisait les belles choses Andréanne.» Elle m'a dit «En tous les cas, il a été chanceux de t'avoir!» «Il a été chanceux de toutes nous avoir. Il faut prendre cela de même. Mais j'ai cru en lui». J'ai appris beaucoup et je ne regrette pas ce que j'ai fait.

J'ai des nouvelles de Matthew de temps en temps par mon fils, Pierre-Luc qui est au secondaire. C'est plaisant d'avoir des nouvelles de temps en temps. Une fois, je lui ai dit «j'aimerais ça te voir à 20, 25 ans. Je le sais que tu vas avoir réussi». Il veut s'en aller dans la police. «Tu vas être un policier pas mal baveux. En tous les cas, tu vas connaître pas mal de trucs hein!» Il a souri là-dessus. Il reste toujours baveux. Matthew, c'est un gars qui va toujours rester baveux. Mais maintenant, il sait ce qu'il vaut!