© Larouche, H. (2000).

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Préambule : Le récit suivant se déroule sur deux années et relate la relation d'amitié qu'une éducatrice a développé avec une mère. Le comportement des deux garçons présentant plusieurs difficultés, elle bénéficie du soutien de la mère pour intervenir auprès d'eux et comprendre les perturbations qu'ils vivent dans leur famille.

TITRE: LES JUMEAUX

Lors d'une journée d'inscription, une maman vient inscrire ses jumeaux au service de garde. Annie, une éducatrice, s'occupe de mon groupe qui était dehors. Pendant que la mère remplit les fiches d'inscriptions, les deux garçons se chicanent, elle intervient à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'ils demandent d'aller jouer dans la cour extérieure (la cour d'école est très grande et elle a beaucoup de jeux : elle est très attirante). Elle leur dit «vous pouvez y aller 15 minutes seulement, car on a un autre rendez-vous ». Les enfants s'en vont dehors. Je les accompagne pour rejoindre mon groupe. Elle demande aux enfants de venir la rejoindre à plusieurs reprises pour finalement quitter l'école une heure trente minutes plus tard. Elle a dû intervenir au moins quatre à cinq fois avant qu'ils se décident à venir la rejoindre. Après leur départ, je dis à Annie «leur mère est très patiente avec eux et même que je pourrais dire qu'elle les écoute un peu trop.»

Le début des classes est arrivé. Nicolas et Francis arrivent au service de garde. On prend le temps d'expliquer les règles de vie, on fait une visite de l'école et du service de garde. J'ai dû intervenir plusieurs fois auprès de Nicolas car il bousculait, il criait et parfois il crachait sur les amis. Le premier mois fut très difficile, j'avoue que je lui ai laissé beaucoup de chances car je me disais qu'il était en première année et qu'il devait s'habituer. Le mois d'octobre arriva, Nicolas et Francis arrivent un midi tout énervés, car ils avaient écouté les « Ninja Turtles ». À partir de ce jour, en plus d'intervenir pour le langage et pour les bousculades, je devais aussi intervenir pour des batailles entre « Ninja Turtles »! Après plusieurs interventions et beaucoup de punitions et de discussions avec les parents, j'ai dû leur faire un « passeport de bons comportements ». Quand la semaine se terminait, ils devaient faire signer le passeport par les deux parents (la mère avait demandé que les deux parents signent pour impliquer le père). Ce passeport a fonctionné jusqu'à Noël.

Le père est un homme au début de la trentaine, de belle apparence, avec un humour peu intéressant. Lorsqu'il rentrait au service de garde, nous savions tous qu'il était là, car il parlait fort, blaguait, il nous posait des questions sans écouter les réponses. Il avait un air superficiel et nonchalant. Il me faisait souvent des compliments et même qu'il m'a offert de m'occuper de lui et de ses garçons hors des heures de travail. Je lui ai rapidement répondu : «non merci, j'adore mon conjoint et je m'occuperai de mes enfants le temps venu ». Je me suis souvent demandé ce que sa femme faisait avec lui ! Lorsque nous parlions des problèmes de la journée, il prenait ça à la légère. Ainsi, j'attendais de voir la mère, ou bien je l'appelais pour discuter des comportements des garçcons.

La mère est une femme de 30 ans, très gentille, douce et compréhensive. Elle travaille dans une prison et, parfois, elle nous avisait de surveiller les enfants de près, car elle recevait des menaces de certains détenus. Cette mère et moi avons créé un lien d'amitié qui fût très utile pour les mois qui allaient suivre. Elle prenait toujours le temps de nous écouter, elle m'appelait régulièrement au service de garde pour avoir des nouvelles et me dire si la soirée de la veille s'était bien passée. Sa vie de couple n'était pas l'exemple parfait du bonheur et elle me disait souvent que si elle n'avait pas les enfants elle ne serait plus avec lui. Elle a toujours très bien collaboré avec nous et d'ailleurs, tout au long de ses deux années, elle a eu un moral de fer.

Cela dit, c'était vraiment difficile avec Nicolas. J'ai 'implanté pour lui une fiche de comportement, qui comprenait cinq moments clés : 1. son arrivée, 2. lorsqu'il mange, 3. ses déplacements, 4. lors de ses activités, 5. lors de l'habillement. On indiquait, Nicolas et moi, un sourire ou un X dans chaque case après les périodes et, lorsque l'un de ses parents arrivait le soir, Nicolas expliquait pourquoi il avait eu un X. Avec le temps, j'ai remarqué qu'il se jugeait plus sévèrement que moi. Ce programme fonctionnait bien, mais nous devions continuer d'intervenir régulièrement. Le problème dans cette situation était que plus les mois avançaient, moins il avait d'amis contrairement à Francis, qui avait beaucoup d'amis. Il faut dire que Francis était très bon en sport, même s'il était très mauvais perdant. Nicolas était plutôt artistique et il n'acceptait pas d'être plus ou moins bon en sport. La fin d'année arrive et je mérite mes vacances...

De retour en septembre, Francis et Nicolas reviennent avec beaucoup d'énergie. Nicolas recommence son année de la même manière qu'il l'avait terminée. À la fin du mois de septembre, la mère m'annonce qu'ils ont mis la maison à vendre, car ils se séparent. Le soir, quand le père venait chercher les enfants, on remarquait qu'il jouait beaucoup avec Francis et lorsque Nicolas voulait jouer lui aussi, il lui disait de s'habiller et de se calmer. Aussi, bien souvent, il s'amusait à les exciter puis à les disputer par la suite puisqu'ils ils ne se calmaient pas. Alors, deux fois sur trois, ils partaient en pleurant et bousculaient tout sur leur passage. Je ne pouvais m'habituer à cette scène.

Vers le mois d'octobre, le père commença à me faire des compliments, il restait de plus en plus longtemps au service de garde, me posait mille et une questions. Jusqu'au jour où il m'a entendu dire au téléphone «oui, je vais te rejoindre à 18 h 30 min à tel bistro». À partir de ce soir-là, il était tous les jeudis à ce bistro. Je faisais semblant de ne pas le voir.

Vers le début décembre, la mère m'annonce que le père fait une dépression et qu'il menace de se suicider. Le comportement du père se reflétait sur Nicolas, car il était de plus en plus agressif. Malgré tout, la mère, qui était quelque peu épuisée, collabora avec nous. Au mois de mai, Nicolas était assis à la table avec des amis, lorsque je l'entends dire : «Moi, je vais me tuer »

L'ami dit: « Ah oui! pourquoi? »

Nicolas: « Parce que je veux mourir comme mon père »

Moi: « Salut les amis. Est-ce que je peux m'asseoir avec vous?

Amis: «Oui»« Diane, Nicolas dit qu'il veut mourir. »

Moi: « Est-ce que c'est vrai Nicolas?»

Nicolas: « Oui, je vais prendre un couteau pis j'vais mourir.»

Moi: « Bien voyons Nicolas, on t'aime nous, puis on aime ça quand tu es là. Nicolas se leva et alla jouer au bloc Lego. »

J'avais le coeur très serré et je ne savais plus trop comment réagir. Le midi terminé, j'ai rencontré Annie, l'autre éducatrice, puis le directeur. J'ai appelé la mère vers 13 heures pour lui expliquer ce qui venait de se passer. La mère me dit qu'elle venait me rejoindre. Une heure plus tard, elle arriva. On a pris le temps de se parler et elle me dit que Nicolas avait parlé de mort en fin de semaine et que leur père passait ses journées couché et il ne jouait plus avec les enfants. Suite à notre conversation, j'ai appelé le C.L.S.C. et je leur ai expliqué la situation. La travailleuse sociale me donna quelques trucs que je mis en application dès la fin de journée. Je montai un projet d'estime de soi avec l'aide du psychologue de l'école et leur professeur pour tous les enfants de mon groupe. Je valorisais beaucoup Nicolas. Je racontais une histoire que j'avais inventée sur le divorce. À la maison, la mère avait implanté le même système que nous et elle avait la collaboration du père et des grands-parents. Nicolas ne parla plus de mort ni de se suicider, mais son comportement de base n'avait pas changé et celui de Francis se détériorait. À la fin du mois de mai, la mère nous annonce qu'ils ont vendu la maison. La maman s'était trouvé un logement près de sa famille. Les vacances arrivent, Nicolas et Francis nous quittent et, je dois dire que malgré leur comportement, je m'étais beaucoup attachée à eux et j'avais un lien d'amitié avec la mère. Ainsi même s'ils avaient déménagé, j'avais des nouvelles d'eux environ une fois par mois. Ils allaient une fin de semaine sur deux chez leur père et la rencontre se faisait chez les grands-parents, car la nouvelle conjointe ne voulait pas connaître les enfants.

La rentrée à la nouvelle école fut très difficile et leur adaptation au service de garde était la même que chez nous. Vers le mois de novembre, la mère m'a appris que Nicolas avait encore menacé de se suicider, car personne ne l'aimait et lui non plus ne s'aimait pas. La mère a décidé que les trois allaient suivre une thérapie avec un psychologue. De mon côté, j'ai demandé aux enfants qui en avaient le goût de leur écrire. J'ai moi-même écrit des lettres pendant cinq ou six mois. Les enfants, eux, en ont envoyé deux seulement car personne n'a répondu à nos lettres. Depuis, je les ai croisés par hasard au centre commercial : la mère m'a dit qu'ils allaient beaucoup mieux, que la conjointe commençait à les accepter et que pour elle, tout allait bien. Depuis, plus de nouvelles. Mais il faut dire que je n'ai pas rappelé, car même si cette situation me touchait beaucoup, je ne pouvais plus rien faire pour eux. Dans cette histoire je me suis aperçue que de créer un lien d'amitié avec les parents peut permettre d'apporter du bien-être pour leur enfant.