© Larouche, H. (2000).

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Préambule : Le récit suivant rapporte l'intervention d'une éducatrice en service de garde lorsqu'un enfant de maternelle lui fait une révélation assez étonnante. Cette dernière cherche à comprendre ce que vit réellement l'enfant et questionne l'enseignante, en premier lieu, et la mère, par la suite.

TITRE: LE CAS DE SAM

Sam est un garçon de maternelle que je côtoie régulièrement, c'est-à-dire qu'il est sous ma surveillance pendant la période du dîner et après la classe. Je le vois donc à peu près quatre heures par jour. Il vient d'une famille recomposée et il a deux grandes soeurs: une de 11 ans l'autre de 9 ans. Il a aussi un demi-frère de 8 ans. C'est un petit bonhomme qui a une mine joviale avec de grosses joues, un petit nez sur lequel reposent des lunettes. La première fois que j'ai pris contact avec Sam, il me semblait un peu timide et sérieux. Il ne souriait pas souvent pour un enfant de son âge et il ne prenait pas beaucoup de place dans le groupe. Il avait tendance à être solitaire et introverti. Souvent, on le retrouvait assis devant un casse-tête ou un jeu de table, car il n'aimait pas participer aux jeux de groupe (par exemple : jouer au hockey dans le gymnase). Ce qui me surprenait le plus chez cet enfant, c'était la façon dont il s'exprimait avec précision et sans détour. Il pouvait me demander par exemple : « Audrey, est-ce que le bout du monde est plus loin que le pôle Nord? Ou encore, « est-ce que tu voudrais m'aider à terminer ce casse-tête, car j'aimerais aller dans le coin des blocs pour jouer un peu ».

Pendant un certain dîner en début d'année scolaire j'ai dû hausser le ton de la voix pour redire une consigne qui n'avait pas été respectée. À mon grand étonnement, Sam a réagi en croisant les bras et en baissant la tête. Il boudait! Il décida de ne plus manger. Ce fut la première fois que je constatai ce comportement chez lui. C'était sa façon de faire savoir que quelque chose n'allait pas. Cela me rappelle que moi aussi quand j'étais jeune, je boudais et pour moi c'était plus un appel au secours. J'avais besoin d'attention et besoin qu'on s'occupe de moi. Je m'approche donc de lui pour connaître ce qui l'avait mis dans cet état. Je ne voyais aucune raison qui puisse l'expliquer. J'étais surprise parce que c'était inattendu comme scénario. Avec sa petite voix il me dit comme ça: «Je n'aime pas ça quand tu es fâchée et que tu cries ». «Ah ! Bon » lui ai-je dit avec étonnement. Je lui ai expliqué que je n'étais pas fâchée, que j'avais parlé plus fort, parce que les enfants n'avaient pas entendu la consigne. Après coup cela m'a fait réfléchir. Je me disais que c'était sûrement un enfant hypersensible et que l'intensité de notre voix est importante surtout pour les petits. C'est ainsi que j'ai réalisé que Sam avait aussi besoin d'attention et que je savais maintenant comment le déceler (car il m'en donnait l'occasion par ses réactions). Par la suite je fis plus attention à mon timbre de voix et à lui aussi.

Fin novembre, début décembre j'ai vécu une autre situation particulière et où Sam me mit complètement à l'envers quand il me fit une révélation. J'étais dans la cour arrière de l'école après la période du dîner avec mon groupe de maternelle. À un moment donné, j'ai dû mettre Sam et un copain en réflexion sur deux bancs différents, car ils n'avaient pas respecté les limites de la cour d'école. À ma grande surprise, Sam refit les mêmes gestes pour démontrer son mécontentement : il boudait! Je me disais, mais pourquoi n'accepte-t-il pas d'avoir lui aussi une conséquence qui me semblait très logique? Je m'approche donc de Sam pour lui soutirer ce qui n'allait pas, car ce geste de détresse que j'avais déjà perçu me rappelait à l'ordre. C'est à ce moment qu'il m'a confié ce fait troublant qui, je l'avoue, m'a bouleversée à en avoir la chair de poule.

I1 me dit «tout le monde se fâche après moi, je voudrais être mort, je regrette d'être venu dans le ventre de ma mère ». Je continuais de l'écouter et ma première réaction fut de lui demander s'il avait dit cela à sa maman. Ainsi, je pouvais vérifier si ce qu'il affirmait était vrai. I1 me répond : « oui et elle pleurait et j'étais content qu'elle ait de la peine parce que moi aussi elle me fait de la peine. » Je n'arrivais pas à croire les paroles que j'entendais. J'avais l'impression que c'était un discours d'adolescent révolté ou venant même d'un adulte. J'en avais des frissons. Ce qui me dérangeait le plus dans cette déclaration, c'était de ressentir le malaise qui habitait cet enfant pour dire de telles paroles. C'était pour moi un cri d'alarme. J'étais stupéfaite de voir ce calme et cette franchise qui se dégageaient de Sam défilant ces paroles. I1 ne jouait pas avec les sentiments, car ce n'était pas un enfant manipulateur. J'ai complètement écarté l'hypothèse d'une imagination fertile.

Après la rentrée en classe de Sam, il fallait à tout prix que j'en parle. C'était trop lourd à porter. Je me sentais bouleversée et étonnée à la fois. J'en discute donc avec la responsable du service de garde qui, comme moi, semble surprise de ces paroles. J'ai discuté avec l'enseignante de maternelle, car pour moi, c'était important qu'elle soit, elle aussi, informée. Elle me dit que Sam a déjà eu des propos sur la mort et qu'elle porterait aussi une attention. Elle me confirme que Sam boude souvent quand il est contrarié. Mais mon questionnement ne s'arrêtait pas là. C'était plus fort que moi, il fallait que j'aille vérifier auprès de la personne qui était la plus concernée : c'est-à-dire sa mère.

J'ai hésité, car je ne la voyais qu'occasionnellement et je n'avais pas eu l'occasion d'échanger avec elle. Souvent, c'est la grand-mère de Sam qui venait le prendre à la garderie, ou son père. Je me suis questionnée à savoir si je faisais bien de lui confier les propos de son fils, car c'était pour moi déjà déchirant d'entendre cela venant d'un enfant. Je me mettais comme à la place de cette mère. Je devais le faire, ne serait-ce que pour lui faire réaliser qu'il y avait un malaise chez Sam, mon rôle d'éducatrice m'emmenant à favoriser le bien-être de l'enfant avant tout et ma conscience ne pouvait fermer les yeux sur cette révélation. Dans la même journée, aux alentours de 17 heures, la maman de Sam arrive. Ma décision était bien prise, je me devais de lui parler pour l'informer des échanges que j'avais eus avec Sam dans la journée. Je l'invite à venir en retrait pendant que Sam s'habillait. Je lui demande si ça va bien avec Sam à la maison. Je lui dis que je m'inquiétais en lien avec ce qu'il m'avait dit. Elle avait les yeux dans l'eau et pourtant je n'ai pas constaté de réaction me signifiant une grande inquiétude ou un étonnement. Elle était calme et il était difficile de percevoir ses sentiments. Puis, elle me dit qu'effectivement il y a eu de la mortalité et que ces derniers temps elle était souvent à l'extérieur (deux à trois jours semaine). Conséquemment, Sam la réclamait souvent en fin de journée et c'est là que j'ai fait le rapprochement avec son ennui.

Était-ce le motif de son imagination? Ou le sentiment d'un certain rejet qu'il manifestait à sa mère? Je restais avec un point d'interrogation, je ne pouvais porter de jugement à savoir si sa mère avait été fautive. Pour moi, ce n'était pas cela l'important. C'était de comprendre ce qui me dépassait tant dans ce témoignage et de trouver une solution au problème que vivait cet enfant. Pour sa mère, la solution était qu'elle porterait plus d'attention à son petit Sam en l'entourant davantage. Je lui dis qu'on se reparlerait si on détectait d'autres malaises chez Sam. De mon côté, mes solutions étaient de favoriser le contact avec d'autres enfants pour que Sam se fasse quelques amis à la garderie. Je le fais verbaliser autant que possible pour qu'il s'ouvre davantage aux autres. Je fais en sorte qu'il accepte la réprimande et qu'il comprenne que l'on n'est pas nécessairement fâché lorsqu'on intervient auprès de lui. Peut-être qu'au fond il n'accepte pas d'être imparfait. Il n'accepte pas d'avoir été incorrect dans son agissement, donc il refuse la réprimande.

Mon récit porte avant tout sur une révélation qu'un enfant m'a faite. Pour certains, la réaction de l'enfant pourrait être de la manipulation pure et simple. Pour moi c'était un cri d'alarme avant tout. Ayant été moi-même un enfant qui boudait, je peux comprendre plus facilement ce comportement et ces manifestations d'indifférence, de repli sur soi. Sam, par son comportement, m'a convaincue qu'il y avait un malaise. C'était pour moi une évidence et je pouvais le constater par son comportement. Je crois que j'ai la facilité de percevoir des choses dans le non-dit des enfants et je l'associe à ma grande sensibilité et à ma capacité d'écoute. Les enfants n'ont pas besoin de me dire que quelque chose ne va pas, je le détecte par leur comportement.

Je constate aussi que ce cas me ressemble un peu. Je me sens facilement jugée, c'est peut-être un lien avec Sam qui n'accepte pas d'être imparfait? Je crois que mon intervention n'a pas été vaine parce que j'ai réussi à faire changer les choses. Il y a eu effectivement un changement positif et observable chez Sam. Je crois que l'enjeu en valait la peine malgré qu'il y ait toujours une certaine distance avec la mère. Mais je respecte cela. L'essentiel est que Sam soit heureux quand il est à la garderie, c'est pour moi primordial. Dans ma recherche de solution, le rôle de la mère a été important. Je crois que le rôle des parents est très souvent primordial, ne serait-ce que pour soutenir notre démarche ou aider à trouver des solutions aux problèmes de leurs enfants. Il est évident que leur implication est souhaitable et qu'il est essentiel de proposer des alternatives aux parents sans imposer notre volonté. Notre rôle est aussi de partager les événements que vivent leurs enfants à la garderie, servir en quelque sorte d'interprète. Dernièrement les parents de Sam hésitaient à savoir s'ils enverraient leur fils dans une école privée avec la grande sœur ou s'il restera avec nous. Constatant le progrès et le bien-être de Sam à notre école, ils lui ont donné le choix. Finalement Sam restera avec ses amis de la maternelle et passera son primaire avec nous. Je crois que notre bon travail auprès de Sam a favorisé cette décision.

Ce récit démontre l'importance d'être à l'écoute de l'enfant. Parfois ses paroles peuvent nous sembler banales et sans importance, mais pour lui, c'est très important. Être à l'écoute veut aussi dire comprendre l'enfant à travers son comportement et ses manifestations qui parfois passent inaperçus. Nous jouons un rôle très important auprès des enfants et c'est à nous que revient le pouvoir de changer les choses afin d'améliorer le bien-être de ces enfants.