© Larouche, H. (2000).

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Préambule : Le cas est présenté par une éducatrice qui travaille dans un service de garde ouvert depuis treize ans. Elle raconte le vécu d'un enfant hyperactif qui prend du Ritalin. Le récit s'échelonne sur une année. Elle relate les diverses interventions qu'elle aura auprès de lui lors de ses crises fréquentes. Le récit se termine sur une solution prise en équipe pour le bien de l'enfant.

TITRE: COMME UN PETIT VOLCAN

Antoine est un enfant de maternelle. Comme dans tous les cas d'enfants décelés comme étant hors de l'ordinaire, on en avait déjà eu les échos dès le premier matin, au déjeuner avec les professeurs. C'est un enfant hyperactif qui prenait du Ritalin. La première journée qu'Antoine est arrivé, il devait y avoir à peu près quatre ou cinq enfants dans le service de garde. Je me rappellerai toujours : il arrive un beau bonhomme, il est très, très petit, mais vraiment un beau bonhomme. Il est venu avec son père. Il avait l'air tout de suite très à l'aise : il m'a demandé mon nom et le nom des autres enfants. Tout de suite après, un autre enfant de maternelle est arrivé. Je ne me rappelle pas qui, mais je me rappelle que cet enfant-là a pleuré, il ne voulait pas rester, la première journée. Mon Antoine se lève, laisse son jeu et s'en va rejoindre l'enfant et le prend autour du cou. Ça m'a tellement impressionnée, il a essayé de consoler l'enfant. L'autre enfant a été surpris, en voulant dire qu'est-ce que tu fais là? Mais c'est venu tellement gratuitement d'aller vers lui de la part d'Antoine. On voit rarement des affaires comme ça entre enfants. Cela m'a beaucoup touchée, probablement parce que ces choses ont beaucoup d'importance pour moi.

C'était cela la première journée avec Antoine. Alors, on a commencé nos activités et je voyais que c'est un enfant qui parlait très, très bien. Il était très proche de ses émotions. Par exemple, s'il rentrait dans le jeu des plus vieux (il était amateur de hockey) il venait me voir et me disait : «As-tu vu ça? Je n'ai jamais eu la rondelle, ils ne me laissent pas avoir la rondelle. Je ne trouve pas ça juste! Je dois aussi avoir le droit de jouer.» J'ai aimé cet enfant-là, car il était spécial. Tout de suite, il y a eu comme une connivence. Il faut dire qu'à force de vivre avec lui dans le quotidien, les accrochages avec les autres ont commencé. Il était très, très, très agité, très en vie, à tel point qu'on voyait parfois le tremblement de ses mains.

Je ne savais pas au départ que les parents de cet enfant-là étaient divorcés, mais en vivant avec lui une année on apprend plein de choses. On savait qu'il vivait en garde partagée. Quand il passait une semaine chez sa mère, il était plus turbulent, il avait l'air d'être moins bien dans sa peau que lorsqu'il était avec le père. Un moment donné, ils ont demandé qu'il y soit deux semaines pour le stabiliser un petit peu. À la fin, je crois que la mère s'est retirée complètement et il était plus souvent avec le père. Tout n'était pas clair avec la mère, je l'ai su dans une conversation avec le professeur de maternelle. Ici nous avons d'excellentes relations, on travaille beaucoup avec les professeurs, il y a beaucoup d'échanges. À un moment donné, je lui ai posé des questions et elle, elle avait parlé avec la mère. La mère ne voulait pas que son enfant prenne des médicaments. Ça faisait un peu de discussion, ils n'étaient pas sûrs s'il fallait lui en donner ou pas. Il était supposé de les prendre le matin, mais nous, on lui donnait le midi. En classe, il était turbulent. En fin de compte, ça a été jusqu'à ce que le professeur dise : «Il ne viendra plus en classe si vous n'allez pas consulter un psychologue. Je veux vraiment qu'il soit évalué et qu'on commence comme il faut avec le médicament».

Le père était très rigide et il voulait que son enfant fonctionne bien. Il connaissait son enfant alors quand il demandait : «puis, comment ça a été avec Antoine?» (C'était sa première question.) On essayait de dire qu'il avait fait des efforts. On cautionnait ça un petit peu, car il y avait les conséquences en dehors que l'enfant ne méritait pas. Souvent, quand le père arrivait le soir après la classe, l'enfant était en punition. La punition c'est que l'enfant est retiré, il est assis dans le coin à cause d'une crise. Je peux décrire comment il arrivait le matin avec son père : souvent celui-ci lui mettait la main sur le cou. On voyait mon Antoine qui sautillait un petit peu et le père disait: «Antoine, tu vas passer une belle journée hein?» «Oui, oui papa (d'une petite voix)». Antoine regardait dans le local, il était distrait, il avait tellement hâte de venir jouer. Quand le père était parti, là il partait comme une flèche. L'amie de son père venait le chercher le soir. Elle était superbe avec lui. Souvent je devais intervenir, car il était pris dans ses affaires et il ne voulait pas s'en aller. À ce moment, elle allait toujours voir ce qu'il était en train de faire. Il lui disait ce qu'il faisait «il faut que j'ajoute telle affaire...» Moi je mettais des limites, je lui disais «tu finis seulement ça, car Luce attend après toi».

Cet enfant était agité, il bougeait tellement, il accrochait tout le monde, et les enfants prenaient ça pour un geste agressif et là la bataille commençait. On lui disait alors : «Antoine, tu vas t'asseoir, tu penses à ton affaire». J'avais la chance avec cet enfant-là de l'amener à voir justement que c'était son problème quand il ne prenait pas le temps. Par exemple quand il prenait son rang, avec ses gestes il accrochait tout le monde, s'il en accrochait un, l'autre disait tout de suite «Antoine...» et lui réagissait : il pouvait pousser ou devenir agressif, donner des tapes, il a même déjà mordu quelqu'un. Les autres disaient qu'il était mauvais, méchant, mais moi je ne le voyais pas comme ça. Quand il allait dans le coin, j'allais parler avec lui. Il comprenait, mais c'était comme un petit volcan, on n'était pas capable de prévenir ses crises. Et c'est ça qui était frustrant : intervenir toujours après coup. Quand il y a deux enfants en train de se chamailler, de se batailler, il faut que tu les sépares. Souvent, c'est lui qui commençait la chicane. Il était prêt à s'excuser tout de suite. Il y avait peut-être un peu de manipulation, j'ai appris cela par après avec la psychologue.

Il voulait jouer et embarquer avec les enfants, il aimait les enfants. Les autres ne l'aimaient pas, mais lui il les aimait, il voulait juste jouer avec eux et participer. Antoine n'avait pas d'ami. Il n'a jamais réussi à avoir un ami. Tous les dîners, quand les enfants arrivent on prend les présences, on leur demande de s'asseoir. Quand Antoine arrive comme une flèche, ça me fait penser aux dessins animés, le bip, bip... Il n'était pas capable de s'asseoir et d'être calme. Il touchait les autres, il les bousculait. Eux disaient «Antoine fait ci, Antoine fait ça». Alors, je disais «Antoine si tu n'es pas capable, tu vas t'asseoir plus loin et tu restes là». Au départ c'est vraiment comme cela qu'on a commencé.

Il y a eu une période où je n'étais plus bien. J'ai dit ça n'a plus de bon sens! Je me suis dit, je vais le prendre quand il rentre. Je ne le laisserai pas aller, je vais prévenir. Quand il arrivait et que son père était parti et même quand son père était là, je laissais ce que j'étais en train de faire et j'allais voir Antoine. Je lui disais «Antoine qu'est-ce que tu as le goût de faire?» «Je veux faire telle chose» «As-tu vu comme ils sont en train de jouer?» J'essayais de lui donner des trucs en lui disant «Tu veux aller jouer avec les autres, mais comment tu vas leur demander?» lui faire penser à demander, il disait «Je vais aller prendre telle chose» «Penses-tu qu'il aimerait cela? Mets-toi à leur place?» Il était maladroit. Les enfants le voyaient venir et disaient «Non Antoine, tu ne viens pas par ici!» Puis, il y avait des enfants qui étaient avec lui en garderie et qui le connaissaient. Je lui demandais «Où tu vas te placer? As-tu vu, si tu vas vite, qu'est-ce qui va arriver? Tu sais le monde n'aime pas cela se faire bousculer, il faut que tu sois poli, est-ce que tu es capable de le demander?» Quand il y allait, les autres lui répondaient «Non! Je ne veux pas!» Il faisait alors une petite crise «Vois-tu, il ne veut pas que je joue avec lui!» C'était vraiment triste, il n'avait pas de chance tout le monde le connaissait de réputation. J'y allais et je parlais à l'enfant : «Antoine te l'a demandé gentiment, tu ne trouves pas?» «Oui, mais il a fait telle chose.» «Oui, mais aujourd'hui il a décidé de faire mieux.» Pour le rassemblement, je le prenais à la porte, j'ai essayé une vieille stratégie, lui dire de prendre dix grandes respirations. Il me disait «Je sais mon père m'a déjà dit cela». Il était adorable! J'ai aussi essayé d'autres stratégies comme me servir de lui comme leader quand c'était le temps de fermer la lumière, mais il commençait à faire le clown, alors j'étais prise. Autre chose que j'ai réalisée dans le rassemblement, si je l'assoyais à côté de moi et que je lui flattais le dos, ça le calmait, il se laissait faire.

J'ai eu des temps durs, j'aimerais bien dire que j'ai fait cela cinq jours par semaine. J'ai essayé de le faire régulièrement, mais on, je dis on parce qu'on travaille en équipe ici, on est venu vite dépassées. Les autres filles ne voulaient plus travailler avec lui. J'étais capable de lui dire as-tu vu là je me fâche. Souvent aussi quand lui était prêt à revenir, je lui disais «Non je suis encore fâchée, ce n'est pas le temps de parler quand je suis encore fâchée comme cela Antoine, tu vas attendre et moi je vais attendre quand je me sens plus calme, tu vas venir et on va parler ensemble.» Il continuait à déranger, quand il était avec moi je le mettais dans le coin. J'avais essayé une fois de le mettre en dehors, il est venu comme en panique. Il avait peur d'être laissé. Une fois, il était supposé aller aux toilettes se laver les mains, il s'était caché, alors je lui ai dit «On va commencer à descendre et tu viendras nous rejoindre parce qu'on ne t'attendra pas». Là ça a été une crise de nerfs énorme. Il m'a fait toute une scène, je n'ai jamais compris ce genre de panique, on la voyait dans ses yeux. Après coup, quand je l'avais calmé, il m'avait dit qu'il avait toujours peur d'être dans la salle de bain tout seul chez lui. C'est la seule chose qu'il m'a dite. J'ai remarqué que c'est un enfant qui avait peur de la noirceur aussi.

J'ai parlé avec l'enseignante de maternelle, avec Brigitte (la responsable) et avec la direction d'école aussi qui connaissait Antoine (il était envoyé souvent chez le directeur). Alain, le directeur, m'a dit «Veux-tu aller voir la psychologue?» Parce qu'il était référé à la psychologue. Je suis allée la voir et j'ai trouvé qu'elle était très bien. C'est elle qui m'a fait penser que peut-être il y avait un petit peu de manipulation, un petit peu beaucoup même, de manipulation. Que c'était un enfant super intelligent, quand il avait des périodes de retrait, il faisait très vite ses excuses et me disait: «Je sais Maude que je n'ai pas fait comme il faut». La psychologue m'a dit, il faut qu'on arrête ses crises. On commençait un jeu, je sais c'est plate des jeux de compétition, mais lui ne voulait jamais être éliminé. Je lui disais : «Tu le sais Antoine, on a donné les consignes, tu sais c'est quoi les consignes?» Des fois on réussit avec les autres en leur disant «le plus vite tu t'assois, le plus vite les autres vont être éliminés et on pourra faire une autre partie». J'ai essayé cela, mais ça ne marchait pas avec Antoine. Sur l'instant même il n'était pas capable. Il n'était pas capable d'aller s'asseoir ou de ne pas jouer. Il criait, il hurlait «Non» et il restait en place.

La psychologue m'a conseillé d'essayer de déceler les moments de frustration, quand il était fâché, et de lui dire : «Tu as le droit Antoine d'être fâché, mais ce que tu n'as pas le droit de faire ce sont les crises, les hurlements». Bref, essayer de déceler tout ce qu'il n'avait pas le droit de faire : frapper les autres, les crises, de rester en place pour les jeux, de déranger tout le monde, car on ne pouvait pas continuer le jeu. Elle, elle pensait que dans ses crises, il y avait de la manipulation. Elle me disait qu'il fallait que je tienne mon bout et que je lui dise que ce n'était pas correct. Je lui ai alors demandé «Mais quand il est là et qu'il ne bouge plus, qu'est-ce que je peux faire?» Moi je l'avais déjà pris dans mes bras pour l'enlever physiquement, mais il avait mordu, griffé, toutes sortes d'affaires, ce n'était vraiment pas plaisant. Un moment donné l'adrénaline rentre en ligne de compte et tu n'as même plus le goût de continuer le jeu. Elle m'a dit : «Si toutefois il reste dans le jeu, tu lui dis : Antoine, tu n'as plus le droit de jouer avec nous et si tu ne veux pas quitter la place, tu peux rester, nous on quitte la place». C'est incroyable, ça a marché! Aussitôt qu'on a commencé à sortir il s'est mis à crier : «Non, non je ne veux pas rester tout seul». Alors, je lui ai dit «Laisse-nous la place et assois-toi dans le coin, tu n'as plus le droit de jouer».

Durant cette période, alors que j'avais vu la psychologue, il y avait encore des accrochages, mais moi je réussissais à l'encadrer pour qu'il ne dérange plus l'ambiance. Il savait qu'il avait le droit d'être fâché, mais il devait se retirer. À la fin j'avais juste besoin de dire «Antoine on n'accepte pas tes crises, on a mal aux oreilles, on en a assez tout le monde». Puis je demandais aux enfants «Est-ce que vous aimez cela quand il fait ses crises? » J'ai utilisé le groupe aussi en disant «On ne veut pas cela, va te défâcher dans le coin, tu reviens quand tu as le goût de jouer comme les autres». Puis ça a diminué. Il y a eu des temps où il pouvait jouer et c'était correct. Mais il faut dire qu'à l'heure du midi, les activités sont assez structurées : le collectionneur, les mimes, l'improvisation. C'était un enfant qui avait beaucoup d'imagination, il était superbe! Dans le groupe il n'était vraiment pas aimé. Les enfants disaient «Antoine a fait ceci ou cela». Les parents arrivaient en disant «C'est qui cet Antoine?» J'essayais d'être discrète. Comme il avait déjà une réputation, je n'essayais pas de le défendre, je pouvais dire aux parents «C'est vrai que c'était une journée où il était turbulent aujourd'hui», des choses comme cela. Ou bien je disais «C'est un enfant avec beaucoup de problèmes et on fait le mieux qu'on peut pour l'aider, il faut être tolérant».

Quand il était en crise, j'étais obligée de le prendre dans mes bras pour l'immobiliser et de le tenir. C'est un enfant qui aurait vraiment eu besoin d'être dans une pièce isolée. Moi, dans les conflits d'enfants je leur demande de s'expliquer chacun leur tour, je ne fais que répéter ce qu'ils disent, un moment donné ils règlent eux-mêmes leur problème. Mais dans les échanges avec Antoine, il ne prenait pas le temps d'écouter l'autre longuement. Il disait «Excuse, je n'ai pas fait exprès». Il n'était pas prêt à faire toute cette démarche. Il vivait sur un rythme très vite, il réalisait qu'il avait fait quelque chose, mais il voulait oublier et passer à autre chose. Il avait toujours mille et une choses à faire. Après la classe j'avais plus de misère avec lui parce qu'on a les grands et qu'ils trouvaient cela drôle de faire monter Antoine, parce qu'il montait très vite. Quand je donnais un atelier, je n'avais pas le temps de parler avec Antoine : 20 enfants en train de faire la cuisine c'est l'enfer! Dans l'après-midi, j'avais juste les enfants de maternelle, c'était vivable. Il jouait avec les autres, mais il avait toujours le problème pour s'intégrer dans les jeux, il rentrait beding bedang dans le jeu. Il n'était pas capable, mais si toutefois il jouait aux blocs Légo, il laissait les autres venir. Au point de vue de l'imagination, il était très bon, il se déguisait, il aimait ça. Souvent dans ses jeux par contre c'était plus ou moins violent, le Ninja, Power Ranger, aussi il était très fort sur l'ordinateur, il avait un Nintendo chez lui. Quand il prenait quelque chose, il allait jusqu'au bout. Dans le jeu, souvent, il ne voulait pas arrêter quand c'était le temps d'arrêter.

Dans nos réunions d'équipe, une fois par mois, les discussions revenaient toujours autour de lui : les problèmes, l'agressivité, c'est là que les autres éducatrices parlaient qu'il avait mordu ou qu'il lançait des choses. Je leur donnais des suggestions, ce qui m'avait aidée et ce que la psychologue m'avait dit. Brigitte aussi se sentait dépassée, elle me posait des questions «Qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on doit faire?» Après avoir entendu les autres, après tout je travaille en équipe, j'ai dit ça n'a pas de bon sens, je suis en train de briser tout. J'ai dit peut-être que ce n'est pas sa place. Je trouve que c'est une réalité, quand tu sens que tu n'es pas capable avec un enfant, la seule chose que tu veux faire c'est de l'enlever. Au départ je disais c'est nous qui ne l'acceptons pas. J'ai regardé toutes les interventions des autres, il arrivait ici à 16 h et l'éducatrice l'assoyait sur une chaise à 16 h 5 min parce qu'il avait fait une crise et il restait en punition jusqu'à ce que son père vienne le chercher à 17 h 30 min. Le soir, les parents aiment avoir un petit compte rendu de la journée, ils voyaient ses grosses crises. Les parents sont là et se demandent ce qui se passe, les autres enfants sont là aussi, tout est en désordre. Je voyais que la connivence que j'avais avec lui n'existait pas avec Brigitte et Sylvie et c'était elles qui étaient là le soir avec lui. Ce n'était pas rose pour moi non plus les soirs quand j'étais là. Souvent j'étais témoin de ses crises. Je lui ai demandé «Viens, viens faire l'atelier», mais il ne voulait pas du tout. Antoine ne faisait jamais l'atelier de cuisine, mais souvent il était en punition dans le coin de la cuisine, car il faisait des mauvais coups l'autre côté. Ça n'avait pas de bon sens.

J'aurais pris cet enfant-là chez moi ou si on avait eu une aide dans le milieu, je suis sûre qu'il y aurait eu une grande amélioration dans son comportement social. On ne pouvait pas faire cela alors j'ai dit il a trop de stimulation cet enfant-là. Il y a des enfants ici que je ne prendrais jamais chez moi, mais Antoine je l'aurais pris chez moi, je suis certaine non pas qu'il n'y aurait pas de problème, non, mais on était capable de faire un bout de chemin. J'ai eu l'impression qu'on a avancé, pas des pas de géants. Mais en gros, après la classe, on aurait pu avoir une journée par-ci par-là où il était passable, mais on travaille en équipe. C'est sûr qu'il n'y avait pas une grosse amélioration. Un moment donné, j'ai parlé avec Brigitte.

On s'est assis et on s'est demandé «C'est quoi la solution?» On était au mois de mai. Il faut dire que c'est la première fois qu'on est arrivé à dire qu'un enfant ne reste pas avec nous. C'est la première fois en 13 ans qu'on a eu à décider cela, moi et Brigitte. Brigitte en a parlé avec Alain (le directeur) et il a dit «Si c'est la meilleure solution, il faut parler avec les parents». On a donné une semaine d'avis pour trouver une autre place. Brigitte et moi on s'était même demandé, si on devait le garder jusqu'à la fin. Mais Sylvie n'en pouvait plus et on ne savait pas à ce moment-là s'il reviendrait ou non l'année d'après. J'ai dit «C'est peut-être mieux qu'il trouve quelqu'un à ce moment-là parce que durant l'été ce n'est pas le temps de chercher». On était peut-être au début de juin et là Brigitte lui a donné une semaine d'avis. On a parlé aux parents, son père et son amie sont venus, on a passé une heure et demie avec eux. Je voulais qu'ils sachent au départ que cet enfant-là, c'était vraiment quelqu'un, c'est un enfant adorable que moi je l'aimais et que si cette décision était prise ce n'était pas, en tout cas pour moi, pour rendre la vie plus facile chez nous. Ce n'était pas cela du tout. C'était vraiment pour Antoine. Comme on ne pouvait pas avoir une aide, j'ai dit il va être mieux dans un milieu où il va être capable d'explorer. Il avait tellement d'imagination, il voulait tellement palper, faire toutes sortes d'affaires, ça n'avait pas de bon sens d'être toujours pris dans le coin. C'est quelle sorte de vie, toujours en punition? Le père se sentait coupable. Je lui ai dit il ne faut surtout pas que tu te sentes coupable. Il le savait quand il arrivait et voyait que tout le monde était en crise et que son fils était presque toujours dans le coin. Brigitte ou Sylvie lui avait dit «Bien là on va être obligé de faire quelque chose pour Antoine, hein?». Il le savait. L'amie du père a pleuré, elle disait qu'ils se sentaient dépassés eux aussi, ils réalisaient qu'Antoine avait une réputation et qu'ils trouvaient cela de valeur, qu'ils ne savaient vraiment pas quoi faire.

Antoine ne vient plus ici, il a changé d'école. J'ai vu l'amie de son père et le père aussi quand il est venu chercher son reçu d'impôts, il était comme gêné face à moi. Je lui ai demandé comment était Antoine, il m'a répondu «Tu sais Antoine, c'est Antoine!» Je lui ai demandé s'il parlait de nous, il m'a dit «non pas vraiment». «En tous les cas, tu lui diras bonjour de la part de Maude.» L'amie du père travaille pas loin d'ici, je l'ai vu avec Brigitte et on lui demandé comment il allait, elle nous a répondu «On a des hauts et des bas».