© Larouche, H. (2006).

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Préambule : L'enseignante raconte comment elle implique les parents dans sa classe. Elle désire qu'ils se sentent accueillis. Elle mise sur la relation pour «contrer» certaines difficultés car elle enseigne en milieu défavorisé.

TITRE: SI ON VEUT AIDER L'ENFANT, IL FAUT IMPLIQUER LE PARENT

Pour moi, les parents ont toujours été importants! J'ai travaillé pendant plusieurs années dans un milieu défavorisé, où, d'une part, les parents étaient disponibles mais, d'autre part, sûrement qu'ils se sentaient peu accueillis dans l'école, en tout cas pas très souvent demandés. J'avais des groupes entre 20 et 22 élèves, avec plusieurs enfants en difficulté, en grande difficulté, des enfants handicapés intégrés en classe régulière, vraiment des gros cas. J'ai toujours pensé qu'il fallait que les parents participent et qu'ils soient présents dans la classe dans la mesure où eux étaient intéressés. Et puis, je pense que c'est un moyen, lorsque les parents viennent, de contrer les grosses difficultés qu'on peut vivre lorsqu'on travaille dans les milieux défavorisés. Alors, j'avais le souci, dès les premières fois où j'ai eu à entrer en contact avec les parents, entre autres lorsque les enfants venaient l'année précédente pour visiter les classes de maternelle avec les parents. Déjà, à ce moment-là, j'accordais une importance assez grande au contact qui était fait avec chaque parent. Bien sûr à l'élève, c'était la priorité, mais aussi au parent qui était là! Pour qu'il se sente accueilli, qu'il se sente bien. Et puis, quand c'était possible, on faisait les réunions de parents avant que les enfants ne rentrent, de façon à ce qu'ils n'aient pas la charge émotive d'inquiétude par rapport à ce dernier, à savoir comment il s'intègre par exemple. Je voulais consacrer du temps pour que ces parents-là se sentent accueillis, sentent qu'ils avaient leur place, que la classe était ouverte pour eux. C'était quelque chose d'essentiel pour moi, de dire que le parent sente qu'il était le bienvenu dans la classe. Et non seulement qu'il était le bienvenu, mais aussi qu'il sente que moi j'avais besoin de lui. Que toute seule sans sa collaboration, j'y arriverais plus difficilement. L'idée, c'était qu'eux viennent en disant : « oui j'ai envie d'être là, de voir comment ça se passe avec mon enfant, j'ai envie aussi d'apporter un coup de main ».

Assez rapidement, au début de l'année, à la rencontre d'informations, je fournissais aux parents une liste des types d'activités dans lesquels ils pouvaient s'impliquer. Que ce soit de l'aide, purement et simplement, des bras qui viennent dans la classe pour bâtir du matériel par exemple, ou venir aider aux ateliers d'ordinateur. Il y avait toutes sortes de suggestions et de la place pour eux selon l'activité dans laquelle ils se sentaient à l'aise. Souvent ils me proposaient des choses auxquelles je n'avais même pas pensé. J'avais aussi le souci de leur dire : «c'est sûr que tout le monde n'est pas disponible, et je le comprends, mais il y a différentes façons de s'impliquer et d'être là.» Ce n'est pas nécessaire d'être là en présence, des fois on fabrique du matériel, on fournit une petite collation spéciale, etc. C'est à moi ensuite, comme enseignante, de dire : «Eh regarde, c'est ta maman, ton papa qui a donné ça!» Pour moi c'était aussi pour que l'enfant sente que papa et maman accordaient de l'importance au fait qu'il aille à l'école. Puis, à chaque mois, ils recevaient un calendrier où était inscrit le nom des parents qui venaient. C'était assez simple. Les parents savaient très bien qu'ils pouvaient arriver n'importe quand, même s'ils n'étaient pas inscrits sur le calendrier... La porte était ouverte! Il arrivait par exemple qu'un papa vienne. « Ah ! Tu restes ce matin, c'est l'fun! »

À tous les ans je me retrouvais avec un groupe de cinq à dix parents disponibles pour venir dans la classe régulièrement ou à l'occasion. C'est sûr qu'il y a des liens qui se sont créés plus forts et plus significatifs avec certains de ces parents-là qui sont devenus presque des amis. Lorsque des gens viennent une fois par semaine dans la classe pour aider, participer, il se crée des liens. Parfois ils avaient plusieurs enfants, ça aussi ça crée des liens. Et moi je sentais que ça avait vraiment un impact très grand sur l'enfant. Mon défi était pour les parents d'enfants en difficulté, c'était plus difficile de les avoir dans la classe. Les parents savaient ce que j'espérais qu'ils fassent dans la classe. Ça arrivait que je reçoive plusieurs parents à la fois, il y avait un risque à cela, s'ils se mettent à placoter ensemble, ça devient moins aidant. Avec les années, je voyais que plus les tâches étaient en lien avec les intérêts des parents, plus elles étaient clairement identifiées et précises, plus les parents étaient aidants et contents. Par exemple, être avec une équipe de quatre enfants qui sont à un jeu de société, ils restaient là une demi-heure, pendant le temps que duraient les ateliers. Ainsi ils pouvaient être en relation avec chacun des enfants et sentir qu'ils servaient à quelque chose. En même temps ça faisait quatre enfants qui étaient en train d'apprendre et que je n'avais pas à superviser. Ce que je souhaitais c'est que tous les parents viennent au moins une fois durant l'année. Ça les parents le savaient, je leur disais : «Votre enfant va être en maternelle juste une fois, si c'est possible de vous libérer...» On organisait, entre autres, l'activité de l'enfant vedette où pendant une semaine l'enfant était la vedette de la classe pour les activités. Ça en général les parents étaient contents d'y participer, il n'y a pas beaucoup de parents qui n'y ont pas participé, c'était quelque chose de particulier. Je pense, entre autres, à un papa Grec qui était venu nous montrer des danses grecques. Une maman pouvait venir faire une recette. Chacun y allait de sa créativité et de son intérêt. D'autres disaient : «moi je ne veux pas présenter, juste venir dans ta classe passer la journée avec mon enfant.» J'essayais le plus possible que le parent se sente à l'aise, je comprenais leurs besoins.

Une fois j'ai vécu une situation particulière. Une maman qui était alcoolique, elle est arrivée dans ma classe à plusieurs reprises alors qu'elle sentait la boisson. On pouvait croire qu'elle avait consommé. On la laissait venir en classe car elle avait un désir tellement grand d'aider son enfant qui avait des difficultés, entre autres, au niveau du comportement, au niveau social et affectif (agressivité). C'était un défi pour moi parce que je ne pouvais pas tout à fait compter sur elle. Des fois, elle disait qu'elle venait alors qu'elle ne venait pas. Mais en même temps, je sentais que quand elle pouvait être présente dans ma classe, il y avait quelque chose qui était très aidant. À la fois pour elle, dans son estime d'elle-même, pour l'enfant, surtout quand la mère n'avait pas consommé, parce que l'enfant sentait que sa mère faisait partie de la classe. Et pour les autres enfants avec lesquels elle réussissait à établir une relation qui était vraiment géniale. À plusieurs reprises cette femme-là (je sentais qu'elle m'aimait beaucoup) me disait : «mon Dieu que j'aime ça venir dans ta classe, ça me fait du bien.» Elle était toujours surprise de voir cet amour-là que les enfants lui portaient. Les enfants s'attachent facilement, ils arrivent, ils donnent des beaux becs, ils disent des bonjours, ils étaient tous contents de la voir. C'était une maman qui était capable d'être près des autres enfants.

C'est sûr quand la maman arrivait en état d'ébriété, moi je ne savais pas vraiment comment intervenir avec elle. Est-ce qu'il faut que je lui demande de partir? Qu'est-ce qu'on fait avec ça? Cela s'est produit, une fois, entre autres, où elle était arrivée sans prévenir. Elle avait apporté une collation, elle était toute contente... Mais vraiment, à mon avis, elle n'aurait même pas dû conduire dans l'état dans lequel elle était. À ce moment-là je lui ai dit : « oui! là je pense que tu as besoin d'aller te reposer. J'aimerais mieux que tu reviennes une autre fois! » Mais je me sentais un petit peu mal à l'aise de lui dire, je ne suis quand même pas une travailleuse sociale...

J'avais l'impression que pour aider l'enfant, il fallait faire une ouverture à la maman. Il y avait une travailleuse sociale qui venait à l'école à l'occasion pour un programme appelé Floppy, axé sur le développement des habiletés sociales. Par ce programme on a réussi à rejoindre la maman qui a accepté de rencontrer la travailleuse sociale pour aider son enfant.

Quand même je trouve que dans ces milieux-là, avec ce type de problématique-là, ça vaut la peine de continuer, c'est ma croyance. Même si de notre regard d'enseignante professionnelle, on pourrait croire vraiment que ce parent-là est complètement inadéquat, que je ne peux lui demander quoi que ce soit. Moi, c'était le contraire! Je me disais que c'était un défi, un moyen détourné pour aider la maman. Ce n'est pas le but de l'école, mais quand on réussit à aider la maman, on aide l'enfant. Dans ces milieux-là en particulier, il faut que ça aille ensemble. C'est difficile de limiter vraiment le rôle de l'enseignante. Aussitôt qu'on ouvre la porte au parent, on fait rentrer dans la classe aussi des problématiques des familles. Et quand on connaît ces problématiques-là, c'est plus difficile de départir tout ça! J'avoue qu'il y a quand même un danger, parce qu'en connaissant beaucoup on est plus conscient de notre impuissance. Les moyens ne sont pas grands. Il y a comme deux aspects là-dessus. Ça exige d'être capable vraiment de se distancier de la situation, ce qui n'est pas toujours évident.

Avec les années, ça a été un petit peu contagieux, parce que comme j'étais dans un milieu défavorisé, le taux de roulement des professeurs était très élevé. Comme nous étions trois groupes de maternelle, j'ai eu plusieurs collègues qui étaient toujours surprises de voir comment je fonctionnais. De nouvelles enseignantes de maternelle qui n'avaient à peu près aucune idée de comment intégrer les parents. J'ai réalisé, à la longue que cette pratique-là que je faisais dans ma classe avait quand même un certain impact. En début de l'année, souvent les professeurs, sachant que j'intégrais les parents, venaient me demander: «Penses-tu qu'il y a des parents qui ont plus le tour avec les enfants?» On voyait que l'aspect de compétence parentale était très important pour eux. Certaines enseignantes, de première année, je pense à une en particulier, qui avait des ateliers. Elle a commencé, dans sa période d'ateliers, le vendredi après-midi à demander un parent pour venir l'aider. Une autre, a peut-être demandé de venir écouter des enfants lire des petits livres. Alors, tranquillement, elles se sentaient plus en sécurité parce que je pouvais donner des noms de parents. Je pense que ma pratique peut avoir eu un impact. Ce qui est important de mentionner, c'est qu'avant d'être enseignante à la maternelle, j'ai eu une période (pendant neuf ans) où j'étais animatrice Passe-partout, dans ce même village-là. J'avais déjà une bonne connaissance des parents, certains enfants qui étaient dans ma classe, je les avais vus à Passe-partout avec leurs parents... Donc, peut-être que ça m'a aidé aussi! Ça a certainement développé la croyance que j'ai, qu'on ne peut pas y arriver sans passer par les parents.