© Larouche, H. (2006).

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Analyse d'un prototype du récit d'adaptation défini comme:
la mise à jour d'un cadre de fonctionnement

UNE ALTERNATIVE INTÉRESSANTE POUR LES RENCONTRES DE PARENTS

La structure narrative

Rappelons que la structure narrative de ce prototype du récit d'adaptation se déroule en trois épisodes qui tentent de montrer comment une perte de repères, qui sort le praticien de son cadre habituel de fonctionnement, provoque une remise en question et un ajustement de pratique. L'enseignante dans ce récit raconte l'ajustement qu'elle a fait pour que les rencontres de parents en début d'année répondent à leurs besoins tout en les informant sur son fonctionnement en classe.

L'ouverture du récit (la mise en contexte)

Ce récit raconte le dilemme auquel la narratrice se trouve confrontée dans l'organisation des rencontres de parents en début d'année. D'un côté, elle reconnaît que les parents ont besoin d'être rassurés sur l'adaptation de leur enfant à l'école, elle dira : À la maternelle c'est spécial, l'enfant est encore perçu comme le bébé de la maman (...) il y a une sorte fusion qui est là entre le parent et son enfant. Elle trouve difficile de parler du comportement de l'enfant sans que les parents ne se sentent visés. D'un autre côté, elle désire donner le plus d'informations possible sur son organisation de classe, sur les routines, elle précise : mais cela faisait partie de la tâche. Il fallait faire une rencontre au début de l'année. J'aimais plus ou moins les rencontres individuelles, on se répète, il arrive même des fois on en oublie avec certains.

Premier épisode (la perte de repères)

  • Différentes manifestations de la perte des repères

Tel que mentionné dans la mise en contexte, la narratrice insiste sur l'importance de la première rencontre avec les parents tout en étant consciente que c'est très délicat la première étape. L'objectif de la rencontre consiste à informer les parents quant à l'intégration de l'enfant en début d'année scolaire et non pour parler des comportements. À la première étape on n'est pas capable de parler des comportements, il y a trop de choses à apprendre pour les parents, avec lesquelles ils doivent se familiariser. De plus, cette première rencontre vise à établir la relation avec le parent qui doit s'installer dès le début car ce sera la base pour le reste de l'année.

Pour tenter d'atteindre cette double finalité (informer sur les routines de classe et répondre aux attentes des parents sur l'adaptation de leur enfant à l'école) l'enseignante organise la rencontre en petits groupes, mais pour être certaine de répondre aux attentes, j'avais prévu une deuxième rencontre individuelle avec le parent. Des périodes de dix minutes pour ceux qui désiraient me rencontrer individuellement, le parent avait la possibilité de venir avec son enfant. Elle décrit brièvement le déroulement de cette rencontre et tient tout de même à mentionner comment elle anticipe certains problèmes, tel le bruit. Lors de la rencontre par petits groupes, on faisait des ateliers, mais il fallait éviter de laisser disponibles des coins avec du matériel bruyant parce qu'à ce moment-là, on n'était pas capable de parler à cause du bruit produit par les enfants. Lors de cette rencontre on montre aux enfants où est le casier identifié à leur nom, l'endroit où ils placent leurs vêtements, leurs objets personnels.

  • Ce qui provoque

Cette année-là, elle recevait plusieurs enfants ayant fréquenté la même garderie depuis l'âge de trois ans. Donc c'était des enfants et des parents qui se connaissaient. Cette précision est importante dans le récit car du point de vue de la narratrice la perte de ces repères est provoquée par ce fait inhabituel, elle n'accueille plus un petit groupe de parents et d'enfants qui écouteront attentivement les informations sur l'organisation de sa classe. Ceux-ci se connaissent bien, ils se retrouvent, ils ont le goût de se parler et ils ont moins d'intérêt pour les informations que l'enseignante désire leur transmettre. À cette perte de repères s'ajoute un autre fait, elle avait demandé aux parents de s'inscrire à une heure en particulier mais cela s'est passé différemment : des parents ont décidé de venir à une heure différente, alors je me suis retrouvée avec dix parents et dix enfants. C'était le «free for all!» La description qui suit nous donne une bonne représentation de sa déstabilisation, voire de son impuissance dans la situation. Quand ils sont arrivés, je n'étais pas capable d'expliquer, les enfants faisaient du bruit et les parents ne les arrêtaient pas. En plus de cela, les parents parlaient entre eux. J'ai été obligée de couper la réunion, de donner peu d'informations. Ça a fait des parents qui étaient moins satisfaits. Et puis, moi j'étais épuisée quand je suis sortie. Je faisais quasiment de la discipline avec les petits en même temps parce que je n'étais pas capable de rien faire. Je me disais, « jamais plus» ! J'étais domptée! Ces derniers mots marquent la nécessité de procéder autrement pour la rencontre de parents du début d'année. Avant de nous attarder à la modification du cadre, essayons de retracer dans le récit la délibération provoquée par cette situation.

Deuxième épisode (la remise en question)

  • Ce qui amène un questionnement

Avec du recul, la narratrice raconte que cette année-là sa relation avec les parents a été assez pénible. Sa réflexion l'amène à nommer ce qu'elle mentionnait au début du récit sur l'importance du premier contact. C'était des parents auprès desquels j'ai été obligée d'intervenir plus souvent. Il a fallu qu'au mois d'octobre je rencontre les parents individuellement et parler plus des comportements. Mais je me suis rendu compte que la relation n'était pas assez établie pour que je puisse me permettre cela. Probablement à cause du début qui avait été abrégée. Sur le coup je me suis demandée comment ça se fait que ça se passe comme ça? Elle raconte comment il est difficile d'établir une collaboration avec les parents quand les enfants ont des problèmes de comportement. C'est toujours plus délicat. Cette difficulté s'est accrue suite à la première rencontre qui fut, de son point de vue, un fiasco. Il y a une attente implicite chez la narratrice dans ce premier contact et qui semble décisive pour la suite de l'année dans son rapport aux parents. Poursuivons avec son besoin d'ajustement qui nous aidera à interpréter cette attente implicite.

  • Du besoin d'effectuer un ajustement

L'occasion de mettre à jour son cadre de fonctionnement dans son rapport aux parents se présente lorsque l'enseignante suivra une formation sur le portfolio. Elle voit l'occasion de changer sa façon de faire les rencontres de parents. La première fois qu'on a fait les rencontres pour le portfolio c'était vers la fin d'octobre, à la suite de la première étape. On était toutes un peu craintives. On ne savait pas trop comment ça allait se passer. En maternelle, j'étais la seule à expérimenter cela. La narratrice expliquera longuement dans le récit ses stratégies pour préparer les enfants à présenter leurs travaux à leurs parents. Une invitation a été envoyée aux parents pour s'inscrire à une période d'environ trois quarts d'heure. Les enfants plus actifs ont été répartis dans différents sous-groupes afin de ne pas perdre le contrôle. Notons que cette peur avouée de perdre le contrôle semble jouer un rôle décisif dans l'ajustement de son cadre de fonctionnement.

Ce deuxième épisode autour de la remise en question, bien que l'intention soit très peu explicitée dans le récit, montre comment l'ajustement effectué (par la présentation des portfolios) permet à cette enseignante de maternelle d'orienter la première rencontre avec les parents sur les apprentissages réalisés en classe. L'ouverture du récit nous prévient du contexte «spécial» de la maternelle, les parents veulent être rassurés sur l'adaptation de leur enfant à l'école. En voulant éviter d'aborder les comportements lors du premier contact pour que les parents ne sentent pas visés, l'enseignante se trouvait en quelque sorte coincée à présenter son fonctionnement de classe de manière un peu dépersonnalisée sans vraiment répondre à leurs besoins. La présentation de portfolio lui permet de contextualiser son fonctionnement de classe, de mettre en valeur les apprentissages qui y sont réalisés. Mais n'allons pas trop vite dans l'interprétation et poursuivons avec le troisième épisode qui nous permet de comprendre toute la portée de l'ajustement effectué.

Troisième épisode (l'ajustement au cadre habituel)

  • Les modifications apportées

La narratrice mentionne plusieurs autres stratégies pour s'assurer de la réussite de son cadre de fonctionnement. Les enfants ont été jumelés à deux ou trois pour s'entraider. Ils se sont pratiqués avec des questions que j'avais préparées. Ces questions sont d'ailleurs placées sur le portfolio pour que les parents s'en inspirent ou qu'ils poursuivent le questionnement à la maison. Observons ici l'effort pour inclure les parents dans son intention de mettre en valeur les apprentissages réalisés par les enfants et même qu'ils se poursuivent à la maison. Le récit exemplifie le rôle de l'enseignante dans son accompagnement des enfants pour l'objectivation de leurs apprentissages. Lors de la première pratique, les enfants voulaient regarder n'importe quoi dans leurs travaux, ils étaient tellement contents et tout surpris de voir qu'ils avaient fait autant de travail. Et puis, je leur demandais, parmi les travaux effectués, celui qu'ils aimaient le plus, celui qu'ils aimaient le moins et celui dont ils étaient le plus fiers. À un moment de la pratique, j'ai arrêté de poser des questions et je leur ai simplement demandé de regarder le cahier de chacun. Au cours de la pratique, certains enfants jouaient le rôle de parent alors que d'autres faisaient « l'élève », en alternant. Dans ce jeu, ils se demandaient c'était quoi le travail qu'ils avaient le plus aimé, celui qu'ils avaient le moins aimé. Ensuite, celui dont ils étaient le plus fiers. À ce moment-là déjà, ils avaient beaucoup de choses à dire. Ils précisaient aussi, le comment et le pourquoi des difficultés ou des facilités qu'ils avaient rencontrées. Ils posaient des questions, et le fait de répondre et d'expliquer les choses, ça les aidait beaucoup. Ce long extrait nous démontre de manière plus explicite son cadre de fonctionnement basé sur la mise en valeur des apprentissages réalisés parles enfants. Elle confirme : Je trouvais également qu'on donnait plus d'informations en procédant de cette façon. Les parents, dans le fond, c'est ce qu'ils veulent, surtout au niveau des petits de la maternelle. On retrouve ici une solution au dilemme auquel l'enseignante se trouvait confrontée au début du récit : informer les parents et les sécuriser. Les propos suivants ne laissent plus de doute sur son intention : De cette manière, je pouvais aborder tout ce qu'on avait fait. Lorsqu'on fait des rencontres individuelles, on ne peut pas faire ça ! Le «ça» dont il est ici question concerne le cadre de fonctionnement qui est ainsi mis à jour.

  • Les résultats

Dans la narration de la rencontre, l'enseignante nous donne un aperçu du climat qui régnait dans la classe. Le jour de la rencontre, les enfants sont arrivés, ils étaient très énervés et excités. (...) Je le voyais, ils sautillaient, d'autres restaient proches de leurs parents, ils semblaient plus gênés que d'habitude, il y en a qui parlaient tout le temps, d'autres qui ne se rappelaient pas trop quoi faire. Pour que ça fonctionne bien, je m'étais organisée pour jumeler deux enfants et deux parents. J'ai utilisé cette stratégie parce qu'il y a toujours des enfants qui ne sont pas capables d'expliquer, qui sont trop gênés ou qui ne s'en souviennent pas. En explicitant ainsi ses stratégies l'enseignante démontre son intention de mettre à l'avant plan les apprentissages réalisés par les enfants, une façon même de les mettre en valeur. Elle nomme d'ailleurs son souci que la rencontre fasse partie intégrante de leur développement. Je voulais surtout éviter de les placer en situation d'échec. Je voulais que ce soit une réussite pour eux aussi. Les enfants se complétaient. Cette emphase mise sur le sentiment de fierté rejoint son cadre de fonctionnement : par la présentation des portfolios, la rencontre avec les parents devient un moment privilégié pour créer un lien significatif. Cela a été un moment fort de la rencontre parce que les parents et les enfants ont formé comme une coquille, même s'il y avait d'autres enfants plus loin, ils formaient une intimité avec leur parent. C'était vraiment beau. Le contraste est remarquable entre la rencontre «free for all», où l'enseignante s'est sentie impuissante et celle-ci où elle observe cette relation privilégiée entre l'enfant et ses parents.

Il est possible de comprendre dans ce récit que l'enseignante, en mettant les enfants à contribution par la présentation des portfolios, répond individuellement aux attentes des parents. Elle réalise même un résultat non prévu. Cette façon de procéder nous permet également d'apprendre beaucoup de choses sur les enfants. L'enfant, quand il part de son vécu, c'est comme s'il redisait ce qu'il a appris. Par cette stratégie, on voit ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas. Ainsi, pour le parent, il est plus facile de pouvoir retravailler avec l'enfant les notions qui sont plus ou moins intégrées. Moi, de mon côté, en faisant écrire les réponses, je vois également ce que l'enfant a aimé ou n'a pas aimé; ce qu'il a trouvé difficile. Ça me dresse un meilleur portrait de ce que l'enfant sait. Cet effet non escompté contribue à la flexibilité et l'ouverture démontrées par l'enseignante dans l'ajustement de son cadre. Pour le dire autrement c'est parce que les résultats vont possiblement au-delà de ses attentes que l'enseignante est en mesure d'apprécier les changements apportés à son cadre. Elle ajoute à ce propos : Parfois on a des surprises, on pense que certains n'ont pas rien compris mais on se rend compte que c'est ceux-là qui ont tout compris. Abordons l'appréciation de son nouveau fonctionnement pour conclure.

  • L'appréciation

L'appréciation de l'enseignante est très affirmée dans le récit. Ses propos le confirment : Depuis que j'ai choisi de procéder de cette façon, je constate plusieurs avantages. Tel que mentionné précédemment, les avantages concernent principalement une meilleure connaissance des apprentissages réalisés par les enfants, mais elle ajoute à la toute fin du récit un avantage non négligeable pour elle-même : En adoptant ce type de rencontre on ne ressent plus l'immense fatigue une fois que c'est terminé. Ce sont les enfants qui font la réunion, mon rôle comme enseignante est de superviser. De plus, cette rencontre est importante pour établir la relation avec les parents. Le qualificatif utilisé «immense fatigue» nous semble peu banal pour comprendre comment l'enseignante en modifiant son cadre de fonctionnement se donne un plus grand pouvoir sur son agir et se concentre davantage sur le «rôle de supervision».

Le commentaire interprétatif

L'exemplarité de ce récit tient à l'angle privilégié par l'enseignante pour établir son cadre de fonctionnement dans sa relation avec les parents. Une relation qui s'établit dès la première rencontre et qui représente un moment délicat car les parents ont des attentes, ils veulent être rassurés sur l'adaptation de leur enfant. L'enseignante est très consciente des attentes des parents, mais refuse d'y répondre par des échanges qui porteraient sur les comportements. C'est trop tôt dans l'année et les parents se sentent «visés» car il y a une sorte de «fusion» entre le parent et l'enfant. Cette prudence, tout à fait légitime, l'amène à orienter la rencontre de début d'année sur le fonctionnement général de sa classe. Dans sa visée d'exemplarité, l'enseignante nous montre sa capacité d'adaptation suite à la déstabilisation vécue lors d'une rencontre «free for all» pour concilier à la fois les besoins des parents et son besoin à elle de les informer. La modification apportée au cadre habituel démontre comment, grâce à cet incident, elle mettra de l'avant une façon de les informer sur l'adaptation de leur enfant et sur ce qu'il apprend dans sa classe. Les habiletés déployées par l'enseignante dans la préparation des enfants pour la rencontre de portfolios témoignent de sa volonté d'associer les parents au processus d'apprentissage. De son point de vue «le moment fort» de la rencontre, pour reprendre ses propres termes, c'est l'intimité créée entre le parent et l'enfant.

En quoi ce récit est-il porteur d'un message dans le rapport aux parents? La nature du message que l'enseignante souhaite livrer concerne ce que l'on pourrait qualifier d'un enjeu éducatif. Un enjeu éducatif car elle oriente la rencontre de parents sur les apprentissages que l'enfant fait en classe et non spécifiquement sur ses comportements. Nous y voyons une intention de démontrer que la maternelle n'est pas qu'un lieu pour jouer, tel que formulé familièrement. L'enseignante précise comment elle-même apprend beaucoup sur le «portrait» de l'enfant, sur ce qu'il sait ou ne sait pas. Ouvrons une parenthèse sur cet aspect du récit d'adaptation qui nous informe sur ce que les acteurs apprennent dans leur ouverture à l'ajustement, ce qu'ils retirent en acceptant d'être flexible dans leur cadre de fonctionnement. Cette interprétation prend encore une plus grande signification quand on ajoute le fait que cette enseignante est une ancienne orthopédagogue. La mise à jour de son cadre de fonctionnement s'appuie sur sa compétence à accompagner les enfants dans leur apprentissage, à les soutenir pour qu'ils prennent conscience de leur force et des aspects à améliorer.