© Larouche, H. (2006).

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Préambule : L'enseignante de maternelle, Claudine, nous raconte une situation qu'elle a vécue il y a plusieurs années avec des parents particuliers. Le récit traverse deux années car elle a eu les deux enfants de la même famille deux années de suite. Elle s'est grandement investie auprès d'eux... jusqu'à déborder de son rôle professionnel.

TITRE: QUAND LE RÔLE D'ENSEIGNANTE SE TRANSFORME EN RELATION D'AIDE...

Une nouvelle famille était arrivée à l'école. Le premier contact a eu lieu lors des visites de la maternelle au mois de mai. Le papa était venu avec sa petite fille. J'ai vu rapidement que l'enfant ne serait pas facile. Je voyais dans le visage du père qu'il y avait déjà de l'agressivité dans l'air. Je lui ai dit bonjour mais je sentais qu'il y avait quelque chose. Les parents étaient sur la défensive quand on les abordait, j'ai appris par la suite que les parents se faisaient souvent dire quelque chose de négatif sur leurs enfants. Ils avaient cinq enfants et je recevais l'aînée dans ma classe. Il faut préciser une information : le papa avait été dans les Hells Angels. Il me faisait peur au début, c'est un homme très costaud.

La première fois que j'ai écrit une note à la maison, j'avais un petit peu peur parce que je me suis dit : qu'est-ce qui va me revenir avec ça? J'avais écrit une note sur le comportement de la petite fille, qu'elle avait été impolie, qu'elle n'écoutait pas. Il fallait que je coure partout pour l'attraper que je lui dise: «Viens ici!», elle ne venait pas, elle s'en allait dans l'autre direction. J'avais quatre étages à monter pour aller dans ma classe, elle disparaissait durant le trajet. J'avais 22 enfants, je ne peux pas laisser les 21 enfants seuls pour aller courir après une qui ne veut pas m'écouter. J'ai pesé mes mots car je savais qu'il allait réagir mais il fallait qu'on commence à travailler ensemble. Comme de raison le lendemain matin, avant l'arrivée des enfants, le père était à la porte de la classe et plutôt agressif. Je lui ai expliqué que j'écrivais des mots parce que je voulais qu'il travaille avec moi pour aider sa fille : «Je t'informe parce que tu dois être au courant, tu es le parent.» Il m'a répondu : «Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse avec ça? Ce n'est pas à moi de contrôler ta classe, c'est toi qui dois la contrôler!». À chaque fois que j'écrivais une lettre, une note sur le comportement, il réagissait. Je me retenais parce que j'en aurais écrit à chaque soir.

Parallèlement je travaillais avec la petite sur son comportement. Je pense que c'est ça qui a aidé un peu dans ma relation avec le père, parce qu'il a vu que je n'étais pas sur le dos de sa fille, il l'a compris petit à petit avec les notes. Il est devenu plus doux quand il arrivait à la porte, mais il venait pareil. Je trouvais ça bon par exemple qu'il se préoccupe de venir. C'est surtout avec la deuxième enfant qu'on a vraiment commencé à travailler ensemble. La première année, les parents étaient occupés, ils essayaient de partir une entreprise et je sentais qu'ils ne voulaient pas savoir ce qui n'allait pas. Au début je ne voyais pas la mère, je voyais juste le père. Plus tard quand l'entreprise allait mieux, la mère venait. Je pense qu'elle est venue deux fois. Je sentais la même attitude que le père. Mais plus tard dans l'année, après la journée qu'elle a passé avec moi, elle a été plus positive. Je dois expliquer que je demande aux parents leur aide. Souvent ils viennent passer la journée dans la classe. Je trouve ça extrêmement bien pour les enfants qui ont des difficultés de comportement ou des difficultés d'apprentissage parce que leurs parents ouvrent les yeux sur ce qu'on vit comme enseignant. Je les préviens : vous n'êtes pas ici pour m'observer ou me juger, vous êtes ici pour m'aider parce qu'une autre paire de mains c'est toujours utile. En les impliquant, ils voient comment c'est un gros travail. Justement la mère de cette enfant-là, la première fois qu'elle est venue, à la fin de la journée, elle avait tellement aimé ça qu'elle voulait revenir. Il faut dire qu'elle était bonne avec les enfants, elle voulait faire des choses avec eux. Je m'ajustais parce que c'était elle.

Ces parents étaient agressifs au début parce qu'ils avaient peur que je les juge. Quand ils ont vu que j'aimais leurs enfants, que je voulais les aider, ils ont collaboré. La mère m'a un peu raconté leur vie. Elle et son mari ont grandi dans les rues, ils étaient dans la rue à quinze ans, c'est là qu'ils se sont rencontrés. Ils essayaient d'élever leurs cinq enfants avec des manières assez dures. Ils n'avaient aucune espèce d'idée ce que ça représente d'élever une famille. Ils avaient tous les deux une grosse personnalité, mais je les trouvais le fun. Les enfants m'ont raconté que des fois leur père se fâchait. Par contre, je voyais qu'ils voulaient réellement apprendre à être des bons parents. Ils voulaient s'occuper de leurs enfants parce qu'eux avaient été négligés. C'est comme s'ils passaient d'une extrême à l'autre. C'est surtout quand j'ai eu la deuxième enfant de la famille que je me suis davantage investie auprès des parents. Les parents voulaient vraiment que leur fille soit avec moi, ils sont allés voir le directeur. Il faut dire que la deuxième, Marianne, était quelqu'un. Elle a été suspendue la deuxième semaine d'école! Elle a fait une grosse colère, elle s'est mise à lancer des roches à la surveillante. Elle était hors de contrôle. Je me suis dit: «Ça va être une grosse année.» En plus cette année-là je ne le savais pas au début, mais un des enfants était dysphasique, une dysphasie sévère. Il ne comprenait rien, il me frappait, il pleurait tout le temps. Il hurlait jusqu'au bout de ses poumons, c'était vraiment quelque chose. C'est surtout lui qui me préoccupait parce que moi je n'avais jamais eu un enfant dysphasique. Marianne était un cas plus facile à comparer à lui, quand je lui parlais, au moins elle me comprenait. Même si elle me disait non, non, je la prenais, je l'assoyais. Une chance que j'avais une stagiaire de quatrième cette année-là parce que je n'aurais jamais passé au travers, d'ailleurs j'ai fait un burn out à la fin de l'année.

La fois où Marianne a lancé des roches à la surveillante, on s'est dit si elle s'en va chez elle avec maman toute la journée, ça ne serait pas une conséquence mais une récompense alors on a décidé qu'elle allait rester avec la psycho-éducatrice toute la journée, une suspension à l'interne. Le père a décidé de l'accompagner pour être sûr qu'elle passe une très mauvaise journée. Il l'a surveillée toute la journée et lui disait : «tu restes assis!» Il ne la laissait pas bouger, rien faire. Après cette fois-là, il a monté beaucoup dans l'estime des profs. À la longue, il est devenu comme un leader dans l'école, il prenait la parole dans les réunions de parents. Il parlait très bien, on aurait cru qu'il était éduqué mais il ne l'était pas, il n'avait pas fini son secondaire, il a lâché après le secondaire trois.

Le père était un homme très intense. Il appelait sa femme en lui disant de venir après l'école : «Claudine va nous dire comment faire.» Je restais avec eux. Je leur faisais identifier à la maison les comportements qu'ils trouvaient inacceptables. Ils les ont écrits sur une feuille. Je les questionnais : «qu'est-ce que tu fais d'habitude quand Marianne fait ça?» Ils me disaient : «on lui dit que ce n'est pas correct». J'ai répondu : «première erreur, ça ne sert à rien de parler, il faut qu'il y ait une conséquence. Parce qu'elle le sait Marianne qu'il ne faut pas qu'elle fasse ça. Tu le dis une fois, après c'est une conséquence». Je leur expliquais qu'il est important de faire la même chose tous les deux pour que Marianne comprenne. Je fais toujours ça avec toute la classe. On identifie les consignes ensemble au début de l'année : ce qu'on peut faire, ce qu'on ne peut pas faire. J'explique aux enfants que je compte jusqu'à trois. Je vais juste dire ça fait un- c'est à toi de savoir ce que tu fais de pas correct. Moi je ne te le dirai pas. Si tu parles en même temps que moi, je vais dire ça fait deux-. Après je leur montre le nombre de doigts. À trois doigts tu t'en vas sur la chaise de réflexion trois minutes. C'est ça que je faisais avec Marianne et ça allait bien. J'ai beaucoup parlé avec les parents pour que ce soit clair dans leur tête. Si c'est flou, si un parent contredit l'autre, les enfants mènent dans ce temps-là. «Il faut que vous soyez d'accord.» Je leur ai dit aussi : «Il y a une petite différence à la maison parce que les enfants sont plus à l'aise, s'il te démontre une impolitesse ou un manque de respect, tu ne fais pas 1-2-3, c'est 3- tout de suite.» Je leur ai parlé des trois C, une bonne communication pour que l'enfant sache exactement c'est quoi les règlements. Il faut qu'il sache avant si c'est un comportement inacceptable. Ensuite la constance, il ne faut pas que tu l'inventes tout d'un coup parce que telle affaire te dérange. Après tu peux amener une conséquence. Si tu dis qu'il va y avoir une conséquence, il faut qu'il y en ait une. Je leur avais donné des notes, j'avais tout écrit en très simple. Je leur donnais un exemple de conséquence, il ne faut pas les mettre dans la chambre pendant 10 heures ce n'est pas approprié, trois minutes c'est long pour un enfant de cinq ans. Je me souviens d'une fois, Marianne s'est placée debout devant tous les enfants et elle a dit : «En tout cas Claudine mon père est bien plus sévère que toi!» Je lui dis : «ah oui ?» «Comment ça?» «Quand on va sur la chaise de réflexion on doit s'asseoir sur nos mains.» Je dis : «Bonne idée !» Parce que j'avais toujours le problème quand j'envoyais les enfants sur la chaise, ils jouaient avec toutes sortes de choses. Le fait de mettre les mains sous les cuisses, pas pour tous les enfants, mais pour certains enfants, ça les aide à rester tranquille. «Tu diras à ton père que j'ai pris son idée.» Depuis ce temps-là je fais ça.

Je me souviens qu'une des premières rencontres avec eux a duré 4-5 heures, j'ai joué à la travailleuse sociale, j'étais épuisée. Ils me faisaient confiance, ils revenaient souvent me voir. C'était un petit peu une relation de co-dépendance. Mais j'ai accepté parce qu'on a vraiment vu une grosse amélioration dans cette famille, on a fait énormément de progrès avec Marianne. J'étais devenue un peu comme leur psychologue. Un moment donné, je leur ai dit que j'allais les rencontrer de telle heure à telle heure parce que c'était vraiment vidant. Ils revenaient et on discutait ensemble, ils avaient énormément besoin qu'on les écoute. Des fois c'était difficile parce qu'il y avait des conflits entre les deux par rapport à ce qu'il faut et ce qu'il ne faut pas faire. La mère voulait protéger les enfants alors que le père se montrait plus ferme. Je pense que quand le papa s'en allait, avec la maman c'était le free for all. J'ai essayé de les aider avec ça, mais c'est sûr que je ne pouvais pas tout faire.

Je les aimais beaucoup, j'étais tellement contente d'avoir pu les aider mais j'étais épuisée à cause de l'autre enfant. Pour le troisième enfant c'était mieux qu'il soit dans l'autre classe. Le père a accepté quand le directeur lui a expliqué mon épuisement. J'étais contente que ce ne soit pas moi qui fasse la coupure, c'est le directeur qui l'a faite.

Mon rôle cette année-là a débordé ma tâche d'enseignante : en plus de la lourdeur du cas de l'enfant dysphasique, j'ai dû donner des cours aux parents à savoir comment être parents. Par contre j'ai pu constater que je peux vraiment avoir un impact dans la vie des parents, dans la vie d'une famille. Je considère que pour certains parents, je peux les aider plus qu'une travailleuse sociale ou quelqu'un qui est à l'extérieur car j'ai une bonne relation avec eux.