© Audet, G. (2006).

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TITRE: UN PETIT TRÉSOR

À cette école, il y a des enfants qui viennent de partout, donc ce n'est pas nécessairement des enfants du quartier qui se connaissent. Il y a des enfants qui se connaissent beaucoup parce qu'ils étaient dans une garderie ensemble depuis l'âge de deux ans. Mais il y a aussi plein d'éléments seuls. Dong, le petit trésor, faisait partie de ceux-là. C'est un enfant très très timide au départ, brillant mais très timide. Il était doux, calme. Si on ne lui faisait pas une place, il ne la prenait pas. Si on était en cercle par exemple, il pouvait très bien rester en retrait. C'est pour ça que ça demandait beaucoup, mais, au fond, je pense qu'il sentait qu'il était bien aimé par les enfants. Physiquement, il était très petit. Dong est de communauté asiatique, plus précisément d'origine vietnamienne. Son père parle un peu français, sa mère pas du tout. Ils ont un restaurant. Dong a aussi un grand frère en cinquième année à l'école.

Avant le premier bulletin, on a tenté d'entrer en contact avec les parents. On essayait d'écrire des petites lettres, mais les messages n'étaient pas toujours saisis, par exemple les messages de sortie ou d'une activité quelconque qui aura lieu à l'école. (Je dis « on » parce que, dès la première réunion de parents, les parents de Dong n'étaient pas présents quand celle-ci a commencé. La mère est arrivée une demi-heure avant la fin. C'est le grand de douze ans qui est venu faire l'interprète. On n'a pas été capable de dire un mot à la mère parce qu'elle ne comprenait pas. Aussitôt qu'elle a pu, elle s'est faufilée. Puis là, on est « parti de travers ». À ce moment-là, j'avais dans mon arrière-pensée: « La communication va être difficile. » Quand j'ai un enfant et que je crois qu'il aura des besoins particuliers en première année, je chemine le dossier avec le directeur d'école, l'infirmière et la psychologue.)

Donc, on désirait rencontrer les parents. On avait donné à Dong la phase d'adaptation, peut-être septembre-octobre, et, quand on a vu que les problèmes arrivaient, que le bulletin de novembre s'en venait, on a essayé de communiquer avec les parents. Il n'y avait pas nécessairement de problèmes, mais ça concernait plutôt l'implication de Dong par rapport aux consignes de l'école. On aurait dit parfois qu'il décodait, qu'il avait l'air de saisir une consigne, mais, au fond, son point de repère c'était: « Que font les autres quand l'adulte parle? » Par exemple, je disais: « On vient tout le monde, on se rend dans le coin du bricolage, on a une activité spéciale, j'ai une technique à vous montrer », ce n'est pas parce qu'il avait compris qu'on se rendait au bricolage, en fait, il suivait la gang. Ça ne veut pas dire qu'il communiquait avec les autres et qu'il comprenait. De plus, une autre chose dont je désirais parler aux parents c'était : qu'est-ce qu'on fait dans une maternelle au Québec? Comment l'enfant doit choisir ses ateliers, quelle autonomie on lui donne, les petites responsabilités qu'il a à faire...

Quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de communication possible, j'ai fait la démarche d'aller rencontrer le père au restaurant. C'est rare qu'on le fait, mais, pour ces communautés-là, il faut faire un petit à-côté, parce que sinon je n'aurais jamais eu de moment pour le rencontrer. Cette rencontre avait beaucoup aidé. Là, le père avait pu comprendre comment ça fonctionnait dans une classe, comment il fallait que Dong demande ses besoins. Parce que moi, ses besoins, je les devinais. À part de « eau » et « toilette », il n'en demandait pas. Dans sa communauté, la relation adulte-enfant n'est pas tout à fait la même que nous les Québécois. Alors, si de par ses us et coutumes, il n'a pas à s'exprimer beaucoup, et qu'en plus il faut qu'il soit soumis à l'autorité, le fossé des communications s'élargit tranquillement, en tout cas par rapport à l'adulte.

Afin de combler son manque de communication avec d'autres enfants, on a proposé le service de garde en milieu scolaire aux parents. Quand on a commencé à comprendre qu'il était vraiment au restaurant à temps plein, on s'est dit : « Ça n'a toujours bien pas de bon sens! » Donc, à cet endroit, l'enfant pouvait dîner avec des enfants le midi et fréquenter d'autres enfants pendant l'après-midi, jusqu'à ce que le parent vienne le chercher le soir. S'il n'était pas capable de communiquer avec certains dans la classe, en offrant un autre groupe en service de garde, composé d'enfants des deux autres classes de maternelle, on aurait pu s'organiser pour qu'il trouve quelqu'un, peut être de sa communauté, ou quelqu'un avec qui il aurait eu plus d'affinités. En fait, on visait qu'il parte à cinq heures du service de garde, mais on se rendait compte que, quand ça tombait tranquille au restaurant, vers deux heures, ils venaient le chercher. Là, on gaspillait notre après-midi. Vraiment, cet enfant-là, on a eu de la difficulté à le mettre en contact avec d'autres enfants.

Dong, il fallait constamment aller le chercher en faisant de l'humour, en faisant des petites farces, des petits gestes doux. Par exemple, avant une causerie, je disais: « Il reste encore des amis qui font du bruit, c'est sûrement Dong qui fait ça! » Les enfants trouvaient ça drôle parce que, dans le fond, c'est certain qu'il ne faisait pas de bruit, lui. Il a toujours participé aux ateliers, mais il ne parlait pas. En décembre-janvier, les sourires sont arrivés. Il commençait à comprendre les histoires. Ce n'est pas toujours facile. Il y a des fois, tu penses qu'il va embarquer dans tel projet et puis non, il n'a pas saisi « pantoute ». Et, à d'autres moments, tu as expliqué quelque chose il te semble dans des mots plus compliqués, puis, comme par hasard, il comprend. J'avais fait même évaluer, avant le premier bulletin, s'il entendait bien parce que tu viens que tu ne sais plus si c'est de la surdité... Les autres enfants acceptaient qu'il ne parle pas. À partir de février-mars, Dong faisait des phrases plus longues. Là, il comprenait que s'il ne trouvait pas quelque chose, il pouvait le demander. Mais cela a été très très très long. Je me demandais: « Est-ce que c'est parce qu'il est timide, parce qu'il ne sait pas les mots, parce qu'il ne sait pas jouer? » Moi, autant que possible, quand j'avais un peu de temps, je faisais des petites entrevues toute seule avec lui ou des choses avec lui pour préciser davantage des mots. Par exemple, aux jeux de table, on a des jeux de mémoire avec des images, des choses de la nature, ou des choses de la maison, ou les fruits et les légumes et, autant que possible, je lui en montrais. Mais je me rendais compte qu'il y avait des choses qu'il ne connaissait pas. J'étais restée prise avec un pamplemousse.

J'avais adapté la classe pour lui. Dans le coin de découpage, j'avais ajouté du matériel à son niveau, j'avais racheté des casse-tête beaucoup plus jeunes... Les enfants et moi, on parlait dans le vocabulaire le plus simple possible. Je disais : « Les amis, on va commencer par dire des phrases plus courtes. On va faire des petits messages courts. J'habille la poupée, je fais manger mon bébé, mon bébé mange du yogourt ». Et puis, mars-avril, l'humour est entré dans sa vie. Quand tu vois qu'il est capable de faire des sourires, d'avoir un petit oeil complice, tu dis: « Bon, il a un bout de fait ». Mais, pour Dong, ce n'était pas assez pour aller en première année.

Mon questionnement était aussi par rapport à son alimentation parce que, comme il m'arrivait très endormi le matin, je me demandais s'il avait mangé. Les éducatrices du service de garde voyaient sa boîte à lunch. C'est là qu'on s'est rendu compte qu'il ne mangeait pas beaucoup. Donc, à la garderie, on a commencé à ajouter un petit peu de yogourt, un petit muffin... On lui demandait: « Est-ce que tu aimes ça? », « Veux-tu y goûter un petit peu?», « En veux-tu encore un peu? » Parce que tu ne sais pas si c'est permis. C'est là que c'est difficile de dire, si moi je change et qu'on l'amène dans nos coutumes à nous, est-ce que ça va contre leurs coutumes à eux? Par contre, tu te dis: « Mon Dieu, cet enfant-là, par rapport aux activités qu'on offre, il a besoin d'avoir des repas soutenus pour être capable de faire les activités ».

Souvent, il n'avait pas de collations. C'est là que, tranquillement pas vite, on l'a habilité à des collations québécoises, mais ça déborde des limites de leur communauté... Alors c'est une autre approche avec les parents. « Nos après-midi sont plus longs... », on s'est repris là-dessus, en leur disant: « Ça serait peut-être bien d'ajouter d'autres choses dans sa boîte à lunch. » Mais ce qu'on proposait d'ajouter, souvent ces parents-là, ils ne connaissaient pas nécessairement ça. Cela a pris un petit peu de temps avant qu'on réussisse à faire saisir qu'il pouvait apporter un yogourt par exemple. Donc, leur habitude d'alimentation, on n'a pas réussi là-dessus. Les parents nous disaient : « Non non, il ne mange pas beaucoup, il n'a pas beaucoup faim... » « Il n'a pas beaucoup faim, est-ce que c'est parce que ce repas-là n'est pas bon pour lui, parce qu'il n'aime pas ça, ou parce qu'ils ne lui offrent pas autre chose? » Parce que nous, à partir du moment où on lui a servi des yogourts, des fruits, des légumes crus, il en mangeait. J'avais des petits élèves qui étaient de la grosseur de Dong et ils mangeaient beaucoup plus que lui.

Finalement, on a découvert, en rencontrant le père, que c'était au niveau du sommeil que ça ne marchait pas. Ce n'était pas nécessairement son déjeuner qui ne soutenait pas, c'était qu'il se couchait trop tard. Nous, l'infirmière nous dit qu'un enfant devrait toujours dormir dix à douze heures par nuit. On en a parlé, le père et moi, mais il m'a bien précisé d'oublier ça, que ça ne changerait pas. Pour eux, c'est important qu'ils soupent tous ensemble. Ils devaient donc attendre que le père soit de retour pour souper. J'essayais de voir, en disant: « Vous savez, ça demande beaucoup de concentration les heures de classe, ça lui demande beaucoup de rester chez vous et de vous attendre... » Mais ça, ils n'ont pas été capables de le changer.

Donc, en gros, ce qu'on a fait c'est recommander le service de garde, une rencontre auprès des parents, une autre rencontre un petit peu plus tard pour voir ce qui avait été mieux saisi, mieux apprivoisé, et une autre rencontre officielle à la fin de l'année pour dire : « Si on l'envoie dans une première année standard, je crains qu'il ait de la difficulté... » Parce que, à la fin de l'année, il parlait aux petits groupes, mais jamais en grand groupe. Jamais il n'a pris le plancher. Tu lui demandais son opinion, c'était un tout petit filet de voix. Tu ne peux pas envoyer un enfant comme ça en première année quand il n'a aucune idée des lettres. Tu ne sais pas s'il sait les sons, s'il sait des rimes... Notre proposition n'était pas de le faire reculer en maternelle, pour redoubler maternelle, ça n'avait pas de bon sens. On n'avançait pas. Au début, le parent a dit : « Non non non», probablement parce qu'il avait peur de le mettre dans un casier à part, parce que physiquement, il était différent. Il avait regagné en habileté de dessin, ce n'était pas si pire. Il commençait pas mal plus à découper. Il y avait des petites choses qui commençaient à s'installer. Il est donc allé en classe de maturation. Cela a été difficile de leur annoncer, il a fallu que je fasse attention. C'est facile de dire à des Québécois : « Ce n'est pas parce que vous ne faites pas bien ça, mais votre petit enfant a telle difficulté. » Mais eux, comme ils sont différents de nous, c'est facile pour eux d'interpréter qu'ils ne sont pas bons. Je pourrais chercher où il est rendu. Comme ça, on pourrait voir si cela avait donné quelque chose.