© Audet, G. (2006).

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TITRE: UN ENFANT: UNE PERSONNE

J'ai enseigné pendant trente-cinq ans, dont trente en maternelle. Sur toutes ces années, il y en a trente-et-une dans le même secteur, dans la même paroisse. À la fin, j'enseignais aux enfants de mes anciens élèves de maternelle. Je suis maintenant à la retraite depuis neuf ans. Dans l'école où je travaillais, il y avait toutes les classes de la société. Peut-être un peu plus de favorisées que dans d'autres quartiers de la ville, mais pas beaucoup. Toute ma carrière, j'avais travaillé en collaboration avec l'université et j'avais des stagiaires à chaque année. Je faisais des démonstrations, le soir, aux étudiants de l'université et j'allais rencontrer les étudiants en préscolaire pour aller leur expliquer ma façon de fonctionner en classe ouverte, c'est-à-dire avec plusieurs activités en même temps, les ateliers (techniques Freinet).

La situation que j'aimerais raconter est celle d'un petit garçon que j'ai eu dans ma classe. Je ne me rappelle pas de quelle nationalité il était, mais je crois que c'était arabe. Il était arrivé ici parce que son père venait étudier au Québec. Sa mère n'était pas venue parce qu'elle enseignait à l'université dans son pays. Monsieur s'ennuyait ici, alors il avait fait venir son fils. Je ne sais pas s'il avait d'autres enfants, mais ici, il n'en avait qu'un. Cet enfant est arrivé à l'école en cours d'année, il venait d'une autre école, donc ce n'était pas son premier contact avec une école au Québec. Il est arrivé dans ma classe au début de novembre, quelques semaines avant l'étape. À ce moment, je voyais le père, mais très rapidement quand il le déposait à la garderie de l'école, parce qu'il s'en allait à l'université. Il revenait le chercher le soir, quand je n'étais pas là. Autrement, je le voyais quand on avait besoin de se rencontrer, pour les différentes remises de bulletin, sinon, on n'avait pas beaucoup de contacts.

Le petit gars, quand il est entré à l'école, il était un peu retiré. Les enfants n'allaient pas trop vers lui, mais ce n'était pas en raison de son ethnie, c'était parce qu'il sentait le pipi. Les enfants me le disaient. Ils le nommaient et ils disaient : « Il sent le pipi ». Je disais : « Mais lui avez-vous dit? » Moi, je ne changeais rien à ma façon de faire, malgré cela. Je ne pouvais rien changer; ce n'était pas de sa faute. Des enfants de cinq ans, quand ils sentaient le pipi, je disais : « Lavez vos fesses, ça ne sent pas bon dans la classe! » En plus, ce n'était pas le seul. Il y en avait d'autres à qui ça pouvait arriver aussi. Je disais : « Il va falloir prendre son bain! » Mais je ne leur disais pas bêtement; je ne leur disais pas : « Tu pues le pipi. » Je le disais en général.

À un moment donné, comme il y avait beaucoup d'enfants qui le notaient, j'avais décidé d'en parler au père. Je savais que l'enseignante qu'il avait eue au début de l'année avait noté le problème. J'avais eu des contacts avec cette enseignante, parce que je la connaissais, et elle m'avait dit que c'était le problème : il sentait le pipi. Ça n'avait pas eu l'air de se régler à ce moment-là parce qu'elle n'en avait pas parlé au père. Peut-être que c'était parce qu'elle était plus jeune que moi... Parce que moi, quand j'ai été plus vieille et avec plus d'expérience, j'ai eu plus de « front ».

En février, quand j'ai vu que c'était pareil, que les vêtements ne changeaient pas, je me suis décidée. J'avais donc rencontré le père pour le bulletin et je lui avais dit. Ça n'a donc pas été longtemps après... Il était arrivé novembre et entre temps, on avait eu les vacances. Je l'avais vu au « party pyjama », mais, cette fois-là, c'était correct. Ça c'était bien passé. Le « party pyjama », je faisais cela à chaque Noël avec mes élèves et avec leurs parents. Le Père Noël venait, il donnait des cadeaux et il racontait une histoire. À cinq ans, ce n'est pas les enfants, c'est les parents. Je comprends que ça peut arriver une journée qu'il n'ait pas eu le temps de prendre un bain s'il avait mouillé son lit. Mais quand c'est à tous les jours, il faut intervenir. C'était pour l'aider que je le faisais, parce que là, il y avait d'autres enfants qui me le disaient. C'est embêtant quand c'est les autres qui le disent aussi... Et c'est embêtant aussi de dire ça à des parents, très embêtant. Je me rappelle qu'à ma première année d'enseignement, j'avais dû le dire à la mère d'un enfant. Je l'avais rencontrée avec la directrice. J'étais mal là-dedans et c'était ma première année d'enseignement. Je me disais : « S'il faut commencer comme ça... » J'en avais parlé à la directrice de l'école, et elle m'avait dit : « On va la rencontrer ensemble. » Elle avait parlé qu'il fallait se laver et tout ça... Déjà, j'avais pu savoir un peu comment m'y prendre et j'avais réutilisé ce que j'avais vécu à ce moment-là pour parler au père. Mais il reste que c'est embarrassant de dire ça à des parents. Qu'il soit d'une autre nationalité ne changeait rien, parce que c'est autant embarrassant que ce soit n'importe qui. Moi, je le faisais pour les enfants, en fait.

Le père avait bien accueilli cette remarque. Après, on voyait qu'il faisait plus attention. Quand je lui en ai parlé, il avait profité de ce moment pour me dire que sa femme n'était pas intéressée à venir vivre au Québec, alors que lui le voulait. Il trouvait qu'il y avait beaucoup plus de possibilités pour les enfants. Ce que j'avais compris de cela, c'est que, peut-être, là-bas, c'était sa femme qui s'occupait plus des enfants... Il ne comprenait pas qu'elle ne veuille pas venir. Quoi qu'il en soit, après qu'on en ait parlé, cela avait changé au niveau odeur.

Une fois cela réglé, tout allait bien avec les autres enfants. C'était ça qui faisait la différence. Parce que quand tu accueilles les enfants en considérant tout le monde pareil, ça donne une chance à tout le monde. Que ce soit un enfant qui est très renfermé, ou un enfant québécois, si tu commences à en mettre un de côté parce qu'il t'énerve, ou parce que ci, ou parce que ça, il va être de côté et tous les autres enfants vont le sentir. Des fois, une simple impatience de la part de l'enseignante face à tel enfant peut amener les autres à tout lui mettre sur le dos. L'exemple que tu donnes en tant qu'enseignante se répercute sur les autres enfants. Il faut que tu donnes à chacun une place dans le groupe. Il faut que chacun puisse faire quelque chose et montrer ce qu'il est capable de faire. Il y a des enfants qui arrivent et que leur nom est fait, parce que d'autres enseignants ont dit : « Il est comme ci, il est comme ça... » Il faut donner la chance aux enfants de se présenter comme ils sont, et non comme ils se sont présentés l'année d'avant ou dans telle situation. Par exemple, quand cet enfant-là est arrivé, je l'ai accueilli, je l'ai présenté aux autres enfants et je lui ai expliqué comment ça fonctionnait. Je demandais toujours aux enfants de m'aider. Comme on travaillait par ateliers, il fallait qu'on s'organise. Les premiers temps c'était un atelier, deux ateliers. Après, on passait à trois. Quand on était rendu aux Fêtes, il y avait quatre ou cinq ateliers qui fonctionnaient en même temps et les enfants étaient capables de s'organiser tous seuls. Mais lui, il fallait que les autres lui expliquent pour qu'il sache comment ça fonctionnait. C'est sûr que de par ma façon de fonctionner, par activités, il ne pouvait pas toujours être avec les mêmes enfants. Ça empêchait aussi qu'il soit mis de côté tout le temps.

Quand il est venu au camp à la fin de l'année, parce qu'à chaque fin d'année j'organisais un camp de trois jours avec les enfants, il était propre et il avait tout ce dont il avait besoin. Il avait aussi son beau sourire qui en disait long. Il avait failli ne pas venir parce que son père trouvait que c'était trop cher, mais on s'était arrangé et il était venu.

Pour moi, ça ne changeait rien qu'il soit d'une autre nationalité, absolument rien. Tous les enfants, il faut les prendre où ils sont et essayer de faire le mieux qu'on peut avec eux, comme le font tous les parents, je pense. De toute façon, ils ont toujours bien passé. Qu'ils aient la couleur qu'ils veuillent, ça a toujours été facile. Tous les enfants avaient droit au respect. Qu'ils aient n'importe quelle nationalité, cela ne me dérangeait pas. C'était des enfants. Ce n'était pas des couleurs, c'était des enfants. Pour moi, c'est l'adulte qui crée le climat et qui anime. Moi je créais un climat où tout le monde était égal, où tout le monde s'entraidait et où tout le monde partageait. Lui, il a embarqué dans la « gang » comme les autres, pas différent des autres.