© Audet, G. (2006).

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TITRE: ON APPREND DE NOS ERREURS

J'enseigne depuis huit ans en maternelle et cette année-là, j'avais quatre Bosniaques dans ma classe. J'avais donc quatre enfants et ce que je savais sur la problématique qui se passait dans ce pays-là, c'était ce qui se disait dans les journaux, pas plus que ça. Il y en a une en particulier, une petite fille, dont l'histoire a été plus marquante pour moi.

Lors de la première réunion de septembre, quand j'ai vu cette petite fille-là, je me disais qu'elle ne comprenait pas le français. Elle suivait les autres. Elle regardait les autres et elle les imitait. Très vite, je me suis rendue compte que ce n'était pas un comportement facile. C'était la petite fille qui se cachait partout, qui grimpait... Elle était très difficile, et cela presque dès le début de l'année, une fois la petite gêne passée... Comme on fait toujours notre première rencontre de parents très tôt en septembre, j'ai eu les parents de ces quatre enfants-là un peu dispersés à travers les gens. Je voyais qu'ils se lançaient des coups d'oeil, mais moi, à ce moment, je n'ai jamais pensé que ça pouvait être la difficulté. Le temps a donc filé et moi, je voyais les trois autres enfants qui semblaient comprendre de mieux en mieux le français. Elle, il me semblait qu'elle ne comprenait pas. Je me disais : « Comment ça se fait que les trois autres comprennent mais qu'elle non? » Parce qu'ils venaient tous d'arriver. Ils arrivaient de l'été et on était en septembre. Bref, la petite fille avait beaucoup de difficultés et ça allait de moins en moins bien. C'était vraiment un gros cas de comportement. Elle se disputait avec les autres, elle faisait ce qu'elle voulait dans la classe. Une enfant vraiment très opposante. Les ateliers, elle ne voulait pas et si elle se montrait intéressée, dès que je lui expliquais, elle ne voulait plus. Je me disais donc que c'était la francisation qu'elle n'avait pas.

Je l'aidais le plus possible. Je faisais beaucoup de gestuelle pour qu'elle comprenne. C'est sûr que dans son oeil, on voyait qu'elle s'amusait beaucoup là-dedans. Je me suis donc fait prendre un peu, parce que dans le fond elle comprenait. Il y avait des grands bouts qu'elle comprenait... En plus, elle demandait beaucoup d'attention. Elle a voulu se sauver de la classe, il fallait que je la surveille tout le temps. À un moment donné, elle faisait souvent mal aux autres enfants, même aux autres de la Bosnie. Il y en a une entre autres à qui elle faisait assez souvent mal. Ça devenait son bouc-émissaire. On lui expliquait et on lui expliquait, mais il n'y avait pas de changements...

Un jour, le père de la petite fille qui avait des troubles de comportement est venu me voir. Il parlait difficilement le français. Il parlait des bouts de français et on avait de la difficulté à se comprendre. À ce moment, le père m'avait dit qu'eux, c'est-à-dire lui, sa femme et leur petite fille, n'étaient pas vraiment amis avec les parents des autres enfants Bosniaques parce qu'ils n'étaient pas de la même ethnie. Ils étaient, même ici au Québec, comme mis à part. Ce qu'ils avaient vécu là-bas, ils le traînaient ici... Quand tu n'es pas au fait de ça, ça surprend... Et moi qui essayais que les enfants soient amis... Je n'avais pas pensé à ça, que leur « chicane » pouvait continuer jusqu'ici. Quand le père me parlait de ça, c'était très difficile de bien se comprendre.

Vu que sa fille n'écoutait pas en classe, le père venait de plus en plus souvent à l'école et la mère ne venait plus. Il avait l'air assez dur avec son enfant, mais pas devant nous. On s'apercevait qu'elle se faisait brasser... Rendus au bulletin, ça n'allait pas mieux. J'en ai parlé à la direction et on est allé chercher de l'aide, un technicien en éducation spécialisée, parce que ça ne fonctionnait vraiment pas et ça dérangeait tout le groupe. J'ai aussi pris sur moi et j'ai demandé si ça pouvait être possible de débloquer de l'argent pour une traductrice qui pourrait venir avec moi rencontrer les parents pour qu'on se comprenne et qu'on se dise les bonnes choses. Parce que le père, quand il réussissait à me parler un petit peu, il pensait que c'était à cause de l'école que la petite était mise de côté. C'était tout ça qui était mélangé... Par un pur hasard, je connaissais quelqu'un qui m'a permis d'entrer en communication avec quelqu'un qui parlait leur langue. Je suis allée la rencontrer chez elle et, bénévolement, elle a accepté de venir avec moi rencontrer les parents. Elle m'a aussi expliqué comment ça fonctionnait pour eux, la place de la femme et tout ça. Parce que si la femme est inférieure dans leur pays, ils trimbalent ça ici aussi... Il faut savoir ces choses-là, parce que si moi dans leur culture, dans leur façon de penser, je n'occupe pas une très grande place en tant que femme, je suis peut-être plus dans l'erreur que si j'étais un homme quand je leur parle de leur fille et de ses difficultés. On a donc fait une rencontre à l'école avec les parents. La mère aussi était venue. À partir de ce moment-là, la mère est venue plus régulièrement à l'école. On a expliqué comment je voyais ça, ce que je voulais, ce qu'on voulait pour leur petite fille. La dame qui nous servait de traductrice m'avait aussi expliqué le problème serbo-croate un petit peu pour que je comprenne. À ce moment-là, je me disais : « C'est un bout de chemin qu'il nous manque quand on reçoit des enfants... » C'est vrai que quand il nous arrive des gens d'autres pays, il y a des choses qu'il serait important qu'on sache. Avoir su, j'aurais fait ça plus rapidement. Je me serais arrangée pour trouver quelqu'un ou pour pousser plus fort sur la direction pour qu'on ait tout de suite quelqu'un qui traduise. Des fois, il y a des parents qui parlent français qui viennent à l'école pour chercher le bulletin et ils n'ont pas tout saisi... En plus, si leur enfant est en trouble de comportement, ils sont insécurisés et ils veulent avoir plus de preuves. C'est donc facile d'imaginer la difficulté quand tu expliques ça à des gens qui te comprennent à peine ou presque. C'est toute une difficulté. La langue est une difficulté dans ces moments-là, je trouve. Là, la traductrice m'écoutait, elle traduisait et elle s'assurait que vraiment tout avait été compris. À partir de ce moment-là, j'ai senti un changement dans l'attitude des parents, surtout venant du père. C'est bizarre à dire, mais on aurait dit que là, il y avait comme une confiance. Lui, il pensait que je prenais parti pour les trois autres. Dans sa tête, j'étais contre eux, contre leur famille. Assez, qu'à la fin de l'année, ils sont déménagés à Toronto pour aller retrouver une partie de leur communauté. Des fois, la mère venait et les deux autres mères étaient là et elles ne se regardaient pas. Vers la fin de l'année, elles se parlaient un peu. Mais les blessures sont là...

Pour la petite, en moment donné, on s'est aperçu qu'elle comprenait beaucoup plus que ce qu'elle laissait croire et là on a mis plus de barrières. J'exigeais davantage d'elle parce qu'elle me comprenait, mais elle était opposante de nature. Elle avait été dans des camps de réfugiés où elle était la seule enfant. Quand on a parlé aux parents, ils ont pu nous expliquer tout son vécu, qu'on ne connaissait pas et qu'on n'était pas capable d'aller chercher. Ils nous ont expliqué tout le voyagement qu'ils ont fait pour venir ici, qu'elle était la seule enfant parmi les adultes, qu'elle était portée sur la main et qu'elle faisait ce qu'elle voulait, que des limites, il n'y en avait plus... Alors quand elle est arrivée avec moi en septembre et qu'il y avait des limites (tu sors à telle heure, à tel moment on fait telle chose...), elle n'avait plus le statut de petite fille adorée par tout le monde. Mais moi, ce bout-là, je ne le savais pas. Ça expliquait son comportement, mais ça ne l'excusait pas et, c'est à partir de ce moment-là qu'on a pu cadrer l'enfant davantage. Le psychologue est arrivé là-dedans. On pouvait enfin avancer et la petite a commencé à cheminer. On était rendus en février...

J'aurais aimé savoir ça plus tôt, savoir un petit peu le vécu qu'avaient les enfants que j'accueillais... Parce qu'on est prévenus que des enfants arrivent dans notre classe, mais on ne sait pas ce qu'ils ont vécu avant. Ça aurait été bien de le savoir. Les démarches, je les ai faites par moi-même parce que je savais que ça existait des traductrices. Mais est-ce que c'est moi qui dois prendre du temps sur moi pour faire des démarches? Rendus à l'hiver, je me suis dit : « Prête à prendre une demi-journée de mon temps, je dois aller rencontrer quelqu'un pour qu'il me dise ce que je dois faire pour aider cette enfant-là. » J'avais déjà eu dans d'autres classes des enfants Arabes et j'ai déjà eu des petits Chinois. C'est tout à fait différent la culture. C'est important de savoir la culture parce que quand on le sait, il y a des choses qu'on fait et d'autres qu'on ne fait pas. Il y a des choses qui vont passer avec des Québécois et qui ne passeront pas ailleurs. Si dans la culture le petit garçon est sur un piédestal, ça ne sert à rien de lui dire de ne pas faire ceci ou cela. Mais quand tu es au fait de cela, tu réagis autrement. Par exemple, je dirais : « Maintenant, allons voir la famille. Qu'est-ce qu'ils peuvent m'apporter qui m'aiderait à mieux intervenir avec leur enfant? » Je trouve que quand tu as des enfants en trouble de comportement, c'est bon d'aller voir les parents à l'automne et de leur dire : « On se parle. » On rencontre les parents et on leur demande : « Avez-vous quelque chose à me raconter qui m'aiderait pour votre enfant? » Ça, ça m'aurait aidée... Je me serais prise autrement dans mes interventions, peut-être. J'y serais allée plus graduellement. Les parents m'auraient dit qu'elle avait eu un peu de cours de français, alors j'aurais compris plus vite qu'elle faisait semblant de ne pas comprendre. Je me serais dit : « Là, c'est parce qu'elle me joue, ou c'est parce qu'elle est entêtée, ou parce qu'elle ne veut pas... » Moi, je pataugeais et je cherchais des solutions. J'ai l'impression que j'ai perdu du temps... Parce qu'en juin, c'était plaisant. Elle avait encore des moments d'opposition, mais c'était beaucoup moins fréquent. Elle commençait à avoir des amis, parce qu'avant tout le monde la rejetait. Elle, elle arrachait les affaires aux enfants et elle les gardait, elle volait des choses... Encore une fois, avoir su, j'aurais pu intervenir auprès des autres pour expliquer ce qui s'était passé. Ça été fait, mais beaucoup plus tard. Je trouvais ça un peu désolant...

Mais de tout ça tu apprends. Je sais maintenant que si ça arrivait aujourd'hui, demain, je réagirais tout de suite. Je sauterais dedans. Je saurais quoi demander à une direction d'école, je saurais quelle ficelle aller tirer pour aller chercher des gens. J'irais chercher quelqu'un pour qu'on se comprenne avec les parents, qu'on se dise les bonnes choses tout de suite et non pas dans trois ou quatre mois. Comme ça, on éviterait qu'à tous les jours ça ne marche pas et que je dise aux parents : « C'est difficile » en deux ou trois mots et qu'ils me regardent sans comprendre ce que je dis. J''ai appris beaucoup de tout ça. Les enfants, quand c'est seulement un problème de langue, je trouve que c'est très rapide. Ils apprennent rapidement à cet âge-là. Ça ne devient plus une barrière. Ils glissent là-dedans et ce n'est pas long. Mais là, avant qu'on s'aperçoive que ce n'était pas seulement ça le problème et qu'elle en savait beaucoup plus en français que ce qu'elle nous laissait croire... Après, quand elle a vu que nous, on changeait d'intervention avec elle, elle a compris. La psychologue aidait aussi les parents et on leur a donné des façons de faire avec la petite. Là, ils ont compris parce qu'on leur expliquait pourquoi on leur demandait d'agir d'une telle façon, ce qu'ils ignoraient avant. On leur a expliqué ce qui se passait avec les autres enfants, que ce soit les petits qui sont arrivés en même temps qu'eux ou les autres enfants de la classe. On leur a expliqué quel comportement elle avait, qu'est-ce qui faisait qu'ils la repoussaient et qu'elle, elle tapait encore plus fort. Après elle était plus tolérante.

Donc, en fait, si l'enfant a seulement un problème de langue, ça va rapidement, mais si le problème de langue est lié à autre chose, ça double ton problème. Elle, c'était vraiment du comportement. Il y avait quelque chose d'opposant, il y avait des choses à travailler. On s'est aperçu que ce n'était pas seulement la langue. Au début, on croyait que c'était la langue parce que c'est frustrant de ne pas comprendre. On mettait un petit peu ça là-dessus. On essayait les explications les plus rapides. Ça se peut qu'un enfant ce soit plus long... Ils n'apprennent pas à la même vitesse... C'est peut-être parce qu'elle ne comprend pas, ça la frustre... Est-elle enfant unique? Mais après la psychologue est rentrée là-dedans et elle l'a fait venir dans son bureau. On s'est aperçu qu'elle comprenait vraiment beaucoup plus en cheminant dans l'année... Son petit jeu, on l'a arrêté.

À la fin de l'année, c'était en bonne voie de se régler complètement. Elle avait un dossier et l'aide aurait continué en première année. Mais ils ont déménagé. Ils sont partis. Le monsieur continuait ses cours de français, donc ça allait beaucoup mieux et la dame a commencé à en suivre... Avec les autres hommes, les papas des trois autres enfants, il y avait eu des chicanes aussi. Ça continuait encore... Nous, ce n'était plus de notre ressort. C'était vraiment une guerre interne et peut-être que pour eux c'était mieux de quitter.