© Audet, G. (2006).

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TITRE: ANECDOTES

J'ai enseigné à la maternelle pendant trente-cinq ans. Maintenant, je suis à la retraite. J'ai été dans les pionnières, les premières classes de maternelle de la région de Québec. Je vais parler d'un enfant que j'avais reçu autour de l'année 1975. Dans les importés que j'ai eu dans mes différentes classes au fil des ans, il fut le pire de tout. Son père était Algérien et sa mère était Française. Le père était journaliste et je pense que la mère aussi. Le petit bonhomme, il était beau « comme un cœur », mais c'est un enfant qui ne savait pas comment se faire aimer. C'était toujours plus flagrant quand son père partait, car il avait souvent à aller à Montréal, et peut-être ailleurs aussi. Je sais qu'il se gardait tout seul cet enfant-là. Il faisait des choses dans la maison et des fois les parents n'étaient pas là. C'était un enfant qui était attachant : belle petite figure, cheveux noirs.

À chaque fois que le père partait, je le savais. Dans la classe, il n'était « pas du monde ». Il était tannant, il arrachait les cheveux, il baissait ses culottes, il mordait, faisait des grimaces, toutes sortes d'affaires pour « énerver » tout le monde. Mais quand son père était à la porte de la classe, il était adorable. Moi, de mon côté, j'ai tout essayé : l'affection, l'amour, la discipline, le compliment... Comme les deux parents étaient souvent absents, ce pauvre petit, on voyait bien qu'il était laissé à lui-même. Il ne devait pas être content de ça, d'être toujours tout seul. Alors j'essayais, je lui disais : « Viens avec moi », « Tu es gentil », tous les petits mots qu'on peut dire à un enfant pour le rassurer et le valoriser... Mais il avait quand même arraché les cheveux d'un autre enfant. On avait gardé la poignée de cheveux pour la montrer au directeur et au parent. Moi, je l'avais dit au père : « À chaque fois que vous partez, je m'en aperçois. » Mais il n'avait pas dit grand-chose. Ces gens-là étaient probablement de passage au Québec. On les a perdus de vue tout de suite l'année suivante. C'est sûr qu'ils devaient aimer leur enfant, mais je ne sais pas jusqu'à quel point ces parents-là privilégiaient leur carrière dans tout ça. J'ai tout essayé pour cet enfant-là. Je l'aimais bien, sauf que son comportement n'était pas régulier. Je suis même, à un moment vers le mois de février, allée voir le directeur et je lui ai dit : « Si cet enfant-là ne s'en va pas, c'est moi qui pars. » Finalement, je l'ai eu toute l'année. On n'est pas parti ni l'un ni l'autre. Par contre, je ne peux pas dire que j'ai réussi. Quand j'enseignais, j'avais comme philosophie d'essayer de gagner mon point par moi-même, de réussir... « Il faut que je réussisse », c'est ça que je me disais. Il faut dire aussi que dans ce temps-là, on n'avait pas nécessairement autant de moyens qu'aujourd'hui. On n'avait pas d'orthopédagogue; on avait peut-être un psychologue, mais c'est tout. Cet enfant-là a été un défi pour moi. Je l'ai gardé toute l'année, mais ce fut l'enfer toute l'année. Je le disais au père, pourtant, que je m'en rendais compte quand il partait... En plus, quand j'ai su que ça lui arrivait d'être tout seul à la maison... Un enfant de cinq ans, tu ne peux pas laisser ça tout seul!

J'aimerais savoir ce qu'il est devenu. Si je le voyais à la télévision, je ne sais pas ce que je ferais, parce qu'il y a beaucoup d'enfants que j'ai eu à la maternelle qui, maintenant, passent à la télévision. Je ne sais pas si je ne ferais pas des démarches pour le revoir... Par contre, c'est certain que je n'oublierai jamais son nom : Sam. S'il a suivi ses parents et qu'il a été plus guidé par eux, tout doit être correct. C'est un enfant qui était brillant, qui avait un beau langage. Ces importés-là, ils te fascinent toujours parce qu'ils parlent très bien, un peu à la française et ils ont beaucoup de vocabulaire... C'est sûr que je l'aimais cet enfant-là, quand il était gentil. Mais son problème, c'était quand ses parents n'étaient pas là. C'était l'absence des parents qui causait cette réaction-là de l'enfant : mordre, arracher les cheveux, donner des coups de boîte à lunch, baisser ses culottes... Je ne pense pas qu'il soit mal tourné. On voyait bien que c'était un enfant qui avait besoin d'affection, de discipline et de la présence de ses parents. C'est certain que c'était sa grosse lacune.

J'ai aussi eu une petite fille anglaise. Elle, ce n'était pas un problème de comportement; elle, elle était mystérieuse. C'est une enfant qui toute l'année m'a parlé tout bas, à l'oreille. Elle me disait des petits mots en français. Elle était gênée et elle ne parlait qu'à moi. Pendant la causerie, elle ne disait rien. Et quand elle est arrivée en première année, c'était la première de classe. Elle s'appelait Cindy.

Elle ne voulait pas parler, mais elle a « capté » le français puisqu'elle est arrivée en première année et elle était première de classe. Moi, je ne suis pas le genre à la bousculer. Pauvre petite! Elle arrivait dans tout ce monde-là qui ne parlait pas anglais. Elle était toute seule qui parlait en anglais. C'est pour dire que ça enregistre les enfants. Toute l'année, elle excellait en dessin, tout était parfait sauf qu'elle avait cette réserve-là. Elle ne parlait pas du tout, du tout. Elle parlait juste un petit peu. Elle venait me trouver à l'oreille, elle me disait des petits mots et tout à coup, en première année, elle a fait tous ses travaux et elle était première de classe. C'était correct pour moi, mais des fois, ces enfants-là, j'admets que c'est des enfants embêtants. Je détestais référer des enfants à la maternelle, parce que j'avais comme principe qu'à la maternelle, c'est sûr qu'on peut détecter des choses, on peut avertir, mais pas référer... À mon avis, il faut laisser l'enfant et, après la maternelle, le référer... J'étais « anti » classe spéciale. Par exemple, un enfant immature, pas prêt à aller en première année, je ne l'aurais pas envoyé dans une classe spéciale. Je l'aurais gardé dans ma classe, peut-être le changer de classe de maternelle. Moi, j'avais bien de la misère avec ça les classes spéciales et les référer. Ça me faisait de la peine pour l'enfant et pour les parents. Mais des fois il fallait que je le fasse, même si je n'étais pas le professeur qui avait une facilité à référer. Parler de mes enfants avec le psychologue ou l'orthopédagogue, ok, mais les envoyer ailleurs, ça me faisait quelque chose. Je ne voulais pas les mettre sur la « black list » tout de suite. Par contre, je ne dis pas que je ne le faisais pas. Des fois, tu as d'autres intervenants qui le veulent, mais dans mon for intérieur, pour ce qui est de la maturation, moi j'aurais fait faire deux maternelles.

Il y a un autre enfant dont j'aimerais parler. Il s'appelait Jési. C'est un enfant d'une autre culture... Il était oriental, mais je ne sais pas si c'était Vietnamien... C'était un « bolé », mais en maternelle, il était taquin. Il avait « du fun » à taquiner, mais il n'acceptait pas qu'on lui rende la pareille. En même temps que lui, il y avait un autre enfant, Tom, et lui, « ça passait par là ». « te-toi de là! », « Touche-moi pas! »... Pas besoin de dire que les deux ne s'entendaient pas du tout. À un moment donné, la mère de Jési venait d'accoucher d'un autre enfant et elle a fait un genre de petite dépression. Jési était son premier enfant qui venait à la maternelle et elle était comme prise au dépourvu parce qu'il y avait des conflits avec Tom. Moi, je l'ai prise en pitié. Elle venait d'accoucher, pauvre petite, et son premier avait des problèmes à la maternelle! Je la comprenais, alors je lui ai donné mon numéro de téléphone, chose que je n'aurais jamais dû faire. Elle m'appelait « à tour de bras ».

À un moment donné, il a fallu qu'on sépare les deux enfants. Il a fallu que Tom laisse ma classe pour aller dans l'autre classe de maternelle. Comme les deux classes étaient voisines, quand il y avait des jeux libres, on laissait les portes des classes ouvertes et Tom avait le droit de venir dans ma classe pour voir ses copains. On faisait ça pour ne pas que ça soit trop dur. Quand on a pris la décision avec la directrice, la mère de Tom et Tom, il a dit une phrase que je n'oublierai jamais. Il avait dit, en parlant de Jési : « Il est le feu, je suis l'eau et je veux l'éteindre ». Il demandait aussi pourquoi c'était lui qui avait à changer de classe et pas Jési. Ça nous a fait réfléchir, nous les adultes, mais la directrice avait décidé que c'était Tom qui changeait de classe. J'ai l'impression qu'on aurait eu beaucoup plus de problèmes avec la mère de Jési. Moi, je pensais que la mère de Jési ne voulait pas qu'il change de classe. Tom, il a toujours été difficile et je sais qu'à l'adolescence il l'a été avec sa mère. Ses parents avaient divorcé. Tandis que Jési, il accumule les succès scolaires. Il est rendu en secondaire 5 et sa moyenne est de 98%. C'est toujours un premier de classe... Dans cette famille, ils sont éduqués, c'est raffiné. Ils parlent bien, ils ont des beaux succès. Ils ont été longtemps sans télévision. Une belle famille. Le père était oriental et je pense que la mère était Québécoise.

Dans cette histoire, Jési n'était pas méchant. C'est Tom qui était plus mauvais. Probablement que c'est pour ça qu'on a opté pour que ce soit Tom qui change de classe, avec la permission de l'autre professeur. Jési, ce n'était pas un enfant à problème. C'était juste un problème de comportement envers Tom. Il aimait taquiner, il aimait rire, et Tom n'aimait pas ça. Moi, j'intervenais tout le temps. « Jési, tu connais Tom ... » Mais il fallait aussi que Tom apprenne à accepter la taquinerie. S'ils avaient le malheur de rester quelques minutes dehors on savait qu'il y avait toujours un problème. Tom, il a été comme ça longtemps après. Il avait toujours des problèmes dans la cour de récréation. C'était le petit « boss », le petit gueulard... Pauvre petit Jési!

De l'expérience avec Sam, j'ai appris la persévérance. On a travaillé fort et on n'a pas lâché ni l'un ni l'autre, ni le directeur d'ailleurs. Probablement que l'absence des parents jouait... Peut-être qu'ils l'aimaient, mais ils étaient toujours absents. Il avait besoin d'amour cet enfant-là, de l'amour de ses parents. En plus, il arrivait dans un milieu nouveau. Il arrivait de la France. Les parents s'étaient trouvé un emploi et c'était ça qui était important pour eux. Leur carrière était plus importante.

À propos de la situation avec Jési et Tom, je pense qu'avec ces deux-là, j'ai été assez clairvoyante. On le savait, le problème. On essaie toujours de raisonner les enfants; on essaie de leur apprendre à accepter l'autre, mais c'est de plus en plus difficile. Maintenant, les enfants c'est toujours « à la va comme je te pousse ». Je trouve que plus ça va, moins il y a de respect dans la société, et pourtant, c'est une valeur que tout le monde devrait travailler à remettre au premier plan. Le respect, ça règlerait bien des choses. Dans les débuts de mon enseignement, on voyait le respect. Les parents nous respectaient. Si un parent n'était pas d'accord avec toi, il venait te le dire. Aussi, quand j'ai travaillé dans une autre école, j'avais affaire à des parents qui ne travaillaient pas. J'ai vu la différence chez les enfants. C'était beaucoup plus ordonné, plus posé. On voyait que l'enfant était accueilli chez lui. En trente-cinq ans de carrière, j'ai eu le temps d'en voir des choses... Je me souviens d'un enfant unique qui était venu me voir et qui m'avait dit : « Maman a pris congé aujourd'hui pour que je reste avec elle ». Moi, quand j'étais petite, c'était l'inverse. Si j'avais à dîner à l'école une journée, j'étais toute heureuse. Les mamans qui restent à la maison, c'est ça qu'il faudrait valoriser. Moi je n'ai rien contre la mère qui travaille, mais ça paraît chez les enfants. Je l'ai vue la différence. La maison vide, la clé dans le cou, ce n'est pas pareil!