© Audet, G. (2006).

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TITRE: UN NOUVEAU MONDE

Il y a maintenant trois ans que j'ai terminé mon baccalauréat. À ce moment, j'étais « bien difficile » sur le genre de classe que je désirais : je voulais enseigner en maternelle, sur la Rive Nord de Montréal, avec une clientèle « québécoise », pas trop favorisée, pas trop défavorisée... Cela fait maintenant six mois que j'enseigne en maternelle. Quand on m'a offert ce contrat, on m'a premièrement dit que c'était une maternelle quatre ans. Déjà, j'aurais aimé mieux cinq ans, mais je me suis dit : « C'est correct ». On m'a ensuite annoncé que c'était dans un quartier très très défavorisé. Je me suis dit : « Ouin... » Après ça, on a ajouté que c'était une classe allophone, donc que les élèves ne parlaient pas français. Les bras me sont tombés, mais je me suis dit que j'allais quand même aller voir.

Il faut dire que j'ai une amie qui, lors de son dernier stage, avait choisi une classe de maternelle allophone. Elle avait « survécu » pendant deux semaines et elle m'avait dit : « Ça n'a « pas de bon sens ». Tu leur dis n'importe quoi, ils ne comprennent pas. Ils ne comprennent rien. Tu as beau leur dire de faire ceci ou de faire cela, ils ne le savent pas. » Alors quand on m'a dit allophone, je voyais ça comme une montagne parce que je ne l'avais jamais vécu en stage et que je n'avais jamais fait de suppléance dans une classe allophone. Je n'avais aucune sécurité. Moi, j'ai besoin de savoir où je m'en vais et les classes allophones, c'est un peu comme un monde à part. On n'en a pas discuté dans mes cours. On a eu un cours sur les pluriethnicités, mais le problème de la langue n'était pas abordé. C'est une des nouvelles réalités dans l'enseignement. Moi, je n'ai pas fait mes études en français langue seconde, mais en enseignement au primaire. Sauf que ce qui arrive c'est que les enfants qui sont dans ma classe ont quatre ans et que les maternelles d'accueil sont prévues pour les enfants de cinq ans. Ils ne peuvent donc pas y aller parce qu'ils sont trop jeunes. J'ai ces enfants-là, mais je fais la même chose qu'un enseignant qui est dans une classe d'accueil. C'est exactement pareil. Il ne savent pas parler français et moi je dois me débrouiller, mais je n'ai pas étudié là-dedans. Oui j'ai des notions de base en enseignement, mais ce n'est plus pareil une classe allophone. On ne parle pas de la même chose.

Au téléphone, la directrice de l'école m'avait dit qu'il y avait une enseignante-ressource à l'école et qu'elle venait animer une fois par semaine dans ma classe. Ça me donnerait donc un peu d'appui. Aussi, comme on était déjà rendu au mois de février, ça m'a sécurisée. Je me suis dit que rendus à ce moment dans l'année, ils devaient quand même être un peu organisés et avoir appris quelques mots. En plus, en venant passer une journée d'observation à l'école, ça m'a mise plus en contexte.

Dès que je suis entrée dans l'école, ça a tout de suite cliqué. Comme il y a seulement des classes de maternelle, on dirait que c'est un autre univers. Ce n'est pas comme une école normale où il y a tous les niveaux. L'atmosphère est particulière. Des fois, tu entres dans un endroit et tu n'aimes pas l'ambiance. Là, je suis entrée et j'ai trouvé ça très très coloré. Il y avait beaucoup de travaux d'enfants affichés, des dessins très colorés. Le quartier aussi m'a plu. La directrice m'a accueillie et c'était très chaleureux. Elle s'est occupée de moi et elle m'a présentée aux autres enseignantes. Elle ne m'a pas dit : « Tu montes au deuxième étage, le professeur est là, tu te présenteras. » Quand je suis arrivée dans la classe, il y avait l'enseignante et une autre qui était venue faire l'animation. Je trouvais qu'il y avait beaucoup de collaboration et un bel accueil.

J'ai donc pris le contrat et, jusqu'à la fin de l'année, c'était correct. Toutefois, je craignais le début de l'année suivante. Certes j'avais déjà l'expérience, mais je n'avais pas vécu un début d'année. J'étais arrivée en cours d'année; les enfants savaient déjà parler un peu et ils comprenaient assez bien. Parce que du mois de septembre au mois de février, ils apprennent énormément. Il y a une grande différence. J'avais donc beaucoup d'inquiétude, mais je me suis dit : « Je suis capable ». Finalement, je l'ai vécu et c'était mieux que je pensais. On dirait que j'imaginais ça pire que c'était. Je m'imaginais toute seule avec plein d'enfants qui me regardent avec des yeux « en points d'interrogation ». J'essaie de dire des mots et je vois que personne ne comprend. Mais dans le fond, les enfants sont plus brillants qu'on pense. C'est beaucoup plus facile que je l'imaginais au départ et pour rien au monde je ne changerais. Je n'irais pas sur la Rive Nord, comme je souhaitais le faire avant.

Le problème ici c'est que les parents ne parlent pas français et les enfants non plus. C'est un milieu très défavorisé, mais c'est normal parce que ceux qui y habitent arrivent de leur pays et ils ont tout laissé là-bas. Ils viennent ici et, règle générale, ils sont pauvres, mais ils sont très éduqués. La majorité sont Pakistanais et Indiens et je trouve que ce sont des gens pour qui les valeurs familiales et l'éducation sont importantes. Les enfants sont respectueux, chose que, selon moi, on perd au Québec. Je pense aussi que ça prend beaucoup de courage pour faire ce qu'ils ont fait, c'est-à-dire partir de leur pays. Ce sont des personnes qui sont très intelligentes. Il faut qu'ils soient ouverts d'esprit parce que ce n'est pas n'importe qui qui fait le saut. C'est quand même un bon bout de chemin. Donc c'est des gens qui ont des belles valeurs et qui ont du courage. Quand ils s'expriment en anglais, c'est d'une façon correcte et respectueuse. Je me sens respectée par les parents. Je ne sais pas comment l'enseignant est vu et respecté dans leur pays, mais je trouve que la relation avec les parents est facile. Ce sont des gens qui sont polis et moi j'adore ça. Je ne sais pas comment ça se passe dans un quartier où il y a plus d'asiatiques; j'imagine que ça peut être très différent. Avec des Haïtiens, ça doit être autre chose aussi. Nous c'est plus des gens du Moyen-Orient et ce sont des gens vraiment respectueux. Et ça se reflète chez les enfants. J'ai des enfants très polis et ça paraît qu'à la maison c'est les parents qui décident. Ce ne sont pas des enfants-rois.

De plus, travailler ici, ça m'a beaucoup ouvert les esprits. En enseignement, tu te fais une idée de la manière dont les enseignants doivent agir, les activités qu'ils doivent faire avec les enfants. On a une image du fonctionnement qui devrait y avoir. Ici, oui les enfants sont différents, mais les enseignants aussi. Il y a une enseignante Haïtienne, une Espagnole... Il y a des enseignants qui viennent de plusieurs milieux et qui ont une façon différente d'enseigner. Je trouve que c'est plus ouvert ici, dans le sens que tu peux essayer quelque chose et ne pas te sentir jugée, et cela autant par les parents que par les collègues. Dans un quartier typiquement québécois, c'est plus rigide. C'est sûr que quelques fois il faut que tu laisses tes valeurs et tes convictions de côté quand c'est des gens très différents, parce que c'est une autre façon de voir les choses. Mais je pense qu'il y a moins de jugement. De mon côté, je ne juge pas les enfants. Des enfants, c'est des enfants. Un enfant, ça essaie des choses, ça se développe... qu'il soit d'une culture ou d'une autre. Je trouve que c'est le même processus de développement, mais c'est sûr qu'ils ont déjà appris certaines choses de leur culture. Peut-être que si c'était une autre culture, ça « collerait » moins, mais là, je trouve que c'est vraiment bien.

C'est sûr qu'avec des Québécois, ça ne serait pas le même contexte. Par exemple à l'Halloween, tous les enfants seraient là. Alors que là, il y a une Haïtienne pour qui il n'était pas question de se déguiser ni de se maquiller. Le parent a également décidé de ne pas l'envoyer à l'école cette journée-là. C'est des réalités avec lesquelles je dois composer. L'idée c'est peut-être plus d'envoyer des communications disant que tel jour il y aura une fête et que nous ferons telle chose. Alors si le parent ne se sent pas à l'aise ou qu'il ne veut pas parce que ce n'est pas dans leurs coutumes, il n'est pas obligé d'envoyer l'enfant. Souvent, les parents viennent le dire. Aussi, au dîner, il y a des enfants qui ne peuvent pas manger de viande. Je ne connais pas toutes les coutumes, mais ils ont plusieurs temps dans l'année où ils ne peuvent pas manger de viande, ou ne pas manger de viande saignante. Il y a d'autres enfants à qui on ne peut pas toucher la tête. Parfois, c'est difficile parce que quand je vois des enfants, j'ai envie d'avoir des gestes d'affection envers eux, mais des fois il faut que je me retienne.

Toutes ces choses, je les ai apprises en discutant avec les autres enseignants et avec l'éducatrice avec qui je partage mon groupe et qui a beaucoup d'expérience. Avec le temps, il y a des parents qui sont venus la voir pour lui dire : « Je n'aime pas ça quand tu fais cela à mon enfant », « Je ne veux pas... ». Elle m'a donc dit par exemple : « Ne fais pas ça parce que l'an dernier il m'est arrivé telle situation... » C'est avec l'expérience des autres qu'on apprend ou encore quand le parent vient nous le dire directement. Sinon, si le parent ne te le dit pas et que les autres non plus, tu composes avec ce que tu penses que tu peux faire. Je crois aussi qu'il y a des parents qui se disent : « Ça, je vais laisser passer, elle ne le sait pas », « Je lui dirai une autre fois », « Ce n'est pas si grave que ça, on va faire avec »... Il faut qu'ils soient assez ouverts d'esprit pour se dire que c'est d'autres gens, donc, d'autres façons de faire et que les enseignants ne savent pas nécessairement que c'est important pour eux. J'y vais avec mon jugement et je ne prends pas de chances. Il y a aussi des choses que je me retiens de faire parce que j'imagine que ça ne sera pas apprécié.

Par exemple, des fois je veux faire des blagues. J'aime bien faire des rimes avec le nom des enfants. Il y a des parents qui le prennent bien, mais je sais aussi quel parent est plus ouvert. Il y a des parents que je vois presque tous les jours et je le vois qu'ils s'intègrent bien à la communauté et qu'ils trouvent ça drôle. Il y en a d'autres qui sont plus stricts. Mais des fois c'est difficile, parce que je trouve que ça met une barrière. C'est tout le temps les mêmes enfants qui ont l'attention... Il y a même des fois où je me retiens d'avoir une complicité avec les enfants avec qui je peux le faire pour ne pas que d'autres enfants ne se sentent pas concernés et délaissés. Je vais chercher d'autres façons de créer des liens avec ces enfants, mais c'est moins drôle. Ça dépend de l'enfant aussi. Il y en a avec qui je me permets des choses et d'autres, non. Si l'enfant est gêné et que je vois que ça l'intimide, je ne le ferai pas.

Pour ce récit, j'ai choisi de raconter deux situations. Voici la première.

À la fin de la journée, je surveille aux autobus. L'éducatrice avec qui je travaille, c'est-à-dire celle avec qui je partage mes deux demi-groupes, s'occupe d'amener les élèves « piétons » de nos deux groupes dehors afin que les parents les prennent. Le premier mois j'étais avec elle, mais pour le mois d'octobre, j'allais aux autobus. Elle avait donc trois de mes élèves de l'après-midi à amener dehors. Elle les connaît très bien mais les parents, elle ne les avait pas vus nécessairement souvent. Elle s'occupait plus des siens pendant le mois de septembre. Là, on était au début du mois d'octobre. Ça faisait trois ou quatre jours que je n'étais plus avec elle. Elle n'avait peut-être pas porté une attention particulière à ce parent-là. Quand ça fait un mois, habituellement, les enfants sont rendus très autonomes. Ils savent qu'il faut qu'ils restent avec l'éducatrice. Cette journée-là, quand elle est arrivée dehors, il y a un enfant, (qui a l'habitude de partir tout de suite parce que son père l'attend toujours dans le fond de la cour), qui s'est dirigé vers le fond de la cour mais elle ne l'a pas vu. Il est très discret. Cette fois, le père n'était pas là. Au lieu de se dire : « Je vais attendre, papa n'est pas là » et de revenir avec l'éducatrice, il a continué sa route. C'est un enfant qui est un petit peu « dans la lune », et il est parti. Quand le parent est arrivé, il nous a mentionné qu'il avait été tout le temps dans le fond de la cour et qu'il n'avait pas vu son garçon. Mais ce n'est pas vrai : il est souvent en retard et s'il avait été dans le fond de la cour, il l'aurait vu. L'enfant se dirige toujours à la même place.

Le père est donc venu voir Claire, l'éducatrice, et il lui a demandé où était son enfant. Elle, elle pensait l'avoir vu partir avec quelqu'un qu'il connaissait bien, alors elle lui a dit cela. Mais en y repensant bien, peut-être qu'elle ne l'a pas vu partir. C'est possible qu'il se soit faufilé. Je ne peux pas savoir exactement ce qui s'est passé parce que je n'étais pas là. Le parent disait : « Non, non, j'étais dans le fond de la cour », mais ce n'est pas vrai, il n'était pas là. Je n'étais pas sur place non plus, mais, connaissant bien le parent, je pense qu'il n'était pas dans le fond de la cour, sinon l'enfant l'aurait vu. Tous les autres parents sont au début de la cour. Ils attendent tous leur enfant et lui, il est plus loin alors on le voit très bien. Je serais très surprise qu'il ait été là et qu'il n'ait pas vu son enfant se diriger vers le fond de la cour d'autant plus qu'il n'y a personne près de lui et que l'éducatrice sort souvent la première.

Donc l'enfant est parti et le père est arrivé. Il était très très fâché quand il est venu voir Claire. Il lui a demandé où était son enfant. Elle est donc entrée dans l'école. Comme je surveillais aux autobus, elle a attendu que je sois de retour et là, elle m'a dit : « J'ai perdu Hassan». À ce moment, le père n'était pas avec elle. Il était dehors en train de chercher. Dès que je l'ai su, j'ai cherché partout dans l'école. J'ai vérifié dans l'école mais je supposais bien qu'il n'y était pas. Il ne serait pas revenu pour rien. Lui, il s'est dit : « À tous les jours je me dirige vers mon père ». Il s'est rendu dans le fond de la cour et, le connaissant, il s'est dit : « Il n'est pas là, je vais continuer ma route. Je vais m'en aller chez nous ». En plus, il n'est pas « malcommode », donc il n'est pas du genre à jouer à la cachette. On a quand même fait le tour de l'école. De toute façon, c'est ce qu'il faut faire. Il n'était pas dans l'école. Ensuite, je me suis dirigée à l'extérieur pour aller voir dans la cour de récréation. Je n'ai pas vu les parents à ce moment-là. Je ne sais pas où ils étaient partis mais je ne les ai pas vus. Je suis aussi allée voir dans le parc à côté de l'école et après je suis revenue dans l'école pour faire encore le tour. Peut-être qu'il avait oublié quelque chose...

Tout ça s'est passé très vite. C'est paniquant de perdre un enfant de quatre ans. Je ne me sentais pas vraiment mal puisque c'était la responsabilité de Claire à ce moment-là, mais il reste que c'est un de mes élèves. Je suis l'enseignante donc c'est un problème que je dois régler. Après être retournée vérifier qu'il n'était pas aux toilettes ni aux casiers, je suis sortie dehors. C'est là que j'ai vu les parents. Ils étaient tous les deux, parce qu'initialement la mère attendait dans la voiture, et ils étaient très très fâchés. Je leur disais : « Je comprends », mais en plus c'était en anglais et moi je ne m'exprime pas très bien en anglais. Ils me menaçaient. Ils me disaient que c'était ma responsabilité et qu'ils allaient faire une plainte. Je leur ai dit : « C'est vrai que c'est notre responsabilité d'une part, mais c'est aussi la vôtre en tant que parent. Vous avez la responsabilité d'être à l'heure à l'école et vous avez la responsabilité de vous approcher pour prendre l'enfant. Si vous restez toujours dans le fond de la cour, c'est évident que votre petit enfant va avoir de la difficulté à se retrouver. Ce n'est pas pour rien qu'il y a des parents qui sont près de la porte. C'est parce que quand l'enfant sort, ils veulent le prendre tout de suite ».

Je pense que le message a passé, mais d'un autre côté, je sais qu'il continue d'être dans le fond de la cour et d'arriver en retard. J'ai l'impression qu'ils ont compris qu'ils avaient une part d'erreur, mais qu'ils ne l'appliquent pas. Il faut dire que Claire, le mois où elle est toute seule, elle a environ douze enfants. Il faut qu'elle sorte, qu'elle tienne la porte, qu'elle leur dise de ne pas aller trop loin, qu'elle garde les enfants et que presque un à un, au compte-goutte, elle leur dise qu'ils peuvent y aller. S'il y a un enfant qui se faufile, elle ne peut pas tout voir. Elle est seule pour gérer tout cela. Ce n'est pas évident en plus d'expliquer aux enfants dans une autre langue qu'ils doivent dire : « Maman est là, je m'en vais » avant de s'en aller. C'est difficile, surtout au début de l'année.

Les parents sont donc partis en voiture faire le tour du quartier. Claire et moi, nous sommes allées rencontrer la direction pour mentionner le problème. En début d'année, c'est une situation qui arrive, alors la directrice est habituée. Il faut éviter à tout prix des situations comme celle-là, mais ça arrive. La directrice ne m'a pas engueulé du tout. Elle nous a dit de faire attention. Mais en même temps, je n'étais pas sur place. J'ai une part de responsabilité parce que je suis son enseignante, mais je n'étais pas là et c'est difficile à gérer.

Finalement, les parents l'ont retrouvé deux ou trois rues plus loin. Le père est revenu à l'école quand nous parlions de la situation avec la directrice. Il l'a vue et il était vraiment fâché. Il voulait que la directrice nous punisse. C'est vrai que le père est d'une autre nationalité et je pense que la femme n'est pas aussi bien traitée. Il voulait qu'elle soit vraiment agressive envers nous, mais elle nous défendait. Lui, il avait de la difficulté à accepter cela. La directrice avait été très gentille et très diplomate. Elle lui avait expliqué que c'était en partie de notre faute et que nous n'étions pas fières du tout, qu'on ne riait pas de la situation, mais que c'était un accident et que ce sont des choses qui peuvent arriver. Il en arrive plein d'accidents. Elle avait aussi dit que c'était à lui, le père, de nous aider et d'expliquer à son enfant de l'attendre, parce que nous, même si on l'explique, on ne sait pas si l'enfant comprend. Pourquoi dans ce cas-là le parent, dans sa langue, ne lui expliquerait pas la situation et les raisons pour lesquelles on lui demande ça? À cela, le père répondait que ce n'était pas la faute de son enfant, qu'on ne mettrait pas la faute sur son enfant. Mais nous, on ne mettait pas la faute sur l'enfant, on lui demandait seulement d'expliquer à l'enfant pour ne pas que ça arrive une autre fois et pour qu'il comprenne ce qu'on demande. Il voulait bien le faire, mais c'est un peu comme s'il avait aussi voulu qu'on l'attache avec une corde et qu'on le retienne. Donc des fois, c'est des sous-entendus. Ce n'est pas facile non plus parce qu'il parlait plus ou moins anglais et nous aussi. Dans le fond, il voulait qu'on accorde de l'attention à son enfant et qu'on le surveille plus parce que c'était son enfant à lui. Finalement, le père a dit que cette fois-ci, ça allait, mais que la prochaine fois, ça ne passerait pas. Le sous-entendu de cette phrase, je ne le sais pas...

Les deux premiers jours de la semaine suivante, le père était près de la porte. Le troisième jour, il n'était pas là. Claire a regardé ce que faisait l'enfant. Il s'est dirigé vers le fond de la cour et il a continué sa route, sauf que là, elle est allée le rejoindre tout de suite. Elle ne l'a pas laissé continuer. Elle le surveillait pour voir ce qu'il faisait : est-ce qu'il attendait dans le fond de la cour réellement ou s'il continuait le chemin? Il s'en allait continuer le chemin. Elle est allée le reprendre et le père est arrivé en retard. Je le sais qu'il est arrivé en retard parce que Claire est venu me reconduire Hassan. Comme j'avais fini aux autobus, c'était ma responsabilité de continuer d'attendre le parent. L'enfant était à ma charge. Donc elle est venue me reconduire Hassan et j'ai attendu le père, qui est arrivé par l'entrée principale de l'école. Il est arrivé en retard. Moi j'avais l'enfant. Il dit qu'il est toujours à l'heure, mais ce n'est pas vrai. Je ne lui ai pas dit qu'on avait surveillé pour savoir ce que l'enfant allait faire, je ne voulais pas créer de conflit. La dernière fois, il y avait eu beaucoup d'agressivité et je ne voulais pas revivre ça nécessairement. Après cette fois, je sais que le père attendait tout le temps dans le fond de la cour. Les premiers jours, il s'avançait mais il a vite repris ses habitudes.

La semaine où c'est arrivé, j'étais « super mal ». Quand je voyais les parents le matin, je me disais : « Mon Dieu! ». Je sentais une pression. Finalement, ils sont quand même souriants et ils ne m'ont pas reparlé de la situation. Ils étaient tellement fâchés... Je ne dis pas que ce n'est pas correct d'être fâchés, je trouve ça tout à fait normal, mais ils étaient tellement fâchés que je me disais que le contact avec ces parents-là allait être difficile pour le reste de l'année. Je pense qu'ils ont avalé la pilule. Ils continuent de me parler, mais de toute façon ce n'était pas des parents qui avaient une grosse conversation. Ils me sourient et c'est comme si rien ne s'était passé. Moi, j'aime mieux ça comme ça. Oui j'ai fait l'erreur, maintenant on fait attention et on passe à autre chose. On ne peut pas toujours être fâchés.

J'ai rappelé la règle à l'enfant, mais brièvement. Comme on était au début du mois d'octobre, je ne voulais pas le mêler. Ils ont quatre ans, ils ne comprennent pas beaucoup et en plus ce n'est pas dans leur langue. C'est plus Claire qui lui disait : « Reste avec moi » puisqu'elle allait reconduire les « piétons ». C'était plus concret pour lui. Avoir une conversation, ce n'est pas vraiment possible, pas à ce moment-là de l'année avec des enfants allophones. Je peux dire des petites choses : « Ne fais pas ceci », « Ne fais pas cela », des phrases de deux ou trois mots, mais je ne peux pas commencer à lui expliquer. J'essaie tout le temps de me mettre dans la peau de l'enfant...

C'est certain que s'il avait parlé français, ça aurait été beaucoup plus facile. Dès le début de l'année, on aurait expliqué : « Quand tu vas dehors, si tu pars et que tu ne me le dis pas, moi je ne le sais pas... ». Ça aurait été beaucoup plus facile de faire comprendre. À ce moment de l'année, on est encore au stade des ordres. Je ne peux pas expliquer pourquoi je demande telle ou telle chose, il ne comprend rien. Ce sont des Indiens, des Pakistanais et des Iraniens. Ils sont très disciplinés et ils écoutent bien, alors quand ils ne font pas ce qu'on leur demande, c'est parce qu'ils n'ont pas compris. Il n'y a pas de malice. En classe, cet enfant-là respecte très bien les consignes et si jamais il ne le fait pas, quand je l'avertis, je le vois qu'il y a de la culpabilité et que ce n'est pas volontaire. Ce n'était pas une action méchante du tout; je ne trouve pas qu'il faille lui en vouloir. Je trouve qu'on n'a pas à être fâchés. C'est difficile aussi de se fâcher. Il y en a des enfants tannants qui le sont intentionnellement, mais pas cet enfant-là. Ce n'est pas du tout ça. Dans ces circonstances, tu ne peux pas vraiment chicaner l'enfant, mais des fois tu n'as pas vraiment le choix de le dire sévèrement pour qu'il comprenne que c'est important. Tu n'es pas capable de lui expliquer parce qu'il ne comprendra pas. Quand c'est important, tu n'as pas le choix d'intervenir fermement pour dire : « Ça j'y tiens, je ne serai pas contente si tu le fais ».

Si c'était un enfant qui se serait sauvé intentionnellement, je n'aurais pas réagi de la même façon. J'aurais été beaucoup plus conséquente et je serais intervenue davantage. Je pense que j'aurais fait un petit cours. Je serais sortie dehors avec lui et je lui aurais expliqué. Souvent les enfants qui ont un peu cette méchanceté-là, ce sont des enfants qui parlent beaucoup plus français. Les enfants dont le français n'est pas leur langue et qui arrivent dans un milieu, ils sont perdus et insécurisés. Hassan, il a cette insécurité-là. Il ne fera pas quelque chose dont il n'est pas sûr. Il pense seulement à bien faire ce qu'on demande. Déjà, seulement faire ce que je demande, c'est beaucoup pour lui. Il n'aura pas l'idée d'aller faire quelque chose qu'il ne peut pas. Mais quelqu'un qui parle français, déjà il comprend beaucoup plus rapidement la routine, le principe, les choses à faire. Lui, il va avoir l'idée de transiger ça des fois. L'enfant qui a de la misère à comprendre ce qu'on demande, il ne pensera pas en plus à réfléchir pour ne pas faire ce qu'on demande. Ça lui demande déjà beaucoup d'attention de se concentrer juste sur la tâche à faire. Il n'a pas l'idée de faire autre chose.

Donc tout le mois d'octobre, c'est plus Claire qui a fait l'intervention auprès de l'enfant. Je ne veux surtout pas que cela se reproduise. Mais des fois, tu as beau essayer de surveiller, il t'en arrive des pépins. Même l'année prochaine, ça pourrait m'arriver et ça pourrait aussi arriver à une enseignante avec beaucoup d'expérience. On n'est pas protégé de ça. C'est sûr qu'on fait plus attention. Lui, je le sais, donc, je le surveille davantage. Si cela arrivait deux fois avec le même enfant, je pense que je donnerais ma démission. Je prends ça trop personnel. En plus, je n'étais même pas dehors... une chance. Indirectement, je me sens moins coupable, mais je l'ai pris personnel. Toute la semaine, j'ai pensé à ça. Sur le coup, j'ai réagi, surtout vis-à-vis des parents en disant : « Je comprends, mais on se calme ». Il y avait tellement d'agressivité et ils étaient tellement fâchés que je me suis dit : « Non, je n'embarquerai pas là-dedans ». Je me disais : « Du calme, je ne me mettrai pas plus de culpabilité ». J'ai une part de responsabilité mais en même temps, je ne trouve pas que ce soit vraiment de ma faute. En y repensant, qu'est-ce que j'aurais pu faire puisque je surveillais aux autobus?

Voici maintenant la deuxième situation.

Au début de l'année, c'est une rentrée progressive. Il y a certaines choses qu'on ne fait pas encore. Mais quand on a commencé à avoir des semaines régulières et stables, c'est-à-dire vers la mi-septembre, j'ai commencé à sortir les tapis pour faire la détente pendant l'après-midi. Chaque enfant a un tapis, je mets de la musique calme, je ferme les stores. C'est pour les faire relaxer pendant 20 minutes après le dîner parce que c'est des grosses journées. Ils passent toute la journée à l'école. Il y a des enfants qui arrivent au service de garde à six heures, et ils partent le soir tard. Je pense que c'est important de faire une détente. L'année dernière, j'en avais plus que la moitié qui dormait. Cette année, j'en ai peut-être deux qui dorment. Les autres se reposent.

La première fois que j'ai sorti les tapis, il y a un enfant qui a dit : « Non, moi je ne veux pas le faire. » Moi j'ai dit : « Tu te couches sur le tapis, ça va être ça toute l'année. Mon petit gars, tu te couches sur le tapis. Dodo. » Ce n'est pas que je veux qu'ils dorment, mais je veux qu'ils relaxent. Mais lui, il ne voulait pas du tout. J'ai donné les tapis à tous les autres enfants et j'ai dit : « Couche »... Mais c'est rare un enfant qui confronte, surtout cette nationalité-là. Ils sont très obéissants. J'étais surprise qu'il me confronte comme ça, qu'il me dise : « Non je ne veux pas le faire », surtout venant de lui. Peut-être qu'un autre enfant j'aurais été moins surprise... Quoique je ne le connaissais pas beaucoup, dans le fond. Avec l'expérience de l'année d'avant, je savais que les enfants sont vraiment disciplinés et respectueux. Ça faisait seulement deux semaines qu'il était à l'école, alors, je ne peux pas dire que je connaissais l'enfant comme tel, et c'était la première fois que la routine était intégrée. Il commençait à confronter, mais c'est normal. N'importe quel enfant de n'importe quelle culture le fait, mais moins cette nationalité.

Initialement, je l'avais installé plus au centre de la classe avec son matelas et j'ai vu qu'il s'excitait. Je l'ai donc mis près de la porte pour ne pas qu'il dérange. Il a commencé à parler, mais dans sa langue, à chanter et à déranger. Je n'étais pas contente. Je lui ai dit : « Tu arrêtes. » Je l'ai vraiment chicané. Il s'est mis à rire. Il y a plusieurs phases de réaction chez un enfant. C'est souvent le rire, la colère et après, la tristesse. Donc, là, il était au stade du rire. Ça s'est passé en une minute. Avec moi, il n'y a pas de « niaisage ». Je suis très tranchante au début parce que je ne veux pas que ça dégénère. Je l'ai amené dans le coin, je lui ai dit : « Tu arrêtes ça tout de suite. » J'étais assise à mon bureau juste à côté de lui. « Tu vas te calmer, c'est dodo. » Il riait. J'étais choquée. J'ai sorti le tapis à l'extérieur. Dès qu'un enfant me dérange pendant la détente, je sors le tapis dans le couloir. Claire, l'éducatrice, fait la même chose. Donc j'ai sorti le tapis à l'extérieur et j'ai dit : « Tu te couches. » Pendant ce temps-là les autres regardaient.

Une fois qu'il a été dehors, j'ai laissé la porte entrouverte pour voir ce qu'il faisait. Au début, il était assis. Après, il s'est levé et il a commencé à ouvrir les casiers, qui sont en métal. Ça faisait du bruit, ça me dérangeait aussi et je voulais qu'il reste sur le tapis. Là, j'étais rendue très très choquée. Je suis sortie et je lui ai dit : « Là tu vas te coucher » et il a dit : « Non. » Il n'était plus au stade du rire, il était rendu fâché. Il me confrontait vraiment. Il a vu que je m'approchais de lui, il s'est donc mis à courir dans l'école. J'ai dit à Claire, dont la classe est juste à côté, de surveiller mon groupe et j'ai marché derrière lui. Je ne courais pas, c'est ce qu'il voulait. Je ne ferai pas un spectacle dans l'école. Lui, il courait et il faisait du bruit. C'est finalement une enseignante qui l'a entendu, qui est sortie de sa classe et qui l'a intercepté. Je l'ai ramené de force, sans lui faire mal. Je l'ai pris par le bras et je l'ai ramené dans la classe parce que je n'allais certainement pas courir après lui. J'ai rentré le tapis et je l'ai mis dans le coin. Il était encore très très en colère. Il a frappé sur l'armoire de métal, ça faisait du bruit. Il a arraché les posters, il a lancé par terre les feuilles qui étaient sur le bureau... La crise. C'était vraiment une grosse crise. Je ne m'attendais pas à ça. Je l'ai assis sur la tapis et je lui ai dit : « Là tu vas te calmer. » J'étais très ferme. Il pleurait, mais il y avait encore de la colère. Je lui ai apporté un livre et un jeu. Je me suis dit qu'il était peut-être un enfant incapable de se relaxer. Peut-être avec un livre... Il ne voulait rien savoir. Il a lancé le livre, lancé le jeu. Si je me souviens bien, je pense que je lui avais aussi proposé un livre avant qu'il soit en crise. Moi, en autant qu'il relaxe, un livre ça ne me dérange pas. Mais ça ne l'intéressait pas. Voyant que ça dégénérait comme cela, j'ai ouvert les lumières et on a rangé les tapis. Parce que ce n'était plus une relaxation. Moi j'étais vraiment fâchée et lui, il était en crise. Les enfants se sont assis et on a fait autre chose.

Pour cet enfant, j'ai pris une chaise et je lui ai dit : « Tu viens t'asseoir. » Il m'a écouté. Aujourd'hui encore, je ne comprends pas pourquoi il ne voulait pas se coucher sur le tapis, alors que quand j'ai sorti la chaise, il est tout de suite venu s'asseoir. Je n'ai même pas eu besoin de le dire deux fois; il est venu s'asseoir. Je ne pense pas que j'étais plus convaincante à ce moment-là. J'étais déjà choquée. Je me disais : « Il n'écoutera jamais. La chaise, il ne voudra jamais s'asseoir dessus. Ça y est, mon année est foutue! Il va s'opposer durant toutes mes détentes... ». C'est à ce temps-là de l'année que tu vois quel type d'enfants tu as dans ta classe. Je voyais l'année... « À chaque fois que je vais lui demander quelque chose, ça va dégénérer... »

Avec le reste du groupe, on a fait des jeux amusants. Il n'a rien dit. Il est resté en punition. Je me disais : « Il ne s'oppose pas à la punition, mais il ne veut même pas relaxer ». Il me semble que ce n'est pas une punition la relaxation. Mais, à quelque part, il avait gagné : j'avais enlevé la relaxation cette journée-là. Il était en punition, mais il avait eu ce qu'il voulait. Je me questionnais : « Demain, qu'est-ce que je vais faire? Il ne pourra pas me faire une crise comme cela à chaque relaxation. Ça n'a pas « de bon sens ». » Je suis allée voir une enseignante qui a de l'expérience pour savoir ce que je devais faire, parce que je ne voulais pas que ça arrive encore une fois. Il n'était pas question que ça se reproduise. Je voulais montrer que c'était moi qui menais dans la classe, parce que sinon les autres enfants aussi auraient sorti leur caractère. L'enseignante m'a dit : « Le lendemain, tu le couches et tu le tiens pendant une demi-heure. Tu vas trouver ça dur au début et la journée d'après... Mais tu verras dans une semaine, il aura compris que c'est toi qui a le dessus. »

Donc, le lendemain, je sors le tapis de tout le monde. Lui, il était assis et il disait : « Non, non, non ». J'avais l'impression qu'il avait peur. J'ai installé les enfants et j'ai pris un tapis. Je lui ai dit : « Tu viens te coucher. » Il est venu s'asseoir. « Couche toi. » Il ne voulait pas. Je lui ai pris les jambes et je l'ai couché. J'étais assis sur ma chaise, le tapis par terre, je lui tenais la tête, les bras et les jambes. Je l'ai tenu tout le temps. Au début, il criait sans arrêt. Tous les autres enfants de la classe regardaient. Je me suis dit : « Toi, tu ne m'auras pas. » Je ne me choquais pas. Je disais : « Non Jenoth, dodo », tout le temps sur le même ton ferme. Il criait, il pleurait. Une grosse crise encore, sauf que là, il n'arrachait pas mes posters, il ne jetait pas mes feuilles... J'avais le contrôle. Même s'il criait, je le tenais. Il n'aurait pas pu se sauver. Mais il pleurait et criait tellement qu'il se levait le cœur... Il a fini par vomir sur le tapis.

À ce moment-là, je ne me sentais pas mal, parce qu'il s'était levé le cœur lui-même. C'était évident. Ce n'était même pas de la peur. Il criait tellement, tu voyais qu'il se levait le cœur volontairement. Je n'avais pas pitié de lui du tout. J'aurais eu pitié d'un enfant malade, qui tremble de peur, mais lui, c'est parce que je le confrontais... C'est comme si je lui en avais trop demandé. À la maison, il ne doit pas se faire confronter comme cela. Il ne pouvait pas décider à l'école, alors que sûrement qu'à la maison il décide tout ce qu'il veut. C'est l'impression que j'ai eue. Là, il ne pouvait plus décider et il n'avait aucun contrôle. C'est moi qui contrôlais. Je pense qu'il a trouvé ça tellement difficile qu'il s'est fait vomir. Après que Claire soit venue ramasser, parce que moi je n'étais pas capable, je l'ai recouché. Je l'ai tenu. Il a crié encore et il a continué de pleurer. Il a vomi une deuxième fois. La concierge est venue ramasser et je l'ai recouché encore une autre fois. Pendant une demi-heure, je ne l'ai pas lâché. Les autres enfants me regardaient. Ils étaient intrigués!

À ce moment, je me disais : « Tu ne m'auras pas. Je vais tenir jusqu'à la fin et tu ne gagneras pas. » Je le tenais et il y avait beaucoup d'émotion. À la fin, il s'est comme assoupi et il pleurait. Là, c'était de la tristesse. C'est comme s'il s'était rendu compte qu'il n'était pas roi et maître dans l'école. Ça m'a touchée, un petit peu. Pendant qu'il criait, la directrice est passée dans le couloir, parce que, sincèrement, c'était épouvantable. Claire est sortie de sa classe et elle est allée voir la directrice pour lui expliquer la situation, c'est-à-dire qu'il y en avait un qui ne voulait pas faire sa détente, mais que j'allais avoir le dessus sur lui. La directrice a dit : « Je ne suis pas inquiète » et elle est repartie. Elle n'est même pas venue me voir. Elle fait confiance aux enseignants de son école.

J'ai rediscuté de cet épisode avec l'enseignante auprès de qui j'étais allée demander conseil et elle m'a dit qu'en agissant ainsi, j'avais gagné un point, aux yeux de tout le monde. C'est moi le professeur, c'est moi qui mène dans la classe. Même pour les autres enfants de la classe, ça été une belle preuve que, toute l'année, si tu viens me confronter, je vais tenir mon bout jusqu'à la fin. Tu ne m'auras pas.

Le lendemain matin, le parent m'attendait dans la cour d'école. Je n'avais pas vraiment prévu cela, parce que je me disais que l'enfant serait gêné de le raconter à ses parents. C'est lui qui n'a pas écouté et qui me confrontait. Moi avec l'éducation que j'ai eue, je ne l'aurais jamais dit à mes parents parce que mes parents prenaient tout le temps pour l'enseignant. Le père m'a dit : « Mon enfant m'a raconté qu'à la détente il avait vomi parce qu'il ne voulait pas la faire. » J'ai dit : « Oui, je sais, mais il s'est fait vomir. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise? ». « J'aimerais qu'il ne fasse pas la détente » me répond-il alors. « Non non non. Je suis le professeur, c'est moi qui décide. Votre enfant a quatre ans, il ne viendra pas décider à l'école. À la maison, il fait ce que vous voulez, mais à l'école, j'ai 18 enfants dans la classe, il ne viendra pas décider. Ce n'est pas vrai. » Il a dit : « Ouin... » J'ai enchaîné : « Je comprends qu'à la maison c'est autre chose, et que vous avez une autre approche avec votre enfant, mais à l'école c'est comme ça que ça fonctionne. J'en ai 30 en tout, je ne commencerai pas à faire du caprice, « toi tu veux jouer aux petits camions, toi tu veux faire ceci... » Ce n'est pas vrai. Je ne lui demande pas de dormir, je lui demande juste de relaxer. Je lui ai même proposé un livre, je lui ai proposé un jeu tranquille, il ne veut rien savoir. Je pense que c'est un caprice, que lui c'est ça qu'il veut. Il a seulement quatre ans, il ne décidera pas. » Il a dit : « Je comprends. » Je lui ai dit : « Je peux faire une concession avec vous ». Au moins, je lui ai proposé autre chose, je ne l'ai pas laissé comme ça. « Votre enfant vient l'après-midi en classe et le matin il est au service de garde. Ce que je peux faire, c'est prendre votre enfant en classe le matin et l'après-midi, vous le gardez à la maison. Parce que de toute façon, Claire aussi fait la détente au service de garde. C'est comme ça dans toute l'école. Tout le monde fait une détente. » En fait, je lui proposais cela parce que je ne voulais pas donner le problème à Claire. J'étais prête à prendre l'enfant le matin avec moi, donc de le changer de groupe pour lui éviter la détente, le service de garde n'étant pas obligatoire. Le parent a donc vu que j'étais quand même ouverte à faire une belle concession.

Le parent a dit : « C'est correct, on va continuer de l'essayer comme ça. » Je n'ai pas su pourquoi il ne voulait pas qu'il fasse la détente. Il parle très peu anglais et moi aussi. On est donc allé au concret lors de notre conversation. Mon impression c'est que, à la maison, cet enfant-là fait ce qu'il veut. Finalement, on n'a rien changé. L'enfant restait dans ma classe et il allait faire sa détente. Parce que moi, j'ai bien dit au père que c'était clair que s'il restait avec moi l'après-midi, il suivrait les consignes de la classe. J'ai ajouté : « S'il y a quelque chose, vous m'en parlez, je suis toujours ouverte. » Pour moi, l'important c'est que ça fonctionne bien dans ma classe. Quand c'est une activité de groupe, et la détente en est une, je ne fais pas de concessions. Si je veux que ça roule, je ne peux pas. Ça ne me dérangeait pas qu'il ne dorme pas, ce que je voulais c'était qu'il relaxe.

Je pense que le parent s'est sûrement dit : « Tous les enseignants de l'école font faire une détente, l'enseignante de mon fils n'est pas la seule. » Il a réalisé que c'était comme ça à l'école, et il est parti en disant à son enfant d'écouter l'enseignante. Peut-être qu'il était en désaccord, mais il y avait quand même une ouverture parce que autrement, il se serait arrangé pour que l'enfant vienne seulement le matin.

Le père est donc parti. L'enfant a crié, pleuré... Il a lancé ses souliers, il a enlevé les lacets... Je l'ai laissé faire. Mais cette journée-là, on ne faisait pas la détente tout de suite après la causerie comme on a l'habitude de le faire. On allait en gymnastique. Lui, il ne s'attendait pas à ça. Je lui ai dit : « Prends tes souliers, prends tes lacets, on descend au gymnase ». Comme c'était le premier cours d'éducation physique, j'accompagnais les élèves. Rendus là-bas, je lui ai dit : « Tu veux jouer? » Il a fait signe que oui. En plus, je pense qu'il adore les sports. Mais il n'était pas capable de mettre ses souliers, ni ses lacets. Je ne l'ai pas aidé. Il a essayé de mettre ses lacets et il a réussi au bout de dix minutes d'effort. Ensuite, il essayait d'entrer son pied mais il n'était pas capable parce qu'il avait trop tiré sur les lacets. Je remerciais le seigneur que ça ne soit pas des velcros. Il s'est levé pour aller participer avec les souliers à moitié mis et je lui ai dit : « Non non, mets tes souliers. Quand tu auras fini, tu iras jouer. » Il essayait encore et il me demandait de l'aider. « Non. Tu as enlevé tes souliers volontairement, tu les remets. » Ça a duré une demi-heure. Le professeur d'éducation physique trouvait ça drôle. Moi, je commençais à voir que je l'avais. Je le regardais et je me disais : « Non, je ne t'aiderai pas. » Il a passé le cours à essayer de mettre ses souliers. En plus, le professeur d'éducation physique avait fait exprès; il avait tout sorti les jeux. L'enfant n'a pas pu jouer parce qu'il n'avait pas mis ses souliers.

À quelque part, il s'était créé son propre problème. Je me suis dit qu'au moins, la prochaine fois, il ne lancerait pas ses souliers. Il sait la conséquence maintenant. Je trouvais en plus que la conséquence était en lien avec ce qu'il avait fait. C'était bien tombé. Après on est retourné en classe et c'était l'heure de la détente. J'ai sorti les tapis. Il s'est couché et il a pleuré. Je lui disais que ce n'était pas grave, qu'on y retournerait au gymnase, en lui frottant le dos. Je n'ai même pas eu besoin de le tenir, j'étais seulement assise à côté de lui. C'est comme s'il avait abandonné. Il a pleuré, une grosse peine, et il s'est endormi. Pendant ce temps, j'ai refait ses lacets, Quand il s'est réveillé, on a mis ses souliers et après on a joué. Après ce moment-là, je n'ai jamais eu de difficulté. La détente, on n'en parle même plus. Il se couche et il écoute. C'est réglé. Non seulement c'est réglé, mais c'est un rayon de soleil dans la classe. Il veut participer à tout et il est très gentil avec les autres enfants.

J'ai revu le père à la remise de bulletins. Juste à voir son air, j'ai l'impression qu'il devait se dire : « Elle, elle va avoir des choses à me dire... » Il faut dire qu'on ne s'était pas reparlé après. Je suis certaine qu'il appréhendait la remise des bulletins. Je lui ai dit que son enfant était un bon petit gars, que c'était un rayon de soleil. Il me disait : « Merci, merci. » Il était vraiment content.

Ça été une belle réussite, un de mes bons coups de l'année parce que j'ai l'impression qu'il fallait que ça arrive cette confrontation. Si ça n'avait pas été le dodo, ça aurait été autre chose. Il voulait savoir jusqu'où je pouvais aller, si je pouvais tenir mon bout, si un jour il pourrait gagner sur quoi que ce soit. Mais il voyait qu'il n'aurait jamais gagné, qu'il n'avait pas une grosse marge de manoeuvre. Je serais allée jusqu'au bout avec lui.