© Audet, G. (2006).

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TITRE: ON NE SAIT PAS CE QUI NOUS ATTEND

J'enseigne depuis sept ans, toujours au préscolaire. Lors de ma première année, il y avait sept enfants de différentes nationalités dans ma classe. J'ai décidé de parler d'un, en particulier. C'est un enfant qui est d'origine haïtienne et qui parlait créole. Il ne parlait pas du tout français. Il avait toujours vécu avec sa mère en Haïti et son père était ici au Québec. Les parents étaient séparés et le père a décidé de prendre l'enfant à sa charge. Il est arrivé à l'école le 1er septembre et il ne disait pas un mot français. Dans la classe, on avait lui et on en avait d'autres qui parlaient égyptien, qui parlaient chinois... On avait plusieurs autres nationalités, mais ils pouvaient se dépanner avec le français quand même. Celui-là, il n'y avait rien à faire, c'était uniquement le créole.

L'école où j'enseigne est une école qui a failli être une école internationale. Donc, c'est une école qui est ouverte beaucoup beaucoup aux autres cultures. On a beaucoup de parents qui viennent ici pour notre projet éducatif parce qu'on parle beaucoup des pays, on parle beaucoup des autres cultures. Alors, on est à l'aise là-dedans. Pour nous, c'est une richesse d'avoir ces enfants-là. Le problème, des fois, c'est au niveau du comportement... Quand tu en as beaucoup et que ça dégénère en problèmes de comportement, c'est plus difficile. Mais sinon, j'avais fait un thème « voyage autour du monde » et ces enfants-là avaient apporté des objets et on avait fait une exposition. Cela avait été extraordinaire. Les autres ont pu voir ça et je les utilisais beaucoup aussi pour qu'ils racontent ce qui se passait chez eux.

Malgré cela, j'étais un petit peu craintive quand j'ai vu ma liste d'élèves. En fait, j'avais sept nationalités différentes, mais il y en avait dont la mère était québécoise. Ça, ça va. Ils ont été élevés plus comme nous. Mais j'étais craintive quand même. On a beau être ouvert aux autres cultures, on ne sait pas ce qui nous attend. C'était ma première année aussi, alors j'étais un peu craintive.

La première journée, je ne comprenais rien de ce qu'il me disait. Il me demandait d'aller à la toilette, je ne savais pas ce qu'il voulait faire. On se parlait par gestes et comme il avait de la difficulté à parler avec les autres, il donnait des coups. Pour lui, la communication c'était pour pousser, pour bousculer et cela presque dès le premier jour. Au début, il était un peu gêné mais ça n'a pas été long que ça été comme ça. Alors il a fallu défaire ça et trouver des façons de se parler. On se parlait par gestes ou je le jumelais avec d'autres enfants pour qu'il crée des liens. Il aimait beaucoup beaucoup jouer alors je faisais une période de jeux libres pour multiplier les interactions avec les autres, parce qu'on ne va pas à la récréation en maternelle.

Ce n'était pas facile. Je pense qu'il vivait beaucoup d'ennui aussi au niveau de sa mère. Ça faisait cinq ans qu'il vivait avec sa mère et quand il est arrivé ici, il avait vu son père quelques fois seulement. Je pense que son père allait les voir à Noël chaque année, alors il ne le voyait pas beaucoup. Pour lui c'était presque un étranger. Son père habitait avec une autre femme. Lui, il l'appelait sa tante. Cette femme-là avait des grands enfants et il disait que c'était ses frère et soeur, mais ce n'était pas le cas. C'était les enfants de cette femme-là. Le père parlait très bien français, mais il ne s'investissait pas beaucoup. Je l'appelais pour les rencontres, il venait, mais il ne s'investissait pas beaucoup. Donc l'enfant était vraiment perdu et ce n'était pas facile. Il poussait les autres enfants. Il voulait attirer l'attention, alors il bousculait. Quand il était fâché, il donnait des coups. Ça été comme ça une partie de l'année et après c'est rentré dans l'ordre. Je sais qu'il est retourné avec sa mère. Je pense que lui et son père ont trouvé ça difficile, tous les deux...

Le fait que j'en avais plusieurs dans cette situation-là a sans doute contribué au fait qu'il se sentait moins mis à part, moins différent des autres. J'en avais une autre qui ne parlait pas français non plus et il y en avait plusieurs qui avaient des besoins particuliers. Il y en avait plusieurs qui demandaient de l'attention donc, elle n'était pas toujours nécessairement dirigée sur lui. Il voyait que finalement, il n'était pas si différent des autres que ça. Ça a pris un petit bout de temps avant que les autres enfants puissent lui parler. Mais il ne parlait pas beaucoup de son pays, même si on essayait de le faire parler. Je valorisais ça beaucoup. Même, il y avait une chanson en créole dans Passe-Partout et j'ai demandé à la mère de l'autre petite fille de la classe qui était Haïtienne de me l'écrire... Je l'ai copiée sur un grand carton et je lui ai demandé s'il la connaissait, s'il savait ce que ça voulait dire. Il était fier. C'est sûr que c'était valorisant pour lui.

À la fin de l'année, ça allait bien. Il parlait très bien. Moi, je vivais au fur et à mesure. Ça été une année très difficile, mais une année enrichissante au niveau des cultures et aussi au niveau de l'expérience.