© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

Version imprimable:

Préambule : Une enseignante de première année du primaire raconte ses interventions auprès d'un enfant en troubles de comportement ainsi qu'auprès de sa famille. Elle s'est beaucoup investie dans sa relation avec l'enfant et cherche par différents moyens à l'aider à s'adapter à l'école. L'histoire se déroule l'année même de l'entretien.

TITRE: IL FAUT SE METTRE ENSEMBLE POUR L’AIDER

Sylvain est dans ma classe cette année et, comme on dit, il est coté deux : il vaut deux enfants parce qu'il présente des troubles de comportement. Je le savais dès le début parce que la direction m'en avait informée. Dès la première journée, c’était facile à voir qu’il était T.C. : il faut toujours qu’il soit le premier dans les rangs, alors il va pousser les autres pour arriver à ses fins. Il ne sait pas lever la main, il parle quand il a le goût de le faire et il dit tout haut ce qu’il pense, etc... J’ai trois enfants qui ont des troubles : un au niveau du comportement et deux au niveau de l’apprentissage. Étant donné qu’ils valent deux élèves, j'ai 22 élèves au lieu de 25. Les gens de la commission scolaire ramènent tous les cas-problèmes à notre école, parce qu’on est une école pôle et qu'on a un peu plus de services de ce fait.

Sylvain est un enfant qui a eu beaucoup de difficultés l’année dernière en maternelle et la mère a créé des problèmes. L'enseignante lui en parlait mais celle-ci ne l’acceptait pas ; elle l'accusait d'être la cause des comportements de son enfant, disant qu’elle ne l’aimait pas. L'éternelle chanson : quand les enfants vont bien, c'est parce qu'ils sont gentils et intelligents. Quand ils ne vont pas bien, ce sont toujours les professeurs qui ne sont pas corrects.

Au mois de septembre, j’ai une grande patience avec ces enfants-là. J’ai essayé différentes approches avec Sylvain (de lui parler tranquillement et tout ça), mais c’était toujours très difficile. À la mi-septembre, je fais ma réunion de parents pour expliquer le fonctionnement de la classe (1). Je parle un peu du contenu des matières, mais je parle beaucoup du tableau de programmation et du fonctionnement de ma classe. C’est important que les parents comprennent ça, parce que quand l’enfant arrive chez lui le soir et dit : « On a joué cet après-midi ! », il faut que les parents sachent que jouer, c’est jouer à des jeux éducatifs, conçus pour apprendre, etc. Ordinairement, les gens sont très contents que ce soit plus ouvert, de voir que les enfants ont plus de place et qu'ils ont un bel environnement. Je leur dis : « Je veux que les enfants apprennent et qu'ils soient heureux à l'école aussi. » Les deux aspects sont importants.

La mère est venue me parler après la rencontre ; elle est très agressive contre l’école. Comme il y a d’autres parents en présence, je ne commence pas à parler des cas particuliers, je lui dis que je l’appellerais plus tard. En plus, à la fin du mois de septembre, il y a toujours une première communication qu’on envoie aux parents. À cette première communication, je lui écris : « Sylvain a beaucoup de difficulté à se concentrer. Comme il n’écoute pas les consignes, il peut difficilement se rendre au bout de l’activité sans plusieurs interventions pour le ramener à l’ordre. Malgré le fait qu’il soit très actif au cours des activités, il réussit quand même assez bien, mais il pourrait avoir des problèmes. Il a de grandes difficultés à s’entendre avec les autres enfants. Il veut tout régenter, toujours être le premier. Il ne partage rien. Il est violent. Il frappe et il donne des coups de pieds quand ça ne fait pas son affaire. Il ne sait pas respecter une règle de vie, il semble incapable de se contrôler. À chaque récréation, il y a toujours un surveillant qui le ramène en classe, parce qu’il ne sait pas se comporter. »

Elle m’avait envoyé un mot me demandant de l'appeler. Je savais bien qu’elle n’était pas contente de ce que j'avais écrit. J’ai pris quelques inspirations avant de l’appeler de chez moi (2). Elle a commencé à déblatérer que l’année dernière, en maternelle, son enfant n'était pas aimé, que c’était la faute de l’école, que c'était une école de fous... Toutes les raisons étaient bonnes, sauf qu’elle ne regardait jamais comment elle l’avait élevé et ce que l'enfant avait vécu ; c’était la faute des autres. Elle s’est mise à pleurer au téléphone. Elle avait besoin d’aide. Je le savais, mais elle ne veut pas en avoir. Ce que j’essaie de lui faire comprendre aussi, c’est que l’enfant est hyperactif. À quel degré, je ne le sais pas. Mais j’ai dit le mot qu’elle ne voulait pas entendre. Elle ne voulait pas accepter le fait que son enfant soit hyperactif. Notre entretien a duré quand même assez longtemps, sans toutefois aller plus loin.

À l’école, quand un enfant se conduit mal, il reçoit une contravention et peut, à l'occasion, être obligé d'aller parler avec le directeur. Environ deux semaines plus tard, Sylvain a eu deux contraventions ; je lui en ai donné une et je pense que c’est le professeur d’éducation physique qui lui a donné l'autre. J’avais écrit plusieurs noms d'enseignants pour lui signifier que tous se plaignaient de lui. Une semaine plus tard, la mère vient le reconduire et me lance qu’elle a demandé un changement d’école. Elle crie après moi dans le passage en disant que c’était de ma faute, que son enfant était encore maltraité et que personne ne l’aimait. Les autres professeurs regardaient. Elle m’a dit qu’elle en avait parlé seule avec le directeur. Quand elle fut partie, je suis descendue dans le bureau pour dire que je n’étais pas contente, que la direction aurait dû m’avertir. Pour eux, ils pensaient avoir eu raison de me le cacher parce qu’elle avait changé d’idée à l'issue de la rencontre.

Premièrement, je n’avais même pas la chance de m’expliquer. Ensuite, depuis le commencement de l’année, je m’évertuais à essayer de faire quelque chose avec lui, à l’aider et à essayer de l’aimer, même si ce n’était pas facile. Je l’aimais tout de même et je m’étais quand même attachée à lui. Elle prétend que je ne suis pas bonne, que je n’ai pas le tour avec son garçon et, d’un revers de la main, anéantit tout ce que j'avais tenté. Je l’ai très mal pris et je n’ai pas accepté que la direction ne me parle pas du téléphone qu'elle avait fait. Pendant que j’étais dans son bureau, Yvan, le directeur, l'a appelée à la maison. Ils se sont entendus pour qu'elle ne le change pas d'école. Elle changeait encore une fois d’idée en plus de m'avoir fait une scène devant tout le monde dans le passage. J’ai pris une entente avec Yvan : il n’y aurait plus de contraventions envoyées à la maison, parce que ça fait toute une histoire. Je le lui enverrais à lui pour qu'il les signe. Les systèmes de contraventions, c’est pour aider quand la famille collabore, pour avoir un suivi des enfants, mais elle, c’est le contraire, elle fait des histoires avec ça.

Au premier bulletin, au mois de novembre, je fais la rencontre que j’appelle de style confessionnal. Je rencontre les parents chacun leur tour. Madame est venue avec le père qui est descendu de Montréal soit disant pour régler le problème. Yvan devait venir, mais il est arrivé très en retard. Le père me demande pourquoi je considérais son enfant en difficulté alors qu'il trouvait le bulletin correct. C’est sûr que ses notes étaient relativement bonnes malgré son comportement. Encore une fois, c’était moi qui n’avais pas le tour. Il m’a conseillé de donner une bonne gifle à son enfant quand ça n'allait pas ; c’est ce qu’il a trouvé de plus intelligent à dire. La mère me disait aussi de l'attacher quand je lui expliquais qu’il ne restait jamais assis sur sa chaise ; elle connaissait une garderie où l'on faisait ça, dit-elle... Mais, de toute façon, elle, à la maison, n’avait jamais de problèmes avec Sylvain : « Il reste tout le temps assis quand il mange parce que s’il ne reste pas assis, je prends son assiette et je la vide dans la poubelle. Il n’est pas tannant quand il mange, parce qu’il n’a pas le droit de parler en mangeant. » Durant l’heure que la rencontre a duré, il n’a pas eu moyen de leur faire comprendre, ni à l’un ni à l’autre, que leur enfant a des capacités mais qu’il a besoin d’aide et qu'il faut se mettre ensemble pour l’aider. Ils ne veulent pas voir les problèmes parce que c’est comme le reflet de leur propre image. Avant tout, il faut qu’ils acceptent de le voir tel qu'il est.

Je leur avais recommandé d’aller voir un médecin et de le faire examiner, mais elle avait répondu qu'il ne prendrait pas de Ritalin. Je ne disais pas de lui en faire prendre, mais s'il n’est pas heureux, ça pourrait peut-être l’aider ; elle ne voulait rien savoir. À chaque année, j'ai des élèves qui en prennent et c’est super efficace, peut-être pas dans tous les cas, mais assez souvent. Autrement, les enfants se font haïr par tout le monde. Ils ne sont pas capables de se faire d’amis parce qu’ils sont détestables et ne sont pas capables de se contrôler. Sylvain n’est pas un enfant méchant : il ne frappe pas dur, mais il n’est pas capable de se contrôler. Il parle fort, il crie, comme sa mère. Il faut qu’elle en arrive à comprendre, parce que tant qu’elle n’accepte pas, elle n’agit pas. Il faudrait qu'elle se dise : « J’ai ma part de responsabilité dans ça. Qu’est-ce que je peux faire ? »

Je ne peux pas laisser continuer ces comportements-là ; il n’est pas tout seul dans la classe, il dérange les autres, il me dérange et il se dérange lui-même. Il ne faut pas accepter ces comportements-là, mais il faut apprendre aussi à ne pas tout voir ce qu’il fait. Si on voit tout, on est toujours sur son dos. Mais ce n’est pas facile avec le groupe parce que si tu laisses passer certains comportements, les enfants vont crier à l'injustice. Alors, il faut embarquer les enfants dans le coup, parce que c’est important pour moi de faire de la classe un milieu de vie. Quand tu es avec un groupe, tu ne peux pas travailler sur un enfant et ne pas embarquer le groupe. Pour moi, être une enseignante, c’est vivre avec les enfants. C’est vivre la vraie vie. On en a parlé souvent au conseil de classe avec les enfants. Au conseil, voici de quelle façon on fonctionne : la personne affectée par le comportement dérangeant fait sa critique et l’autre a le droit de se défendre, de s'expliquer. Sylvain, souvent, reconnaissait ses torts alors que d’autres fois, il accusait les autres, un peu comme ses parents. Plus souvent qu'autrement, Sylvain avait l’air de se surprendre lui-même de tout ce qu’il faisait. Quand il réalise qu’il a écrasé les doigts des autres en marchant, qu’il les a poussés, il vient mal à l'aise parce qu’il sait bien que ce n’est pas correct. On a travaillé avec le groupe pendant tout l’hiver.

À la fin de la deuxième étape, c'est-à-dire fin janvier, les enfants ne tolèrent quasiment plus Sylvain. Je l’ai changé de place parce qu'il était très près de moi et il m'énervait. Je l’ai mis plus loin pour qu'il soit moins dans mon champ de vision quand il est debout et qu’il n’est pas assis comme il faut. Un jour, au moment de faire la respiration contrôlée, il décide de ne pas la faire. Je suis descendue voir Yvan au bureau pour lui dire que je n'étais plus capable ; j’avais mon quota. On a conclu qu’il fallait faire venir sa mère de nouveau. J’en avais parlé aussi avec la technicienne en éducation spécialisée qui vient travailler dans la classe, avec les deux élèves qui ont des troubles d'apprentissage, pour essayer de trouver une solution. Elle le voyait agir et elle avait commencé à faire des interventions. Alors, on s’est rencontrés la technicienne, Yvan et moi et on a établi une stratégie, sans savoir si le père et la mère viendraient. Une chose était sûre, avec ce qui s’était passé, je ne voulais pas les rencontrer toute seule. De plus, on avait établi qu'à la fin, on ferait participer Sylvain, en le faisant réfléchir un peu devant sa mère. Entre-temps, j’avais pris des notes à propos de ce qu’il faisait.

La mère est arrivée à la réunion avec sa mère. La grand-mère était rouge comme un coq et c'est elle qui parlait. C’était encore de ma faute. J’ai levé le ton un peu. J'ai pris mon papier et j’ai dit : « C’est ce qu’il fait. Si c’était votre enfant qui le subissait, aimeriez-vous que je laisse faire l’autre ? » J’ai essayé de tout expliquer ce qu’il ne faisait pas bien, mais elle non plus ne me croyait pas. Elle me demandait si je lui voyais des qualités. Je lui en trouve des qualités : il est intelligent, il est affectueux mais il n’est pas capable de se contrôler. Elle ne voulait pas que l’école fasse un rapport à l'hôpital où ils traitent des enfants-problèmes à Québec. Elle ne voulait même pas que la psychologue le rencontre. Habituellement, quand on a des cas semblables, celle-ci rencontre les enfants. Au début de l’année, quand je l’avais appelée, elle m’avait interdit d’en parler au psychologue, parce que l’année passée, elle avait eu des troubles ; elle était fermée à tout.

Finalement, après une heure de discussion, elle nous a dit qu’elle en avait fait des démarches. Ils ont découvert qu’il était hyperactif, mais pas assez pour lui faire prendre du Ritalin... On ne savait pas trop si elle mentait. Elle nous a fait une crise et est sortie de la classe en pleurant. Sa mère est restée et je lui ai parlé. J’ai essayé de lui faire comprendre que j’aimais cet enfant-là et qu'il avait besoin d’aide. Elle prenait ça comme si on s’attaquait à sa fille. J’ai dit : « On ne s’attaque pas à votre fille mais elle a un enfant qui se conduit mal, qui n’est pas capable de vivre en société. Je ne peux pas laisser passer ça. »

J’ai fait entrer Sylvain et je me suis adressée à lui : « Regarde, j'avais pris des petites notes, est-ce que tu fais ça ? Est-ce vrai que tu as donné un petit coup de poing à un ami ? » J'énumérais les faits et à chaque fois, il disait toujours : « Oui, c’est vrai ! » Il fallait que je leur mette sous le nez que c’était vrai, c’est comme si elles ne me croyaient pas. Ça lui a donné un choc, je pense. Finalement, on a fait ce dont on avait parlé avec la technicienne. À chaque mois, à chaque journée, on a identifié des points à améliorer. Il en a tellement qu'il ne peut pas tout améliorer d'un coup, c’est impossible. Alors, avec lui, on a choisi quatre points à propos desquels il se fait disputer plus souvent, ceux qui dérangent plus les autres amis et sur lesquels ils font des critiques : un point concernant les respirations contrôlées, un autre le moment des explications, un troisième en rapport avec le fait de rester sur sa chaise pendant les ateliers et le dernier se rapportait à la façon de prendre son rang. La mère est finalement entrée partiellement dans le jeu par les points qu’on a choisis ensemble. Pour s’asseoir comme il faut sur sa chaise, il faut qu’il réussisse à le faire aussi à la maison, mais pas parce qu’il est menacé et qu'elle va jeter sa nourriture dans la poubelle. Cette rencontre-là a duré quasiment une heure et demie. Il connaissait déjà les règles mais de se les faire dire devant sa mère et sa grand-mère, je pense que cela a eu un impact. Depuis ce temps, la mère a vraiment pris conscience qu’il y avait un problème et qu’elle pouvait faire quelque chose.

Les semaines suivantes, j’ai encore pris des notes. Je croyais en ce qu’on avait fait, mais je le faisais en pensant à l'éventualité d'une prochaine rencontre. Jusqu’à la fin de février, il y avait encore pas mal de comportements dérangeants. Mais en revenant de la relâche, j’ai commencé à voir de l’amélioration, grâce, entre autres, au petit contrat de tous les jours. Un matin, au mois de mars, elle est venue le reconduire pendant le cours et je lui ai dit que, sans être le paradis sur la Terre, il y avait des améliorations. Elle était encore assez sur ses gardes, parce qu’elle ne voulait pas entendre des choses qui ne font pas son bonheur. De plus, Sylvain m’avait dit qu’il prenait quelque chose dans son yogourt. Je lui ai demandé si elle avait continué les démarches à l'hôpital. Elle était plutôt allée consulter un homéopathe et Sylvain avait commencé à prendre des gouttes qu’elle lui mettait dans son yogourt. Je crois qu'elle a été beaucoup plus stricte avec lui, elle a fait des choses positives et négatives, dans le sens qu'elle a enlevé certaines choses et lui en a peut-être promis d’autres, s'il se conduisait bien.

Entre-temps aussi, j’ai beaucoup parlé aux enfants dans la classe. Ça avait tellement atteint un grand sommet, que les enfants ont pris un conseil au complet pour parler de Sylvain en sa présence. Ils voulaient l’aider, ils voulaient faire leur part, mais il devait faire la sienne. On a essayé de tabler sur les bons coups : quand il en faisait, les enfants lui disaient lors d'un conseil de classe : « Ce matin, il a pris son rang et il n’a pas poussé du tout. » Ils se sont mis à lui faire des félicitations pour des petites choses qu’il faisait. Au conseil, quand on fait les félicitations, on applaudit. Il était content. Ça a été vraiment significatif. Ces enfants-là, quand ils ont trop de critiques parfois, ça peut avoir un effet contraire, ils veulent rester fidèles à leur image de tannants et ils vont en remettre pour garder leur image.

Les enfants ont fait preuve de beaucoup de tolérance à son égard durant ces semaines-là. Ce n’est pas gagné à tout coup. C'est à vivre au jour le jour, mais c’est plus tolérable que ce l'était à un point tel qu'à la dernière activité-récompense, il a pu participer. D’ici la fin de l’année, il ne faut pas lâcher. Cette semaine, il n'a pas fait les respirations du tout, je ne sais pas pourquoi. La technicienne et moi l’avons rencontré pour faire le point sur les quatre défis que nous nous étions fixés. Certains points, comme celui de rester assis sur sa chaise, se sont tellement améliorés qu'on les a enlevés du contrat et on en a choisi un autre : « À quelle place tu pourrais t’améliorer encore ? » Il ne l’a pas trouvé tout à fait, mais il n’était pas loin : le fait qu’il crie souvent et qu'il est capable de parler sur un ton modéré. Alors, c’est son nouveau point qu’on a ajouté pour le mois de mai. Ce n’est pas gagné et je suis certaine que l’année prochaine, quand il va aller en deuxième année, ça va être à recommencer. J’espère pour lui que ses comportements positifs vont se maintenir et qu'il ne repartira pas à zéro. En tout cas, la mère est quand même un peu plus consciente de la situation, mais je la sens toujours à fleur de peau parce qu’elle aurait besoin d’aide. Elle n’en a pas et elle n'en veut pas. Je trouve très difficile d'avoir des enfants comme ça dans ma classe, mais en même temps, c’est un défi. C’est mon orgueil de réussir et j'y mets le paquet. Je me donne beaucoup. J’aime en parler aux parents. Il faut que les parents nous parlent des difficultés familiales ; quand tu as le portrait de l’enfant, ça te fait accepter ses comportements insupportables. Ça me donne de la tolérance et c’est plus facile d'intervenir. Elle m'a déjà dit que son conjoint l’avait laissée quand Sylvain avait un an et qu’elle a toujours été toute seule avec lui. Elle m’en a parlé un peu, mais pas beaucoup. Elle était toujours portée à dire que c’était la faute des autres. Mais si l’enfant est comme ça, c’est parce qu’il a vécu des situations difficiles et qu’il en vit encore avec ses parents.


1- L'enseignante décrit en détail son fonctionnement en classe et comment elle en est venue à le développer

À ma première année d'enseignement, quand j’ai commencé à travailler, j’enseignais en première année et mon fonctionnement était traditionnel : on faisait toujours le français, la catéchèse, les mathématiques, selon l'horaire. La deuxième année, j’ai eu une classe à divisions multiples, première et deuxième. Comment veux-tu faire ta catéchèse avec la première année quand tu as aussi les enfants de deuxième année ? Ça t’amène à te creuser les méninges pour trouver des façons de faire. C'est ce qui a tout déclenché. J’ai commencé à travailler par ateliers. Je donnais des choix aux enfants : « Qu’est-ce que tu peux faire pendant que je suis occupée avec l'autre groupe ? Tu peux faire ça, tu peux faire ça. » Je leur montrais le matériel et le disposais dans un coin de la classe. L'année suivante, j’ai commencé à mettre des petites étiquettes pour constituer un tableau de programmation. Je mettais le travail de première année en une colonne et le travail de deuxième année dans une autre, et quand je mettais une étiquette entre les deux, ça voulait dire qu'ils pouvaient travailler première et deuxième ensemble. Dans le temps, ça s’appelait la pédagogie ouverte et aujourd’hui, ils parlent de gestion participative, comme si c'était tout nouveau. Ça fait 30 ans que j’enseigne et j’ai fait ça dès la deuxième année que j’enseignais. J'aimais ça parce que les enfants ont beaucoup plus de responsabilités face aux apprentissages quand ils travaillent. Ils sont plus autonomes et plus intéressés parce qu’ils peuvent choisir l'activité qu'ils vont faire et avec qui ils vont travailler. Ils choisissent l’activité, ils choisissent leur partenaire, ils peuvent choisir l'endroit où ils vont s’installer et combien de temps ils vont y travailler. J'y travaille toujours deux périodes par jour. Pendant ces périodes, certains vont faire deux ou trois activités au complet. D’autres sont plus « papillons ». Ils vont faire six activités, mais ne les finiront pas nécessairement la même journée. Probablement que j’aime choisir moi aussi, que je n’aime pas me faire imposer la façon d’apprendre ; j'aime choisir mes moyens. J’aime travailler avec des choix et pour les enfants, c’est la même chose. Dans la vie, plus tu as de choix, plus tu as la chance de t’impliquer et d’être intéressé. Je n’ai jamais connu ça comme enfant, d’avoir des choix comme ça. Dans mon temps, c’était toujours décidé à l'avance, mais, malgré cela, j’ai toujours aimé l’école. J’aimais l’odeur des livres, j’aimais la senteur des crayons. J’aimais cet environnement. J’étais à l’école, j’étais heureuse d’être là. Petite, je savais déjà que je voulais être un professeur.

Je ne travaille pas tout le temps en ateliers, seulement deux périodes par jour, dix périodes par semaine. Mais le tiers du temps, c’est déjà beaucoup, mais pas plus, parce qu'il faut quand même qu’il y ait du collectif. Après, tu mets les enfants en action dans les ateliers. Dans la semaine, l’horaire pour les enfants est représenté comme suit : le soleil jaune, ce sont les ateliers de français et de mathématiques ; les deux oursons, ce sont les ateliers d’arts plastiques et de jeux éducatifs, toujours deux périodes par jour ; les fleurs, c’est la catéchèse ; les parapluies, des mathématiques collectifs ; les petits oiseaux, la musique... À chaque matin, on regarde sur l’horaire ce qu’on va faire dans la journée. Les premières années, je le disais, mais je ne l’avais pas affiché. C’est toujours en perpétuel changement. Tu as toujours des choses que tu rajoutes, comme, par exemple, le conseil de coopération.

Même si ça fait 30 ans que je travaille en ateliers, il y a toutes sortes de choses qui ont évolué. Ça change tout le temps. Tu ne bâtis pas ça dans un jour. Je fais mes pas au fur et à mesure et je suis toujours à l’affût. Je vais à des congrès. Je connais de nouvelles théories que je rattache à ce que je fais. C’est la réflexion de toute une vie. Il y a des stagiaires qui viennent, qui sont émerveillées quand elles voient le fonctionnement, quand elles voient l’ameublement parce que c’est fonctionnel et que c’est moi qui ai fait les plans. L’important, ce n'est pas la méthode d'enseignement, ce sont les raisons qui fondent chaque geste. J’ai déjà creusé la signification du tableau de programmation quand j’ai fait ma thèse ; par exemple, pourquoi il est comme ça et pas autrement. Si je travaille comme ça, c’est parce que je voyais des problèmes à fonctionner tout le monde en même temps. Les enfants brillants attendent toujours après les autres ; en utilisant un tel fonctionnement comme ça, ils apprennent à leur rythme. Et ça vaut autant pour l’enfant qui est lent : un fonctionnement comme ça me permet d’avoir deux T.G.A. [troubles graves d'apprentissage] dans ma classe. Ça ne paraît pas. Parfois, l’orthopédagogue est dans la classe et les enfants ne sont pas identifiés ; ils ne sont pas pointés du doigt, les enfants ne sortent pas pour aller au local d'orthopédagogie. L’orthopédagogue vient dans ma classe et il travaille avec mes activités.

Travailler dans les ateliers, c’est plus fatiguant que quand les enfants sont assis, tranquilles et qu’ils travaillent. Je sais qu’en deuxième année, ils ne travaillent pas de cette façon, mais ce qu’ils ont appris de plus cette année, c'est d'aimer venir à l’école. L’autonomie qu’ils ont acquise, ça ne se perd pas. Quand les parents me demandent ce qui va se passer l'année prochaine, s'ils vont fonctionner comme ça, je leur dis que c’est un peu comme dans une famille. Dans une famille, il y a des normes, il y a des règlements, il y a des façons de faire et les enfants sont capables de s’adapter. Ils savent que chez cette grand-maman-là, il faut faire de telle façon parce que sinon elle n'aime pas ça. Chez l’autre grand-maman, c’est différent. Les enfants aiment les deux grand-mamans. Alors, les enfants sont capables de beaucoup d’adaptation.

2- L'enseignante explique l'importance qu'elle accorde à la communication téléphonique.

Je donne toujours mon numéro privé et je dis toujours aux parents : « Usez sans abuser. » Il y a bien des professeurs qui ne le font pas. C'est une autre façon de faire. Moi, j’aime autant le savoir tout de suite s’il y a un problème. Les parents m’appellent pour différentes raisons. Par exemple, quand un enfant est malade, le parent va m'informer qu'il prend des antibiotiques. J'aime le savoir immédiatement, c'est important pour moi. Il y a quelques années, certains parents ont abusé. Maintenant j’ai l’afficheur. Avant, je répondais pendant le souper. Maintenant, quand c'est l'heure du repas et que je vois le nom d'un parent, je ne réponds pas. Je sais qu'il va rappeler si c'est vraiment important.