© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Un enseignant de 30 ans d'expérience et qui a toujours enseigné en cinquième, sixième et septième années relate un événement qui s'est produit au début de sa carrière, environ à sa cinquième ou sixième année d'enseignement. À partir de cet événement, il livre sa conception de l'enseignement et plus particulièrement des exigences qui y sont reliées.

TITRE: C'EST NORMAL DE SE DONNER DES RÈGLES QUAND ON EST EN GROUPE

J'étais en sixième année et j'avais une classe de 25 élèves. À ce moment-là, les classes au primaire n'étaient pas mixtes. Ici à l'école, on avait seulement des gars et c'était un classement homogène, c'est-à-dire qu'il y avait deux classes de gars de sixième année, l'une avec les plus forts et l'autre avec les plus faibles (1). Nous étions deux professeurs pour chaque degré. Une année, on avait la classe de forts et l'autre année, on avait les faibles ; on changeait. Ce n'était pas l'ancienneté qui déterminait à ce moment-là, les classes faibles étaient aussi intéressantes que les autres. Il y avait des avantages à ce classement. On pouvait mieux s'adapter, mieux suivre le rythme de l'élève, d'une certaine façon. Quand tu as des classements hétérogènes où tu as des forts et des faibles dans la même classe, parfois, tu perds les faibles, alors que les forts vont trop vite. Tandis qu'avec un classement homogène, on distingue l'essentiel de l'accessoire. Si on avait du temps, on pouvait aborder l'accessoire. Mais, généralement, les classes faibles étaient les classes plus difficiles. Ces élèves-là étaient faibles ; ce n'est pas qu'ils étaient dépourvus, ils manquaient de motivation. Beaucoup n'aimaient pas l'école. Il fallait à ce moment-là les encadrer davantage. Il y avait plus de troubles de comportements. Il y en avait dans les classes fortes aussi, mais il y en avait plus dans ces classes-là. On a passé des années extraordinaires dans les classes faibles parce qu'on réussissait à les accrocher. Ils accrochaient plus que les forts qui eux étaient plus indépendants.

Cette année-là, la classe faible était assez turbulente. J'avais des vrais numéros, mais, au début de l'année, ça a bien été. Généralement, on avait un, deux ou trois élèves de moins que dans les classes fortes. À ce moment-là, il n'y avait pas de surveillance en rotation aux récréations. On sortait à la récréation avec nos classes. Donc, chaque enseignant surveillait sa classe. Ça allait bien. Mais il est arrivé une occasion où ce fut problématique. Un midi après les Fêtes, un élève entre dans la cours de récréation en bousculant un autre élève. Alors, en rentrant, je lui dis : « Va écrire ton nom au tableau! » Il va au tableau, mais il écrit son nom maladroitement. J'entre, je vois ça et lui dis d'aller effacer son nom et de l'écrire convenablement. Il va effacer son nom et l'écrit correctement sans exagération. Il va se rasseoir à sa place. Je leur demande de sortir leur livre de mathématiques. Il le fait en retard en voulant dire : « Je vais faire ce que tu me dis, mais au moment où je vais décider de le faire. » Il fallait qu'il montre qu'il ne perdait pas la face, qu'il était capable de tenir tête. C'était déjà arrivé avec lui, mais pas comme ça. Alors il sort son livre, après les autres. Je commençais à dire mes consignes : « Ouvrez votre livre à la page... prenez votre cahier et on commence à faire... Je vais vous expliquer quelques problèmes et vous aurez à faire les problèmes suivants. » À ce moment-là, je ne me préoccupe pas vraiment de lui. Les autres le regardaient et je me demandais ce qu'il allait faire. Il n'était pas un leader et il n'était pas très apprécié dans le groupe. Il avait des amis, mais ils changeaient souvent. Au moment où je leur demande de déposer leur crayon, lui le prend et s'apprête à écrire. Avec mon doigt, je fais voler le crayon et je lui dis : « Écoute-moi bien mon bonhomme, les explications, c'est moi qui les donne. Tu vas les écouter et faire ce qui est demandé. Si tu ne fais pas ça, ça ne me dérange pas, mais après la classe, je ne pars jamais, je reste toujours. Donc, on travaillera ça ensemble. » Il est devenu rouge mais il s'est replacé. Il a suivi les explications. Il n'a pas dit un mot. S'il avait continué, j'avais décidé de l'envoyer avec ses choses à un petit bureau qui est dans le corridor pas loin de ma classe. C'était ma porte de sortie. S'il allait là, la politique était qu'il fallait reprendre après la classe le travail qu'on avait fait durant cette période-là. L'élève appelait ses parents pour les avertir de son retard d'une demi-heure ou de trois quarts d'heure. C'était déjà arrivé avec d'autres. Il savait que ma réaction serait celle-là et il n'était pas content. Il n'a pas reparlé de la période jusqu'à la récréation. Il a fait ce qui était demandé. Pas plus, mais il faisait ce qui était demandé. J'ai senti que la vapeur avait baissé.

L'élève n'arrive pas toujours en forme, comme moi, je n'arrive pas toujours en forme. Il y a des fois où l'élève va faire quelque chose et je vais presque l'ignorer. D'autres fois, je vais répondre plus agressivement. Je suis comme ça. Donc, l'élève, ce qu'il avait vécu avant, ce qui s'était passé à la maison ou avec les autres, je ne le savais pas. Mais je comprenais que les élèves réagissent comme ça parfois. Ils ne sont pas toujours de bonne humeur. Il y a des choses qui nous dérangent plus et nos réactions, d'un jour à l'autre, ne sont pas les mêmes. Tu ne peux pas prendre tous les élèves de la même façon. Il y en a pour qui tu vas avoir une approche plus individuelle. Tu vas leur parler tout seul et ça va régler le problème. Pour d'autres, il faut que tu leur dises en groupe pour qu'ils réagissent. Ça, on ne le découvre pas les premières journées, on le découvre au fur et à mesure. Parfois, on prend une démarche et on manque notre coup. On réalise que ce n'est pas celle-là qu'il fallait prendre avec tel élève. Une autre fois, on le prend autrement et ça fonctionne. Alors, je sais qu'avec lui je vais agir de cette façon, tout en ayant les mêmes exigences. Par exemple, tu avertis un élève personnellement devant les autres et il s'assagit ou il fait ce qui est demandé. S'adresser directement et apostropher quelqu'un devant tout le groupe, ça n'apporte pas tellement. Donc, au début, je m'adresse individuellement aux élèves.

Cette classe-là a joué toute l'année à tester le professeur. Ce groupe-là en particulier. Ça ne concerne pas tous les groupes faibles. Il y a des élèves plus faibles qui sont très intéressants. J'aime travailler avec des élèves faibles, mais qui veulent et qui n'ont pas peur d'en donner. Mais dans cette classe-là, c'étaient des élèves faibles, pas parce qu'ils étaient dépourvus, mais parce que ça ne leur disait pas de travailler. Il y avait des hypocrites qui faisaient les anges quand tu étais là, mais par en-dessous, ils faisaient le contraire. Il fallait que tu aies des yeux tout le tour de la tête. Avec des élèves comme ça, au début, on essaie de leur faire comprendre et de leur montrer le sens des responsabilités. Mais, à un moment donné, avec certains, il n'y a pas de négociations. « C'est ça, c'est ça. » Lorsque je faisais des sorties, je leur disais de venir avec moi et de ne pas s'éloigner de moi. La confiance, je la donne si elle est méritée. Sinon, je la redonnerai quand j'aurai vu un changement. Il y en avait certains qui étaient comme ça. Dans cette classe-là, aussi, il y avait trois, quatre leaders qui ne faisaient pas nécessairement les mauvais coups, mais qui les faisaient faire par les autres. Ils avaient leur petit groupe. C'était un groupe très particulier, une des classes les plus difficiles, au point de vue de la confiance.

Il y a peut-être eu des cas individuels plus difficiles qu'eux, mais en tant que groupe je ne pouvais jamais leur faire confiance à 100%. Il y en a toujours trois, quatre qui vont comploter par en-dessous. Quand ils sont partis à la fin de l'année, c'est la seule fois que j'ai dit à un groupe que je leur souhaitais ce qu'ils méritaient. Je ne leur souhaitais pas des choses qu'ils ne méritaient pas, mais quelques-uns ne mériteraient pas grand-chose. Sur 25, il y en avait peut-être trois, quatre. Je n'ai pas passé une mauvaise année, mais c'était une année où il fallait toujours que je donne plus de directives, plus de cadre. J'habituais mes classes à travailler en mon absence. Je partais cinq, dix minutes et il fallait qu'ils restent à leurs affaires. Avec ce groupe-là, je ne pouvais pas. La majorité l'aurait fait, mais à cause de quatre, cinq qui étaient très leaders, c'était impossible.

Au début de l'année, ils me connaissaient déjà parce que j'avais la réputation, de l'extérieur, d'être très sévère, très strict. En arrivant en classe, certains étaient heureux et ils me le disaient d'emblée. D'autres l'étaient moins. Plus tard, ils me disaient, qu'au début, ils ne voulaient pas être dans ma classe. Mais quand ils arrivaient dans ma classe, on parlait, on discutait. Les premières journées, je leur expliquais et je leur disais : « Franchement, vous arrivez ici et vous savez la réputation qu'on me donne, que je suis sévère. Mais c'est quoi être sévère pour vous autres ? » Ça ne répondait pas généralement. Je poursuivais : « Si on se dit que cette année, on travaille, qu'on a ça à faire et que c'est pour être bien fait, que vous étudiez vos leçons et que, si vous n'avez pas vos leçons, vous restez après la classe et qu'on va les étudier ensemble, que c'est la même chose pour les devoirs, si c'est parce que tu n'as pas voulu le faire, tu auras quelque chose de supplémentaire, ces choses-là, est-ce que c'est sévère pour vous autres ? » Ils ont dit : « Oui. » J'ai demandé si c'était normal de se donner des règles quand on est en groupe, dans les jeux, par exemple. Si personne ne respecte ces règles-là, ce n'est pas intéressant d'être dans ce groupe-là. Il faut avoir des règles : « Si je vous dis de faire ça de telle façon, je le veux de telle façon. Et je vais vous expliquer pourquoi. Je ne vous dirai pas de le faire sans m'en occuper après. »

Il faut être constant sinon, ils ne savent plus où aller. Si mon directeur exigeait une chose une journée et le lendemain le contraire, je n'aimerais pas ça. Il faut avoir une humeur égale. Il y a des journées où on se sent bien, on permettrait plus. Il y a des journées où on arrive et il ne faudrait pas qu'ils bougent. Quand tu serais porté à permettre trop, il faut que tu baisses ça et quand tu ne permettrais rien, il faut que tu montes tes permissions. Les règles doivent être respectées le plus également possible pour que les élèves sachent à quoi s'attendre. Sinon, ils ne savent plus quoi faire. C'est un peu comme un arbitre au hockey. Il faut qu'il soit constant. S'il est constant tout le temps, ça va bien. Mais s'il y a des hauts et des bas, il ne sait plus quoi faire et ça dégénère. J'essaie d'être un consultant, d'être là et de guider dans les travaux, l'apprentissage, la discipline, le comportement et tout. Mais, comme je leur dis, il y a des journées où guider c'est dire : « Tu fais ce que je te demande parce que si tu n'as pas pris conscience de ce que tu fais, ce n'est pas seulement toi, c'est tout le groupe qui en souffre. Si tu es tout seul, ça ne dérange pas. Avec 27, 25, ça dérange. »

Je trouve qu'aujourd'hui c'est plus difficile d'enseigner aux jeunes. Ça ne vient pas nécessairement des jeunes, mais de l'éducation qu'ils ont reçue. Ça vient des parents, souvent. Il y a des parents qui vont t'appeler, te téléphoner pour dire qu'on n'est pas assez exigeant, qu'ils n'ont pas assez de travaux, d'autres vont dire qu'il y en a trop. Il y en a qui vont te demander d'être strict, d'autres vont se plaindre que tu l'es trop. Ce n'est pas rare que les élèves vont arriver avec un papier des parents disant que l'enfant n'a pas pu faire son devoir hier soir car il avait sa natation, son équipe de hockey, son équipe de baseball. Ses parents vont l'inscrire à ces activités pour avoir une certaine tranquillité. Je ne veux pas dire que c'est mauvais, mais il y a moins d'exigences aujourd'hui de la part des parents à la maison. Souvent, on entend encore : « Attends quand tu vas aller à l'école, là tu vas travailler. » L'école, c'est le reflet de la société. Si dans la société c'est plus permissif que c'était, à l'école, ce le sera plus aussi. Ça amène les jeunes, je dirais, à être plus médiocres dans leurs travaux, dans le travail qu'ils ont à faire, à moins fournir d'efforts, à plus se laisser aller (2). J'ai l'impression d'avoir été obligé de baisser mes exigences à cause du contexte et c'est frustrant. Et ce n'est pas seulement dû aux parents. Ça vient aussi de l'école. Si tu es le seul à être très exigeant, ça ne fonctionne pas. Il faut au moins avoir quelques enseignants qui soient sur la même longueur d'onde que toi. J'ai dû baisser mes exigences ; je ne les ai pas nécessairement toutes laissées tomber, j'ai encore des exigences que beaucoup d'autres n'ont pas encore (3).

Souvent, on va dire de faire attention pour ne pas être trop exigeant. Je dis qu'il faut l'être, mais en tenant compte du contexte d'aujourd'hui ; il ne faut pas être dictateur. Pour moi, être exigeant, c'est avec eux, c'est l'académique, c'est le comportement, c'est la classe. Au début de l'année, on parle des règles de vie de l'école ensemble. Quand ils entrent, je leur dis : « Je vous donne les leçons et je les demande le mercredi suivant. Vous avez une semaine pour étudier. Vous n'avez pas à étudier chaque soir. Les devoirs, c'est pareil. Est-ce que c'est raisonnable ? Les signatures des leçons, de tout, si ce n'est pas signé, tu l'amènes pour le faire signer le lendemain. Si ce n'est pas fait le lendemain, tu auras une petite sanction, qui ne sera pas grave, mais tu auras une petite sanction pour te rappeler de le faire. » On parle de ça ensemble. Souvent, ils vont être plus exigeants que moi. On s'entend sur ça et dès lors, je le respecte, je vais être exigeant et il va falloir que ça arrive. Pas dire une journée : « Ah, c'est correct, je ne m'en occupe pas. » Ce que j'ai dit, ce que j'ai demandé, je l'exige. Sinon, c'est comme leur dire qu'ils sont libres de le faire ou que je ne leur demande rien.

Si un élève n'est pas motivé, je vais essayer de le motiver en lui donnant des choses intéressantes. Je suis loin de réussir à chaque fois et à chaque jour. Parfois, je me dis que je suis ennuyant « à mort ». Ce matin, par exemple, j'ai fait une période de catéchèse qui est fixe. Quand le cours a été fini, je les ai remerciés de leur attention parce que ce n'était pas très vivant. J'ai essayé de trouver un moyen de rendre ça intéressant, mais sans succès et il faut quand même le faire, il faut le passer, ce contenu. Il faut essayer de rendre les matières intéressantes pour les motiver, mais la motivation doit venir de l'école. Ça vient aussi des parents, des amis. Si les jeunes se tiennent avec un groupe qui ne veut pas travailler, pas étudier, ils vont suivre. Les parents veulent se mêler davantage des décisions de l'école, mais ce n'est pas nécessairement toujours dans le bon sens. Ils vont être exigeants envers l'école, mais on les regarde à la maison et ils ne font rien. J'ai un exemple bien concret. Je suis sur le conseil d'orientation et un père, depuis le début de l'année, revient sans cesse sur le même sujet : il n'y a pas assez de surveillants dans la cour de récréation et son petit gars se fait bousculer, il se fait voler ses affaires. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que son petit gars est l'un des pires. À un moment donné, il est venu à une soirée organisée par le comité de la cour de récréation, parce qu'ils veulent trouver du financement pour mettre des choses en place. Le père était là avec son petit gars qui a couru à travers tout le monde toute la soirée. Il ne faisait rien, et c'est lui qui veut qu'on fasse quelque chose. Il ne s'interroge pas. Qu'il nous appelle pour s'informer, on est bien d'accord mais à un moment donné, il faut avoir un certain support aussi.

L'enseignement comme tel, je ne déteste pas ça. J'aime ça l'enseignement. C'est pour ça que je l'ai choisi. Je suis heureux dans ma classe, mais il y a toutes les exigences, les « à-côté ». Certaines choses qu'on doit faire que j'aime moins. Je comprends que dans une école, on fasse des activités en commun. Mais je suis peut-être trop individualiste de ce côté-là. Les activités en commun, les surveillances, c'est un fardeau. L'enseignement, j'aime encore ça, c'est sûr. Mais il y a la fatigue. Ça fait 30 ans que je dis la même chose. J'ai moins d'énergie. Tu te demandes parfois pour qui tu répètes ça. C'est normal. Ce ne sont pas les mêmes enfants que tu as devant toi. À chaque année, il y a toujours des élèves plus difficiles que d'autres et c'est plus fatiguant. Plus tu vieillis, moins tu récupères vite et ça devient plus gros.


1- Sur les avantages et les limites des classements de types homogène et mixte.

J'ai vécu les classes homogènes, j'ai aimé ça. C'était plus près les uns des autres. Sinon, il y a un petit groupe d'élèves rapides et un petit groupe qui est très lent. Il y a des avantages au fait d'avoir seulement des gars. Quand on sortait, on allait jouer, on ne se cassait pas la tête pour jouer au ballon. On jouait au ballon, à la balle, au soccer. Avec des classes mixtes, tu ne peux plus faire ça. Même dans les cours d'éducation physique, il faut que tu partages. Et en sixième année, ils ne sont pas prêts à être en équipes. On les laisse libres et les gars se mettent ensemble et les filles ensemble. Cependant, c'est important qu'ils se côtoient. La mixité a apporté ça. Je m'en rappelle, avant, quand on faisait la profession de foi en sixième et en septième années, on se retrouvait des gars qui étaient toujours ensemble avec des filles dans leurs classes de filles. Ils se poussaient pour ne pas se toucher. Alors qu'aujourd'hui, tu n'as pas ce problème-là. Les filles ont apporté certaines délicatesses dans les remarques en sixième et en septième années. Il ne faut pas retourner en arrière avec les gars d'un bord et les filles de l'autre. Mais peut-être au classement homogène de force d'élèves, sur la base académique. Parce qu'une classe homogène peut être mixte. J'ai passé de belles années avec des classes homogènes.

2- Quelques réflexions sur le contexte social et l'adolescence.

Quand j'allais à l'école, ou quand mes enfants y allaient, les forts étaient valorisés. Mes enfants ont maintenant terminé le secondaire, mais quand ils y étaient, à la fin de l'année, ici à l'école, par exemple, ils donnaient des « Méritas » pour des bonnes notes, des bons comportements et pour de l'amélioration. Ce n'était pas nécessairement aux plus forts, mais à ceux qui avaient fait quelque chose de valable. Les plus forts n'étaient pas contents d'aller le chercher parce qu'ils passaient pour des élèves studieux et doués. Ils ont honte de ça. C'est ça qui est malheureux aujourd'hui. Au secondaire, un gars va se vanter d'avoir 50% et d'avoir échoué son examen. Celui qui a 90%, il va être gêné de le dire. Le travail est dévalorisé aujourd'hui. Je pense qu'on va commencer à changer cette mentalité quand ça va commencer à la maison. Des parents font des remarques parce qu'ils n'acceptent pas que le voisin soit meilleur que leur enfant. Alors, ils ne valorisent pas l'effort. « Ce n'est pas grave. Tu vas être capable de t'en sortir, de faire autre chose. »

On regarde chez les jeunes aujourd'hui, il y en a qui font des dépressions ou des suicides. C'est parce que, souvent, ils ne sont pas capables de faire face aux exigences qui leur sont demandées. Ils s'imaginent aussi qu'ils sont seuls à avoir ces exigences-là. S'ils réalisaient que tout le monde a les mêmes exigences, ils se diraient qu'ils sont comme les autres. Si tout le monde a des voitures et que je n'en ai pas, je me sens seul. Mais si quelques-uns en ont et presque tout le monde n'en a pas, ceux qui n'en ont pas ne sont pas si malheureux de ça. Les jeunes ont peut-être plus de problèmes auxquels ils doivent faire face sans nécessairement être prêts. Prenons, par exemple, seulement la séparation des parents. Ça paraît quand ça arrive au primaire. Quand ça ne fonctionne pas avec un élève et qu'il a quelque chose, je demande de lui parler pour savoir ce qui ne va pas et si c'est à cause de moi ou de quelque chose qui se passe à la maison. Souvent ils vont le dire. Au début, quand j'ai commencé à enseigner, il pouvait en avoir un ou deux qui étaient séparés. Maintenant, dans ma classe, ce n'est pas loin de 50%.

3- Sur les exigences en enseignement

Nos exigences ne sont pas les mêmes. Il y a des choses pour lesquelles les femmes vont être plus exigeantes et que moi je juge moins importantes, tandis que je vais être plus exigeant sur d'autres choses dans les relations entre hommes et femmes, par exemple. Le fait que je sois un homme au primaire en général ça aide, mais pas avec tous les élèves. Cette année, j'ai des élèves qui ont connu seulement des femmes durant leur primaire. Ils sont arrivés dans ma classe et ça a eu un effet positif sur leur comportement. Une fille, l'année passée, était un cas important ici à l'école : elle était très arrogante. Les deux premières journées, elle est arrivée en retard aux cours. La deuxième journée, je lui ai dit que je n'étais pas habitué à ça, que la ponctualité, pour moi, c'est aussi un signe de politesse. « Tu es capable d'arriver à l'heure. Tu arrives quelquefois à l'heure. Ce n'est pas normal que tu arrives quatre, cinq jours en retard. Tu es capable. On se comprend bien ? On s'entend ? » La prochaine fois qu'elle arriverait en retard, on doublerait le temps de la classe. Elle est partie et est allée à sa place. Un moment donné, je lui avais demandé de me donner sa calculatrice et elle n'a pas voulu. Je m'étais levé et j'étais allé la chercher. On est descendus au bureau de la directrice et en entrant j'avais dit : « Marianne, vous la connaissez ? » Elle dit : « Oui, on s'est rencontrés l'année passée. » Là, j'ai dit : « On va mettre les points sur les i. Moi, je ne la connais pas. J'en ai seulement entendu parler. Ces choses-là, je n'accepte pas ça. Pour moi, c'est inacceptable. Je ne viendrai pas ici 10 fois. Qu'est-ce qu'on fait ? » C'est la première fois que je voyais la directrice dire : « Marianne, la prochaine fois que tu réagis, tu es suspendue. » Ce n'était pas un cas de suspension comme tel, mais avec tout le bagage qu'elle avait en arrière, il fallait réagir plus fermement. À partir de ce moment-là, on a eu une relation merveilleuse. Je l'ai rencontrée tout seul après. J'ai dit que je ne lui donnerai pas de chances, parce que je ne pouvais pas. Je voulais qu'elle fasse comme tout le monde. Elle arrive toujours avec l'air bougon, marabout. Ça ne m'intéresse pas de travailler avec des élèves comme ça. Est-ce qu'ils toléreraient que j'aie la même attitude à la journée longue ? Les parents disent qu'ils sont contents, parce que c'est la première fois pour certains enfants qu'ils ont un homme dans leur vie.