© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : C'est le récit d'un enseignant en mathématiques de deuxième secondaire. Il présente sa réflexion au sujet d'une situation non résolue impliquant une élève qui ne fait aucun effort dans sa classe.

TITRE: IL N'Y A PAS EU DE TOURNANT MAJEUR

Marlène est une jeune fille qui ne fout absolument rien. Ce qui l’intéresse, c’est peut-être tout le reste sauf ce qui se passe en classe. Elle fait semblant de travailler mais en-dessous de sa feuille de travail elle a une autre feuille sur laquelle elle écrit des petits mots à ses amis ou fait des dessins. Les premières semaines, je n’y ai pas vraiment porté attention. Mais suite aux examens, pour lesquels ses résultats sont vraiment désastreux, je me rends compte que ça ne va pas. Elle ne fait pas ses devoirs et elle n’est pas attentive. Je l'incite à travailler, mais elle me répond qu'elle ne comprend rien. Ce que je lui demande, je le demande à tout le monde et elle a les connaissances pour le faire. Je lui demande de se forcer, mais je n’ai jamais de réponses positives de sa part.

À la fin de septembre, je mets en place le travail d’équipe. Elle se met en équipe avec une élève qui, comme elle, ne veut pas travailler. Elles placotent au lieu de travailler. Je les avertis et leur interdis finalement d'être en équipe ensemble. Puis je continue toutes sortes d'interventions auprès de Marlène. Je l’envoie en arrière en lui disant que si elle ne veut pas travailler, elle peut bien perdre son temps et que tant qu'elle a ce comportement, je ne peux rien faire pour elle. Mais il n'y a toujours pas de changement.

Elle ne nuit pas au groupe, elle n’est pas dérangeante, mais quand j’interviens par rapport à elle, je le fais dans le groupe. C’est tannant de toujours intervenir de la sorte. À un certain moment, j'interviens un peu plus sévèrement pour qu'elle se rende compte qu’elle a quelque chose à faire. Je lui parle fort et lui fais des remarques plus tranchantes : « Tu ne m’écoeureras pas comme ça. Tu as du travail à faire et ça va passer par là ! ». Elle prend sa feuille d’exercices, elle griffonne un peu et elle attend qu’on fasse la correction. Elle fait semblant comme pour dire qu'elle a fait quelque chose mais que je ne lui ai rien fait faire en bout de ligne.

Après la manière forte qui n’a rien produit, j'appelle ses parents pour leur dire que leur fille ne travaille pas. La mère me dit qu'ils vont lui parler mais sans plus. Si je me rappelle bien, je rencontre aussi sa mère à la remise de bulletin de la première étape. Je lui explique encore que sa fille ne fait rien. Elle écoute mais n'a pas de commentaires. Je ne sens nulle part qu’il y a quelque chose à faire. Alors, je décide de laisser Marlène de côté en espérant qu'elle réalise peut-être qu’il faut qu’elle fasse quelque chose.

Avant la fin de la première étape et pour une partie de la suivante, Karène, une stagiaire, vient faire un tour, une fois par semaine pendant cinq semaines. Elle trouve que ce groupe n’est pas facile à gérer et me fait des remarques sur certains individus dont Marlène, mais sans plus. Je continue à ignorer Marlène. Je ne lui fais plus de remarques sur son comportement, sur sa façon d’agir. Je la laisse même travailler en équipe encore avec l'élève avec qui elle ne travaille pas. Ses résultats diminuent, c’est vraiment affreux, elle obtient 10% ou 15% à un examen. Mais elle n’a pas l’air d'être dérangée par ça.

À la fin de janvier, la stagiaire revient dans ma classe. Après avoir surveillé un examen, Karène me demande si j'ai vu que Marlène n’a rien foutu pendant l'examen. Je lui dis que je l'avais effectivement vu mais que j’ai fermé les livres avec elle. Je lui explique que j'ai posé des gestes mais que je n’ai jamais eu l’espoir qu’il y ait un tournant encourageant, qu'elle commence à comprendre. La stagiaire trouve tout de même la situation insensée et suggère de faire quelque chose pour cette élève. À ce moment, j'ai été frappé. C'est comme si elle me disait que je n'avais peut-être pas encore tout essayé.

En corrigeant les examens, Karène sursaute en voyant la copie de Marlène. Elle n’a à peu près rien répondu et il y avait un dessin d’un champignon, c’était écrit « mush ». Dans le langage, c’est synonyme de drogue, d’hallucinogène. Karène trouve que c’est un signe symptomatique et me demande ce qu’on pourrait faire. Selon moi, il n’y a plus grand-chose à faire en classe. Cependant, on pourrait peut-être référer son cas pour des tendances vers la drogue, vers le décrochage. Je rencontre la technicienne en éducation spécialisée (T.E.S.) et je lui parle de Marlène. Elle fait faire une évaluation par tous les professeurs et sauf pour deux professeurs, Marlène est pareille partout. À partir du moment où la majorité des professeurs disent que ça ne va pas avec Marlène, un plan d’action est mis en oeuvre. Marlène a, à partir de ce moment, un passeport, un papier qu’elle garde avec elle durant toute la semaine et qu'elle fait signer par les professeurs pour assurer un suivi de son comportement. Le professeur donne ses commentaires au sujet de son attention en classe et des travaux complétés. C'est le début de l’action.

La technicienne et la direction convoquent les parents à une rencontre pour signifier le problème. À la suite de cette rencontre, la direction me rencontre et me rapporte ce que le père a dit. Apparemment, je suis le seul qui soit toujours sur le dos de Marlène, qui l’écoeure, qui fait ci et ça. Selon son père, Marlène n’est coupable de rien. C’est le professeur qui n’est pas correct avec elle. Son père ne prend en compte que ce que sa fille lui dit. L’année passée, il y a eu des problèmes majeurs avec lui. Mais j’ai quand même une claque en arrière de la tête. Je raconte à la directrice que loin d'être sur le dos de l'élève, je la laisse faire, je ne lui fais plus de remarques parce que ça ne donne rien. J’ai voulu tout faire pour qu’elle travaille mais ça ne marche pas. La direction m'assure qu'elle va prendre des actions, que la T.E.S. va aller observer Marlène dans plusieurs cours. Elle constate bien que Marlène, dans la majorité de ses cours, est dans la lune et ne fout rien. Sauf une journée où, du jour au lendemain, Marlène arrive en classe avec son devoir fait, elle a le sourire, elle travaille toute la période et répond aux questions.

À un moment donné, alors que je demande de faire un certain exercice, Marlène s'empresse de dire qu'elle l'a déjà fait. Encore une fois, j'ai un accrochage avec elle et elle m'apprend qu'elle a un professeur privé payé par son père. À partir du moment où il est venu rencontrer la direction, son père a décidé de lui payer des cours privés, mais il n'a averti personne. Le professeur privé, un étudiant d’université, ne fait pas de retour sur ce que Marlène n'a pas compris, il fait faire du travail que je n'ai pas encore donné. Je consulte à nouveau la technicienne et la direction. Je mentionne que le travail du professeur privé ne règle pas les problèmes avec Marlène. Au contraire, il vient mêler les cartes encore plus parce qu’il lui fait faire du travail avant qu'elle ne le fasse avec moi. La technicienne essaie d'expliquer la situation à la mère ou au père. Marlène fait un peu plus d’efforts mais ce n'est pas extraordinaire. Elle recommence les dessins et les petits mots. Je l'informe que je ne lui dirai plus rien mais qu'à chaque fois que je vais la voir écrire ou faire quelque chose, je vais lui enlever, je vais le garder, ce seront mes preuves à conviction pour ses parents. Et je le fais. Dans son passeport, j’écris qu’elle n’est pas attentive.

Puis, une journée du mois de mars, encore une fois pour rien, elle arrive et se met à travailler. Mystère ! Elle répond aux questions, elle lève la main. Je suis bouche bée. Il n’y a rien qui pouvait me laisser prévoir ce geste-là surtout après tout ce qui avait été vécu. Elle vient me porter son passeport à la fin de la période. Je mets des A partout. Elle me regarde et sourit. Je lui dis : « Tu sais Marlène, ça m’arrive d’être content. Là, je le suis ! ». Elle me répond : « Moi aussi ». Elle ferme le passeport et elle s’en va. Je me dis qu'on a fait un pas. Je pense qu’on va arriver à quelque chose. C’est sûr que je ne peux pas planifier de lui faire réussir son année, c’est un échec total, elle n’a même pas 40% de moyenne. Mais si au moins on peut changer l’attitude, on peut espérer que cette attitude continue l’année prochaine. Je pense qu’avec Karène on a fait un bon coup de l’identifier comme cas-problème et de la suivre. Il y a peut-être enfin des choses qui ont été réglées. Pendant environ quinze jours, Marlène fait des efforts. Quand elle ne comprend pas, elle lève la main. Elle lève la main aussi quand elle comprend pour demander si ce qu'elle a fait est correct. La technicienne me dit, pendant ce temps-là, que la mère s’est rendu compte que Marlène avait peut-être des amis plus ou moins corrects, qu'ils changent tranquillement et que ça aide l’attitude de Marlène. Je suis un peu soulagé dans le fonctionnement général de la classe parce que je n’ai pas besoin de me concentrer toujours sur elle. Je peux regarder les autres.

Puis, ça redescend. On dirait qu'elle s’est tannée que ça aille bien. Depuis mi-avril, ça recommence, les petits mots, la nonchalance. On continue les passeports, on continue à écrire à Marlène qu’il y a des choses qui vont et d'autres qui ne vont pas. Mais c’est difficile pour moi de cerner le problème. Marlène est à moitié là. Quand est-ce que j’écris qu’elle est correcte ou qu’elle n’est pas correcte en classe ? Elle est capable de faire une partie de ses devoirs, d'être là physiquement et mentalement en classe, mais pendant 20 minutes elle n’est plus là.

Il n’est pas réglé encore mon problème. Je me pose encore des questions sur ce qu’on peut faire dans des cas comme celui-là parce que je n'ai plus vraiment le contrôle. En classe, elle est correcte sans l'être. Elle accepte les remarques, elle n'a plus ce caractère agressif qu’elle avait. Il y a plus de décence dans les gestes qu’elle pose. Il y a eu un gain. J’ai fait un bout de chemin et elle en a fait un aussi. Mais je trouve dommage que le petit bout qu’elle a fait ne soit pas suffisant pour qu’elle se rende compte que ça donne des résultats. Il n'y a pas eu de tournant majeur. Je pense que je n'aurai pas plus d'efforts de la part de Marlène. Je suis rendu là.

Ce qui me déçoit aussi c’est l'attitude des parents là-dedans. Le père n’a jamais voulu admettre que Marlène n'était pas correcte dans sept autres cours et que ça se pouvait que ce ne soit pas juste le professeur de mathématiques qui soit responsable. Quand on a des cas difficiles comme ça et que les parents ne sont pas coopératifs, qu'il n'y a pas de connivence pour aider l'enfant à faire quelque chose, tu ne peux pas y arriver.

C’est un cas que je trouve important parce que ce n’est pas vrai que ça se règle tout le temps. Ce n’est pas vrai qu’on arrive toujours à une solution. Le professeur extraordinaire n'existe pas. Pour moi, c’est un peu un échec parce que je me dis qu'il y a des choses que je n’ai pas réussi à faire. Le constat que je fais aussi c’est que quand ça va tout le temps mal, ce n’est pas sûr qu’on pose toujours les bons gestes aux bons moments. Ça va tellement mal que tu en oublies des petits gestes comme consulter la technicienne et lui demander de faire le tour des autres professeurs pour savoir s'il y a juste avec toi avec que ça va mal comme ça.

D'un autre côté, je pense que c’est dans ma nature de tarder à consulter car je mise sur ma réussite individuelle. Dans ma classe, je vais réussir à faire quelque chose avec cette élève. Je ne regarde peut-être pas l'ensemble du problème qui est devant moi. C'est peut-être l'expérience des années antérieures qui me fait agir comme ça parce que, la plupart du temps, je règle mes cas moi-même. L'élève se rend compte qu'il ne faut pas qu'il aille plus loin qu'une certaine limite avec moi. Il ne fait pas tout ce que je lui dis mais il se range un peu. Il y a une entente tacite de reconnaître l'effort à faire. On chemine de part et d'autre, ce qui fait qu'en bout de course, j’ai fait un bout de chemin avec l'élève. Et il me donne quand même des résultats satisfaisants. J'ai d'autres élèves qui étaient vraiment perturbateurs et avec lesquels mon approche fonctionne. Je vais voir l'élève en lui disant que j'aimerais ça l'aider, mais qu'il faudrait qu'elle travaille, qu'elle se force (1).

Mais avec Marlène, rien, même pas l'espoir que ça va grimper. Dans ces conditions, je n’ai plus de moyens. Elle n'est jamais venue en récupération. Elle n'a jamais demandé d'explications. En tant que professeur dans une telle situation, j'ai de la misère à aller donner ; je suis sur la défensive. Quand un élève qui n'est pas bon me dit qu'il aimerait avoir de l'aide, ça me fait plaisir d’essayer, par toutes sortes de moyens, de l'aider. Mais la journée où l'élève pense et dit que je ne veux pas lui en donner et que le parent maintient que c'est son enfant qui a raison, je me demande quels sont mes moyens. Je suis vraiment bloqué.

Je pense que tout le problème tourne autour du milieu social. Pour elle, ce qui est important, c'est de savoir qui va au party et qu'est-ce qu’elle fera en fin de semaine avec ses amis. Elle vit dans son monde qui est particulier, son monde où elle a le goût d'écrire à ses amis. Pour elle, les mathématiques, c’est loin dans ses priorités. Le professeur lui demande de faire un effort, mais cet effort-là, elle n'est pas intéressée à le faire.

Un des points les plus difficiles dans l'enseignement, c'est la gestion de ce désintéressement des élèves vis-à-vis la matière enseignée. Si je laisse faire tous mes élèves qui ont le goût d'être ailleurs qu'en mathématiques, je commence à perdre le contrôle. Je commence à ne plus avoir la gestion de ma classe, de mon contenu, de tout ce qu'est une classe de mathématiques. Par contre, un autre professeur va bien gérer ce cas-là, car pour lui ce qui est important c'est justement d’aller chercher cette personne-là (2). Mais peut-être n’aura-t-il aucune gestion de classe et de contenu. Je veux avoir un contrôle sur ce qui se passe autour de moi. C’est moi ça. Dans ce sens-là, quand je vois quelqu'un dans ma classe qui échappe à mon contrôle, je lui dis : « Regarde, on va faire quelque chose ». J’ai l'impression qu'à quelque part, on est prisonnier de la matière qu'on enseigne d’une certaine façon. J'aimerais ça être encore plus proche de mes élèves (3). Mais si on n’avance pas, si je n'essaie pas de faire le maximum pour l'apprentissage des élèves en regard des mathématiques, je ne m’en sors pas. Il y a eu des pas qui ont été faits en ce sens, je pense, avec l'avènement des nouveaux programmes en mathématiques, entre autres, où on a plus axé sur l'individu, on est plus allés chercher le mode de fonctionnement des élèves. J’aime ça parce que ça me permet de leur dire : « C’est le fun ce que tu as fait ! C’est une bonne façon de procéder. Est-ce que quelqu’un a une autre façon ? » Donc, je me sens plus près d’eux mais c’est comme si mon mode de fonctionnement s’arrêtait aux bons coups à l’intérieur de ma classe, à la relation mathématiques versus le programme.

On dirait que depuis un an ou deux les élèves sont plus renfermés sur eux-mêmes. Je leur demande s'ils ont eu une belle fin de semaine et ils répondent que ce n’est pas de mes affaires. Est-ce que c’est un blocage temporel, un décalage d'âge entre moi et eux ? Je ne le sais pas mais je sens que c’est plus difficile d’aller les chercher dans ce qu’ils sont pour faire le bout de chemin où je veux les amener (4). Pourquoi est-ce comme ça ? Pour moi, c’est mon gros problème actuel. Ce qui me déçoit le plus, ce qui me gruge le plus en-dedans, c'est de penser qu'il me reste quelques années à enseigner et qu'elles se passeront peut-être à m’éloigner des élèves et à être amer de ne pas pouvoir avoir de contacts plus personnels avec eux.


1- L'enseignant parle d'un autre élève avec qui ses interventions sont plus satisfaisantes à ses yeux

J'ai vécu une autre situation avec un autre élève, un garçon ; il a changé du tout au tout. Il s’est rendu compte qu'en écoutant en classe, ça l'aidait. Aussi en travaillant chez lui le soir, il était capable le lendemain de me poser des questions et de suivre ce que je disais. Il a réalisé des choses probablement grâce à mes paroles, mais ce sont ses gestes qui lui ont fait prendre conscience qu'il peut avoir quelque chose de positif. Cependant, avec lui j'ai un autre problème maintenant. Ses résultats plafonnent. Il comprend bien ses devoirs et les travaux qu’il fait en classe, mais quand arrive l’examen, il y a le stress et la complexité de la tâche. Ses résultats sont encore dans 50%. Il se décourage un peu. Mais en sachant qu’il fait des efforts, je le rassure en disant qu'on est en apprentissage. Il faut qu'il continue et ça va débloquer. Je pense que le fait de lui dire ça, je lui redonne courage pour poursuivre. Et j’ai plusieurs élèves comme lui que je maintiens avec le renforcement positif.

2- L'enseignant compare son approche à celles d'autres collègues

Une de mes consoeurs est très stricte sur le travail. Je vois une grosse différence dans l'attitude des élèves entre elle et moi. On est tous les deux très compétents dans notre matière, mais elle axe beaucoup sur le contenu et sur le travail à faire, les règles strictes du travail. J'en ai des règles mais j'axe plus sur le plaisir et sur le fait de se montrer des moyens d'arriver à comprendre et à trouver ça plaisant. En ce qui concerne les élèves, on sent la différence. Ils diront qu'elle est sévère, qu'elle ne parle que de mathématiques. Par rapport à une autre classe, un autre professeur va être très sympathique et très proche des élèves. Mais quand ils en font l'analyse, ils peuvent peut-être trouver qu'ils n'ont pas appris grand-chose. Ça peut dépendre de chacun des professeurs, de ce que tu veux faire. Peut-être que si j'étais professeur de morale ou de catéchèse, je délaisserais un peu le contenu pour essayer d'aller chercher mes élèves dans leur vécu pour savoir comment ils se sentent et ce qui ne va pas afin d'établir une relation plus individuelle. Mais je ne peux pas dire que j'ai la vérité là-dedans.

3- L'enseignant raconte un exemple de relation plus personnelle qu'il a pu avoir avec des élèves

Mon garçon jouait au base-ball la fin de semaine dernière. Dans l'équipe qui joue après lui, il y a un de mes élèves. Je le regarde jouer sans qu'il me voit. Lundi, je lui dis en blague : « Tu es pourri comme lanceur ! » Il se demande comment je sais ça. J'aime ça des situations comme celles-là qui me permettent d'établir un contact autre que celui du professeur de mathématiques. Ça fait deux ou trois cours que la plaisanterie continue :

« Dans quelle équipe joues-tu ?

- Je ne te le dirai pas !
- Je vais le savoir pareil ! »

Les autres élèves autour se questionnent aussi : « Qu'est-ce qu'il va lui dire la prochaine fois ? » J'aimerais ça qu’il y en ait souvent des échanges semblables, mais quand j'entends mes élèves parler de bière et de graines de pot, j'ai de la difficulté à embarquer dans ce genre de conversation et je ne m'y sens pas accepté non plus. Je ne pense pas qu'ils apprécieraient que je leur dise que ça n'a pas de bon sens de penser à de telles choses à 13 ans. Mais c'est leur mode de vie à plusieurs : la boisson, la drogue, le plaisir et ils ne voient pas de plaisir dans les matières scolaires, dans l’école.

4- L'enseignant rapporte aussi ses insatisfactions avec une classe de doubleurs

J'ai un groupe d'élèves qui sont des doubleurs, tripleurs et quadrupleurs. Ces élèves-là, je n'ai pas réussi à aller les chercher, pas une fois durant l'année, mais j'ai tout essayé. Quand je leur demande si ça leur tente de réussir, ils répondent a peu près tout le temps par l'affirmative. Mais au moment de faire des efforts, ils ne veulent plus. Ils ont d'autres priorités, ils ont d'autres façons de voir les choses. Pour eux, les mathématiques de deuxième secondaire, ce n'est pas important de les réussir. Ils ont carrément fermé les livres. Qu'est-ce que je peux faire pour les aider ? Je me déçois de ne pas être capable d'aller les chercher. Et pourtant, je fais beaucoup d'efforts. C'est vrai que c'est déjà incroyable qu'ils soient en classe. Au moins, ils ne sont pas absents. Il n'y en a pas un qui a lâché malgré leurs faibles résultats. Ils sont tous devant moi ; ils ne sont pas là d'esprit, mais ils sont là. Ils ne me le diront pas, mais je pense qu'il y en a plusieurs qui doivent apprécier ce que j'essaie de faire. D'ici à la fin de l’année, on va jaser sur ce qu'ils veulent faire dans la vie et je vais essayer de leur faire prendre conscience qu'ils en ont besoin dans le fond des mathématiques de deuxième secondaire. C'est peut-être le boulot du conseiller d'orientation ou du psychologue de rencontrer ces jeunes-là afin qu'ils extériorisent ce qu'ils ont le goût de faire. Un élève de ce groupe a été mis à la porte et s'est retrouvé à l'éducation des adultes. Apparemment, il vient de finir son troisième secondaire et commence son quatrième. Moi, je n'ai même pas réussi à lui faire faire son deuxième, de lui faire faire l'effort. Est-ce que c'est parce qu’il a compris ou parce qu'il est dans un milieu différent où il n'a pas le choix, ou qu'il est tout seul ? Par le fait de rendre l'école obligatoire, on en oublie quelquefois que ces jeunes-là devraient sortir pour prendre conscience de ce qu'ils veulent. Ça ne sert à rien de les garder assis en classe quand le questionnement n'est plus là.