© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Un enseignant de sixième année raconte le cas d'un élève qui l'a marqué. Un cas qui ne se passe pas seulement entre élève et prof, mais surtout entre élève et classe. C'était vraiment un cas problématique, car à tous les ans, il y avait beaucoup de problèmes dans les classes où il allait.

TITRE: L'ENFANT TÉFLON

En 1985, on m'avait demandé de faire la sixième année et cet élève, que nous appellerons Jean-François, graduait en sixième année. Au mois de septembre, il était dans ma classe. Je le connaissais déjà, car lors des périodes de surveillance, j'intervenais souvent pour des problèmes de bataille. Tous les surveillants connaissaient Jean-François. À tous les ans, on en entendait parler. Pour l'accueil, les élèves avaient reçu par la poste un morceau de casse-tête. Lorsqu'ils arrivaient, ils devaient trouver où allait leur morceau. C’est ainsi qu’ils identifiaient leur prof, nous étions trois profs de sixième année. Le jour de la rentrée, il met son casse-tête et voit mon nom ; il me connaissait. La première chose qu'il dit : « Je suis dans sa classe, calice. » Je n'étais pas là mais un prof de quatrième année l'entend et me le fait savoir. Je fais comme si rien n'était, les élèves prennent leurs rangs et montent en classe. Il y en a qui sont déçus, d'autres contents ; c'était comme cela à chaque année. Les élèves entrent. Lorsqu'il vient pour entrer, je l'arrête : « Salut Jean-François, tu me connais, moi aussi je te connais. Si tu traverses cette porte, dis-toi que c'est moi qui est boss dans cette classe. Tu as dix secondes pour te décider. Tu entres ou bien tu t'en vas au bureau du directeur ; on s’organisera autrement. » Je fais un peu de théâtre... Je le regarde : « Qu’est-ce que tu décides ? » Il ne dit pas un mot, il entre, il va s'asseoir.

C'était un élève qui était dans la moyenne supérieure : il fournissait un bon travail de classe, il écrivait bien, son bureau était propre, son casier était propre et il était soigneux de sa personne. Il n’était absolument pas le stéréotype du petit délinquant. Il réussissait bien ; le problème n'était pas académique mais comportemental.

Dès la première journée, quelqu'un est venu se plaindre de Jean-François. Il avait tiré ses crayons par terre et il avait poussé sa chaise. J'avais 29 élèves. La deuxième journée, il y a quelques élèves qui viennent me voir, les filles entre autres, pour me dire : « Cette année, on n'est pas contentes d’avoir Jean-François dans notre classe, parce que l'année passée, on était avec lui. » Je dis aux élèves qui étaient venus me voir : « On va essayer que ça se passe le mieux possible. Donnez-moi quelque temps et je pense qu’on va régler le problème. On va vivre quand même assez bien malgré que Jean-François soit là. » (1)

Après trois semaines environ, je place les élèves en équipes. Durant ces trois semaines, je n'avais jamais eu de problèmes d'impolitesse avec lui. Pour moi, c'était déjà un pas dans la bonne direction. Au début, j'étais strict avec lui et je ne lui passais rien. Pour constituer les équipes, les élèves faisaient cinq choix de personnes avec qui ils voulaient travailler. Bien entendu, Jean-François se retrouvait tout seul. Je vais voir deux gars solides, qui ne se laissaient pas marcher sur les pieds. Je savais que Jean-François ne pourrait pas ambitionner sur eux, qu'ils étaient responsables et autonomes. Je les rencontre après la classe et je leur dis : « Je ne veux pas que vous vous sentiez obligés pour me faire plaisir, que ce soit bien clair. Je demande votre collaboration. Accepteriez-vous de prendre Jean-François dans votre équipe ? » Il y en a un qui était d'accord, l'autre a hésité. « Je ne veux pas de réponse tout de suite. On fait les équipes demain matin, tu me le diras, parles-en à tes parents si tu veux. » Le lendemain matin, il arrive en disant : « Oui, il faut donner une chance à tout le monde. » Jean-François faisait donc partie de leur équipe, mais l’équipe n'a pas duré longtemps ; elle a duré deux jours. Ça ne fonctionnait pas, il les dérangeait, il leur enlevait leur crayon, leur donnait un petit coup de pied, ou les autres proposaient des choses et il ne voulait pas, il fallait que ça soit son idée à lui. Ils sont venus me voir : « Nous avons bien de la difficulté avec Jean-François. » Il faisait des farces, il dérangeait, il ne travaillait pas. Je vais voir Jean-François : « Tu n’es pas capable de travailler en équipe, donc tu seras tout seul. » Je l'ai placé tout seul dans un coin, en avant, pas très loin de moi. Il a travaillé, ça a bien été pendant environ une semaine, quinze jours. Je ne l'entendais pas, je n'avais plus de plainte de la part des élèves de ma classe. Je fais abstraction de la cour de récréation, parce que là, c'était continuel. La douceur, ça ne marchait pas. Le dialogue ça ne marchait pas. Les punitions, il les subissait, sauf qu’il recommençait. Il en a eu toute l'année quand ça ne marchait pas dehors. Les punitions, ce n'était pas pour la punition, c'était plus pour le retirer, pour éviter le problème, pour laisser passer le temps. Avec moi c'était : « C’est la règle, tu ne marches pas à côté, je suis là pour te surveiller. » C'est ainsi que ça fonctionnait, il était toujours à côté de moi.

Depuis qu’il travaillait seul, je n'avais pas eu à intervenir en classe, enfin pratiquement pas ; c'était merveilleux. Je ne le laissais pas une minute, je ne le quittais pas d'une semelle. Une fois, en entrant de la récréation de l'après-midi, à l'avant-dernier cours, j'ai dit : « Je vous demande une minute de silence, je pense que ça en vaut la peine. Je ne sais pas si vous avez remarqué depuis une semaine, personne ne s'est plaint. Jean-François, je te félicite (2), la façon dont tu t’es conduit cette semaine, c'est comme ça que tu devrais faire. Continue. » Je l’ai dit devant tout le monde. Ça faisait plus d’un mois qu'il était en classe et à peu près une semaine que j’avais remis les élèves seuls. J'ai dit : « Mettez-vous au travail en équipes de deux ou de quatre; si vous voulez vous regrouper, allez-y. » Lui, c'était sous-entendu qu'il était tout seul. J’ai ajouté : « Pour ne pas faire de bruit, prenez votre bureau et collez-le à côté d’un autre. » Ça faisait à peine cinq minutes que je l'avais félicité. Je le vois faire, il va assez vite, il prend le bureau, il le pousse et il coince les doigts d'une petite fille entre deux bureaux. Pour moi, ce n'était pas une maladresse, c’était délibéré. De plus, il ne fait pas d'excuse, rien. Je me lève, je vais le chercher par le chignon du cou, je le sors : « Va-t'en sur la passerelle avant que je fasse un malheur ! » Je vais voir la petite fille, je l'amène au secrétariat : « Il faudrait que ses parents viennent la chercher pour une radiographie. » Le directeur a appelé, sa mère est venue la chercher, il n'y avait rien. À la suite de cet événement, Jean-François n'est pas rentré dans la classe du reste de la journée. Je suis intervenu auprès de lui : « À quoi as-tu pensé pour faire un tel geste ? Je venais de te féliciter et là, tu vas me faire une gaffe. » Il m'a répondu : « Je n’ai pas fait exprès. C’est elle qui s’est mis les doigts là ! » Il ne faisait jamais exprès ! De la culpabilité, il n'en avait pas. J'ai poursuivi : « Pour le moment il n’y a rien à dire, je ne suis pas en état de te parler plus que cela. On descend au bureau du directeur. » Devant l'élève, j'ai dit au directeur : « Je veux rencontrer les parents (3), on n’attendra pas à la remise des bulletins. » Je ne les avais pas encore vus. J’avais eu une rencontre avec tous les parents, mais ils n'étaient pas venus. Le lundi, sa mère vient et je lui raconte l'incident :

« Ça ne fonctionne pas, il avait eu une belle semaine et il a tout gâché. Ça ne doit pas être la première année qu’on vous appelle ?

  • -Non, à chaque année on m’appelle. C’est même surprenant que depuis un mois je n’aie pas eu d’appels. D’habitude, c’est à la première semaine.
  • -Pourquoi ne venez-vous pas tous les deux ?
  • -Je vais vous confier quelque chose. Je ne veux pas mettre mon mari au courant.
  • -Pourrais-je savoir la raison ?
  • -Mon mari est assez violent. On ne sait jamais comment il va réagir.
  • -On peut quand même s’entendre, collaborer ensemble. Il a fait quelque chose et il y a telle conséquence.
  • -J’aimerais autant que vous m’appeliez moi, pas mon mari.
  • -C'est bien. S'il y a quelque chose, je communiquerai avec vous. S'il fait des choses à l'école, il y a des conséquences, je l'écris toujours dans son carnet de règles de vie. Il a alors un travail supplémentaire à faire. Je vous demande de le signer et de me dire si vous avez des choses à suggérer, on va voir ce qu'on peut faire ensemble. »

Le but de cette rencontre, c'était de lui dire comment je fonctionne en classe et que j'aimerais avoir un support à la maison. Jean-François est revenu en classe et la semaine d'après a été une semaine d’enfer. Il y avait toujours des plaintes dans la classe. Depuis le début de l'année, je n'avais jamais eu aucune impolitesse de sa part. Envers moi, ça allait très bien, mais pas envers les surveillants ; il a même été très grossier envers certains d'entre eux. À un moment donné, le directeur est intervenu parce qu'il avait eu une plainte. Il était venu chercher Jean-François qui lui avait répondu : « Aïe chose, je n’ai pas fait ça ! » J'étais dans la porte : « Jean-François, c’est au directeur que tu parles, tu vas lui parler comme à un directeur d’école. Moi tu ne me parles pas de cette façon, je ne l’accepte pas. » Il a continué sa discussion avec le directeur, mais il était très impoli. Les retenues se faisaient dans ma classe : « Jean-François, tu restes à la récréation, tu travailles. » Des fois je disais : « Reste, tu vas dessiner. Au moins les autres vont avoir la paix pendant ce temps-là. » Dans les jeux, ça ne fonctionnait jamais : les règles, il ne les respectait pas.

Jean-François était toujours tout seul à son bureau, car ça n'allait pas avec le reste du groupe. Il prenait tous les moyens pour les provoquer. Personne ne lui parlait, donc il essayait de picosser, d'agacer. Il n'allait pas voir celui qui était capable de lui faire face, il allait voir les faibles, les plus tranquilles, ceux qui ne disent pas un mot. C'est à eux qu'il s'attaquait. Dès qu'on s'en allait en éducation physique, soit que je l'envoyais tout seul avant ou que je l'envoyais tout seul après. Il n'y avait pas d’autres moyens. Si quelqu'un s'en allait, il pouvait donner une jambette en disant que c’était une farce, qu’il ne faisait pas exprès. Il se levait très souvent. Son jeu, c'était d'agacer tout le temps. Si je parlais à quelqu'un, il en profitait pour déranger.

Après une semaine particulièrement épouvantable, je m'en vais chez moi et je me dis : « Ce n’est pas seulement à moi qu’il tombe sur les nerfs, c’est à tout le monde. Ça ne marche pas, il faut qu’il se passe quelque chose. » J'arrive le lundi matin, ça me trottait dans la tête, les élèves allaient rentrer dans 10 minutes. J'étais à mon bureau, je lève la tête et je vois mon étagère, je me suis dit : « S’il écoeure tout le monde, on va l’organiser pour qu’il ne voit personne d’autre que moi. » Je prends mon étagère qui était le long du mur, je l'avance, je prends son bureau et je le place entre le mur et l’étagère. Il était juste en face de moi, il me voyait très bien mais il ne pouvait voir personne d’autre. Même s'il se levait, il n'était pas assez grand pour voir par-dessus. « On va essayer cela... » Il arrive en classe, il regarde et il vient me voir :

« Tu as changé la disposition de la classe ?

  • -Oui j’ai poussé un peu mon étagère. »

Il vient pour s'avancer à son bureau :

« Où suis-je ?

  • -Tu t’en vas là et quand tu sortiras, il faudra que tu aies ma permission. »

Il me regarde, s'il avait eu des poignards, je pense que je serais tombé mort, mais il ne m'a pas dit un mot. Il est parti s'asseoir et j'ai commencé ma classe. Un de mes buts était de l’isoler pour le faire réagir. Je me disais : « Il va faire quelque chose, il va dire qu’il n'aime pas ça, il va essayer de s'améliorer. » Il s'installe et je lui dis :

« La seule chose que je te demande c’est de faire le travail. Parce que si tu ne le fais pas, ce n’est pas grave, moi je pars toujours à quatre heures trente. Donc si tes travaux ne sont pas faits, tu continueras à trois heures vingt.

  • -Oui mais ma mère ne veut pas que je rentre trop tard après l’école.
  • -T'en fais pas mon Jean-François, tout est organisé. »

Il n'y avait rien d'organisé, je n'avais pas pensé à cela. Le midi, je téléphone à sa mère. Je lui raconte que c'était vraiment l'enfer avec les autres et qu'en plus, s'il ne faisait pas ses travaux, il resterait de trois heures vingt à quatre heures trente. Elle accepte et je lui demande une autorisation écrite « Pas de problème. » La semaine se passe très bien. Les autres ne le voyaient pas et lui ne voyait personne, donc ça allait bien. Après la semaine, je lui dis :

« Tu vas m’attendre après la classe, j’ai à te parler. (Après la classe) : Alors comment trouves-tu cela être seul ?

  • -Bof ! ça ne me dérange pas.
  • -Peut-être que ça ne te dérange pas mais préférerais-tu autre chose ?
  • -Bof ! non. »

Durant la semaine, je n’avais pas grand-chose à lui reprocher, ses travaux étaient bien faits, il avait de bons résultats, avec les autres ça allait mieux et lui ça ne le dérangeait pas. J'avais beaucoup moins de plaintes des surveillants à propos de Jean-François ainsi que de la part des spécialistes d'anglais, d'éducation physique et de musique. Je me suis dit : « Il veut peut-être la paix ? Si c’est cela que ça lui prend, ça ne me dérange absolument pas. » C'était très acceptable.

Nous sommes rendus presque à la fin de l'étape, vers le milieu du mois de novembre. À la fin de l'étape, on rencontre les parents individuellement. J'écris à la mère en lui disant que pour cette rencontre-là je voulais absolument que son mari soit présent ; j'y tenais mordicus. Si elle était seule, ça ne donnerait rien, je voulais que les deux soient présents ; je voulais voir la réaction du père. Est-ce que vraiment il était trop violent ? Je voulais savoir si la mère surprotégeait son fils. J'avais l'impression de me faire avoir. Peut-être qu'il n'était pas au courant de ce qui se passait, je m'interrogeais beaucoup. Elle a accepté, les deux sont venus à la rencontre. Je leur ai dit qu'au point de vue académique, ça allait très bien. Jean-François était tout seul parce que les relations étaient très difficiles à établir, qu'il faisait toujours des mauvais coups. Le père m'a répondu :

« Vous savez monsieur, ce n’est pas si grave que ça. Quand j’étais jeune, j’étais pareil.

  • -Peut-être qu’on a tous fait des mauvais coups, mais le problème est avec les autres. Le groupe n’est pas capable de le sentir, il est toujours à les agacer, les pousser, les menacer.
  • -Oh ! Vous savez, il est capable de faire ses affaires tout seul, il n’a pas besoin des autres.
  • -C’est bien monsieur, je n’ai plus rien d’autre à vous dire. Je voulais demander votre collaboration pour améliorer les choses mais si vous acceptez ce comportement...
  • -Non, non, ce n’est pas cela que je veux dire.
  • -Qu’est-ce que vous voulez dire ?
  • -Vous savez, s’il arrive chez nous et qu’il a fait une gaffe, il va en manger une maudite ! »

Là, je me suis dit en moi-même : « Ça ne fonctionne pas. » Je n’ai pas élaboré là-dessus et j'ai mis fin à la discussion en disant : « On va essayer de travailler ensemble, de collaborer pour améliorer la situation, non pas sur les résultats de Jean-François parce que ça va bien, mais améliorer son comportement et avoir une classe acceptable. »

Quand la réunion fut terminée, je suis allé voir un collègue et je lui ai raconté la discussion. Il m'a dit : « Écoute je te dis cela sous toute réserve, je l’ai appris par la bande. Jean-François va faire une petite niaiserie et le père va lui donner une volée épouvantable et pour quelque chose de grave, il va se faire dire que ce n’est pas grave. Il n'y a aucune juste mesure. »

Je me suis dit que je ne devais plus me casser la tête. Parce que je me la cassais ; à la première étape, j'en ai rêvé. J’ai alors décidé de ne plus me ruiner pour rien. Si ça fonctionne lorsqu’il est tout seul, il va rester tout seul. Après les bulletins, on a continué : Jean-François était tout seul et les autres étaient en groupe. Il y en a qui sont venus me dire : « Pourquoi t'as pas fait ça avant ? On est tranquilles quand on travaille en classe. »

Après le premier bulletin, je ne me suis plus posé de questions pour savoir comment le prendre. Il est là, les autres ont la paix. Parfois, j'avais de la difficulté à le supporter, mais c’était entre lui et moi. De temps en temps, il fallait que j'intervienne dans la cour de récréation, mais au moins, le reste de la classe avait la paix. On aurait dit qu'à cause de lui, j'ai eu de bons rapports avec la classe. Les élèves de la classe ont réalisé qu’ils étaient tranquilles ! Ils avaient la paix.

Bien sûr, dans les corridors, pendant les cours d'éducation physique, il faisait encore ses sparages. Mais disons qu’en classe, les élèves avaient la tranquillité ; il s'était établi un climat d'harmonie, un climat de sérénité que je n'avais pas eu depuis le début. Ils pouvaient travailler en équipes sans l’avoir qui faisait des grimaces ou qui leur disait des bêtises ou des menaces. Je voulais faire tout ce que je pouvais pour lui, mais je ne pouvais tout faire, c’était à lui de régler ses problèmes. Jean-François ne voulait pas changer, il ne voulait pas prendre les moyens pour que ça change. Je ne sais pas s'il m'aimait ou s'il me détestait, mais en tout cas, il me respectait.

Un peu avant les Fêtes, je reçois un téléphone d'une mère que je connaissais :

« J’ai un problème avec ton petit monstre. Après la classe, son plaisir c’est d’attendre les petits de première année, de leur enlever leurs mitaines et de leur mettre les mains dans le banc de neige.

  • -Bon, une autre histoire ! Même si c’est à l’extérieur de la classe, je vais m’en occuper. »

Je vais voir le directeur avec Jean-François. Je ne peux pas faire n'importe quoi parce que les parents de Jean-François peuvent se retourner et dire que ce ne sont pas nos affaires à l’extérieur de l’école. Alors je propose au directeur :

« Je vais appeler sa mère et lui suggérer que Jean-François parte 10 minutes après les autres. Je suis prêt à le garder en classe. Quand je ne pourrai pas, je te l'amènerai.

  • -Pas de problème. »

Ça a fonctionné comme ça après cet événement. Il est resté une semaine et ça ne s'est pas reproduit. Jean-François était toujours isolé. Des journées, ça allait très bien et d'autres journées, moins bien, mais au moins les autres vivaient dans un climat agréable.

Fin janvier, il m'arrive une nouvelle élève. Une petite fille très gentille mais qui ne se laissait pas marcher sur les pieds. Académiquement, elle n'était pas forte. À la deuxième journée, après la récréation, Jean-François et elle rentrent, Jean-François était survolté, il la traitait de conne, de niaiseuse, de ci, de ça et il lui dit : « Attends-moi après la classe, je vais te clancher ! » Elle se retourne et bien calmement lui dit : « Je ne t’attendrai pas, c’est toi qui va m’attendre, je vais être là. » Ce n'était que sa deuxième journée dans la classe. Je dis à Jean-François de sortir et je prends Lucie à l’écart. Je donne du travail aux autres et je vais régler le problème. Je demande à Lucie ce qui s’est passé. Elle m’a répondu :

« J'étais à la récréation, toute seule, il y a une fille de la classe qui est venue me dire bonjour et m'a demandé pour jouer au ballon. Je n'aime pas ça jouer au ballon. Je suis donc restée toute seule. Jean-François est arrivé et il m'a traitée de toutes sortes de noms. (La fille était plus grande que Jean-François et bien bâtie, elle avait un an de plus.) Alors je lui ai dit : « Écoute, mon petit morveux, j'en ai vu des petits gars et des petits baveux comme toi. Tu ne me fais pas peur pantoute ! » La cloche a sonné et on a pris nos rangs. Il n'a pas arrêté. C'est pour ça qu’en classe...

  • -Très bien va t’asseoir en classe, continue de travailler. »

Après je suis allé voir Jean-François je lui ai demandé si c'est effectivement comme cela que ça s'était passé. « Oui, mais qu’elle arrête de m’écoeurer.

  • -Qui a commencé en premier ? Elle n'est pas toute seule à dire que c'est toi. Il y en a d'autres qui t'ont vu aller l'écoeurer.
  • -C’était pour le fun ! »

Avec lui c'était toujours pour le fun. À la fin de la classe, je les ai gardés tous les deux et je leur ai dit : « Je ne veux plus entendre parler de cela. (Je regarde Jean-François) Si j'entends parler que tu as provoqué la bataille, vous allez partir longtemps après les autres et ça va durer plusieurs semaines. Organisez-vous. »

Au printemps, je changeais les équipes et la disposition de la classe (4) pour une Xième fois. Les élèves étaient en éducation physique, je me suis dit : « Tiens, je vais faire un changement même pour Jean-François. S’il faut qu'il se sente surveillé pour que ça fonctionne, je ne cherche plus d'autres recettes. C'est ça qui marche, c'est ça que j'emploie. » J'avais déplacé mon bureau au centre, mais il fallait que je m'organise pour l'avoir à l'oeil. J’ai donc installé deux étagères en arrière de la classe, en face de mon bureau et le bureau de Jean-François entre les deux étagères. Les élèves rentrent : « Ah ! tu as changé de place ?

  • -Oui j’aime faire des changements. »

Jean-François arrive : « À quelle place suis-je ?

  • -Devine ? Ça va bien en classe, on n'a pas de problème comme ça. Quand je te félicite, tu ne comprends pas. Quand tu es puni, tu ne comprends pas, là on a la paix, moi et les autres, et toi aussi. On fonctionne comme ça. Si tu remarques, tu es plus près du monde. Si tu ne veux pas retourner dans ton petit coin tout seul à la noirceur, organise-toi. »

Il voulait avoir une place dans la classe, j'ai dit : « Non, il n'en est pas question. Je t'ai donné toutes les chances au début, ça a pris un mois et demi. Je ne suis pas ici pour jouer à la mère. Tu as dû réaliser que quand je demande quelque chose, je l'exige. Avec toi, c'est fini, tu as perdu ma confiance. »

Pour moi, l'important c'était que le groupe fonctionne bien et que je n’aie pas toujours à le surveiller. Ça a duré jusqu'à la fin de l'année comme cela, oui, jusqu'à la fin de l'année. Durant l'année, j'ai vu une amélioration face au groupe. J'étais satisfait parce que j'ai permis au groupe de vivre une vraie vie de classe sans être perturbé, de passer une belle année tranquille, d'être heureux, d'être bien. C'était ma priorité. Je ne faisais pas ça pour le punir. Il faut dire que durant cette année, Jean-François n’a jamais été privé des activités ou des sorties éducatives. J’ai même fait un voyage de deux jours à Ottawa et il nous a accompagnés. Comme en classe, il était continuellement à mes côtés (5).


1- Il nous explique plus longuement ses priorités

Je vais essayer d'entrer en relation avec lui, mais si je ne peux pas, même si je fais tout mon possible parce qu’il ne veut pas, il n'y a rien à faire. À ce moment-là, on va essayer de vivre sans que je le dérange et qu'il me dérange, et surtout, qu'il dérange toute la classe. Je n'étais pas parti en mission pour essayer de le récupérer. Il y en avait 28 autres, et c'était pour moi plus important que d'aller le chercher lui. Au début, j'arrivais chez nous et j'y pensais, ça me dérangeait beaucoup. Ce qui me dérangeait, ce n'est pas qu’avec moi, ça ne fonctionne pas, c'était qu'il mettait la pagaille dans la classe. C'était de la dynamite et j'avais de la difficulté à établir vraiment un lien. Je leur dis toujours : « Il faut créer une belle famille, dans une famille ça ne va pas toujours bien, mais on est capable de se parler. »

Ça a été le cas qui m'a peut-être le plus marqué. Des fois, tu as une classe difficile, il y a toujours trois ou quatre élèves qui dérangent, mais il n'y a pas de problème face au groupe, c'est même parfois des leaders. Il y a moyen de les canaliser, d'aller les chercher et de leur proposer des choses. En début d'année, on en a toujours et on peut aller les chercher assez facilement, mais lui, c'était l'interrogation totale, je me disais : « Qu’est-ce que je vais faire pour passer une année qui a du bon sens ? Si je ne suis pas capable, il ne gâchera pas le reste de ma classe. » C’était pour moi le plus important : la classe... de rendre la majorité la plus heureuse possible. Le climat de classe a toujours été très important, c'est la porte d’entrée pour enseigner. C'était rendu que chez nous les fins de semaine, j'y pensais continuellement.

Depuis ce temps-là, je me dis : « Mais le cas, ce n'est pas toi qui le règles, c'est la personne qui a le problème qui doit le régler. » Je l'ai réalisé cette année-là. L’année a bien fini quand même, puis les élèves ont été heureux dans ma classe. On a passé une belle année puis on a été tranquilles. Tu fais tout ce que tu peux selon tes moyens et si ça ne marche pas, organise-toi pour qu'il y ait le moins de dommages possible envers les autres. Le fait que lui, l'élève, ne t'aime pas, on ne peut rien y changer, mais au moins qu’il ne dérange pas. Ce qui était malheureux, c'était qu'il était en train de foutre le climat de la classe en l'air, c'était l’essentiel. Qu'il ait un trouble de comportement qui me dérange, personnellement, je suis capable de m'arranger avec cela. Je vais dealer avec lui. Mais quand le problème dérange, non seulement toi, mais une partie de la classe, je ne l'accepte pas.

2- Souligner les bons coups de ses élèves

Je le fais régulièrement en classe quand ils font un bon coup : « Je vous félicite, c’est merveilleux, je suis content de vous, vous m’aidez, je suis heureux avec vous, c’est comme cela que ça doit aller... Quand ça va mal, je vous le dis, mais quand ça va bien, je vous le dis aussi. »

3- Les parents comme soutien

Je disais aux parents : « Quand il y a des problèmes à l'école, je vais régler les problèmes. Si j'ai besoin de vous, je communique avec vous. Si c’est un petit problème, vous n'en aurez pas connaissance, je vais le régler ici. Comme à la maison, vous réglez les problèmes, je les règle à l'école. »

4- Pour faire du changement

En classe, ça peut arriver le matin, il arrive que j'ai envie de faire du changement. Les élèves aiment cela. Parfois, je leur demande où ils veulent être, seulement pour avoir du changement, enlever la routine.

5- Et si c'était à recommencer

Il y a une chose que je ferais probablement, ce serait de demander plus d'aide, je n’en ai pas demandé. Cet élève-là est sorti de la classe une journée et demie durant l'année. J'aurais peut-être dû demander de l'aide d'une technicienne, mais on n'en avait pas à l'école. On aurait pu au moins rencontrer à l'extérieur des spécialistes en troubles de comportement majeurs, ils auraient peut-être pu me conseiller. J'aurais dû demander de l'aide et peut-être, quand ça allait assez bien, essayer de le réintégrer une demi-journée et le retourner à sa place après...