© Larouche, H. (2000).

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Préambule : Le récit traite du cas d'un jeune garçon ayant de la difficulté au niveau de ses relations sociales. Le défi est de taille car il doit s'intégrer à la garderie scolaire en cours d'année, et ce, pour la dernière période de la journée. L'éducatrice raconte comment il est arrivé dans son groupe et comment elle a agi pour le soutenir dans sa démarche d'intégration avec le soutien de la responsable et de la direction.

TITRE: DERRIÈRE LA CARAPACE

Jean-Daniel est arrivé au début décembre. On n'avait eu aucune information sur cet enfant. Tout ce qu'on a reçu comme information, c'est qu'un enfant de 9 ans, Jean-Daniel, a été inscrit à la garderie à partir de 4 heures moins quart. Il venait d'une autre école. En service de garde, c'est toujours nébuleux et avec la confidentialité, on reçoit les informations à la graine. Le père nous a raconté par la suite (parce qu'il a fallu qu'il nous raconte un peu son histoire quand nous avons eu des problèmes) que grosso modo son enfant était perturbé, qu'il a vécu une séparation, il était à ce moment-là avec sa mère, mais ça ne marchait pas. C'est lui qui avait maintenant la garde. Le père demeure tout près de la garderie, c'était plus facile de venir le chercher ici à notre service de garde que d'aller le chercher à l'autre. Par contre, ils ne l'ont pas changé d'école. Il venait tout juste d'être changé d'école, il ne voulait pas le changer à nouveau. Cette école est dans la même commission scolaire. Quand il arrive, tout ce que je sais c'est que cet enfant va à telle école et qu'un mini bus vient le reconduire à notre garderie scolaire, à 4 heures moins quart. Donc, il s'inscrit comme ça. Jean-Daniel va venir tous les soirs et on va essayer de l'intégrer aux activités. Ce qui n'est pas évident.

La garderie est de trois heures à six heures. Jean-Daniel arrive donc dans une période où on est en pleine activité. Le soir, j'ai au minimum une vingtaine d'enfants dans mon groupe. J'ai le groupe des grands, alors il était dans mon groupe. C'est un beau petit bonhomme qui est arrivé. Dès le premier soir, il s'est imposé. Ça a fait tout de suite un froid avec les autres enfants. Bien sûr, puisque c'est la première fois qu'il venait, pour les autres c'était une curiosité incroyable. Les groupes étaient faits, je veux dire les groupes d'amis depuis le début de l'année. Quand il est arrivé, on l'a accueilli évidemment. On est allé au devant, je lui ai souri, après on a continué une activité. Je lui ai offert de participer, c'était un bricolage, je m'en souviens très bien. On était dans les activités de Noël. En plus, on était en plein dans un projet, j'organisais une pièce de théâtre pour les enfants. Lui, je ne pouvais pas vraiment l'embarquer là-dedans, mais je m'étais dit on va l'impliquer dans l'équipe technique, pour essayer de l'intégrer.

Tout de suite la première journée, il a commencé à avoir des conflits avec les enfants : c'était des conflits au niveau verbal, du genre «tasse-toi». Je me rends compte que les enfants avec qui il avait des conflits, ce sont des enfants curieux, taquins. J'ai senti que c'est un enfant qui se sentait attaqué facilement. Il attaque avant d'être attaqué. Ce que j'ai pu voir de cet enfant par la suite, c'est qu'il ne se donnait pas de chance. Il arrivait et son étiquette il voulait se la mettre dans le front tout de suite : «je suis comme ça et j'arrive de même». En général, quand il arrivait, il prenait sa collation puis il venait nous rejoindre. Moi, j'essayais de ne pas faire d'attente avec lui, il fallait que je l'occupe sans ça il perturbait tout. C'est un enfant qui avait beaucoup d'affinités pour des choses qui l'intéressaient, un enfant qui avait du talent en bricolage. Il fallait que tu l'occupes, mais des fois ce n'est pas toujours possible. J'ai appris à le connaître, disons du premier décembre jusqu'aux Fêtes à peu près, ça a été la grosse période. En l'espace d'un mois, on a réglé ce conflit-là, il fallait le régler parce que c'est un enfant qui dérangeait tout le fonctionnement.

Il y avait un enfant qui l'aimait et qui l'a pris sous son aile. C'est un enfant qui est plus jeune que Jean-Daniel, à peu près le même genre que lui, Simon ne voulait rien savoir de la garderie au début. Il vient deux jours par semaine et c'est un enfant qui était quand même assez isolé. Maintenant il est correct. Simon a aidé Jean-Daniel dans son adaptation. Il en a eu d'autres amis après ça, parce que Jean-Daniel c'est quand même un enfant qui a du leadership. Du leadership qui était négatif et qu'on a changé en positif. Simon le trouvait drôle et avec Jean-Daniel ça a cliqué, il le voyait comme un grand frère, comme une idole. Ce qui a aidé aussi pour son adaptation c'est que je ne suis pas allée de front avec lui. Je le regardais puis j'essayais de l'amener à faire des choses positives et non des choses négatives. C'est un enfant qui est méfiant, il se referme. Les autres enfants l'ont tout de suite senti. Je trouve ça intéressant comme cas, parce que c'est la première fois que je sentais, que même les enfants qui sont très, très doux de nature, se sont largués contre lui. Ça fait vraiment bizarre. Je ne parle pas du premier soir, mais ça s'est bâti très rapidement. Tous les jours il y a des petites histoires qui se passent avec Jean-Daniel. À partir de quatre heures, ce sont les activités libres. C'est encore pire, car là, l'agressivité sort. Au mois de décembre on allait glisser, ça se passait dans la cour d'école. La première crise, c'est une histoire de traîneau : lui il s'imposait, il n'attendait pas son tour, des choses comme cela. Moi je remets toujours Jean-Daniel aux règles qu'on s'est donné «Jean-Daniel tu attends, quand tu as fini de glisser tu ne restes pas dans le bas de la pente». Ce sont toutes des choses sur lesquelles il s'essayait, c'est sûr que les enfants s'en prenaient à lui, ils se mettaient en clan contre lui. Eux aussi ils lui faisaient de mauvais tours, ils ne lui donnaient pas de chance.

Lors de ce premier gros conflit, il a voulu se sauver alors qu'on était dehors. Ça ne faisait même pas une semaine, on a vu les couleurs tout de suite! Moi, dans les premières semaines, je n'étais pas encore au courant qu'il demeurait tout près. Il était en chicane avec un des enfants, un petit leader aussi. Il s'est chicané puis il a dit «je vais m'en aller chez nous tout seul!» Il était fâché, j'ai voulu intervenir, mais il ne voulait pas écouter. Il a dit «je m'en vais chez nous!» je lui ai dit «regarde, ton père t'a inscrit à la garderie et c'est nous qui sommes responsables de toi. Tu ne peux pas t'en aller chez vous, même si tu as la clé au cou, tu ne peux pas t'en aller. Tu restes avec nous». Il s'est sauvé, les enfants couraient après lui, il ne s'est pas sauvé très loin, on a une très grande cour. C'est un test qu'il me faisait aussi. J'ai couru après, je l'ai rattrapé, je lui ai dit «Jean-Daniel tu restes ici, c'est sûr et certain. Si ça ne marche pas, parce que j'étais toute seule, je demande à un quelqu'un d'aller chercher de l'aide, c'est sûr qu'on va se parler. Moi je ne veux pas courir après toi.» J'ai dit aux autres de continuer à jouer et je lui ai parlé seule. Je sentais qu'il s'était apaisé. «Regarde, on est capable de se parler.» Je n'ai pas crié, rien, il savait que pour moi c'était vraiment clair et, de façon pacifique je lui ai expliqué mon rôle. Il disait «un m'a fait ci, un autre m'a fait ça». Il avait toujours des raisons pourquoi il n'était pas bien, ce n'était pas lui c'était les autres. «Regarde si tu n'aimes pas ça ici, parles-en à ton père. Moi je ne suis pas obligée de te garder si tu n'es pas bien. Parles-en à ton père, c'est lui qui a décidé de t'inscrire ici. Si tu veux t'en aller tout seul à la maison, ce n'est pas moi qui vais t'envoyer, moi j'ai la responsabilité de te surveiller et de te garder.»

Il y avait des journées où ça allait bien et d'autres où il était sur une certaine tension, il provoquait. En rentrant il provoquait. Au bout d'une semaine, à peu près, j'ai ramassé des informations au jour le jour, je me suis construit un portrait de cet enfant, je me demandais, bon qu'est-ce qui se passe? Il faut le mettre en confiance aussi, je ne pouvais pas lui demander simplement qu'est-ce qui ne va pas? Il fallait le mettre en confiance. Pour moi, bâtir la confiance c'est d'avoir une relation qui est claire et franche. Il savait quand je lui disais des choses que c'était clair et qu'il n'avait pas de jeu. Ça ne se négocie pas, mais je ne lui dis pas non plus qu'il est en prison et qu'il ne part pas. Je ne le prenais pas au piège. D'une façon, je lui fais comprendre mon rôle et que lui a un rôle aussi. J'ai un devoir, lui est ici, il se fait garder, on va essayer de composer avec ça et de vivre une relation qui est intéressante. C'est un petit peu ce que j'entends par «mettre en confiance», dans ce sens là. Je lui disais «écoute tu n'as pas le choix, tu n'aimes pas ça? Moi je te garde, c'est mon mandat. On va essayer de vivre avec ça.» Après cette première chicane, on est rentré puis c'est resté comme ça. On en a parlé à son père; ce n'est pas moi qui fermais la garderie donc je n'ai pas eu de contact direct avec le père. C'est une autre éducatrice qui prenait la relève qui le lui a dit. Mais elle m'a dit que son père n'était pas content. C'est à ce moment-là qu'il a parlé un peu avec France, la responsable, qu'il avait bien des problèmes avec son enfant. Il trouvait ça difficile. Ça ne faisait pas longtemps qu'il en avait la garde et que ça ne marchait pas avec sa mère, qu'il s'était fait changer d'école. C'est un père qui se sentait démuni, nous c'est l'impression que nous avons eue après.

Au bout de quelques jours, il y a eu une altercation avec un autre enfant. Il a voulu se sauver encore dans la garderie, j'ai couru après lui à l'intérieur cette fois. Il y avait encore eu une chicane avec les enfants, il disait toujours qu'il se sentait attaqué par les enfants, «c'est lui qui ne veut pas me parler» ou bien «il m'a traité de ci ou de ça». Un rien le choquait, j'ai senti que tout le groupe avait pris parti contre lui, même mes filles bien tranquilles, elles étaient mémères «Jean-Daniel n'est pas fin», elles venaient toutes se plaindre. Il était vraiment le bouc émissaire. Je leur dis «il faut comprendre. Jean-Daniel vient d'arriver dans la garderie. Il ne connaît personne. Vous ne l'aidez pas à s'intégrer. Il est tout seul. Peut-être que des fois, si vous étiez plus gentils avec lui, ça l'aiderait. Il faut l'aider.» Il s'était chicané avec Antoine. Avec Antoine, il se chicanait souvent parce que c'est un caractère fort et il le piquait. Il y en avait trois avec qui il se chicanait régulièrement. Après, ils sont devenus amis. Bref, il s'est sauvé, j'ai couru après, il s'est caché, je l'ai pris et j'ai dit «mes enfants sont tous seuls à la garderie, tu t'en viens avec moi». Il n'y avait pas de discussion. Je le calme et je lui dis «écoute là, tu reviens avec moi et tu t'en vas dans un petit coin, on va regarder ça.» Il me disait «je veux être tranquille! Je ne veux pas les voir!» «D'accord, tu vas te calmer. Tu t'en vas à la garderie en bas, on va rejoindre le groupe et après ça, si tu veux être tout seul, tu t'installes dans le coin ça ne me dérange pas. C'est correct et après ça on va se reparler.» Il m'a écoutée, il est venu. Les enfants, à travers les parents, étaient tous énervés. Il n'y avait pas tellement d'enfants, mais ça créait tout un émoi. Un enfant qui se sauve, ça crée un bouleversement.

Ce soir-là, il m'a dit «dis-le pas à mon père, il va mettre dans un pensionnat». «Regarde, tu ne veux pas que je le dise à ton père, mais tu n'as pas un comportement acceptable Jean-Daniel. Qu'est-ce que tu veux que je fasse?» Il était calmé et il accusait tous les autres. On avait réussi à avoir une bonne relation, je lui dis «moi je ne demande pas mieux que t'aider Jean-Daniel, mais si tu te sauves comme ça je ne peux pas rien faire. Tu n'as pas le droit de te sauver comme ça. C'est encore la même chose, l'autre jour tu t'es sauvé dans la cour d'école. On en a parlé à ton père.» J'ai fait venir France, «Jean-Daniel s'est sauvé», je lui ai expliqué les faits. On lui a parlé : «C'est drôle Jean-Daniel, quand tu arrives à 4 heures moins quart, on dirait que je le sais quand tu vas exploser. Je le sens. Est-ce qu'il passe des affaires? Pourquoi as-tu fait ça?» Il a commencé à me raconter que dans l'autobus ça n'avait pas bien été, que le chauffeur l'avait chicané et tout ça. Je lui dis «Est-ce que c'est une raison? Nous là, quand tu arrives à la garderie on ne t'en veut pas. On te prend comme tu es. Quand ça a mal été, viens nous le dire. Nous, on ne le sait pas si tu ne nous le dis pas. Tu nous arrives à 4 heures, ça a mal été à l'école ou dans l'autobus et c'est nous qui recevons tout. C'est comme ça que ça se passe. Tu es en colère et nous on ne la connaît pas ta colère si tu ne nous le dis pas, on ne le sait pas.» C'est comme s'il s'était senti compris, que son comportement pouvait être explicable et qu'il pouvait être en colère. On pouvait faire quelque chose, on pouvait travailler ça. Il a commencé à nous raconter qu'il était dans une gang (c'était un peu mêlé son affaire!), qu'il était embarqué dans une gang qui vole. Moi, je n'étais pas sûre de l'histoire. France et moi, on en a reparlé toutes seules par la suite. On a essayé de rétablir les faits, on s'est dit qu'il y avait de la fabulation. On sait qu'il y avait des conflits à l'autre école, sur l'heure du dîner.

C'est un enfant qui n'est pas accepté partout, c'est normal. On lui a dit «on veut t'aider. Toi là, comment tu te vois? Tu arrives à la garderie et c'est toujours bing bang, tu es toujours en conflit avec un enfant. Est-ce que tu es bien ici?» Il dit «oui, mais tout le monde m'en veut». On lui a dit «Jean-Daniel, depuis que tu es arrivé, nous, moi et France, est-ce qu'on t'en veut? Penses-tu qu'on t'en veut? J'ai 20 enfants, ils sont tous différents mais je vais essayer de tous les aider. Je n'en aime pas un plus ou moins. Ils sont différents, mais je les aime tous pareil. Pour moi, tu es un enfant qui est sous ma responsabilité et tu es aussi important que tous les autres qui sont autour de moi.» Quand il s'était sauvé aussi, c'était la même chose. Je lui remettais toujours ça. «Écoute, je cours après toi et je mets beaucoup de temps, les autres là sont tous seuls. Pour moi, c'est important aussi les enfants que j'ai laissés derrière moi. Eux aussi il faut que je les surveille. Il n'y a pas juste toi. Je ne peux pas faire autrement que de me sentir mal là-dedans.» C'est ça que je lui disais «je ne suis pas juste responsable de toi. Je suis responsable aussi des 19 autres qui sont en arrière et que je ne sais pas exactement où ils sont rendus.» Je lui montrais toutes les conséquences de son geste au niveau du groupe. Il a compris, il a quand même neuf ans.

Je pense que c'est un enfant qui avait besoin de se sentir en confiance et il avait besoin qu'on le comprenne. Moi, ce que j'ai aimé dans cette relation, c'est qu'on a tout de suite touché au bobo. On lui a montré que sa carapace ne nous faisait pas peur et qu'on était capable de la tasser pour voir l'enfant derrière cette carapace. «Bon, tu ne veux pas qu'on le dise à ton père? OK on peut respecter ça.» Dans le fond, moi je me dis qu'une situation qui se passe à la garderie, on peut régler ça entre nous. Son père est arrivé pendant qu'on était en train de parler avec lui. Il a dit «qu'est-ce qui se passe?» On lui dit «il s'est passé des choses, sauf que ça s'est réglé.» Jean-Daniel est parti chercher son sac. On a dit «on ne veut pas que vous soyez conséquent sur l'événement parce que c'est réglé, on s'est entendu». Le père a compris et il a embarqué.

À la suite de ça, sa relation avec les autres a empiré. L'«anti» Jean-Daniel ça s'est formé, c'est vraiment l'événement qui a fait que Jean-Daniel était perçu comme un enfant qui ne se contrôlait pas, qui faisait des crises. Là, il l'a eu son étiquette. Je trouvais que la relation avec les enfants de la garderie ça ne s'était pas améliorée. Je travaillais là-dessus en disant aux enfants «aidez Jean-Daniel». On essayait de l'intégrer, je disais «vous ne lui donnez pas de chance, à la moindre petite chose, vous êtes toujours prêt à l'accuser.» D'un autre côté, je pense que ce qu'il a aimé c'est que je ne l'ai pas rejeté. Je ne l'ai jamais rejeté, je lui disais «tu es ici», je ne lui disais pas qu'il n'était pas endurable ou je ne me suis jamais plainte à son père. On n'était pas là pour le rejeter, je pense que c'est l'attitude qui a semé un peu d'espoir dans cet enfant. Il a senti qu'il n'était pas là en attendant, on le prenait et on se disait on va essayer de l'aider dans le fond. C'est une relation d'aide qu'on lui a offerte. Il y avait France aussi, parce qu'on se parlait là-dedans. La responsable est en présence des enfants de 5 à 6 heures, elle travaille avec cet enfant. Elle l'a vu dans une autre situation, elle a tout de suite pu me comprendre. Ça a été aidant aussi d'être deux personnes.

La troisième crise, c'est encore une affaire qui est arrivée à l'école, ce qu'on a su par après, parce qu'on ne le savait pas. Il refait une autre crise et cette fois, c'est Simon qui rentre dans le mur sans faire par exprès, il était fâché. Parce que quand il faisait une colère, c'est bing bang, ça revolait, il criait, il était en maudit. Simon, il l'a tassé parce qu'il ne regarde pas le monde qui est autour de lui. Il dit qu'à ce moment-là il n'est pas capable de se contrôler. À ce moment-là, je l'ai amené à Marcel, le directeur adjoint, parce qu'après la deuxième crise on lui en a parlé. Marcel avait dit «je vais le rencontrer». Il est ouvert, il fait la gestion avec nous, il est vraiment impliqué au niveau de la garderie. Il devait le rencontrer, mais finalement il ne l'avait pas encore rencontré. Quand on a eu la deuxième crise on lui avait expliqué le cas. On n'avait pas encore pris vraiment de plan d'intervention. Je savais qu'il fallait que je l'occupe quand il arrivait, je le faisais de façon instinctive, disons qu'on avait une attitude qui était correcte, mais avec l'expérience on soupçonnait qu'il avait besoin de plus d'encadrement et Marcel devait le rencontrer pour l'aider. On est allé chercher Marcel, parce que là il était en crise. Marcel est venu, il l'a calmé. Il était 5 heures, moi j'avais fini de travailler, alors je suis allée dans le bureau avec l'enfant et Marcel. On s'est expliqué et là-dessus on a eu un plan d'intervention. Pour résumer, tout ça s'est déroulé sur une période de trois semaines avec beaucoup d'événements. Après, on s'est assis pour faire un plan d'intervention.

On lui a dit, l'image qu'il voulait nous montrer et qu'il a fait percevoir à tout le monde et ce n'est pas cette image-là qu'il voulait dans le fond. On lui a fait verbaliser tout ça. Quand il a compris qu'il peut être une autre personne que celle qu'il veut nous montrer, que la personne qu'il nous montrait dans le fond ce n'est pas lui, une personne que tout le monde connaît dans les autres écoles comme un enfant perturbateur. Il essayait de se justifier «ils sont toujours sur mon dos». Marcel lui demandait «pourquoi ils sont sur ton dos?» Il essayait de lui expliquer que lui avait quelque chose à faire. «Eux, peut-être qu'ils te provoquent, mais il faut arrêter à quelque part.» Il essayait de renverser les rôles. Après, il y a vraiment eu un changement. Il a pris conscience qu'on s'en occupait, puis aussi qu'on voyait clair dans son jeu, que c'était fini, il n'avait plus de chance. Je trouve qu'on est intervenu vite au niveau du temps. De toute façon, ou bien il s'en allait, ou bien on le gardait. Parce qu'un enfant qui bouscule comme ça, il peut être dangereux pour les autres enfants et il est perturbateur, il brise toute la dynamique du groupe. Marcel, je l'ai trouvé bien correct. Moi, j'ai raconté les faits. Jean-Daniel, lui, a raconté comment il se sentait, puis ce qui était le fun, c'est que Jean-Daniel n'a jamais dit que je n'avais pas raison, parce qu'on a toujours eu une bonne relation. Je disais comment moi je me sentais quand je courais après lui et lui comment il se sentait comme enfant. Marcel faisait comme l'intermédiaire entre nous deux. Il disait «sais-tu que Marie a la responsabilité d'un groupe, sa première responsabilité c'est la sécurité. Il faut que les enfants soient en sécurité, c'est sa première responsabilité». Il parlait à Jean-Daniel, mais il me parlait aussi «je la comprends Marie de se sentir mal, parce que nous on a une responsabilité». Lui c'est mon patron, c'est ça que j'aimais de la part de Marcel, il lui faisait voir que j'avais des devoirs à remplir. Il lui faisait comprendre aussi que comme directeur, il m'avait mis une responsabilité sur le dos. Il a bien embarqué, il m'a vraiment soutenue. On n'était pas directeur, éducatrice puis enfant, on était trois personnes qui avaient un vécu différent et qu'à l'intérieur de ce vécu on avait chacun une responsabilité, chacun un rôle, lui son rôle d'enfant.

J'ai ramené Simon dans notre échange : «écoute Jean-Daniel, tu as un ami» parce qu'il disait qu'il n'avait pas d'ami, «ils sont tous contre moi». «Ce n'est pas vrai, tu as au moins un ami : Simon. Il t'a pris comme tu es. Tu as un ami et il t'aime lui. Puis toi aussi tu l'aimes» On voyait qu'il l'avait comme pris sous son aile, c'était un élément aidant ça aussi. «Je vais te dire quelque chose, Simon quand tu l'as poussé, il s'est même pas fâché contre toi, il t'a défendu. Ça, c'est un ami, il a dit: ce n'est pas grave Marie, il ne m'a pas trop fait mal et il n'a pas fait par exprès. Tu ne penses pas qu'un ami comme ça tu ne devrais pas l'aider et le protéger?» Il n'a pas dit un mot là-dessus, mais on sentait qu'il avait compris et que je l'avais touché. À partir de cette rencontre, on lui a dit qu'on ne voulait plus que ça arrive : «tu comprends la responsabilité de Marie, alors des crises il ne faut plus que tu en fasses. Tu n'as plus le droit de te sauver. Se sauver c'est inadmissible.» On a mis ça clair en partant, on lui a fait comprendre tout l'émoi que ça donnait et qu'il me punissait. Marcel lui a demandé «est-ce que tu la respectes, Marie?» Il a dit «oui». «Mais tu lui fais du mal, la conséquence, même si tu ne lui en veux pas, tu la punis, parce que c'est elle qui écope de toute la responsabilité du groupe. Tu ne lui en veux pas, mais tu es inconséquent dans ton geste».

Le plan d'intervention c'était vraiment de renforcer ce qu'on faisait depuis le début, sauf de façon systématique. Quand Jean-Daniel arrive, il raconte sa journée. «Si ça a mal été, tu nous le dis ou bien si tu as besoin d'être tout seul, de ne pas parler, on va te trouver un petit coin. On va te respecter dans ton état, mais tu ne perturbes pas le groupe.» On lui a expliqué les règles, qu'il fallait que ça soit sous surveillance, qu'il fallait que ce soit une place où tous les enfants sont visibles. «On va te trouver un petit coin, avec un petit paravent, même petit, ce n'est pas grave.» Parce que la garderie c'est grand comme ma poche, il n'y en a pas de coin vraiment pour s'isoler. Puis moi je renchérissais «bien oui si il y a quelque chose qui ne va pas quand tu arrives, tu nous le dis.» Marcel lui demandait «est-ce que ça va bien avec Marie?» Jean-Daniel disait oui, il le verbalisait qu'il était en confiance avec moi, ça me faisait un petit velours. Puis il lui a demandé «avec les autres enfants penses-tu que tu pourrais régler ça? Tu ne te sauves plus, de toute façon on ne te laissera pas te sauver, ce n'est pas la solution. Si tu as un problème, il faut trouver la solution. Tes parents t'ont inscrit à service de garde, il y a moyen de s'accommoder et d'être bien. Nous, on veut que tu sois bien ici, on ne veut pas que tu sois malheureux et te piquer dans un coin. Puis toi, est-ce que tu veux être bien?» Lui aussi voulait être bien «Alors on va prendre les moyens, ça va mal dans l'autobus, à l'école, tu nous le dis.»

Je pense que c'est pour ça que l'attitude de Jean-Daniel a changé. On dirait qu'on l'a comme désamorcée. On n'a pas embarqué dans son jeu d'enfant perturbateur en lui donnant punition sur punition. On est allé le chercher dans sa source. C'est un enfant qui est précoce avec l'esprit de gang. Il y avait un peu de délinquance même dans son attitude, c'était peut-être de la fabulation, mais il était au courant de bien des choses pour son âge. Mais c'est un enfant qui, à l'intérieur, était différent. Pour moi, c'était encore une façade ça. J'ai comme principe de désamorcer (France et moi on travaille un peu avec les mêmes principes), avec l'expérience aussi, ça fait des années qu'on travaille avec les enfants. Un enfant qui arrive comme ça, c'est parce qu'il a un problème. Tu sens que ce n'est pas normal. Quelqu'un qui a de la colère, il faut qu'elle passe à quelque part. Un enfant qui cri a un problème à régler, il faut l'écouter. On le savait qu'on pouvait faire quelque chose avec cet enfant, on le sentait. Je ne dis pas qu'on a réponse à tout. Mais pour ce cas ça a marché. Ce n'est pas des recettes vite faites, ça ne veut pas dire qu'on arrive avec un autre enfant et que c'est pareil, ça serait autre chose. On n'a pas la science infuse là-dedans. On lui a offert dans le fond de l'aimer cet enfant, on lui a donné des choses qui étaient vraies. On ne s'est pas dit s'il peut s'en aller, on va avoir la paix. On n'a jamais eu cette attitude-là avec lui, c'est ça qui l'a mis en confiance. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, il est correct, on se sent bien avec lui. On a une belle relation avec cet enfant et maintenant, il est ami avec tout le monde, il est accepté dans le groupe. Il y a encore quelques conflits parce qu'il a quand même son caractère, mais de façon normale. Il restera toujours que c'est un enfant qui est prompt, il s'impose, il a du leadership, mais je le ramène. C'est un enfant qui est intéressant, il a une bonne communication, il vient me voir, s'il a des choses, il va nous en parler. Au début, les autres éducatrices disaient « c'est un moyen cas » ou «on n'en a pas fini avec lui». Il y en avait une qui disait «il est manipulateur». On en avait des remarques et des commentaires sur cet enfant, quand il passait «il vibrait». On se fait dire dernièrement «il a changé». Tu le sens qu'il est vraiment à l'intérieur du groupe, qu'il fait partie du groupe, quand il arrive à 4 heures moins quart, il est attendu.