© Audet, G. (2006).

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TITRE: S'OUVRIR AUX DIFFÉRENCES OU S'Y ENFARGER

Je suis enseignante à la maternelle depuis trente ans, dont treize ans vécus en milieu défavorisé. J'ai toujours enseigné à la maternelle, que ce soit avec des enfants de quatre ans ou de cinq ans. Maintenant, j'enseigne en milieu favorisé et, comme mon école était située, jusqu'à il n'y a pas très longtemps, près d'un centre d'accueil des immigrants, j'ai eu des enfants de différentes cultures dans mes classes. Parmi ces enfants, j'ai eu une petite Arabe... C'était une jolie petite fille qui était arrivée au mois de septembre avec sa mère, qui était très gentille. Elle vivait avec sa mère et son père n'était pas là. Cette petite avait des difficultés en classe et cela m'a conduit à me heurter à des préjugés que j'avais, moi qui pensais ne pas en avoir. C'est donc moi qui ai eu le problème...

Au début ça allait bien. Ça se passait bien, elle était gentille. Les enfants allaient vers elle. Mais, à partir du moment où les enfants l'ont connue davantage, il y a eu un problème. Ce n'était pas un problème de langue; je voyais plutôt un problème de culture. Je n'étais pas sûre qu'il s'agissait d'un problème de caractère. En fait, je me suis demandée si le caractère n'était pas mélangé avec la culture. Le problème c'était qu'elle racontait des mensonges. C'est ce que les enfants disaient en tous cas. Au début je me disais : « C'est de la fabulation », mais comme la mère faisait la même chose de son côté, je me suis demandée si ce n'était pas un problème de culture. Par exemple, la mère avait toujours une bonne raison pour arriver en retard : la petite était tombée dans une flaque d'eau et elle avait été obligée de la changer, l'autobus était en retard... Elle arrivait systématiquement, quotidiennement, en retard et elle avait toujours de bonnes raisons... Pour la petite, c'était pareil : ce qui arrivait était la faute des autres ou quand on la confrontait avec la vérité, elle niait tout.

Par hasard, cette année-là, on avait eu une rencontre avec une personne-ressource qui travaillait à Montréal avec les immigrants. Il avait écrit un livre sur les différences et il avait beaucoup d'expérience autour de ça. Il nous avait beaucoup parlé des Arabes et de leur façon de contourner la vérité, que ce n'était pas comme nous et qu'ils avaient leur façon propre de parler de la vérité. Il nous avait dit qu'il fallait vivre avec ces différences-là et avec cette façon de procéder qui était différente des autres.

Naturellement, à un moment donné, ce comportement s'est mis à « m'énerver ». Le problème, ce n'était pas seulement les enfants qui l'avaient, c'était moi. Je me disais : « Tous les Arabes sont comme ça ». Ce n'était pas assez de savoir que c'était culturel, ça « m'énervait » quand même. J'aurais aimé avoir de l'aide, quelqu'un qui me dise : « Maryse, prends-le autrement ». J'aurais aimé avoir une autre façon de « prendre » ce problème autrement, une façon de la confronter aussi, parce qu'on ne pouvait pas la confronter. Pour les enfants de cinq ans, la vérité, c'est important. Alors les enfants se sont mis à la prendre en grippe en disant : « Ce n'est pas vrai ce qu'elle dit », « Elle n'a pas dit la vérité ». Elle a perdu ses amis et plus ça allait, moins elle en avait... Et moins elle avait d'amis, plus elle devenait agressive. Elle s'est mise à avoir des comportements négatifs : elle pinçait. Il a donc fallu qu'on travaille à la mettre en valeur.

J'ai travaillé à mettre en valeur ses réalisations, mais, honnêtement, c'était difficile pour moi. Pour une raison éthique, j'ai quand même continué à le faire. C'était mon devoir. C'est certain que je ne la rejetais pas complètement, mais je pouvais comprendre que les enfants la rejetaient. Elle essayait d'entourer les enfants avec ses bras, elle envahissait leur territoire... C'était rendu qu'elle leur « tapait sur les nerfs » parce qu'elle était tellement têtue et entêtée dans ses idées qu'elle ne réussissait pas à se faire des amis. Elle ne cédait pas facilement, même si ce qu'elle disait n'était pas vrai. Pendant toute l'année, elle n'a jamais admis qu'elle avait fait une blague ou raconté un petit mensonge, jamais, jamais, jamais...

Pour l'entreprise de mise en valeur, je lui avais demandé d'apporter quelque chose de chez elle!. Elle avait entre autres amené une robe venant de son pays. Ensuite, une musique. J'avais aussi demandé à sa mère de venir nous parler de son pays. Elle était charmante, même si elle disait avoir de la difficulté avec tous ses voisins. C'était peut-être un problème de personnalité, finalement... Alors la mère est venue présenter la manière dont elle vivait dans son pays. On a regardé sur la carte, etc.... Pendant une semaine, c'était comme cela. À chaque fois qu'elle avait fait des choses, je disais aux enfants : « Avez-vous remarqué? » Mais les enfants ne comprenaient pas mon entreprise de mise en valeur... Ils disaient : « Moi aussi Maryse, regarde ce que j'ai fait ».

Je ne peux pas dire que cela été un échec, mais ça ne fonctionnait pas beaucoup parce qu'on aurait dit que Sarah était insensible. Les enfants essayaient de nouer avec elle des liens d'amitié, mais, en moment donné, ils se heurtaient toujours toujours à son entêtement quand elle était en train de jouer. C'était à elle de décider... Les enfants disaient : « Elle ne parle pas la même langue que nous », parce qu'elle parlait un peu « à la française », mais je le savais que, dans le fond, ce n'était pas cela. Ce n'était pas parce qu'elle ne parlait pas la même langue... Elle voulait se faire des amis mais il fallait que les amis fassent ce qu'elle voulait et qu'ils se soumettent à son idée...

Je l'ai mise en valeur, on a travaillé la résolution de conflits, mais, pour elle, ça été un long cheminement. Comme elle ne se rendait même pas compte qu'elle était dans l'erreur... Je me suis dit qu'elle apprendrait vers sept ou huit ans, lorsqu'elle serait vraiment mise en dehors du groupe, parce que c'est à cet âge-là que ça se fait. Je me rappelle qu'il y avait des enfants qui me disaient : « Je l'ai essayé la façon dont tu dis, mais ça ne marche pas... », parce que quand tu règles les conflits, il y a l'étape où on échange sur ce qu'on peut faire pour améliorer notre relation ou régler notre problème. Avec elle, il n'y avait pas de concessions. La psychologue est venue l'observer. Elle m'avait donné des conseils comme de la laisser aller, que les enfants arriveraient à lui dire, qu'ils trouveraient un chemin. Mais avec elle ça été plus difficile...

Je n'ai pas été capable de changer sa façon de contourner la vérité. Ça persistait tout le temps et ça agaçait les enfants. Elle se faisait des amis, mais ça ne durait pas longtemps. Les enfants, à cet âge-là, ils sont tellement rigides sur la vérité : si tu ne dis pas la vérité, ça les choque et ça crée une distance entre eux. On a beaucoup travaillé les cultures avec elle, on a parlé des autres pays. Cela l'a mise en valeur, elle était très contente. Elle est devenue plus affectueuse avec moi, plus attachée à moi parce que je m'occupais plus d'elle. On a aussi parlé de la culture québécoise, pour ne pas uniquement s'intéresser à elle. J'ai aussi rencontré la mère plusieurs fois.

La psychologue m'a conseillée, parce que c'était moi maintenant qui avait le problème. Habituellement, je suis une personne tolérante, mais ce comportement m'avait exacerbée. J'ai travaillé sur moi, sur « l'espèce de préjugé » que je pouvais avoir sur les Arabes. Mais je suis demeurée quand même avec ce préjugé-là. Depuis ce temps, quand on fait les groupes avant le début des classes, si je vois arriver des noms d'Arabes, je me dis : « Ne me dis pas que je vais encore me ramasser avec quelqu'un qui va contourner la vérité! ». Je suis consciente que j'ai un préjugé et pourtant je travaille beaucoup avec des enfants de différentes cultures. Est-ce que c'était une question de race ou de caractère? Je ne le sais pas encore. Je ne suis pas négative envers un enfant de la même race, on n'a pas le choix. Je ne les prendrais pas en grippe en partant, mais je vais toujours avoir cette peur-là quand même.

Quand je vois arriver des Africains, c'est différent. Avec eux, c'est la lenteur à laquelle il faut que je m'adapte. Encore là, je le sais que j'ai des préjugés, mais ce sont des préjugés qui sont fondés sur l'expérience... La vitesse de croisière est très différente, en tous cas pour les Noirs que j'ai eus. J'avais une petite fille Africaine l'année dernière. Elle ne comprenait pas vite les consignes... Elle était un peu comme « le Schtroumf distrait ». La mère m'avait accusée d'avoir prise sa fille en grippe parce qu'elle était noire, alors que ce n'était pas vrai du tout. C'était elle qui s'excluait, c'était un problème de non-confiance en elle. Elle-même disait : « C'est parce que je suis noire que je n'ai pas d'amis ».

Au début de l'année, ça allait bien. Elle était très contente et sa mère aussi. Elle arrivait de Paris, où elle avait fait une pré-maternelle. Ici, à l'école, les enfants qui arrivent en maternelle forment des clans. Il y a des enfants qui arrivent de la garderie tout près, où ils se sont côtoyés pendant trois ou quatre ans. Il y a comme un attachement entre eux. Arrivés en classe, on essaie de scinder ça, de défaire les clans. On en met trois dans une classe, trois dans l'autre, mais il reste qu'on ne peut pas tous les séparer. Quand arrive quelqu'un qui ne vient pas du patelin, ils sont plus réservés. On doit travailler beaucoup sur la façon de faire entrer quelqu'un dans leur jeu, leurs activités...

Elle, c'était une enfant qui était toute jolie, toujours bien habillée, bien mise. Elle était noire noire. Elle avait été adoptée. Au début de l'année, elle était heureuse en classe. À partir du moment où elle a commencé à essayer de se faire des amis, ça allait bien les premiers jours, mais après, quand les amis ne disaient pas comme elle, elle se retirait. Quand cela a eu lieu, je ne l'avais pas remarqué parce que je la voyais souvent jouer dans le coin de la cuisine. C'est sa mère qui m'a appelée et qui m'a dit : « Ma fille se sent toute seule ».

Le lendemain on a fait une causerie. J'ai demandé : « Les amis, est-ce qu'il y en a qui sentent qu'ils n'ont pas d'amis? » Elle a parlé. Elle a dit : « Moi je pense que je n'ai pas d'amis, que personne ne veut jouer avec moi. » Les enfants ont dit : « Mais quand on joue avec elle, c'est toujours elle qui a raison »... En fait, ils ont dit pourquoi ils ne voulaient pas être amis avec elle et ce n'était pas à cause de sa couleur. Mais elle, elle disait que c'était à cause de ça. Le problème, c'était que, quand on ne disait pas comme elle, elle s'en allait bouder dans le coin. Mais les autres, ils continuaient leurs jeux. Cette année, elle est en première année, et elle a le même comportement.

On a investi du temps sur ce comportement-là pendant toute l'année. La mère m'avait même rejointe chez moi, le soir, pendant une heure et demie pour me parler qu'elle-même, elle avait vécu le rejet quand elle était petite. On aurait dit qu'elle faisait de la projection et elle grossissait le problème. Sa fille avait dit qu'elle avait un problème et elle le mettait en importance. Elle donnait raison à sa fille et, à mon avis, cela l'encourageait dans son retrait.

Avec elle aussi on a mis en valeur son pays, comme je fais à chaque année, avec tout le monde. Sa mère est venue présenter des diapositives sur l'aventure de son adoption. On s'est beaucoup intéressé à son pays : comment c'est dans ce pays-là? Puis, en classe, on s'est demandé comment entrer un nouvel ami dans notre jeu... À chaque jour, nous avons l'habitude, en revenant des jeux extérieurs, de faire un retour. « Comment ça été? », « Est-ce que je me suis fait de nouveaux amis? », « Est-ce qu'on a fait des nouveaux jeux? »... À ce moment-là, on parle du règlement des conflits, on fait des mises en situation. À chaque fois qu'on a un problème, on donne des exemples, on cherche des nouvelles techniques : « J'intègre un nouvel ami », « Je l'essaie pour cinq minutes pour voir comment ça va », « L'ami arrive avec une idée »... Comme ça, l'effort se fait des deux côtés. Pour elle, elle a appris à s'inventer des idées pour aller vers les autres, au lieu de se « planter là » et attendre que les autres viennent la voir.

En fait, son problème était : comment me faire des amis. Elle, elle avait mis ça sur le fait qu'elle était noire et la mère renchérissait là-dessus. Quand elle s'est mise à faire des pas, à aller vers les autres, son comportement s'est amélioré. C'est vrai qu'elle se sentait toute seule. J'ai souvent eu des enfants noirs et quand cela arrive, même aujourd'hui, je préfère en avoir un autre de la même race, parce qu'ils sont plus à l'aise à plusieurs et je les comprends. Par exemple, cette année, j'ai deux petites Chinoises. Il y en a une qui est de parents vietnamiens. L'autre vient de Chine et elle a été adoptée, ainsi que son frère aîné. Les deux petites Chinoises sont dans ma classe et, au début de l'année, elles étaient toujours ensemble. Maintenant, elles sont séparées. On dirait que le fait de se retrouver de la même race, ils sont biens. Et ma petite noire, je pense que si elle n'avait pas été toute seule de noire, ça aurait été mieux. Parce que les enfants en début d'année, ils parlaient de la couleur chocolat, ils passaient des remarques, ce n'était pas méchant. C'est franc les enfants. Quand on avait parlé des différences en début d'année, elle s'était mise à prendre conscience de sa différence et peut-être que ça l'a marquée. Les enfants devaient probablement passer des remarques : « Elle n'est pas comme nous », « Elle a la peau noire », « Elle a les cheveux frisés ». Il y avait aussi le fait qu'elle entrait dans des nouveaux clans et l'âge des enfants. Donc, de se retrouver avec quelqu'un d'autre, je pense que ça peut aider, pour éviter le rejet.

Finalement, tout ça pour dire que des préjugés, j'en ai. Je suis restée marquée par la première histoire, j'ai encore ce préjugé-là sur les Arabes et certains sur d'autres races. J'aimerais pouvoir ne pas faire de différence, mais... Si on avait des conférences pour nous aider, je serais toujours ouverte...