© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Une enseignante en quatrième année au primaire, d'une école francophone située dans une ville principalement anglophone et de milieu relativement aisé, raconte une intervention délicate liée à un cas d'abus sexuel familial. À ce moment-là, elle est âgée d'environ 27 ans et c'est sa première année d'enseignement.

TITRE: IL NE FAUT PAS SE METTRE LA TÊTE DANS LE SABLE

J’avais des problèmes avec une élève qui ne travaillait pas bien ; elle était en échec. Elle n'était pas capable de faire ses travaux à la maison et elle avait de grosses difficultés à lire. Dès le début de l’année, j’avais vu qu'elle manquait un peu de propreté et qu'elle mangeait beaucoup de pain avec du beurre d'arachides pour dîner. L’école offrait de l’aide pour les élèves en difficulté, pauvres, plus démunis et, pour elle, elle payait le matériel scolaire. Elle ne travaillait pas bien et je trouvais qu'elle parlait de choses étranges et se comportait bizarrement. Elle était très extravertie sur certains points et très introvertie sur d’autres. Elle n’était pas souvent attentive et elle avait souvent les mains sur elle, sur ses cuisses. Quand je passais à côté d’elle, l'élève enlevait ses mains de là. J’avais des doutes, mais pas de preuves. J’ai essayé de rejoindre ses parents sans succès. Je me suis aperçue qu’à la maison, ils n’avaient ni le téléphone ni la télévision. Puisque je n'étais pas capable de les rejoindre, je leur écrivais des petites notes qui restaient sans réponse.

Lorsqu'elle était en classe, elle travaillait. Ce n’est pas qu’elle ne voulait pas. C’est ça qui est dommage. C’est juste qu’elle n’avait pas l’aide. À la maison, elle ne travaillait pas du tout. Quand je lui demandais les raisons pour lesquelles elle n'avait pas fait ses devoirs, elle me disait qu'ils étaient allés se promener. Je me souviens que le père avait un camion, un genre d'« Econoline ». Je l’ai vu une fois venir la chercher à l’école. J’avais vu qu’il était barbu et qu’il y avait une femme à ses côtés. Ils allaient se promener, ils montaient au nord de la ville à une heure d'ici environ. Elle avait un oncle qui vivait dans des tentes, comme dans une commune d’après moi. Quelquefois, elle me disait qu'ils couchaient dans le camion. Elle revenait de la fin de semaine et, en classe, elle partait dans la lune, elle me semblait assez perturbée. Elle ne dérangeait pas le groupe, elle était juste excentrique un peu, dans le sens où elle aimait montrer son corps par des vêtements moulants, mais pas plus que ça. Elle n’était pas attirante et pas très populaire. Je me souviens qu’à Noël, on a fait une danse et elle était tout le temps seule. Personne ne la demandait pour danser.

À un moment donné, avant Noël, on a eu la semaine des arts. Une femme est venue animer une activité. Les enfants devaient faire un dessin avec deux personnes. Sur le dessin de cette élève, il y avait une personne couchée sur un lit avec un pénis, très gros, beaucoup plus gros que le corps et très bien dessiné. Habituellement, les enfants de cet âge dessinent ça de façon clichée un peu. Dans son cas, il était très bien dessiné. Et l'homme était barbu. Il y avait une femme à côté qui était à genoux mais ne faisait rien. L'animatrice trouvait ce dessin très parlant, mais peut-être ne voulait-il rien dire...

Avant de faire quoi que ce soit, la première chose à faire est d’en discuter (1). J'en ai discuté avec le directeur et on a fait venir la travailleuse sociale. Dans cette ville, il n’y avait pas de CLSC (Centre local de service communautaire) comme tel, c’est vraiment à la travailleuse sociale qu'on s'adresse pour des situations pareilles. Je suis allée voir dans le dossier, pour voir de quel milieu elle venait. Je suis allée voir ensuite où ils demeuraient. Je tenais aussi un journal (2). Je me suis dit que s'il y avait vraiment quelque chose de grave, on me demanderait des preuves. Dès que j’ai vu ses mains sous le bureau, j'ai commencé à noter toutes les dates. L’incident déclencheur a vraiment été le dessin, parce que sinon je n’aurais jamais fait de démarches. Je ne serais pas allée voir le directeur ni la travailleuse sociale. Quand c’est simplement un cas de pauvreté et que la petite fille est malpropre, et que c’est comme ça qu’ils vivent à la maison, je considère que ce n'est pas de mon recours. Tu n'entres pas dans le foyer de tout le monde, tu ne peux pas jouer à la bonne pour tout le monde.

Après en avoir discuté avec le directeur et la travailleuse sociale, on a essayé d'aller rencontrer les parents à la maison familiale en premier lieu. Comme on ne pouvait pas les contacter par téléphone, il a fallu y aller directement. Le père nous a traités de tous les noms, qu'on n'avait pas de preuves de rien et que ce n’était pas un dessin qui parlerait. Ils ne nous ont jamais laissé entrer. Ils ont même retiré la petite fille de la classe parce qu’ils disaient qu'on voulait juste son mal. On n'a jamais rencontré la mère. On ne sait même pas si elle était là, mais la petite fille me disait qu'elle y était. À un moment donné, j’ai vraiment surpris la petite fille à se masturber et à le montrer à deux autres petites filles. Elles se changeaient dans la classe pour l’éducation physique. Je suis entrée parce que je trouvais que c’était long. Elles étaient là, toutes les trois, les petites culottes baissées. J'ai pris la petite fille et j’ai dit aux deux autres de s’en aller. Je suis allée voir la direction avec elle, mais pas pour la faire disputer. Je lui ai demandé depuis quand elle faisait ça et qui lui avait montré. Mais dans ces temps-là, elle faisait comme si elle ne me comprenait pas. Elle amplifiait son accent anglophone, comme une barrière pour ne pas que j’entre dans sa vie. Je lui ai montré son dessin et l'ai questionnée sur le fait qu'elle pouvait dessiner un pénis aussi bien. Elle a dit que son père lui montrait des photos et des films.

Je lui parlais beaucoup toute seule et j’essayais de savoir énormément de choses, parce que mon directeur disait qu'il fallait en savoir plus, sinon on ne pouvait rien faire. Je lui posais des questions, je faisais des scénarios à propos de ce qui pouvait se passer : « Tu prends ton bain, tu es en train de manger, tu es dans ton lit... » Je ne pense pas lui avoir suggéré des choses, elle était bien trop perturbée pour pouvoir fabuler. Tu ne peux pas fabuler sur quelque chose que tu ne connais pas. En plus, quand je lui demandais des choses qui n'étaient pas arrivées, elle le disait. Par exemple, je lui demandais si son père avait déjà fait des choses qu'elle n’avait pas aimées. Elle disait non. Elle disait par contre qu'il avait déjà fait des choses qu'elle avait aimées, par exemple, quand ils jouaient sur son lit et qu'il la chatouillait. C'est terrible. Il faisait beaucoup de choses avec sa bouche. J’en parle, puis ça me dégoûte un peu. C’est pour ça que j’ai hésité avant de raconter ce récit. Mais il y a beaucoup d’enseignants qui ont eu à faire face à ce genre de situation. Je me suis dit que ça peut aider de le raconter, parce qu'il ne faut pas se mettre la tête dans le sable et faire semblant qu’on ne le voit pas. Tu ne t’attends pas à ça, tu ne sais pas trop. Tu ne veux pas faire mal, tu ne veux pas non plus inventer des choses. La première fois, quand tu vois ça, tu en imagines plus, tu en vois partout. Tu as peur aussi d'en mettre plus que le client en demande et d'accuser faussement. Tu ne sais pas dans quoi tu t’embarques. Tout ce que je voulais, c'est que justice soit faite et que ça arrête. Si c’était vrai, que ça arrête.

À un moment donné, on a envoyé la police à la maison. On a commencé par dire que les enfants n’étaient pas propres et qu’on pensait qu’ils ne mangeaient pas leurs trois repas par jour. Ensuite, on a dit qu’on pensait qu’ils étaient abusés. Elle avait une petite soeur aussi dans une autre classe, en troisième année, qui portait des marques. On ne sait pas si elle était battue, mais elle portait des marques de doigts serrés. On a travaillé de pair avec l'autre enseignante, mais elle n’avait rien remarqué au départ. Elle avait aussi une grande soeur au secondaire qui était prise là-dedans également, de façon plus importante. On a averti son professeur, mais au secondaire, quelquefois ils ont plus de difficulté à identifier les problèmes, parce que les adolescents ne veulent pas trop parler. Ils sont allés en cour et ça s'est réglé. En fin de compte, le père s’est fait arrêter parce qu'il les abusait beaucoup sexuellement. On n’a pas été obligés de témoigner parce que les enfants l’ont dit. La plus vieille l’a dit.

Il fallait être sûrs pour accuser le père, mais on l’était parce que la petite fille me disait ce qu'il faisait. Son père aurait pu tout nier, c’est évident, mais ils ont eu beaucoup de preuves. C’est certain que la police ne nous dit pas tout à nous, enseignants ; ça devient un dossier de la police et de la protection de la jeunesse. Alors, les enseignants sont laissés de côté. Je sais qu’il a fait de la prison : trois ans. Les enfants étaient partis en famille d’accueil. Ils avaient placé la grande toute seule et les deux petites ensemble. Mais je ne sais pas ce qu'est devenue la mère ; je pense qu'elle était battue aussi. Il nous en manque des bouts, on n’a pas pu rien savoir. Quand mon élève a été placée dans une famille d’accueil, elle est partie de la classe. Je ne sais pas si ça a été un bien ou un mal. C’était une petite fille que j’aimais beaucoup. Je n’avais rien contre elle, sauf que je n’avais pas vraiment aimé me retrouver dans cette situation. Je l’ai peut-être plus prise en pitié parce que je trouvais sa situation atroce. En plus, elle était un peu rejetée dans la classe. Je pense que c’est pour ça qu’elle est allée se chercher une certaine importance en montrant ces gestes, elle voulait avoir des amis.

Ça a avait eu un gros impact dans la classe parce que les petites filles avaient commencé à faire ça. Elles étaient perdues là-dedans. Une d'entre elles m'avait dit qu'elle avait trouvé du plaisir dans ce qu’elle leur avait montré. Ses parents avaient commencé à la disputer aussi à ce sujet. Ils s’étaient rendus compte que dans le bain, la petite fille disait : « Regarde maman, quand je touche là, j’aime ça. » La mère s’était demandé où est-ce qu’elle avait pris ça. Elle voulait que je fasse un gros cours à ce propos. Ça a eu un effet négatif sur ma classe. Peut-être que c’était de ma faute. Mon défi était de retrouver ma classe comme je l’avais eue avant. Je sentais les élèves drôles un peu, comme s'ils étaient en train de perdre leur jeunesse parce qu’ils étaient au courant. Certains demeuraient près de cette élève-là et ils ont vu la police arriver. Ils ont vu que la petite fille n’était plus là, qu’ils étaient déménagés. Les enfants à cet âge-là viennent à tout découvrir. Ils savaient qu’il y avait une petite fille qui avait montré certaines choses à ces trois élèves. D'ailleurs, elle en avait parlé aux garçons, qu'ils pouvaient se le faire aussi.

On était rendus après Noël, à la deuxième étape, et je rencontrais les parents pour les bulletins. Alors, je leur ai parlé qu’il y avait eu un problème avec des élèves et que je désirais aborder le sujet en classe. Les parents avaient une petite résistance, surtout ceux dont les enfants avaient commencé à se toucher ; ils se demandaient comment ça finirait. J'avais fait un programme portant surtout sur le développement du corps et je leur avais indiqué jusqu’où on se rendrait. J'ai beaucoup parlé avec la travailleuse sociale. Elle avait une formation aussi comme infirmière. Je lui avais demandé jusqu'où je pouvais me rendre. Je ne voulais pas parler du système reproducteur. Je voulais aborder ça sous l'aspect de leur corps à eux, surtout au plan social : ce que les autres avaient le droit de te faire, de te dire. C’est parti de très loin. Il a fallu y aller très doucement. Je ne pouvais pas arriver et dire : « Les garçons, vous avez un pénis, les filles, un vagin. »

On a commencé vraiment très loin, le père, la mère, la famille. Le noeud familial était un des thèmes qu’on avait abordés, les amis aussi. Qu’est-ce qu'un ami ? Qu’est-ce que la famille ? La définition de ton père. Ce que représente ton père ? Ta mère ? Ton frère ? Ta soeur ? Ton grand-père ? Souvent je le faisais soit avant d'aller dîner ou à la fin de la journée parce que c’était vraiment quelque chose de plus détendu. On poussait tous les bureaux et on s’organisait. Je voulais qu’ils prennent vraiment le temps. J’essayais toujours de partir de leur vécu. Je suis quelqu’un qui parle beaucoup, alors les élèves me parlent beaucoup aussi. Si un élève me disait qu'il lui était arrivé un événement, je lui disais de m'en parler plus tard, lors de notre petit coin. Alors, il en reparlait et ça soulevait toujours quelque chose. Je prenais une heure par jour. Je n’en faisais pas à tous les jours parce qu’il ne fallait pas non plus que ça devienne harassant. Au début, c’était plus souvent, peut-être trois fois par semaine. Je dois avouer que je me préparais énormément pour ce cours-là. Ça me stressait. J'étais nerveuse de parler de ça avec eux, au début, et ils le voyaient. Mais à la fin, je voyais que les élèves répondaient bien et que je n’avais pas eu de notes particulières, pas de lettres, alors j'étais plus détendue.

De façon générale en classe, je travaillais déjà beaucoup par thèmes, par centres d'activités. J’avais joint ce thème-là à un autre qui était, je pense, les oiseaux ou les contes de fée. J’avais même fait un centre sur le sujet. Je m'étais inspirée du programme « Mon corps, c’est mon corps » qui avait beaucoup de publicité à ce moment-là. J’avais montré des films. J’avais aussi fait venir une personne qui leur avait expliqué qu'ils avaient droit de se toucher, mais dans des endroits appropriés. Un des films que je leur avais montré s'intitulait « Moi je m’aime » ou quelque chose comme ça. Après le visionnement, on en avait discuté et je leur avais même demandé qu’ils fassent un jeu de rôles pour voir où ils en étaient rendus dans leur cheminement. On avait eu du plaisir, ça avait été drôle. Je voyais que les jeunes étaient bien là-dedans.

Peu après, j'ai arrêté cette activité. Les enfants avaient moins de questions et l’intérêt avait baissé. Ça a duré un mois et demi. Je m’étais dit que quand le centre allait être fini, ce thème-là le serait aussi. On passerait à autre chose. J’avais averti les parents qu'on terminait le thème. Ma petite intervention était finie et la petite fille était partie. L'ambiance avait complètement changé. Nous étions rendus à la troisième étape, dans le coin de Pâques, qui est une fête joyeuse. C’est drôle, parce que je voyais le contenu sur les poussins. J’avais un incubateur et j’avais vu tout le système reproducteur des poules et du coq. Ils ont fait des liens avec ce qu’on avait vu. Ça avait bien enchaîné, bien fini. On n’en avait plus jamais reparlé après ça. On n'a plus mentionné le nom de la petite fille. Moi-même, je n'ai plus jamais eu de ses nouvelles. Elle serait supposée être en cinquième secondaire à peu près. J’en ai même parlé à un copain la semaine passée et je lui ai demandé s'il avait des nouvelles. Il n’en avait pas eues.

L'autre enseignante de troisième année a plutôt ignoré la situation ; elle n’en a pas parlé. Peut-être parce qu’elle était en troisième année. Mais même en troisième année, on aurait pu faire des choses. Quand j'ai vu qu’elle ne voulait pas en parler, je n’ai pas insisté. On n’a pas travaillé en équipe. Ça faisait des années qu’elle faisait la troisième année. Pour elle, c’était sortir de sa routine. Elle disait qu’elle n’était pas confortable là-dedans et que les enfants allaient oublier ce qui s’était passé avec le temps. C'était peut-être un phénomène culturel, parce que j'ai remarqué qu'une approche très fréquente dans la culture anglophone, c’est de laisser aller les choses, de ne pas s’en occuper. Je n’aurais pas été capable. Ça m’avait trop dérangée personnellement pour que je fasse semblant. Je ne suis pas bonne à faire semblant. Je me suis posé la question par la suite : « Est-ce que j’ai tout fait ce qu’il y avait à faire ? Est-ce que j’aurais dû aller plus loin ? Est-ce que j’aurais dû ne pas aller si loin ? » Je pense que j’ai eu un bon résultat et si c’était à recommencer, je le referais de la même façon. Sincèrement, je pense que ce que j’ai fait, je l’ai bien fait. Quand j'ai fini mon thème au mois d’avril, j’ai mis ça dans une enveloppe et j'ai écrit en gros « Matériel ». Quand j’ai recommencé au mois d’août, j’ai ressorti mon matériel. Je me suis dit qu’il ne fallait pas attendre qu’il y ait des problèmes pour le faire. Il faut le faire, parce que les élèves en ont besoin. J'en étais convaincue à cause du bien-être que j’avais eu à le faire et du bien-être que les élèves en avaient ressenti.

D'ailleurs, par la suite, j’ai toujours intégré ça. J'avais monté un beau dossier. L’année d’après, j’ai enseigné en cinquième année. Je suis allée voir dans les dossiers des élèves, juste en gros, parce que je n’aime pas savoir ce qu’il se passe au sujet d'un élève. Je savais que j’intégrerais le thème parce que c'est profitable en terme de développement personnel. Au début de l'année, on a commencé par la perception du corps, de soi avec ses qualités, ses habiletés. Après, on a vu la famille. J’ai fait la même chose sauf que j’en ai ajouté un peu, les organes reproducteurs, parce qu’en cinquième année, il y en avait une entre autres qui commençaient à avoir ses règles (3). Je me dis qu’il y en a peut-être une autre, dans la classe, qui vit ça, sans que je le sache et que ça peut peut-être la faire réfléchir. C'est important dans le développement du jeune. C’est dommage que « Mon corps, c’est mon corps » ait moins d’ampleur maintenant, mais je m’en sers encore.

Cette année, je viens de passer au travers encore une fois. La travailleuse sociale et l’infirmière sont venues et on a parlé du sida. Dans le temps, le sida existait mais on n’en entendait pas parler. Ça entre dans le cadre de la F.P.S. (formation personnelle et sociale). Je le fais peut-être un peu plus poussé parce que c’est rendu que je suis très à l’aise d’en parler. Avant, les élèves me posaient des questions et je ne savais pas si je devais répondre. Tandis que maintenant, les élèves me posent des questions et je me dis que s'ils me posent cette question-là, c’est parce qu’ils ont besoin de le savoir. Alors, je leur réponds avec un langage de cinquième année. Je suis devenue une enseignante beaucoup plus portée sur le côté humain que pédagogique. Dans ma pédagogie, il y a beaucoup d’émotions.


1- L'enseignante explique l'importance de rapporter le cas à la direction

C’était ma première année d’enseignement. J’étais en probation, alors tu veux bien faire, tu ne veux pas que les parents te reprochent quoi que ce soit. Les Québécois sont ouverts sur certaines choses, mais les anglophones sont beaucoup plus stricts. Alors, il fallait que je porte des gants blancs. Il fallait que la direction soit au courant de tout ce que je faisais. C’est un conseil que je donne : tout ce que tu fais, il faut que la direction soit au courant, pour qu’elle puisse te supporter et t'appuyer, si un parent vient se plaindre que l'enseignant aborde ce sujet en classe. Et là-bas, les « supervisers » (examinateurs pour la probation) sont assez sévères ; ils sont très stricts. Tu n'as pas ta probation aisément. Tu passes des entrevues avant d’avoir ta probation. Dans mon entrevue, il fallait que je dise que je menais une bonne vie et que je ne restais pas avec mon conjoint. Il fallait que j’aille à la messe parce que j’enseignais la catéchèse. Tous les matins, avant de commencer la journée, tout le monde se levait et chantait le « Canada ».

2- À propos du journal, une habitude qu'elle conserve depuis ce temps

J’ai écrit ce journal parce que, lors d’un des stages que j’avais faits, quelqu’un m’avait dit que si on voyait quelque chose qui se passait, c'est toujours bien de se documenter et de le garder en note. Alors, les gens vont dire que tu sais de quoi tu parles. J’ai toujours un cahier avec des notes, tout le temps. Même cette année, je n’ai pas vraiment de cas-problèmes et je le fais quand même ; j'écris des réflexions, des notes aux parents, des notes que les parents m’envoient. C'est un cahier à anneaux et chaque élève a un dossier. Alors, je garde tout. Et quand un parent s'inquiète et me demande : « Comment se fait-il que mon enfant n’a pas fait cet examen-là ? » ou encore « Comment se fait-il qu'il n'a pas réussi ce test ? », je reviens dans mon journal et je dis : « Regardez, votre enfant était sorti. Vous êtes allés chez le dentiste. Il n'a pas pu faire ça, il a manqué ça. Il a été malade là. » Je garde tout ça.

3- Sur les différentes façons d'aborder le sujet avec des élèves d'âges différents

Dans mon premier récit, dont l'événement s’est produit après celui-ci, j'aborde aussi cet aspect. Mais c’était différent, parce que les élèves étaient plus vieux. Il y en avait qui avaient déjà vécu des relations sexuelles. Je savais qu’ils parlaient carrément qu’ils s’étaient fait prendre à se masturber et tout ça. Sauf que ça m’a permis d’être plus à l’aise d’en discuter avec eux. Mais je ne l’ai pas abordé aussi formellement au secondaire. Ils avaient passé l'étape d'aborder ça sous l'angle de la famille. C'était vraiment parler de leurs copains, de leurs copines. Ce n’était plus du tout le même niveau. Je n’aurais pas pu le faire au même niveau non plus, parce que les élèves de ce récit sont encore innocents tandis que les élèves du secondaire ne l’étaient plus. Je dois t’avouer que pour eux, au secondaire, je ne m’informais pas des parents, parce que je me disais que si ces élèves-là étaient rendus où ils en étaient, c'était parce que les parents n’étaient pas là non plus.