© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Un enseignant de quatrième année décrit quelques trucs développés spontanément au fil de sa carrière afin de faire apprendre et retenir certaines notions. Il explique pourquoi il conserve ces trucs qu'il crée souvent spontanément en classe. À travers cette anecdote, il nous livre sa conception de l'enseignement et de l'apprentissage.

TITRE: TOUCHER UNE CORDE SENSIBLE

Quand j’ai commencé à enseigner, le programme de français préconisait de partir du texte de l’enfant ; on faisait plutôt de la composition. C'était plus individualisé, mais on n’allait pas vraiment toucher aux règles de grammaire. Les enfants ne connaissaient pas leurs règles de grammaire. Je leur demandais ce qu'était un adjectif, un nom et ils ne le savaient pas. J’étais plus ou moins convaincu de l'efficacité de l'approche. Il y a quelques années, les programmes ont changé, nous demandant, de plus en plus, d’arriver avec des contenus précis, pour que les enfants apprennent telle chose et à quoi elle sert. Naturellement, je suis retourné à un enseignement plus traditionnel : à quoi sert une conjonction, quelles sont les principales conjonctions, etc... Je le répétais de façon à le faire apprendre un peu par coeur, mais un tiers des élèves s’en souvenait bien, un autre tiers moyennement et un autre tiers pas du tout. Les enfants trouvaient ennuyeux de le répéter et ils y portaient moins attention, finalement. Il faut penser que ces enfants ont neuf ans. Il faut que ce soit intéressant, motivant, pour qu'ils n’aient pas l’impression d’apprendre par coeur et pour qu’ils s’en souviennent.

C’est comme ça que, à un moment donné, spontanément, j'ai inventé un genre de rap sur les conjonctions en claquant mes doigts et en mettant un rythme. J'inventais l’air à mesure : les conjonctions - Mais ou et donc car ni or - Mais ou et donc car ni or. Ça a eu du succès. Les enfants étaient motivés et ils sont sortis de la classe en chantant leur rap. Ils trouvaient ça bien drôle. Je me souviens qu'un de mes élèves, qui était assis en arrière et qui était difficile à intéresser, a dit : « C’est plaisant apprendre le français ! » J’avais animé la leçon d’une façon plus dynamique et les élèves ont aimé ça. On a répété le rap ensemble. Un moment donné, je leur ai demandé de me trouver des conjonctions dans un texte. La plupart des enfants les ont toutes trouvées, parce qu’ils s’en souvenaient. Certains ont même rechanté le rap pour s'aider. Ça a été un moyen intéressant pour motiver les enfants à apprendre certaines règles de grammaire. Je me suis servi de mon expérience en musique ; j’ai toujours fait beaucoup de chant, de musique, etc. Moi-même, je me souviens de choses que j’ai apprises quand j’étais jeune, parce que je les chantais.

Par la suite, j’ai ciblé quelques règles de grammaire que je trouvais importantes et que les enfants avaient plus de difficulté à retenir et je les ai mises en rap, en petites comptines. Je l'ai refait pour certaines règles, pas pour toutes, parce que je ne finirais plus et parce que ça deviendrait banal. Pour avoir enseigné à d’autres niveaux, je me dis que certaines règles vont être à nouveau abordées au cours des années suivantes, qu'elles sont peut-être trop ardues et qu'il est suffisant de simplement en parler. Mais certaines règles sont très importantes, elles doivent être sues en quatrième année, alors je me dis qu’il faut que j'y mette de l'emphase. J'essaie de trouver des trucs comme ça pour réussir à faire apprendre. Avant, j’enseignais les verbes du premier groupe en « er », les verbes du deuxième groupe « issant » de façon traditionnelle. Maintenant, je les fais dans une petite chansonnette, un peu simplette parce que c’est encore plus drôle. Je demande aux élèves de me la chanter comme si j'étais petit. Pour eux, c’est un plaisir de me la chanter parce qu’ils disent que je suis bébé, que j’en ai besoin pour savoir mes règles et ils me la répètent. Cette année, j’ai fait ça avec ce groupe-là. L’année prochaine, ça pourrait être tout à fait différent. Je pourrais la faire rythmée, rappée, ou sur un air connu. Je fais ces choses-là, faciles et simples à faire, parce que ça plaît aux enfants.

J’enseignais en quatrième année les exceptions avec o-u par coeur. On s’en souvenait tout de même, mais c’était moins intéressant. Il y a deux ans, j'étais lassé. Nous aussi, nous nous lassons de toujours répéter les mêmes choses. Alors, j’ai dit aux enfants : « Avec ces sept exceptions-là, on va se faire une phrase ou un petit texte qui nous permettra de se souvenir des exceptions en o-u qui prennent un x. On va se donner une façon, un truc pour les retenir. » À travers un texte intéressant et amusant qui partait d'eux, on a intégré ces sept mots-là (1). Les enfants s’en souviennent parce que c’est parti d’eux. Je sais que les enfants, par la musique, par un rythme, vont le retenir plus facilement. Au cours d’anglais, le professeur leur montre des chansons, des petites comptines et ils les savent toutes par coeur. Ils savent ce que ça veut dire parce qu’ils retiennent l’air, la musique et, à travers ça, les paroles. Il y a comme un transfert qui se fait. Je suis pas mal sûr que 90% de mes enfants vont se souvenir d’une conjonction, d’une préposition, des groupes de verbes, des exceptions en o-u en sixième année. J’en suis certain pour l'avoir demandé à des professeurs jadis. Je vérifie aussi la rétention tout au long de l’année. Par exemple, aujourd’hui, j’ai demandé aux enfants de me trouver les prépositions dans un paragraphe. Ce n’est pas évident en quatrième année de trouver des prépositions dans un texte. Ils étaient tous capables de m’en trouver.

Il faut que tu trouves des façons pour qu’ils s’en souviennent. Parfois, ce ne sont pas nécessairement des moyens particuliers. Les tables de multiplication par exemple, je les ai apprises par coeur et je n’ai pas trouvé d’autres façons que celle-là pour les faire apprendre ; c'est suffisant. En tout cas, en fin d’année, l’année passée, sur 29 élèves j’en avais 22 qui savaient leurs tables de 2 à 12. Mais comment peux-tu rendre ça attrayant ? Quand j’apprenais mes tables, on les apprenait par coeur et le professeur avait des cartes éclairs. On faisait des combats. J’ai appris de cette façon et je m’en souviens. Je le fais avec les enfants et ils s'en souviennent. Quand tu as des résultats, tu ne remets pas en question ta façon de le faire. Je n'ai donc pas besoin de rapper sur les tables de multiplication. Par coeur, c’est satisfaisant et je ne suis pas lassé de le faire. C'est aussi une autre raison pour laquelle je vais changer ma façon d'aborder les choses, quand je suis fatigué de faire le perroquet, quand j'ai l’impression de répéter les mêmes contenus depuis longtemps. Les enfants les voient pour la première fois, mais toi, ça fait trois ans que tu les vois. J’essaie d’alterner des feuilles, de modifier des travaux, de changer des façons de présenter. Comme enseignant, on a besoin de neuf. Les enfants changent aussi. Il y a 10 ans, je ne suis pas sûr que le rap aurait eu du succès. Dans cinq ans, il y aura peut-être une autre mode et je partirai quelque chose sur ce qui intéresse les enfants de cette génération-là.

Je veux aller chercher l'intérêt des enfants, toucher une corde sensible, pour que ça les motive, pour ne pas leur donner l'impression qu’on montre ça simplement pour le montrer. Qu’est-ce que ça me donne de le montrer pour le montrer ? Pour me dire que mon travail est fait ? Je pense que mon travail va un peu plus loin. C’est bien beau de le montrer, mais est-ce qu’ils s'en souviennent ? Il faut que je trouve des trucs pour qu’ils s’en souviennent. C’est à moi de les trouver, les trucs. C’est à moi d’aller les accrocher. Il y a plusieurs façons d'apprendre et il y a plusieurs choses à apprendre. Je suis une personne qui apprend beaucoup par l’exemple, alors je vais être porté à donner beaucoup d’exemples aux enfants.

J’utilise beaucoup la spontanéité en cours de leçon. Si je m’aperçois que je ne l’ai pas, que ça ne marche pas, que ça n'a pas d'effet, je change ce que j'avais préparé. Je me mets à parler d’un autre sujet, d’une autre façon, spontanément sans trop y réfléchir. Je ne dis pas de ne miser que sur la spontanéité, il faut que tu sois préparé, que tu saches où tu t’en vas. Mais quand tu as toutes tes balises et que tu sais où tu t’en vas, tu peux y aller dans la spontanéité. Une des choses que j’ai retenues dans mes années d’université, c'est un professeur qui l'avait dite : « Les professeurs sont des acteurs manqués. Devant une salle de classe, nous sommes des acteurs et notre public doit éprouver de l’intérêt à écouter ce qu’on dit. » Cette affirmation me rejoint parce que j’aurais toujours voulu m’en aller dans le monde artistique. En enseignant, j'ai une sécurité avec un bon salaire, je n’ai pas tout le stress de l’acteur, mais c’est vrai que dans ma classe, je peux faire le clown. Je suis libre. Je laisse aller mon improvisation mais toujours avec un cadre. Quand j’ai commencé à faire du rap, ce n'était pas planifié à l'avance. Je n’ai pas pensé à ce que je pouvais faire pour intéresser les élèves pour le lendemain matin. J’ai commencé en classe, spontanément, devant les enfants. La première fois, ce n’était pas planifié. Après, je l'ai planifié parce que j’ai vu que les enfants étaient intéressés. À partir de là, j’ai récupéré les bons coups, et je les ai développés encore plus. Mais, au départ, c’est le fruit d’un moment d’évasion, de spontanéité, de création.

Grâce à ces expériences, maintenant plein de façons de faire sont planifiées. Je me réfère à des choses que j'ai réalisées et qui ont fonctionné, ou parfois, je vais me référer à des expériences d’autres personnes, à certaines lectures, mais beaucoup en écoutant des collègues d’expérience. J’ai fait plusieurs écoles et quand tu arrives dans une école, tu regardes les personnes enseigner. Je me souviens, lorsque j'étais à Vancouver, que je voyais un homme qui faisait des activités spéciales dans la classe. Je n’avais jamais vu ça, c’était toujours comme une petite ruche dans sa classe. Tous les enfants avaient tout le temps l'air motivés et intéressés. Il a été ma source d’inspiration, il m’a donné tellement d’idées pour intéresser les enfants et il est encore mon idéal, d'une certaine façon. C'est vers là que je voudrais aller. Pour moi, c’est important que les enfants aient l’air intéressés. Il ne faut pas qu'ils aient l’air de s’ennuyer. Même si j’ai des périodes fixes dans ma préparation, je n'hésiterai pas à les modifier quand je vois que je perds les enfants. Quand j'enseigne un bout difficile, les fractions par exemple, et que je sens les enfants sautiller sur leur chaise, je vais arrêter. On va faire des jeux, une lecture... Ça ne donne rien d’essayer de rentrer un clou dans du ciment quand il ne rentre pas. Même si tu forçais avec une masse, tu vas casser le clou. Je récupère ça le lendemain ou quand je les sens prêts. Quelquefois, c'est le contraire. Je n’avais prévu qu'une période pour faire une chose et je continue au-delà du temps prévu parce que les enfants sont motivés. Je ne peux pas arrêter là, je ne me limite pas à montrer ce qui était planifié. Ce n’est pas ça éduquer.

Quand les journées passent rapidement, c'est plaisant ; tu as l’impression que les enfants ont appris et qu’ils se souviennent de quelque chose. C’est ça pour moi, enseigner. Ce n’est pas juste de passer à travers un programme. Je ne peux pas intéresser tout le monde non plus, mais j’en intéresse plusieurs par ma personnalité, par mon approche. C’est toujours une promesse que je fais aux parents en début d’année : « Je vous jure que vos enfants vont trouver ça intéressant l’école. » Certains matins, il peut arriver que l’intérêt soit moins là (après les Fêtes, avant les Fêtes, des occasions comme ça), mais en général, il faut que ça soit stimulant. Quand tu arrives dans une école, dans une classe, il faut que tu sentes que les enfants ont le goût d’y aller, qu’ils ont un intérêt à vouloir apprendre. Tu ne t’en vas pas là juste pour leur bourrer le crâne, refermer la porte, considérer que le travail est fait. Il y a des matins où tu aurais le goût que ce soit ça, parce que tu es fatigué. Mais, en général, les enfants entrent tous motivés pour la plupart, surtout les petits. La pré-adolescence, c’est un autre monde mais je n'enseigne pas aux enfants de cet âge.

Pourquoi à la fin de l’année, 90% de ton groupe serait démotivé, écoeuré de l’école ? Oui, ils ont hâte de partir en vacances, mais ils ont passé une belle année, ils ont été contents d'apprendre des choses, d'évoluer. J’ai fait une chose pour la première fois cette année. Je garde tout ce que les enfants produisent dans une chemise, les dictées, les productions écrites, les petits tests. Il y a à peu près un mois, je leur ai sorti leur première production écrite pour qu'ils puissent comparer, voir leur évolution. Certains étaient vraiment surpris : « On n'en écrivait pas long au début de l’année ! »

Aujourd'hui, ils composent trois paragraphes et leurs idées sont plus claires. Ils voient leur évolution (2). C’est motivant de dire : « Regarde, j’ai tout fait ce chemin en huit mois. J’ai appris et je ne m’en suis pas aperçu. » Il faut que tu ailles chercher l’intérêt des enfants, leur donner le goût d’apprendre et leur donner confiance en eux. C’est peut-être pour cette raison que je mets en place ces choses-là, mes petits rap et mes autres trucs. C’est pour aller chercher l'intérêt des enfants, stimuler leur goût d’apprendre et leur donner confiance en eux.


1- L'enseignant décrit plus précisément comment il a procédé pour cette activité

J’ai dit : « On a ces sept mots-là qui prennent des x, les autres prennent des s. Ce sont des exceptions, il y en a plein en français. Il y en a toujours qui ne s’en souviennent pas. Il faudrait se donner un truc pour que tout le monde s’en souvienne. Qu’est-ce que vous penseriez si on faisait un genre de phrase qu'il serait facile de se raconter et qui intégrerait ces sept mots-là ? » « Ah ! Oui. » « Seul, vous allez essayer de me composer quelque chose de simple pour que vous puissiez vous souvenir de ces exceptions-là. » Certains sont arrivés avec des textes d’une page. Certains textes n’avaient ni queue, ni tête mais d'autres avaient plus de sens. Chacun a lu son histoire. Il y en a qui riaient. « On va essayer de faire quelque chose en commun. On va commencer à regarder ce qui vous plaît dans les textes que vous avez lus. » Certains étaient amusés par un bout qu'une élève avait lu ou parce que c'était drôle de dire que le pou mangeait ses genoux. Chacun amenait ses idées et j’écrivais au tableau. C’est sûr qu'il faut toujours que tu les diriges, parce qu’autrement, il n’y a plus de fin. Ça a pris peut-être une demi-heure. Je les ai finalement amenés vers une phrase drôle, facile à dire et à retenir. J’ai dit : « Qu’est-ce que vous en pensez ? Trouvez-vous ça intéressant, facile à retenir ? Est-ce que c’est drôle ? » On a changé quelques mots, quelques positions et on est finalement arrivés à ce résultat : « Bijou, le caillou, aime les choux. Il mange à genoux avec le hibou qui aime les joujoux plein de poux. » C’est simple et ils s’en souviennent tous.

2- L'enseignant expose d'autres sources d'inspiration

J’ai vu une collègue faire la même chose un peu, en théâtre, avec des enfants anglophones qui ne parlaient pas français. Ce n’était pas pour enseigner des règles de grammaire, mais elle avait à leur apprendre la langue française. Elle les motivait en disant : « Vous allez voir, au mois de juin, vous allez faire une pièce de théâtre en français devant une école française. » Les enfants ne le croyaient pas. Ils étaient en sixième année et ils ne disaient pas un mot français. Et ils l'ont fait. Elle les avait motivés en allant chercher un intérêt qu’elle a soutenu tout le temps. Elle montait la pièce de théâtre, avec eux, tranquillement. Quand ils sont arrivés en début d’année, ils ne disaient pas un mot en français et à la fin de l’année, ils faisaient leur pièce de théâtre en français.

J’ai beaucoup appris aussi à aller enseigner dans une autre province. J'ai vu des gens qui avaient beaucoup d'initiative. Premièrement, ils n’ont rien tout cuit dans la bouche. Il fallait qu’ils fassent tout leur matériel. Maintenant, ils travaillent beaucoup avec le matériel du Québec. Quand je suis arrivé, en 1988, il y avait une classe ou deux en immersion française. J'avais les pupitres des élèves, mon pupitre et un paquet de feuilles, pas un livre, rien. Il fallait tout trouver, que les élèves trouvent tout et qu'ils le composent, qu'ils l'inventent. C'était un travail fou, mais c'est incroyable la créativité qu’avait ce monde-là.