© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Une enseignante du primaire relate un événement récent. Il est question d'une erreur qu'elle a commise, des enjeux qui étaient en cause et des valeurs qu'elle veut promouvoir. Elle raconte comment elle a solutionné la situation pour conserver une relation respectueuse avec son groupe.

TITRE: UN MODÈLE POUR LES ENFANTS, TOUT LE TEMPS

Un vendredi, après le dîner, avant que les enfants entrent dans l’école, un surveillant dans la cour vient me dire qu'un de mes élèves, Bastien, s’est battu. Ça m’a fâchée parce qu'il se bat tout le temps. Depuis le début de l'année, j’essaie de changer ça, de le calmer par toutes sortes de moyens. Par exemple, on a des récompenses de fin d’étape et je lui dis que s'il se bat trop, il n’en aura pas. Bref, cet après-midi-là, tous les enfants étaient assis dans la classe et il est arrivé un peu plus tard, car il était allé chez l’orthopédagogue. Quand il est revenu, je l’ai disputé : « Tu t’es encore battu, tête de cochon ! » Je voulais dire « tête dure », mais c'est sorti instantanément. Je voulais lui dire tout de suite, à la porte, qu’il a la tête dure parce qu’il ne m’écoutait pas et il n’écoutait pas les règlements. On a un règlement dans l’école, qui est dans l’agenda, qui parle de garder le respect envers les autres et de promouvoir la non-violence.

J'ai tout à coup pris conscience de ce que je venais de dire. C'était sorti tout seul. Je n’étais pas bien contente de moi. Je trouvais que c’était un manque de respect envers l’enfant, malgré ce qu’il avait fait et malgré qu’il le fasse souvent. Il fallait que je m’excuse tout de suite : « Bastien, je m’excuse, je n’aurais pas dû te dire ça, parce que ce n’est pas vrai que tu as une tête de cochon même si tu as une tête dure. Tu n’écoutes pas. Tu es le seul qui se bat dans la classe encore à ce temps-ci de l’année. Mais j'ai mal parlé. Je t’ai manqué de respect, je m’excuse. »

Je me sentais mal face à lui et face au groupe aussi. Je voulais m’excuser devant le groupe, parce que je l’avais dit devant tous les enfants. Pour moi, c’était quelque chose que je n’aurais pas dû dire et, peu importe qui est là, je dois m’excuser. Ça m’arrive à l'occasion de m’excuser pour toutes sortes de raisons. Quelquefois, je m’excuse parce que je me trompe, que j'appelle un élève par un autre nom. Ou je vais m’excuser parce que, parfois, j’ai des blancs de mémoire. Je n’écris pas le bon mot au tableau, ils s'en aperçoivent et me le disent : « Ah ! Je m’excuse. Même un professeur peut se tromper. » Cette fois-ci, je trouvais ma faute grave ; je me sentais mal et coupable. J’ai dit au groupe : « Constance s’est trompée, j’ai manqué de respect envers Bastien et je m’excuse devant vous, parce que ce sont des mots qu’on ne devrait pas utiliser. » Les enfants m'ont regardée et n’ont pas parlé. Ils avaient l’air de dire : « C’est correct ! Tu t’es excusée ! » On a fini la journée, on s’est souhaité une bonne fin de semaine et on est partis.

Je suis restée sur ce malaise toute la fin de semaine. Je me demandais si je m'étais assez excusée. J'étais vraiment confuse d'avoir dit ça devant des enfants. Ça ne m’est jamais arrivé, en 35 ans de carrière, de dire une chose pareille à un enfant. Alors, le lundi, au moment de la causerie, au tour de parole de Bastien, j’ai dit : « Bastien, tu te rappelles des mots impolis que je t’ai dits vendredi ? Je n’aurais pas dû les dire. Ce n’est pas vrai que tu es comme ça. C’est vrai que tu t’es battu et que je n’aime pas ça, mais je n’aurais pas dû utiliser ce terme-là. Je m’excuse encore une fois, parce que je trouve que je t’ai manqué de respect. » Et je l’ai dit devant le groupe encore : « J’ai manqué de respect envers Bastien. Et là, je ne suis pas contente de moi. Ça peut arriver qu’on se trompe. Même un professeur peut se tromper. Je n’ai pas plus le droit de dire ça que vous n'avez le droit de le dire, parce que c'est irrespectueux d'une façon ou d'une autre. » Après, je me sentais correcte. Je me suis excusée deux fois et tous les élèves avaient l’air de dire que l'affaire était réglée. Je pense que ça a bien passé parce que je n’en ai pas entendu parler ensuite. Je me suis sentie plus à l’aise et j’ai continué mon cours. Je n’en ai plus reparlé. Les parents ne m’ont pas téléphoné, je n’ai pas eu de nouvelles du directeur. Alors là, ça m’a libérée.

Pendant la fin de semaine, j'avais craint des complications, que des parents s'en mêlent. Ils auraient eu raison aussi d’intervenir et de m’accuser. Ils auraient pu me téléphoner ou venir me voir pour me dire des bêtises. Ils auraient pu aller voir le directeur ou aller à la commission scolaire. Le directeur, je sais qu’il aurait compris, mais ils auraient pu aller voir le directeur général pour me faire perdre mon emploi. Je connais quelqu’un près de moi qui l'a déjà perdu, mais pour une autre raison. Dans le fond, si j'avais peur, c’était pour mon image face à l’opinion publique aussi. La première fois, quand je me suis excusée, je l’ai fait un peu pour garder ma dignité. Je ne me sentais pas bien dans ça et je voulais que ça change. Je le faisais pour moi. Je voulais me sentir bien après. Le souci que j'avais par rapport à l’enfant, c'était de le respecter. Il vit avec son père et il ne voit sa mère que les fins de semaine. Dans le fond, s'il est batailleur, il a des raisons. C’est à moi de comprendre, parce que je suis l’adulte responsable de lui dans la classe. Je n’ai aucune raison de juger comment ça se passe. Mais d’un autre côté, il n’est pas éduqué. Il fait ce qu’il veut tout le temps. Il n’a pas de limites à la maison.

Mais même « tête dure » je ne devrais pas dire ça non plus. On devrait garder le respect envers les enfants. Peu importe les situations, on devrait garder notre contrôle. On devrait pouvoir contrôler ce qu’on dit. C'était important de leur montrer qu’il y a des termes qu’on n’utilise pas. Jamais. Ça manquait de respect et on doit respecter les personnes, même les amis de notre âge. Pour moi, j’étais en situation d'autorité et je n’avais pas de raison de lui dire ça. C’est pire de dire ça quand tu es en fonction d’autorité que quand tu es deux amis dans la classe. Un professeur, ça se trompe mais pas dans les termes à utiliser. Ça se trompe dans ce que ça fait. Je peux écrire un mot au tableau et il manque une lettre ou il manque un point à la fin. Mais dans cette situation, je voulais conserver une image de la personne en autorité.

Il faut garder la tête froide le plus possible même si c'est parfois difficile. Parfois, avec certains enfants que tu as à tous les jours, de 8h00 à 15h00, et qui ont des troubles de comportement, tu aurais envie de leur dire des choses, mais il ne faut jamais que tu dépasses les limites. Il faut toujours que tu gardes le contrôle de ce que tu dis. Dans le fond, ce qui est arrivé, c’est que je n’ai pas gardé la tête froide. Mes mots ont dépassé ma pensée. Quand tu occupes une fonction, il y a encore plus de limites que quand tu es dans la vie courante, celle de tous les jours. Je trouve qu’il ne faut pas utiliser le même langage que les enfants. Si tu utilises le même langage qu’eux, tu te descends à leur niveau. Tu ne peux pas le tolérer. Il faut garder la tête froide et utiliser d’autres termes, se chercher d’autres moyens. Je sais que c’est difficile parce que, quand tu as quatre ou cinq élèves difficiles du matin au soir, parfois tu deviens fatiguée. Mais un professeur doit toujours garder une certaine image, un certain contrôle de ce qu’il dit face aux enfants. Je n’accepterais jamais d'être un enseignant qui sacre dans sa classe. Il y en a qui le font. Je pense qu’il y en a qui le font, mais moi, ça, je ne peux pas le comprendre. Il y a un niveau de langage qu’un professeur doit avoir qui est différent de celui des enfants. Au secondaire, c’est peut-être différent, mais au primaire, tu es comme un modèle pour les enfants, tout le temps. Il y a des choses qui se disent et il y a des choses qui ne se disent pas, autant pour les professeurs que pour les enfants. Et les parents ne doivent pas accepter de se faire dire n’importe quoi non plus par leur enfant.

La semaine suivante, un des mes élèves qui était dans la cour de récréation a dit à l'enseignante qui est allée l’avertir parce qu’il se chicanait : « Va te promener ! » Ça a fait une histoire, parce que l'enseignante n’a pas accepté ça et il lui a fait écrire une lettre d’excuses, signée par les parents, le directeur et moi. Sur le moment, je trouvais que l'enseignante s’était trop fâchée et qu'elle lui en demandait trop. Il n’a rien fait de l’année, cet enfant-là. Je trouvais qu’il faisait pitié. Il s'excusait, il trouvait qu’il n’avait pas bien agi. Il a été malheureux tout l’après-midi. Si j’y avais pensé, j’aurais pu reprendre mon exemple parce que c’était la même chose. Il ne peut pas dire « tu vas te promener » à un professeur, pas plus que moi « tête de cochon » à un enfant. J’aurais pu expliquer à l'élève : « Tu sais, on peut se tromper. Te rappelles-tu ce que j’ai dit l’autre fois ? J’ai dépassé ma pensée parce que je n’étais pas contente. Quand on est fâché, il y a des mots qui dépassent notre pensée. Comme toi, ça a dépassé ta pensée. » Je n’y ai pas pensé sur le moment parce que j’étais prise par son émotion à lui. Je l’ai aidé à écrire son petit mot d’excuse et j’ai signé mon nom. En arrière, j’ai écrit aux parents pour dédramatiser un peu la situation parce qu'il a peur de son père, je pense. Le lendemain, elle lui a reparlé : « Moi aussi je me suis fâchée. Vois-tu qu’est-ce qu’on peut dire quand on se fâche ? » Elle a fait un petit bout elle aussi avec lui.