© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Une enseignante d'une dizaine d'années d'expérience lors du récit raconte une activité réalisée avec un groupe de cinquième année. Son défi consistait à motiver ces élèves qu'elle considérait plus ou moins dynamiques.

TITRE: FAIRE MORDRE À L'HAMEÇON ET GOÛTER COMME C'EST BON

J'enseignais en cinquième année dans un groupe que je ne connaissais pas avant de les avoir, parce que j'ai rarement fait deux ans dans la même école. Je change d'école, je change de degré, je change tout. Ça me prend de bonnes valises, mais j'aime ça. J'ai toujours eu une âme un petit peu bohème. Ces élèves n'étaient pas motivés au travail. Ils ne mettaient pas d'ardeur, il fallait toujours les attiser par des petits projets à court terme pour que ça puisse donner quelque chose. Ce sont des enfants qui ne bougent pas, qui veulent apprendre, mais pas plus qu'il le faut. C'est curieux, on dirait qu'une année sur deux, les élèves embarquent, ils sont dynamiques. L'année suivante, c'est toujours un peu plus tranquille. Et moi, je n'aime pas ça seulement faire mon travail de classe, c'est trop pareil. J'aime voir des gens qui sont animés par quelque chose, qui ont des yeux qui brillent, qui prennent des initiatives. Dans un groupe amorphe, tout le monde écoute bien, mais je trouve ça un peu ennuyeux. Je ne veux pas dire que j'accepte que les enfants fassent du bruit en classe, car j'ai une discipline très sévère et je tiens à ce que je demande. Les enfants peuvent parler, mais à voix très basse. Tu vois à quelle sorte de groupe tu vas avoir affaire dès les premières semaines ; tu sais un peu comment les enfants vont être. Tu vois si c'est un groupe qui est dynamique ou un groupe qui l'est moins. Avec ce groupe-là, je m'aperçois qu'il n'y a pas cette flamme. Ils font ce que je demande, pas plus, pas moins. Pour la lecture, je choisis un thème parce que je fais de l'intégration de matières. Alors le sujet est soit en sciences humaines, soit en français, ça dépend. Cette fois-là, c'était du français. Je les écoutais lire et j'intervenais aussi. C'est plutôt moi qui donnais tous les efforts pour essayer de mettre ça vivant. Eux, ils n'apportaient pas grand-chose, seulement de temps en temps. Ça faisait quelque temps que ça durait. Je trouvais qu'il n'y avait pas beaucoup de participation, c'était surtout ça le problème. Ce jour-là, je trouvais que ça n'avait plus de bon sens de continuer ainsi. Le ton n'y était pas. Je trouvais ça un peu ordinaire et ça me trottait dans la tête pendant que les enfant lisaient. Qu'est-ce que je pourrais bien faire ? À un moment donné, je leur dis qu'on va parler de la lecture aujourd'hui.

« Est-ce que vous vous sentez bien ? On lit et c'est un peu monotone. Est-ce qu'il y en a d'autres qui vivent ça comme moi ? » Ils levaient la main et répondaient : « Oui, c'est sûr que ça pourrait être mieux. » « Y aurait-il quelque chose qu'on pourrait faire plutôt que seulement lire comme ça ? » Alors, ils lèvent la main et commencent à dire des choses. Ils embarquent plus. Mon idée était faite mais je voulais que ça vienne d'eux aussi. C'est-à-dire que j'avais eu l'idée de leur faire lire avec plus d'intonation, pour voir s'ils pouvaient s'embarquer là-dedans, mais j'étais très ouverte à ce que les enfants allaient dire. Je cherchais quelque chose à faire pendant qu'on vivait cette espèce de tiédeur. Un élève propose de lire le texte devant une classe d'élèves plus jeunes ; je réponds que c'est une bonne idée mais qu'il faudrait regarder notre sujet. Notre sujet, c'était l'histoire de l'art, l'imprimerie, l'écriture... Je ne sais pas si c'est pertinent comme sujet si on va lire ça en deuxième année, troisième année, sixième année. « Qu'est-ce que vous en pensez ? » Ils ont trouvé qu'il y en a qui aimeraient ça mais il y en a d'autres qui ne comprendraient pas vraiment, parce qu'ils sont petits. Je poursuis mon idée : « Mais, en plus de lire, on ne pourrait pas faire quelque chose pour qu'ils comprennent plus ? » Je ne me souviens plus si c'est un enfant qui a dit : « bouger, se costumer, mimer... », mais d'habitude j'attends qu'ils le trouvent eux-mêmes. Je leur dis alors qu'il me vient une idée, comme si ça venait d'arriver. « Si on faisait une pièce de théâtre. Vous auriez des rôles, il faudrait faire parler votre personnage, on pourrait ensuite se trouver des petits costumes vite faits et j'aurais un petit décor. » Plus je parlais, plus ils avaient des choses à dire. J'ai vu que le projet pouvait être viable. Alors, on s'est demandé par quoi on commençait : on s'est fait un plan de travail et on a sorti les grands thèmes. Par exemple, il y en a qui étaient intéressés par les hommes des cavernes, d'autres par les Égyptiens, l'écriture, etc. Les premières fois qu'on se rencontrait, c'était pour sortir des grands titres. On voyait que plus on voulait s'impliquer, plus ça demandait d'avoir des plans. On ne pouvait plus s'en aller comme ça, une petite recherche de rien. C'est un projet de classe de faire une pièce de théâtre ; on y a ajouté la musique qui allait avec l'époque et des instruments quand on pouvait en trouver. Ils pouvaient faire leur recherche ensemble, travailler en équipes. C'est toute la classe qui changeait d'attitude. Ils ont eu des bonnes idées parce qu'avec le fait de se retrouver en groupe, l'un donne une idée et l'autre se pense obligé lui aussi de trouver quelque chose, ça allume une petite étincelle. Et ils commencent à en parler à la maison.

Moi, tout ce temps-là, il faut que je fasse mes autres matières. Pour le projet, j'avais à jouer entre sciences humaines, sciences de la nature, français et un peu de catéchèse, car on parlait des croyances. Il y a des écoles qui fonctionnent avec l'intégration des matières maintenant, mais dans nos écoles ordinaires, ça n'existe pas. Alors, il faut que tu ailles chercher dans des étapes différentes et ça devient compliqué. Il faut que tu bâtisses beaucoup de matériel et que les parents aient la certitude que tu fais tout le travail qu'il faut. Il faut qu'ils te fassent vraiment confiance. C'est sûr que je leur en ai parlé, je leur ai dit à peu près le temps que j'allais mettre là-dessus. Je leur ai assuré que les matières comme les mathématiques et la catéchèse auraient toutes leurs minutes. Je ne pensais pas que ça allait devenir une grosse entreprise comme ça. Ce qui est important pour moi est que les élèves fassent toute notre période de français, qu'ils aient des notions de grammaire, de verbe, d'écriture. Ça, j'en faisais faire beaucoup parce qu'il fallait qu'ils fassent des résumés, qu'ils composent leur rôle et qu'ils se répondent. Mais qu'ils fassent ça ou qu'ils fassent toutes sortes de petits textes, il n'y a pas vraiment d'importance parce qu'en cherchant, ils en ont des petits textes. Il y a un aspect positif en plus dans notre cas, c'est que ça allait sur le même thème. Je faisais comme pour une composition ou une dictée. Je leur mettais un « X » dans la marge et ça voulait dire qu'il y avait une faute quelque part et il fallait qu'ils la trouvent. Après, ils pouvaient se mettre ensemble et se demander entre eux pourquoi ils ont fait une faute à cet endroit. Ça leur demande beaucoup d'autonomie. C'est facile d'être autonome si tout le monde fait une feuille de français, mais s'occuper une fois l'activité terminée, ce n'est pas la même chose.

Quand j'ai rencontré les parents en groupe, à la première rencontre, ils étaient contents du projet. C'est sûr que je n'avais pas tous les parents. Mais avec les parents qui sont là, ça fonctionne. Parfois, des parents me disaient qu'ils aimeraient refaire leur cinquième année. Je leur répondais qu'ils pouvaient toujours revenir ! Les enfants parlaient à leurs parents et apportaient toutes sortes de choses à l'école. Il y avait même des parents qui avaient fait des outils, des armes. Par exemple, pour les hommes des cavernes, un parent était allé chez le boucher avec son jeune et il s'était fait couper des côtes de je ne sais quoi, c'étaient des grands os en tout cas. Et il avait tout dégraissé ça pour faire des grattoirs. C'est incroyable toutes les choses qu'ils avaient faites.

Ça fonctionnait quand même bien jusqu'à un certain jour : on était en plein travail, toutes les choses étaient montées. Pour ne pas se mélanger, il avait fallu diviser la classe en cinq zones pour chacun des thèmes et les identifier par des affiches. Je gardais les enfants le midi parce que je n'étais pas capable de faire tout ça dans mes périodes. Alors, tout ce qui était en dehors du français et qui demandait beaucoup de temps, par exemple travailler sur les costumes, les affiches, fabriquer des objets, on faisait ça sur l'heure du midi. Je m'étais fixé une date limite, parce que je ne voulais pas que ça dure trop longtemps. Chaque élève dînait peut-être une fois ou deux par semaine. Moi, je restais à tous les dîners. On mangeait et on travaillait. Arrive le temps où il faut pratiquer ce qu'on va dire. Je les prends par groupe : le groupe des hommes des cavernes, le groupe des Égyptiens, etc. On se pratique, il faut parler, lire les textes, lire plus fort, mettre plus d'intonation. Ça prend des jours et des jours. On est rendus que je les prends presque tous pour savoir combien de temps ça va prendre. Alors j'achève, le gros du travail est fait. Ça a commencé au mois d'octobre environ et on est maintenant rendus en janvier. C'est fatiguant et on est essoufflés, mais ils sont contents.

Un midi, nous sommes dans la salle et tout à coup un enfant me dit : « Ma mère me demande si on va faire du français avec ça. » Je sais que c'est un enfant tiède par rapport au projet, mais il n'a pas l'air malheureux. Et puis, l'enfant pouvait toujours choisir ce qui lui plaisait (1). J'essayais d'avoir des équipes égales, mais ça ne m'aurait pas dérangée une équipe plus petite. Ça ne se peut quasiment pas qu'il n'embarque pas, parce que je vais essayer d'aller le chercher autrement. Je vais lui poser des questions, je vais le laisser avec une question un soir avant de partir ou un midi et il va réfléchir à ça, il va finir par embarquer. Je ne sais pas quelle sorte d'information son parent avait reçue. Il n'était peut-être pas venu à la réunion et il voit l'enfant qui fait toutes sortes de choses sauf la matière habituelle. Puisque ce n'étaient pas des choses ordinaires peut-être que ça les insécurisait beaucoup. Mais il avait des devoirs et des leçons quand même, il avait tout le reste en plus. L'élève faisait de l'oral, plus que de l'oral. Je ne sais pas comment les parents se sont pris pour dire ça, mais j'entends comme un reproche : « Ça doit être un professeur qui ne travaille pas. Elle ne fait pas ce qu'elle devrait faire. Mon enfant passera-t-il quand même ? » Peut-être qu'elle a seulement trouvé que c'était trop long. Moi, au contraire, je profitais du temps où les enfants étaient embarqués, étaient dans un élan. Je les filmais et je leur montrais pour voir s'ils parlaient assez fort, s'ils se tenaient correctement. L'élève suggère des choses, les autres en suggèrent aussi. C'était une affaire de groupe où chacun veut réussir.

Quand il m'a dit ça, ma première réaction a été de me dire : « Je n'en ferai plus jamais ! Jamais je vais me remettre là-dedans. » Juste une phrase, mais ça te met comme un doute alors que tu n'en avais pas. Mais je lui ai répondu : « Quand on fait du français, on fait quoi ? En faites-vous de l'oral ? En faites-vous de la composition ? Quand on fait du français, on compose, on corrige, on fait de la grammaire. On écrit ses verbes comme il le faut. Fais-tu ça ? Penses-tu que tu vas passer ton année ? » « Bien oui ! C'est ma mère qui a dit ça. » Je voulais lui faire prendre conscience qu'il en faisait du français. Je ne pouvais rien lui dire parce qu'il avait dit ça fort. J'avais le groupe et les autres écoutaient aussi. « Même à l'heure du midi vous en faites du français. Alors, vous en faites pas mal, je trouve. Tu sais ce que je vais faire ? Ta maman, je vais l'appeler. »

Une fois la classe terminée, je vais voir le directeur. Je n'attends pas. J'ai fait tout ce que j'ai pu et même j'en ai fait bien plus. Je n'irai pas me rendre malheureuse pour ça. Alors, je suis allée le voir tout de suite et ça m'a réconfortée beaucoup. C'est bien important quand on vit quelque chose comme ça d'aller en parler tout de suite avec quelqu'un. Le directeur est au courant de ce que je fais et ça ne lui est jamais venu à l'idée que je ne faisais pas de français parce que, à part la pièce de théâtre, j'ai des ateliers de lecture et toutes sortes d'activités. On fait la pièce en plus. Je lui ai dit que j'étais comme démolie. Il m'a dit de ne pas m'inquiéter. En ayant l'appui de la direction, j'étais correcte. Mais pour être bien, il fallait que tout le monde embarque. Faire la classe pour moi, c'est comme être une mère : tu as toute une famille et il faut que ça marche. Quand il y a quelque chose qui ne va pas, c'est comme toute la famille qui a quelque chose. J'ai un peu de misère avec quelqu'un qui n'embarque pas, ça me fait mal au coeur.

J'appelle donc la mère. « Votre petit garçon m'a dit ça et ça m'a un peu virée à l'envers. J'aime autant vous le dire. » Alors, je lui raconte que je donne beaucoup de temps pour que les enfants puissent vivre une expérience peut-être unique dans leur primaire et ça ne se fait pas tout seul. C'est sûr que j'aurais pu composer les textes, j'aurais pu faire les recherches. Ça ne me dérangerait pas de faire ça parce que j'aime ça, mais qu'apprennent-ils là-dedans ? Et c'est tellement plaisant de les voir aller. Tu ne peux pas te priver de ça. Ils faisaient des choses le soir, la fin de semaine. « Si vous avez émis ce commentaire, c'est peut-être parce que dans votre tête ce n'était pas clair. J'avais l'impression d'avoir bien expliqué mais peut-être n'étiez-vous pas à la réunion. Si vous avez besoin de plus d'explications, je suis disponible, vous savez. Avec le temps que je donne, ça ne me dérange pas du tout si vous voulez venir me voir et voir ce que les enfants font. » « Non, non ! J'ai dit ça comme ça. Ce n'était pas si grave. C'est parce que c'est différent. C'est un petit peu insécurisant, parce qu'on ne sait pas trop comment les aider dans leur travail. Il apporte des livres à la maison pour lire et il me dit que pour la lecture, il fait une recherche. Ce n'est pas comme une feuille qu'on remplit. Le fait-il ou non ? » J'ai compris que c'était probablement une mère qui était bien appliquée à faire toutes les choses qui lui étaient demandées et qu'elle sentait que quelque chose lui échappait. Finalement, ça s'est bien réglé.

Ça m'a rassurée de lui avoir téléphoné, mais ça a pris quelques jours à guérir. Les enfants m'ont demandé : « Qui vient cette semaine ? » Je leur ai dit que je me demandais si on n'allait pas prendre une petite pause. Mais ils voulaient continuer alors on a continué tout de suite. Je n'aurais pas lâché. Quand il y a un problème, c'est qu'il y a une solution. Je garde les élèves dans cet esprit, que les problèmes sont là pour qu'on trouve des solutions. Je voulais arrêter quelques jours pour être capable de guérir. La mère m'a dit que ce n'était pas grave mais je suis restée blessée. C'est comme quand tu vas faire un tour en vélo et que tu tombes. Tu te relèves, mais ça fait encore mal. Je n'avais plus de doute, mais j'étais un peu moins enthousiaste. Il ne faudrait pas que ça arrive trop souvent des affaires de même. Quand tu te donnes beaucoup de travail, tu as l'impression que tout le monde va être heureux. Et, tout d'un coup, il y en a un qui vient me dire une affaire à brûle-pourpoint. Tu te poses bien des questions : « Est-ce que j'ai bien fait ça ? Est-ce que j'ai choisi la bonne chose ? Est-ce que c'est bien correct ce que j'ai fait là ? Est-ce que c'est fou d'agir comme cela ? » Je ne peux quand même pas priver les enfants de faire ça (2). Ce n'est pas quelque chose qu'ils vont vivre souvent. C'est beaucoup d'ouvrage, ça demande beaucoup de temps et tes loisirs y passent. Ça avait pris une ampleur insoupçonnée. C'est une activité que j'ai faite par la suite dans d'autres écoles avec le même thème. J'avais investi beaucoup, travaillé beaucoup à faire des recherches alors je voulais récupérer ça quelque part. Je l'ai refait, puis maintenant je fais des petits projets qui durent presque une étape à chaque année, peut-être pas aussi fort que ça m'avait demandé. J'essaie d'en prendre un peu moins avec les enfants le midi, mais ça se ressemble quand même beaucoup. Les thèmes sont différents, mais ça se ressemble (3). Je n'envisage plus ma vie de professeur sans ça. J'ai déjà en banque bien du matériel, alors il faut que ça serve et comme je ne suis jamais à la même école, c'est facile pour moi de le refaire parce que c'est toujours nouveau pour les élèves. Je ne pourrais pas me permettre ça si j'étais toujours à la même place.

Au début, c'était seulement une lecture devant une classe et, finalement, c'était présenté à toute l'école et aux parents. Les parents étaient très fiers de leurs enfants. Ce n'était pas une pièce de théâtre choisie quelque part, c'étaient eux qui avaient tout fait. Ça valorise, ça donne de la motivation pour en faire d'autres, pour porter d'autres projets comme ça. Après cette étape-là, on a fait d'autres projets, mais plus petits. Il ne fallait pas couper net non plus. Étant donné qu'ils avaient commencé à travailler en équipes, on a changé les équipes. Puis, on a fait du travail d'équipe pour l'étape suivante, avec de petits projets.

Mes collègues trouvent ça le fun, mais que cela nécessite beaucoup de temps. Je sais que c'est dur. Moi aussi, je pense aux journées où j'aurais pu être libre, mais je ne veux pas être autrement. Si je veux être moi, il faut que je fasse ce genre d'activités. Je ne dis pas qu'une routine ce n'est pas bon. Il y en a qui aiment ça ; toute la semaine est planifiée et ça ne change pas. Un changement et ils sont un petit peu désorientés. Il y a d'autres sortes de gens, comme moi, qui ont de la misère à vivre avec la routine. Alors, dans cette façon de vivre, j'essaie de me faire des plans de travail, j'essaie de structurer ça. Au lieu de structurer d'abord et d'être ensuite, il faut que je sois et ensuite je vais structurer. Je ne suis pas bohème, mais dans le choix de mes idées, dans la façon de les présenter, dans ma façon d'être, je suis différente. En étant différente, il faut s'attendre à avoir des commentaires. Il faut s'attendre à ce que des gens soient surpris, étonnés, qu’ils ne soient pas embarqués.


1- L'enseignante décrit des moyens pour embarquer tous les enfants, même les plus timides ou discrets

Quand on choisit des personnages, ce qu'ils vont dire, ce qu'ils vont faire, la situation, les lieux physiques et géographiques, on doit tenir compte des élèves. C'est certain que les enfants qui avaient plus de facilité, qui avaient moins peur de se présenter devant les autres ont peut-être dit des textes plus longs, mais tout le monde devait essayer de dire son texte. J'essayais de motiver celui qui avait moins de texte à en dire un peu plus, pour qu'il fasse encore plus l'effort. Tandis qu'un autre, ce n'était pas cet effort-là qu'il avait à faire. Pour l'aider, je lui posais des questions : « Est-ce que tu pourrais dire quelque chose d'autre ? Es-tu mal à l'aise quand tu parles ? Quand tu as ça à dire, trouves-tu que c'est trop long ? Donc, on pourrait faire plusieurs petites répliques moins longues. Est-ce que tu aimes mieux parler plus longtemps, moins longtemps ? Aimerais-tu parler plusieurs fois, un petit peu moins longtemps ? »

Au début, ils ne sont pas motivés, ils font le strict minimum. Ce ne sont pas des enfants qui aiment se montrer aux autres, alors que lorsqu'on fait la pièce de théâtre, c'est tout le contraire. Il y a des enfants qui restent timides, tu ne changes pas tout de leur nature. À eux, je disais : « Es-tu plus à l'aise assis que debout ? Ou es-tu plus à l'aise si tu es debout quand tu tiens quelque chose, ou derrière quelque chose ? » Il y a des moyens qu'on peut prendre. Par exemple, si tu es derrière une chaise, tu peux tenir le dossier pendant que quelqu'un est là, alors ça te donne un peu d'assurance et c'est moins pire.

2- L'enseignante mentionne quelques bénéfices du projet

Des enfants se sont découvert un intérêt. Par exemple, pour seulement fermer et ouvrir les rideaux, à un moment donné, on a eu un problème et ils ont trouvé une solution. Les fils qui tirent les rideaux se sont brisés. Celui qui s'occupait des rideaux a pensé que s'il avait un bâton, il pourrait se faire mettre un oeillet par son père et il prendrait l'anneau et le tirerait. Ça a réglé notre problème. On discutait aussi des lumières, on se demandait avec quelles couleurs ce serait le plus beau. Il y avait quelqu'un qui s'occupait de la musique. On avait découvert des talents chez des enfants. Il y a des enfants qui sont toujours présents dans la classe, qu'on voit plus. Mais parmi ceux qui sont effacés, il y en avait qui faisaient assez bien ça. Même que les autres ont remarqué qu'ils avaient vraiment des aptitudes pour le théâtre. Il y avait un enfant qui avait beaucoup de misère à lire, il avait des hésitations quand il lisait. Quand il a appris le texte, il l'avait appris par coeur et il n'hésitait plus du tout. Il y en avait un qui faisait le peintre Degas et il avait un béret et une moustache. Il y avait une fille qui faisait une danseuse parce que Degas avait peint beaucoup de danseuses de ballet. Dans la pièce, Degas l'attendait à la représentation pour lui offrir des fleurs. À la fin, le garçon a donné un bouquet de fleurs à la fille pour vrai. Les enfants avaient des idées et moi aussi, j'en avais. À force de se multiplier, c'était vraiment enrichissant. À certains moments, il a fallu que je les ramène sur terre en disant : « On ne fera pas ça. » Ils auraient continué, mais ça aurait été quasiment un projet d'une année. Avec ce que les enfants apportaient, il y aurait eu matière à grossir ça et à faire un projet d'année. Mais il fallait que je me rende à ce que j'avais dit et il n'était plus question de continuer après ça. Par contre, je me suis dit que j'allais récupérer tout ce qu'on avait sorti, tout ce qu'on avait fait pour une autre année.

Il y a des enfants qui, le projet étant terminé, sont revenus un peu comme ils étaient, mais ça a créé des liens. Je rencontre ces élèves-là et ils m'en parlent encore. Quand je fais des projets comme ça avec les élèves, c'est plus qu'une année ordinaire. Quand on dînait, on échangeait, on utilisait tout le temps qu'on avait pour échanger. On apprenait aussi la façon de dire les choses aux autres. On avait travaillé sur ça parce qu'il ne fallait pas se blesser. Tu peux rire parce qu'il y a des moments où on fait des choses vraiment drôles. C'étaient des enfants complètement transformés. Dans le groupe que j'avais, certains enfants avaient la parole facile et ils pouvaient s'exprimer facilement, gestuellement aussi. Mais d'autres élèves, ceux qu'on ne voit pas dans une classe, ont pris une place après ça. Quelquefois, ils faisaient pâlir les élèves qui avaient un rôle un peu plus étoffé juste par leur présence. Ils sont un peu plus extravertis après en classe, mais je ne peux pas dire qu'ils deviendront leaders. Mais s'ils ont un jeu de rôle, si cette facette-là est exploitée, ces élèves-là vont changer. Peut-être que ça leur a fait goûter ce que c'était. Peut-être qu'ils s'inscriront en option théâtre quand ils seront rendus au secondaire. Je sais qu'il y en a qui sont allés dans ça.

3- L'enseignante termine en décrivant un autre projet thématique qu'elle réalise au moment de l'entrevue

Le sujet des Amérindiens, abordé en sciences humaines de quatrième année, est un autre exemple de projet que je réalise. Je fais souvent ça. Si j'ai des degrés multiples, je travaille les deux degrés en même temps à travers le projet. J'essaie de trouver des choses qui vont aller chercher une partie de la matière en troisième année, mais ce sont les élèves de quatrième qui font les deux familles. Les autres embarquent plutôt comme enfants. On monte des tables d'exposition, des kiosques, sur les deux grandes familles amérindiennes. Chaque enfant a à parler pour présenter des objets. Ils écrivent des légendes et il faut qu'ils les disent devant un public. Je prends une salle, que je divise selon le nombre de familles, ça dépend. Là, ce sont deux coins parce qu'il y a deux familles amérindiennes. Les enfants font des tipis, des maisons longues, tout ce qu'il faut pour manger, pour s'habiller, pour se véhiculer, pour se divertir, pour répondre aux besoins. Ce sont des objectifs en sciences humaines. J'avais dit que je ferais les costumes, mais les enfants ont trouvé des trucs. Ils se mettent des vêtements, des espèces de chemises drabes, ils se mettent pieds nus, ils se mettent des bandeaux qu'ils font le midi. Je vous jure que ça y ressemble. Chaque enfant a un totem, le nom d'un animal qu'il aime, qu'il choisit selon ses qualités. Je fais du F.P.S (formation personnelle et sociale) dans tout ça. Dans le fond, c'est du français aussi, parce qu'ils vont être obligés d'écrire pourquoi ils le choisissent.

Une stagiaire, une débutante dans la profession, est capable de monter des projets comme ça mais peut-être pas aussi gros. J'ai eu une stagiaire cette année qui a embarqué là-dedans. Elle a fonctionné avec ça pendant ses semaines de stage de prise en charge de la classe. Elle trouvait ça bien le fun. Elle a gardé toutes les choses que j'avais faites en plus de ce qu'on avait fait ensemble. Elle va être capable de partir avec ça. Elle me disait à un moment donné : « Comment fais-tu ? Où es-tu rendue ? Est-ce que ce sont des sciences ou du français ? » Il ne faut pas que tu t'arrêtes à dire : « Là, on fait des sciences. » C'était tout mêlé, finalement, car c'est ça l'intégration de matières. Les mathématiques, c'est un peu plus difficile à intégrer. Quoique, avec les Amérindiens, je vais prendre la réflexion, la translation, pour les canots, les tipis, les tam-tams, les décorations de tentes.

Je me trouve des cahiers pour m'inspirer. Je vais au magasin à 1$. C'est incroyable ce qu'il y a là. J'avais acheté un cahier de dessins de Pocahontas et j'ai découvert plein d'exemples de symétrie en regardant les images. Il faut que je sois toujours à l'affût. Je me promène et j'ai toujours en tête quelque chose. On avait vu les dinosaures, alors la stagiaire est allée à mon petit magasin à 1$ et elle a trouvé des collants pour faire de la motivation. Elle a trouvé des crayons sur lesquels il y avait des dinosaures, des estampes, des dinosaures en trois dimensions, des livres. Elle a fait le thème de la germination et elle a monté un petit dossier là-dessus. Il y avait des sciences de la nature, du français et en même temps, elle a vu la végétation, les plantes, la nature, les éléments physiques, les éléments humains. C'est incroyable tout ce qu'on a pu rattacher à ça. Elle avait compris l'esprit, si bien qu'un jour, je lui ai dit à la blague : « Qu'est-ce que tu fais ? Du français ? » Ça met à profit tellement de matière. Tu peux quasiment tout passer là-dedans. Il ne te reste presque plus rien. Mais pour ça, il ne faut pas avoir beaucoup de cahiers. Ça ne part pas tout d'un coup ça, il faut commencer par un petit projet et le monter comme il le faut. Ensuite, c'est facile de donner de l'ampleur. Mais tu le montes pour peut-être deux semaines. En deux semaines, les enfants ont le temps de mordre à l'hameçon et de goûter comme c'est bon.