© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Une enseignante de géographie, en troisième secondaire, relate ses difficultés et ses interventions auprès d'un groupe d'élèves très particulier. Elle analyse différentes solutions pour impliquer davantage les élèves. Ces événements se déroulent de septembre à mars de l’année où le récit a été recueilli.

TITRE: RACCROCHER LES ÉLÈMENTS ENSEMBLE ET S’APPELER UN GROUPE

Ce fut toute une expérience que cette année-là avec le groupe 09. C'était un de mes groupes de troisième secondaire. Je ne tardai pas à m'apercevoir que la composition du groupe est très particulière. À prime abord, des élèves semblaient avoir beaucoup de facilité à apprendre, tandis que d'autres semblaient éprouver de sérieux problèmes d'apprentissage et de comportement. Dans l'enseignement depuis 1967, je pourrais dire que j'avais une certaine expérience avec la diversité au niveau de la composition des groupes. Honnêtement, je n'avais jamais eu à vivre une expérience de la sorte avec un groupe d'élèves d'une telle composition. C'était bien beau de l'observer et de le réaliser, mais il fallait agir. Dès le début de l'année, je tentais de garder le contrôle de la classe, de communiquer avec eux et d'être à l'écoute, mais ce n'était pas suffisant. Il fallait trouver des moyens le plus rapidement possible afin de créer un climat agréable pour chacun (1). C'est bien vrai qu'avec un peu d'expérience il est plus facile de se faire une idée de la composition de nos groupes, mais je dois avouer que les choses peuvent se compliquer avec certains groupes et ce fut le cas pour le groupe 09 cette année-là.

Ce n'est pas toujours si évident d'évaluer le rythme d'apprentissage pour chacun des élèves. Ils n'arrivent pas avec une petite étiquette sur le front nous indiquant qu'ils ont beaucoup de facilité en classe ou au contraire, qu'ils éprouvent de la difficulté à comprendre les explications. Ces réalités se découvrent tout au cours de l'année. C'est en posant des questions que j'ai appris que plusieurs élèves avaient déjà vécu un échec en géographie en première secondaire. Ils arrivaient avec l'idée qu'ils revivraient la même chose cette année et ce n'était pas très encourageant. Je voulais à tout prix leur faire oublier cet échec et les aider à vivre un succès. Mais encore fallait-il que ce soit leur désir à eux aussi.

À la fin de la première étape, il y a toujours un examen sommatif. Cet examen nous permet d'identifier ou de vérifier certianes réalités déjà observées sur le rendement académique des élèves. Le climat de la classe laissait à désirer. Je ne me sentais pas bien dans un tel climat et je sentais que je n'étais pas la seule. Ce qui se passait dans la classe, c'est que la moitié des élèves avait de la facilité et avait des bons résultats tandis que l'autre moitié éprouvait de sérieux problèmes d'apprentissage et de comportement. Il fallait donc composer avec des élèves qui avaient des rythmes d'apprentissage très variés. Si je donnais un cours à un rythme moyen, la moitié de la classe suivait et je perdais l'autre moitié. Si j'allais plus lentement pour respecter le rythme des élèves qui éprouvaient des difficultés, je perdais le reste du groupe. Quel beau portrait ! J'essayais de mettre à profit mes quelques années d'expérience mais je dois avouer que c'était très difficile de trouver une solution miracle. En fait, j'ai fait plusieurs tentatives qui ont eu plus ou moins de succès. Il ne fallait pas se décourager mais...

Un jour, au début du cours, une élève (Carmen), qui semble très au-dessus de ses affaires, passe la réflexion suivante : « As-tu vu le groupe ? Un groupe d'imbéciles ! » Son observation a réussi à choquer tout le monde. Sa réflexion ainsi exprimée n'avait pas sa place dans une classe. Il y avait des problèmes, mais il y a une façon de dire les choses tout en respectant les individus avec qui on vit. Ce fut le moment idéal pour faire un temps d'arrêt avec les élèves et essayer d'identifier ensemble le problème et surtout de trouver ensemble des solutions. Il y eut une période de questionnement et de tentative de solutions. Chacun repartait avec la tâche de réfléchir à la situation que l'on vivait et surtout le devoir de trouver des solutions. C'était ensemble que nous devions agir.

Cette situation m' a amenée à vérifier certains dossiers au secrétariat. J'ai alors constaté que certains élèves avaient suivi des thérapies, d'autres sortaient de centres d'accueil, d'autres recevaient la visite de travailleurs sociaux... Ça ne me faisait pas peur en soi, puisque j'avais travaillé quelques années en adaptation scolaire, mais le groupe était composé à ce moment-là d'élèves en difficulté. Ce n'était pas tout à fait le cas pour ce groupe dit « régulier ». Il fallait créer un climat de classe favorable à l'apprentissage où chacun se sentirait respecté et trouverait plaisir à assister aux cours de géographie. Le plus important pour moi dans l'enseignement c'est que chaque matin je sois heureuse de venir travailler. C'est aussi très important que je ressente le même sentiment chez mes élèves quand ils viennent aux cours de géographie. Il fallait à tout prix travailler à améliorer le climat de la classe, insister sur le respect de chacun, créer une atmosphère propice à l'écoute, à l'apprentissage et au partage des connaissances. J'insiste beaucoup sur le respect puisque c'est à la base de tout fonctionnement d'un groupe qui vit dans une société.

Je décide donc de rencontrer chacun des élèves individuellement. C'est habituellement plus facile de savoir ce que le jeune pense de telle ou telle situation. Ces petites rencontres m'ont permis de repérer mes leaders et d'amener ces derniers à travailler avec moi. Je leur demande d'être plus diplomates, d'être patients quand je dois répéter plusieurs fois la même explication, plus respectueux en attendant de trouver une solution pour mieux fonctionner. Je suis allée chercher une élève en particulier. Elle était leader et en plus, c'était une fille qui parlait beaucoup. Après quelques minutes de conversation, elle me confie qu'elle n'est plus capable de supporter la jeune fille, Carmen, qui avait émis le fameux commentaire un peu déplacé et elle me confirme qu'au fond cette jeune fille n'est pas très bien acceptée du reste du groupe. Je communique avec les parents de Carmen, je la rencontre et, au cours suivant, elle devait changer de place. Le fait qu'elle soit assise en arrière me permet de mieux respirer et ainsi, elle gruge moins mes énergies. Cette situation était la meilleure pour tout le monde. Le comportement de celle-ci s'est amélioré au cours des semaines qui suivirent.

En dehors des cours, j'ai rencontré deux autres leaders très positifs. Cette rencontre nous a permis d'échanger sur les stratégies à adopter qui amèneraient toute la classe à mieux fonctionner. Nous adoptons la stratégie qui sera de diviser la classe en deux groupes : les élèves qui semblent avoir plus de difficultés en arrière de la classe et les élèves pour qui la matière est plus facile, eux travailleront en avant de la classe en équipes de deux. Au début du cours, tout le monde est concerné de la même façon. Je donne les consignes aux deux groupes et ensuite, la classe se divise en deux pour 30 à 45 minutes. Tout se déroule bien puisque les consignes sont claires pour tout le monde. Pendant que les élèves plus forts travaillent en équipes de deux, j'en profite pour donner des explications aux élèves qui ont un rythme plus lent. Je n'ai pas de problèmes de discipline, puisqu'ils sentent que je m'occupe d'eux. Quand la période de temps consacrée au travail en deux groupes est terminée, nous revenons en grand groupe et je vérifie si la matière est bien comprise. Les résultats sont positifs. Les élèves qui ont de la difficulté habituellement sont capables de répondre à plusieurs questions avec succès, ce qu'ils ne réussissaient pas tellement bien avant. Ainsi, avec une bonne réponse, ils se sentent valorisés face au reste du groupe. Les élèves qui ont plus de facilité s'aperçoivent tranquillement que ceux qui avaient de la difficulté s'améliorent et qu'eux aussi peuvent très bien répondre aux mêmes questions. Les jeunes qui travaillent à l'arrière de la classe, ça ne les dérange pas d'être ainsi identifiés. Le plus important pour eux c'est de réussir en géographie et si possible améliorer leur moyenne. Les élèves de l'autre groupe apprécient aussi cette nouvelle formule parce qu'ils se sentent plus autonomes.

Mais il fallait s'y attendre, cette approche ne pouvait durer qu'un temps. Tranquillement, les élèves plus forts se manifestent. Ils se sentent peut-être un peu négligés. Nous devons donc repenser à une autre bonne remise en question pour chacun de nous et pour le groupe. Je prévois un temps d'arrêt, une période de réflexion par écrit pour avoir les suggestions de chacun pour améliorer le fonctionnement de la classe. Les suggestions sont intéressantes et plusieurs d'entre elles sont réalisables. Ils veulent que je me détache un peu du volume et du cahier d'activités. Ils souhaitent que la matière leur soit contée avec plus d'exemples concrets, ce qui est facilement réalisable, si les problèmes de discipline sont sous contrôle naturellement.

Nous apprenons très rapidement qu'une approche pédagogique fait un temps. Mais ce qu'il ne faut pas oublier c'est d'être toujours prête à changer notre approche selon le climat de la classe. Il faut donc bien maîtriser une grande variété d'approches pédagogiques telles que l'apprentissage coopératif, la recherche, l'intégration des nouvelles technologies... À l'intérieur d'un même cours, l'élève reçoit une partie plus magistrale, suivie d'une période de questions afin de vérifier si la matière est bien comprise, ensuite une activité en apprentissage coopératif ou autre, suivie d'une courte plénière à la fin du cours. Il y a aussi place pour le travail personnel selon le climat qui règne dans la classe.

Les élèves plus faibles ont pris confiance en eux et ils ont réalisé qu'ils peuvent aussi échanger avec les élèves les plus forts. L'écart est devenu moins large. Le climat est plus favorable à l'apprentissage et c'est plus agréable de travailler ensemble.

Le fait d'avoir consulté les élèves les a amenés à me respecter davantage. Ils savent que je prends le temps de les consulter, de les écouter et de prendre leurs suggestions en considération. À l'occasion, quand je mets en pratique une de leurs suggestions, je précise bien que telle activité est l'une de leurs suggestions (2). C'est agréable pour eux de l'entendre et aussi très valorisant.

Aujourd'hui, je suis capable d'amener la majorité des élèves à bien suivre. On vient justement de sortir les résultats de la troisième étape. Je constate que presque tous les élèves identifiés en sérieux problème de comportement et d'apprentissage sont passés d'un échec en octobre à une réussite en avril. La pression est beaucoup moins forte. Maintenant les jeunes arrivent en classe et je sens qu'ils y sont bien. C'est toujours mieux ainsi, quand les deux parties se sentent bien chez eux. Mon meilleur coup dans cette histoire sera d'avoir bien identifié les élèves qui avaient des problèmes et les avoir amenés à se faire confiance tranquillement et ainsi être acceptés par le reste du groupe. Ils ont aussi apprécié d'avoir participé en donnant des suggestions afin d'améliorer le climat de la classe. Ce n'est pas le fait d'être un enseignant qui nous permet de trouver nécessairement toutes les réponses. Il est important de consulter des collègues et aussi nos élèves. Nous avons à travailler ensemble toute une année. Il ne faut pas oublier de travailler avec eux et pour eux dans le plus grand respect.

Le respect est la valeur que je tente de véhiculer le plus dans mes classes. En les aidant à se faire confiance, en les consultant, en discutant avec eux, c'est tout ça qui nous a permis de former un groupe. Je tiens à préciser que d'ici la fin de l'année en mai ou en juin, nous allons revenir sur notre expérience et nous allons essayer de constater tout le chemin que nous avons parcouru ensemble comme individu et comme groupe. Il vaut toujours mieux faire preuve de persévérance. Abandonner n'aurait pas été à l'avantage de personne. J'aurais pu adopter une attitude bien différente et tout simplement dire en début d'année : « C'est ainsi. Vous vous taisez et vous écoutez jusqu'à la fin de l'année. » Ça ne fait pas très professionnel n'est-ce pas ? Je n'avais pas vraiment le goût de vivre dans un tel climat où personne n'aurait été heureux. Je ne voulais pas créer un règne de dictature. Dans l'enseignement si nous voulons être heureux et rendre nos élèves heureux, il faut se sentir bien dans notre peau et eux, il faut qu'ils se sentent aimés, respectés, consultés... Et ainsi, à leur tour, ils se sentiront mieux dans leur peau.

En toute honnêteté, je suis contente d'être passée à travers cette expérience. Ce fut très difficile. Ça demandait beaucoup d'énergie en classe et en dehors du cours. Mais toutes nos énergies combinées (celles des élèves, de la direction, des parents et de moi-même) ont fait en sorte d'arriver aujourd'hui à ce résultat (3). En tout honnêteté et en toute humilité, je ne souhaite pas à un jeune enseignant de vivre une telle expérience en début de carrière. Si ce devait être le cas, tu pourrais peut-être aller chercher quelques petits trucs que j'ai mis en application. Seront-ils valables pour toi, avec ton groupe ? L'avenir te le dira peut-être...


1- L'enseignante parle de cette période d'observation

Jusqu'à la mi-octobre, j'observe, je constate et je m'interroge. Sur les heures de dîner, j'échange avec des collègues avec qui j'avais travaillé en adaptation scolaire. Je sais qu'il y a des ressemblances avec un groupe d'adaptation scolaire mais il y a aussi des différences. Quand tu travailles avec une classe d'adaptation scolaire, tu es dans une classe identifiée comme telle. Dans la situation présente, je travaille avec un group identifié comme étant « régulier ». La moitié des élèves aurait pu être classée en problème grave d'apprentissage ou en trouble de conduite et de comportement. L'autre moitié aurait pu facilement faire partie du groupe « enrichi ». Je me permets d'insister sur l'importance du classement de nos élèves lors du passage du primaire au secondaire.

2- L'enseignante présente d'autres suggestions proposées par les élèves qui ont été réalisées

Par exemple, un élève avait suggéré de jumeler un élève qui avait plus de facilité avec un élève qui avait de la difficulté. Nous avons tenté l'expérience à quelques reprises. Je les avais laissés former les équipes, tout en respectant le principal critère. Pour la majorité, le travail s'est bien fait, mais pour les autres, ce ne fut pas un succès. J'aurais pu moi-même former les équipes, mais je voulais leur faire réaliser qu'en troisième secondaire, ils devaient avoir atteint une certaine maturité. Ils ont quand même réalisé que je leur avais fait confiance et que certains auraient pu travailler plus sérieusement. Il y a aussi les sorties éducatives. Nous ne pouvons pas amener les 6 groupes (180 élèves), seulement 36. Mais pour que tout le monde puisse en profiter un peu, au retour de la sortie, nous faisons un retour en classe afin de faire le lien qui existe entre le choix de la sortie et le programme. L'actualité les intéresse aussi. Je leur demande s'ils ont lu les journaux ou s'ils ont écouté les nouvelles. Ont-ils appris quelque chose de nouveau ? Peuvent-ils le partager avec les autres ? Les élèves ont aussi suggéré de visionner des vidéos en rapport avec le progamme. Nous avons eu l'occasion de regarder quelques courts vidéos, ces derniers nous offraient une matière très pertinente. Mais attention, il ne faut pas tomber dans l'extrême. Il y a aussi eu l'utilisation de l'ordinateur par l'exploitation d'un cédérom. Ceci nous permettait de mettre en application l'intégration des nouvelles technologies.

3- L'enseignante indique d'autres interventions qui ont été importantes dans le développement de la situation

Une autre chose qui a été efficace, c'est le fait de rencontrer certains parents lors de la rencontre de parents. Nous avons tenté de canaliser les énergies de chacun (parents, enseignants, autres intervenants et l'élève lui-même) vers la réussite scolaire de l'élève. La collaboration entre toutes ces personnes fut très rentable.