© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).
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Préambule : Une enseignante de première secondaire raconte ses interventions auprès d'un groupe d'élèves turbulents. Ces événements se déroulaient il y a plus d'une vingtaine d'années, alors qu'elle avait environ 10 ans d'expérience et qu'elle se trouvait dans une école de la Côte-Nord, région marquée à l'époque par une croissance démographique importante.

TITRE : LA BALLE EST DANS VOTRE CAMP

Il s'agit d'une classe de première secondaire de la Côte-Nord, dans un milieu marqué par un « boom » démographique provoqué par la construction d'une usine de pâtes et papier. Il y a des gens qui viennent de partout, mais aussi des natifs de la place. À l'école, on travaille dans des locaux préfabriqués parce que le nombre d'élèves a doublé dans le temps de le dire. Un de mes groupes de première secondaire est vraiment indiscipliné. Je les rencontre la majorité du temps au dernier cours de la journée, à 16h00. En plus, ils arrivent d'un autre cours où ils font à peu près ce qu'ils veulent, car l'enseignante ne réussit pas du tout à s'imposer. Alors, ils arrivent chez moi et ils sont très énervés. Chaque cours je commence par de la discipline sans obtenir grand succès. Contrairement à mes cinq autres groupes, je n'aime pas les voir, peu importe l'heure ; c'est toujours la corvée avec eux. Je ne les trouve pas intéressants parce qu'ils sont tout le temps énervés. C'est sûr qu'il y en a trois ou quatre dont l'absence m'aurait simplifié la tâche. Je trouve que c'est épuisant de les recevoir, que ce n'est pas agréable, mais jamais je me suis dit que j'aimerais mieux qu'un tel reste chez lui ou n’existe pas. Certains jeunes viennent d'un peu partout et ne connaissent pas beaucoup de monde. Les natifs de la place se connaissent depuis des années ; ils sont allés au primaire ensemble. C'est un petit groupe qui mène la barque. Ce sont des leaders, mais pas nécessairement négatifs. Je regarde le groupe aller pendant deux mois et j'en arrive à la conclusion qu'il faut que ça change. Je ne peux pas passer l'année comme ça.

Je n'arrive pas à croire qu'il n'y a rien à faire avec ce groupe. Leur façon de faire est désagréable, mais je sens que ce n'est pas vraiment profond. Ils n'arrivent pas à apprendre à vivre ensemble. Au début de l'adolescence, ils ont l'air un peu mêlés, ils ne savent pas trop comment faire. Ils arrivent au secondaire et ils sont un peu déçus. En sixième année, ils sont les plus grands, les plus vieux, les plus forts, etc. Ils sont contents, ils s'en vont au secondaire mais quand ils y arrivent, ils sont encore les bébés. Il leur faut donc trouver des moyens de s'affirmer. À la maison, ils ne sont pas encore des adultes et même pas des adolescents. Ils sont juste au début de l'adolescence. Alors, c'est pénible. Je pense qu'ils veulent être grands. Ils sont prêts à faire ce qu'il faut pour être grands. Je vais alors les traiter comme tels.

Alors, un jour je décide qu'on allait se parler. Quand ils entrent dans la classe, je ne dis absolument rien. Je suis debout devant de mon bureau, je les regarde entrer et j'attends les bras croisés. Je ne parle pas. Ils commencent à chuchoter entre eux, à me regarder et à se sentir mal. À un moment donné, je n'entends presque plus rien et je n'ai toujours rien dit. Je ne suis ni fâchée ni joyeuse. Je fais comme s'ils n'existaient pas. Les élèves se demandent ce qui se passe, pourquoi je ne leur parle pas, parce que d'habitude je dis : « Vite ! On se dépêche ! » Pendant que je les regarde en silence, ça me permet de voir comment je vais orienter ma discussion, comment commencer, ce que je vais leur dire exactement, ce que je vais leur mettre entre les mains. Je choisis mes mots aussi, de façon à ce qu'ils ne se sentent pas coupables. Je ne veux pas les faire sentir coupables, je veux qu'ils deviennent responsables. Je veux les mettre de mon côté, pas contre moi. Il y en a un qui se risque à me demander pourquoi je ne leur donne pas de cours. Je lui réponds : « Parce que vous ne venez pas ici pour prendre un cours. En tout cas, vous ne m'en donnez pas l'impression. Je pensais que j'étais une enseignante, j'ai plutôt l'impression, quand vous arrivez ici, que je suis un préfet de discipline. Aujourd'hui je me suis dit que l'enseignante n'a peut-être rien à faire ici. »

Ils me demandent pourquoi je dis ça. Je commence à leur raconter comment ils entrent dans la classe, ce qu'ils font, ce que je dois faire, ce que ça donne, etc. « Est-ce que c'est vrai que c'est ce que vous faites ? Oui ou non ? J'aimerais savoir pourquoi vous vous conduisez de la sorte ? » Ils se trouvent des raisons : « On est à tel cours avant et l'enseignante se conduit de telle façon alors on lui fait ci, on lui fait ça. » Je leur fais comprendre que je ne trouve pas ça correct qu'ils agissent ainsi avec elle, mais encore moins que j'en subisse les conséquences. « La façon dont elle se conduit, c'est son affaire. Je n'ai pas à la critiquer et vous non plus. Il faudrait peut-être essayer de l'aider. Mais pour le moment, ce n'est pas le problème principal. On va régler notre problème à nous. Et peut-être que vous pourriez prendre la même manière pour régler celui avec l’autre enseignante. Je vous dis ce que je n'aime pas de vous et vous avez le droit de me dire ce que vous n'aimez pas. » À un moment donné, il faut se mettre à blanc avec les enfants. La sincérité, ils comprennent ça.

J'ai commencé par leur dire ce que je n'aimais pas : c'est difficile de travailler, ils parlent fort, ça prend cinq minutes avant qu'ils soient assis à leur place, je suis obligée de parler fort pour commencer le cours, il y en a qui rient pour des riens, etc. « Si vous travaillez seulement pour moi, ça ne vaut pas la peine. Il faut que vous travailliez pour vous. Est-ce que vous voulez réussir ? À moins que vous veniez ici pour passer votre temps ? Si c'est le cas, je vais ranger mon cours de professeur. » Ils disent que ce n'est pas ce qu'ils veulent, qu'ils désirent apprendre. On discute de comment on veut que ce soit en classe. « Si quelqu'un se conduit mal et te nuit, c'est à toi qu'il nuit. Il te fait perdre ton temps et il te nuit dans ton apprentissage. Il ne me fait rien perdre, parce que moi, ce que je te montre, je le sais. » Je leur dis également que s'ils arrivaient énervés, je ne parlerais pas. « Vous avez votre bout à faire aussi. Premièrement, si vous voulez que je donne le cours, vous allez vous taire. Deuxièmement, s’il y en a un ou une qui s'énerve, vous allez vous en occuper. Moi, je ne veux pas avoir à lui dire de se taire et de se calmer. C'est votre boulot ! La balle est dans votre camp. »

On s'est parlé pendant une demi-heure. Dans ce groupe-là, les élèves ne sont pas tous des farceurs. Il y en a qui sont prêts à apprendre et qui sont inquiets, mais qui n’osent pas s’affirmer, se distinguer. « Qu'est-ce qui est le plus important d'après vous ? Que les cours suivants soient agréables, qu'on se parle bien aujourd'hui ou qu'on continue à travailler avec le climat qu'on a depuis le mois de septembre ? » Ils n'ont pas été difficiles à convaincre. Ce ne sont pas vraiment des enfants méchants ; ils ont juste besoin qu'on leur parle. Ce sont des jeunes intelligents, capables d'un bon raisonnement, d'un bon jugement sauf qu'il faut les aider. Ils sont plus inconscients que vraiment méchants. Ils sont au secondaire et ils viennent de s'apercevoir qu'ils sont les plus jeunes, donc ils font les fanfarons pour compenser. Il s'agissait simplement de leur parler et de leur faire comprendre. Je leur ai alors demandé de faire un essai pour les 15 dernières minutes. « Si vous vous conduisez comme vous venez de me le dire en 15 minutes, savez-vous qu'on n'aura pas beaucoup de retard sur ce que j'avais préparé pour aujourd’hui ? » Je m’exécute. Tout a bien été. À la fin, il y a même deux élèves qui me disent que ça avait été agréable.

À partir de l'analyse que j'ai faite de ces enfants-là, leur changement de comportement me confirme que ce n'étaient pas vraiment des problèmes de comportement. C'étaient plus des problèmes d’ajustement de leur agir en groupe et face à moi. C'est évident qu'après cette discussion-là, le soir, je me demandais comment ils allaient être le lendemain. Mais s'ils avaient eu à être en désaccord, ils l'auraient exprimé le jour même, quand j'ai discuté avec eux. Ce groupe-là, je l'avais quand même jaugé. Je sentais que je pouvais faire quelque chose avec eux. Je ne suis quand même pas tombée là-dedans tête baissée. Ils auraient pu dire : « Non, nous, on ne marche pas de même ! » Mais je sentais qu'il y avait de bonnes chances de réussite. Je savais que plusieurs voulaient apprendre. Sur les 28 élèves dans mon groupe, les deux tiers étaient prêts à fonctionner. Il s'agissait simplement d'abattre les têtes ou encore de les mettre de mon côté. Les autres auraient la paix qu'ils voulaient. D'ailleurs, je sentais bien que certains voulaient avoir la paix. Le lendemain, ils arrivent au cours. Je leur demande :

« Est-ce que vous êtes prêts à travailler comme on l'a décidé hier ?

- Oui ! - OK ! Toi, tu n'as rien dit. Es-tu d'accord ? »

J'ai besoin d'aller chercher l'assentiment de tous les élèves par mesure de précaution. Au fond, quand tu ne t'engages pas, tu peux te permettre de faire ce que tu veux. Alors, je les fais s'engager. Je prends le temps de tous les regarder. Et si un élève n'a pas dit un mot, je l'interpelle directement pour qu'il s'engage devant les autres. Je pense que la réussite de cette intervention tient au fait que je les ai abordés sans crier et sans rien exagérer ou inventer. Je n'ai jamais été celle qui va prendre une boisson gazeuse avec les élèves. Je suis un professeur et eux sont des élèves. Sauf qu'il y a quand même un niveau sur lequel on peut s'arrêter et se parler. S'il faut employer le même langage qu'eux, je vais employer les mêmes expressions. Se mettre à leur niveau, c'est surtout laisser l'autorité de côté. On va se parler d'égal à égal. Je ne vous dirai pas quoi faire. Je vais vous dire ce que j'attends de vous et vous allez dire ce que vous attendez de moi. Ensuite, on va voir comment on peut s’arranger pour être bien. Si tu mets cartes sur table et que tu sais les écouter, ils savent l’apprécier et collaborer.

Ça a été relativement bien, vraiment, pendant trois semaines. Quelquefois, ils arrivaient un peu énervés, je frappais un petit peu sur le bureau et ils se calmaient tout de suite. Ça finissait là. S'il y avait quelque chose qui n'allait pas, je me tournais, je regardais et disais : « Ça fait. » S'il y en avait un qui voulait s'énerver, les autres le regardaient. Mais, la plupart du temps, les élèves voulaient éviter de se faire avertir par les autres. Trois semaines plus tard, il y en a un qui fait une grosse farce. Quelques-uns se mettent à rire. Tu ne changes pas du jour au lendemain comme ça sans qu'il y ait des récidives. Je me dis : « Oh non ! Ça ne recommencera pas ! » Cet élève était très influençable, mais il faisait rarement quelque chose le premier. Je vais le voir et je lui rappelle qu'on avait convenu d'une façon de travailler et que ses farces, il allait les mettre dans ses poches. Je ne veux plus les entendre. L'enfant se lève et me réplique de façon impolie. À ce moment, je suis en colère et lui aussi. Je lui dis alors devant tout le monde que je n'admettrai pas ça : « Tu te rends au bureau du directeur et, en ce qui me concerne, tu es dehors pour une semaine. » Il ne veut pas sortir. Je répète : « Dehors ! » Il sort, mais en claquant la porte et en me disant des bêtises. Les autres élèves ne disent rien et attendent la suite des événements. Cet élève-là m'attaquait personnellement, et par conséquent, je pensais que c'était à moi d'intervenir. Je n'avais pas à laisser les élèves régler mon problème ; ça devenait mon problème. Lorsque c'est entre eux, qu'ils s'empêchent d'écouter, c'est leur problème. Mais au moment où il s'attaque à moi, c'est mon problème. Je vais voir la direction pour dire que je ne veux pas revoir cet enfant dans ma classe avant trois semaines et tant et aussi longtemps qu'il n'y aurait pas eu d'excuses en présence des parents.

Le lendemain, au cours de 16h00, les élèves entrent dans la classe. Lui, au lieu de s'en aller dans la salle où il devait, il sort à l'extérieur et vient voir par la fenêtre ce qui se passe dans la classe. Je m'avance, je me place devant lui et je le regarde. Je fais seulement ça. Je reste là tant qu'il ne décide pas par lui-même de s'en aller. Puisque les autres l'ont vu, il faut que je sois la plus forte. Ils doivent me respecter et respecter leur parole. Dans certains cas, ce sont eux qui mènent et dans d'autres, c'est moi. Je ne garde pas rancoeur à cet élève, sauf qu'il ne faut pas qu'il vienne perturber ce que j'avais réussi à créer. Il faut aussi que les autres en arrière s'aperçoivent qu'on ne me tourne pas en bourrique comme on veut. Ce qui est magnifique, c'est que quand je me retourne et que je dis : « Vous travaillez s'il vous plaît ! », les élèves se penchent sur leur travail et je suis seule à le regarder. C'est plus facile pour moi. Si les autres avaient été dans la classe à lui faire des grimaces, à lui faire des signes de la main et à lui sourire, je n'aurais jamais réussi. Il s'aperçoit que, dans la classe, il n'y a personne qui l'appuie, qu'il est seul face à moi, alors il disparaît. Un enfant, pas des plus sages, vient me dire à la fin du cours que j'avais bien fait. Je lui demande qui a dit ça. « C'est moi. Tu n'es pas méchante avec nous. » Je regarde les autres et je dis : « Pensez-vous ça vous aussi ? Est-ce qu'il y en a qui pensent que je ne suis pas correcte ? » Quelquefois, tu te dis qu'il y en a peut-être qui ne partagent pas cet avis. Je les regarde et ils disent non, que j'avais bien fait, qu'on avait un engagement. C'est le mot qu'ils utilisent. J'ai toujours eu la réputation d'être sévère. Un groupe a déjà dit que j'étais sévère mais juste. En fait, ce qu'ils entendent par sévère c'est que je tiens à ce que je demande. J'ai toujours cru à ce principe : ne pas demander quelque chose à laquelle tu ne tiens pas. Quand un jour tu veux et un jour tu ne veux pas, c'est l'insécurité qui s'installe.

Deux ou trois jours plus tard, je parle à l'enfant et il me demande pourquoi j'ai décidé d'une suspension de trois semaines, alors qu'en classe je lui avais dit juste une semaine. Je lui explique que je lui avais d'abord donné une semaine, mais que ses paroles en sortant m’avaient obligée à augmenter le temps d'expulsion. Si ça avait été devant un groupe qui était plus malléable, je n'aurais sûrement pas agi de la même manière. Peut-être que j'aurais été moins sévère sur le moment, moins cassante. Je lui aurais simplement demandé de s'excuser immédiatement. Mais ce n'était pas le cas. Il risquait de me faire perdre ce que j'avais gagné. Je me félicitais de voir la façon dont les autres ont réagi. Je réalise que j'avais conquis ce groupe. Dès qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, je leur parlais. C'est le groupe dont je me souviens le plus, parce que c'est celui avec lequel j'ai eu le plus de plaisir. Autant je les avais en aversion, autant je les ai aimés. C’était réciproque. On avait vraiment de belles conversations (1). Ces élèves-là disaient qu'ils voulaient collaborer avec moi. Ce n'étaient pas des élèves qui voyaient les adultes comme des adversaires. Il s'agissait de dire : « On va s'asseoir, on va se parler. On va décider ensemble ce qu'on veut. » Avec n'importe quel adolescent, c'est pareil. Ils n'aiment pas qu'on leur impose sans qu'ils aient leur mot à dire. Si tu discutes avec eux en disant ce qui te met mal à l'aise, ce que tu n'aimes pas et que tu leur demandes ce qu'ils n'aiment pas, alors ils sont prêts à faire un bout de chemin (2). Je pense que je les ai conquis quand je leur ai dit : « La discipline, je vous la remets. Je ne la fais pas. » Ils se sentaient responsables de la discipline et de leur apprentissage.

J'ai eu des manifestations montrant qu'ils se sont pris en main. Un soir, une jeune fille est arrivée survoltée, rouge comme une pivoine. Je l'ai regardée : « Fatiguée ? Tu ne me dérangeras pas ? Tu as beau être excitée et énervée, c'est ta responsabilité de t'organiser pour ne pas déranger. » Elle est allée à sa place et s'est endormie. C'est correct, je n'ai rien à dire ; elle a trouvé une façon de régler son problème. À un moment donné, un élève m'a dit qu'elle dormait. J'ai répondu : « Ne faites pas de bruit, on va la laisser dormir. Quand elle est arrivée, elle était tellement fatiguée. Ça ne donne rien de la déranger, elle ne pourra pas écouter. » Quand on a eu fini le cours, la cloche l'a réveillée. Elle est restée assise et a attendu que les autres soient sortis. Elle est venue me voir : « Tu m'as laissé dormir ? Tu es gentille toi, il n'y en a pas un autre qui aurait fait ça. » Elle m'a embrassée et elle est partie. Elle avait été une des premières à embarquer quand j'avais dit : « Je ne fais plus la discipline. C'est vous autres qui allez faire votre discipline. » Elle était bien d'accord : « OK, Ça va être agréable. » C’est aussi elle qui, le lendemain, s’est levée et a dit à un autre de se taire. Je n'ai même pas réagi, elle remplissait sa partie du contrat. J'avais vraiment l'impression qu'elle me défendait. Elle n'acceptait pas qu'il perturbe le moindrement mon cours. Autant ces élèves-là pouvaient être désagréables avant qu'on se parle, autant ils étaient maintenant protecteurs envers moi.

Ces deux mois très désagréables se sont changés en deux autres mois fort agréables. Souvent, ça ne prend pas grand-chose : leur faire confiance, leur faire sentir que tu les aimes (3). En fait, je leur dis : « Si vous voulez qu'on s'aime, on va se parler. Au lieu de se déchirer, on va s'aimer. » Même si je savais que je les quittais en décembre, ça valait la peine d’investir les deux derniers mois. Je les ai beaucoup appréciés. Ils ont appris avec moi, ne serait-ce qu’à parler pour régler leur conflit. La dernière semaine, ils s’inquiétaient de savoir qui me remplacerait. Je leur ai dit que s'ils étaient gentils avec lui ou avec elle comme ils l'avaient été avec moi, l'enseignant ne pourra pas faire autrement que de les aimer.


1- L'enseignante développe un peu sur la relation privilégiée qu'elle a créée par la suite avec ce groupe

J'ai vraiment eu des discussions intimes avec les jeunes. Ce sont particulièrement mes « grandes gueules » du début qui étaient les plus ouverts. Ils ont senti que je les acceptais, que je ne les jugeais pas. Ce qui est très particulier aux adolescents, c'est qu'ils ont besoin qu'on les découvre. Tout le mois de décembre, on a eu l'occasion de se rencontrer et de se parler. Une journée où il faisait tempête, on s'est retrouvés une dizaine en classe. Je n'étais pas intéressée à donner le cours à cause des nombreuses absences. Alors, je leur ai proposé de s'asseoir en cercle et de se parler de choses qui nous plaisent, qui ne nous plaisent pas, de notre famille, pour qu'on apprenne à se connaître. J'ai appris toutes sortes de choses vraiment intéressantes à leur propos. Par exemple, la mère de mon « jeune clown » était décédée depuis plusieurs années. Il vivait avec son père et c'était un peu à la « va comme je te pousse » à la maison. J'ai également mieux compris une autre élève, que je trouvais curieuse, car elle réussissait bien mais elle était nonchalante. Il y avait des journées où c'était merveilleux, et d'autres, où elle semblait avoir toute la misère du monde sur les épaules. J'ai su qu'elle était enfant unique. Elle avait dit que son père n'avait pas de génie parce que son père lui donnait tout ce qu'elle désirait. En fait, elle disait : « J'exprime des désirs et j'aimerais ça les désirer. Avec mon père, je ne peux jamais rien désirer. Dès que j'ai le malheur d'exprimer quelque chose, il pense me faire plaisir en allant l'acheter. » En fait, il aurait fallu que son père lui parle et l'aime au lieu de lui acheter un objet. Si je ne lui donne pas tout en classe, elle va s'organiser pour aller en chercher. Mais elle ne veut pas tout avoir.

2- L'enseignante décrit son fonctionnement actuel avec un groupe de première année du primaire

En ce moment, j'ai un conseil de coopération dans ma classe de première année, chose que je ne connaissais pas. On commence dès la première semaine de classe à le faire. Tous les jours 5, à 8h00, les enfants prennent leur chaise et on s'installe en cercle pour faire notre conseil de coopération. On a un tableau sur lequel est écrit « Je félicite », « Je remercie », « Je critique ». Pendant la semaine, les enfants viennent écrire un message à l'endroit qu'ils désirent. Quand ils ont des félicitations à faire à quelqu'un, on les écrit sur le tableau. Même chose quand il y a quelque chose qui ne va pas bien dans l'école, dans les corridors ou dans la classe. On écrit ça et on en parle à notre conseil de coopération. Par exemple, il y avait des problèmes dans le corridor parce que ça se bousculait ; il n'y avait pas beaucoup de place. Ils ont trouvé plein de solutions.

3- L'enseignante développe un peu sur sa façon de développer sa complicité avec ses groupes, peu importe l'âge des élèves

J'établis une complicité, avec tous mes groupes, par la discussion en grand groupe ou, quand c'est préférable, seulement avec l'individu. Je ne fais pas ça systématiquement en début d'année. Cette année-là, c'était plus difficile avec ce groupe-là. Mais disons que lorsque c’est nécessaire, je le fais. J'ai toujours été comme ça. C'est pour ça que ce n'était pas un exploit de leur dire : « Aujourd'hui, on se parle. » Pour moi, c'était la solution parce que ça a toujours été la meilleure façon de régler les problèmes. Je me suis toujours assise avec les enfants ; qu'ils soient en première année ou en secondaire, on se parle. Il s'agit de s'asseoir avec les enfants et de leur demander ce qu'ils pensent, de leur dire ce qu'on veut et on va trouver un terrain d'entente. Ils vont se planter dans ce terrain-là et pousser. Si ce sont eux qui décident ce qu'ils font, même en première année, les chances de réussite sont plus grandes. Sauf qu'en première année, il faut le répéter plus souvent. Ils vont avoir besoin de supports visuels plus fréquents. Alors qu'au secondaire, un simple clin d'oeil suffit. La communication non verbale va être beaucoup plus importante. C'est même plus facile quand tu ne parles pas et que les autres ne l'ont pas vu, car l'amour-propre est beaucoup plus fort. En première année, tu vas les prendre par les épaules, leur jouer dans les cheveux, les serrer contre toi, ce que tu ne peux pas faire au secondaire. Ça aussi, c'est du langage non verbal que les enfants aiment beaucoup. Mais au secondaire, c'est un petit sourire en coin, n'importe quoi.