© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Une enseignante de quatrième année décrit des activités qu'elle réalise, en cours d'année, afin de développer une bonne relation avec son groupe. Elle illustre dans ce récit les avantages de telles activités et leur impact sur sa pratique pédagogique.

TITRE: CONSTRUIRE MON GROUPE

Vers la fin du mois de septembre, je fais toujours une sortie sur une base de plein air. On part le mercredi soir et on revient le vendredi, en fin d'après-midi. Ça fait de nombreuses années que je fais cela. Mon seul objectif est d'amener les élèves à créer des liens entre eux ainsi qu'avec moi. Je veux que l'on devienne comme une petite famille pour les mois que l'on va passer ensemble. Cet objectif, je prends soin de bien l'expliquer aux jeunes. Je leur remets une liste d'élèves, qu'ils apportent avec eux pour le séjour, et je leur demande d'essayer d'y inscrire quelque chose qu'ils ont appris de nouveau sur chacun des amis de la classe.

Au moment du séjour, ça se passe toujours très bien. Les élèves profitent de toutes les occasions (cafétéria, activités, dortoir) pour mieux connaître quelques amis et ils consignent leurs trouvailles sur la liste qu'ils ont en main. Par la suite, ces découvertes sont offertes aux jeunes au moment de leur anniversaire. On dit qu’on leur offre un bouquet de qualités. L’élève qui le reçoit éprouve beaucoup de plaisir.

Il y a deux ans, j'avais un nouvel élève, Steven, qui était très renfermé. Il ne parlait à personne, ne demandait jamais d'aide, ne levait pas la main, se faisait tout petit. L’orthopédagogue de l’école, qu’il fréquentait l’année précédente, nous a prévenus de faire attention à cet élève car, chez lui, il avait eu des difficultés. A plusieurs reprises il avait servi de « tête de turc ». Par contre, son frère jumeau, placé dans une autre classe, était tout le contraire. C’était un garçon épanoui, plutôt extraverti, quelquefois batailleur même. Sur la cour, il protégeait son frère. Le soir, il l’aidait dans ses travaux car, contrairement à son jumeau, Steven avait de la difficulté sur le plan scolaire également.

À la base de plein air, à la fin de chacune des journées, nous faisons un retour sur la journée (un « cercle magique ») : ce qu’ils ont aimé ou moins aimé ; où ils en sont par rapport à l’objectif du séjour. Au moment du premier cercle magique (jeudi soir), un enfant dit : « Moi, je ne savais pas que Steven était gentil comme ça ! » Et par la suite, d’autres enfants renchérissent. Ils venaient de le découvrir.

Steven était un enfant très doux pour les autres, souriant, même s’il était très timide. Il n’avait aucune agressivité. Alors, ceux qui n’étaient pas encore entrés en contact avec lui ont cherché, dès le lendemain, à aller vers lui ; de telle sorte que les liens se sont créés plus vite entre Steven et plusieurs enfants qu’entre d’autres et aussi qu’entre Steven et moi. Il était devenu populaire. Pour ma part, il a fallu que j’aille vraiment vers lui pour l’apprivoiser.

A l’école, avant de vivre ce séjour, lorsque je le rencontrais dans le corridor, il ne me disait jamais bonjour de lui-même. Il s’arrêtait, me regardait, espérait que je lui dise quelque chose et à ce moment là, je sentais qu’il était bien content. Tranquillement, au retour, il a commencé à me demander de l’aide. Au fur et à mesure que l’année avançait, il prenait de plus en plus sa place. Il a vraiment beaucoup changé. Il s’épanouissait. Il n’était plus le Steven que j’avais connu avant notre séjour à la base de plein air.

Je pense qu’il n’aurait pas progressé autant sans l’expérience qu’il avait vécue lors de notre séjour. Il s’est senti bien accepté dans la classe, apprécié, aimé de ses pairs. Ils lui ont dit : « Tu es OK, on t’accepte parmi nous ! » Il s’est mis à lever la main, il participait mieux dans les travaux d’équipe, il jouait avec eux pendant les récréations. Comme c’était un garçon sportif, il était rapidement choisi par ses pairs dans les équipes de jeux. Finalement, en classe comme sur la cour, je n’ai pas eu de problèmes. Il en a eu dans l’autobus scolaire par contre, parce qu’il côtoyait d’autres enfants qui ne le connaissaient pas...

J’ai aussi un conseil de coopération. Ce dernier me permet de faire participer les élèves à la gestion de la vie de la classe. Il permet aussi de régler des conflits entre eux. Un jour, il y a eu un problème assez sérieux entre quatre enfants de ma classe qui demeuraient dans le même environnement. Je m’étais aperçue qu’ils se regardaient parfois de travers dans le corridor, mais je croyais que cela se tasserait avec le temps. Comme ils n’ont pas fait de critique sur le tableau mural du conseil, je ne m’en suis pas occupée.

Un matin, la mère de l’un de ces enfants m’a téléphoné pour demander que son fils soit rencontré par le directeur-adjoint. Elle en avait ras le bol de ces chicanes et elle voulait qu’il intervienne auprès de son fils et des autres afin de les intimer de cesser ces niaiseries. Je lui ai donc donné mon point de vue, lui demandant de me laisser intervenir d’abord. Je lui ai proposé de réunir les enfants afin qu’ils s’expliquent d’abord, qu’ils trouvent des solutions ensuite. Si cela ne suffisait pas, on irait demander l’aide des pairs au conseil de coopération. Elle était satisfaite.

Pendant la récréation, j’ai réuni les quatre enfants. « Il semble que vous ayez un problème ! J’aimerais que vous disiez chacun votre tour ce que vous ressentez, comment vous percevez le problème. Après, on parlera des solutions. » Je me suis ensuite retirée de la discussion, tout en demeurant dans la classe. Au début, j’ai senti de l’animosité, mais la petite rencontre s’est quand même bien déroulée. Chacun s’est exprimé puis, ils sont passés à la recherche de solutions. Cela n’a pas pris plus d’une récréation. Nous avons pris une entente à la fin : aussitôt qu’il y aurait quelque chose qui cloche entre les quatre, tout de suite, on s’organiserait pour qu’ils se réunissent et s’expliquent, afin d’éviter que les choses ne s’enveniment.

Les relations avec les parents ne sont pas toujours faciles. Pour reprendre l’expression d’un formateur d’enseignants pour les élèves en troubles de comportements (T.C.) : « Il y a des enfants T.C. mais il y a aussi des parents T.C. ! » Ce sont des exceptions dans nos classes mais, malheureusement, on ne voit qu’eux. Ils nous rentrent dedans...

Un parent m’a déjà écrit toutes sortes de bêtises sur les travaux de son fils à différents moments de l’année. Son fils était un garçon très intéressant, motivé, mais souvent impoli, agressif... Il m’aimait beaucoup, c’était vraiment évident. C’est probablement ce qui dérangeait le père car c’était un homme violent, autoritaire, possessif. La mère ne semblait pas avoir beaucoup de pouvoir dans cette maison. Quand j’avais de la difficulté à récupérer les travaux de cet élève, je déduisais alors que son père avait dû écrire quelque chose sur sa copie et que l’enfant n’osait pas me la remettre. À un moment donné, j’ai dit au jeune que ce n’était pas grave si son père m’écrivait des commentaires, que cela lui faisait probablement du bien (à son père) mais, que ça ne changeait rien entre lui et moi.

Une autre fois, le garçon a eu une contravention pour impolitesse avec un professeur spécialiste. Il avait déjà reçu plusieurs avertissements. Ses deux parents devaient la signer, mais le père a catégoriquement refusé. Il ne voulait rien savoir des histoires d’école. La mère, pour sa part, avait signé. Toutefois, je lui ai téléphoné, mais elle était tellement mal à l’aise, me disant n’avoir aucune influence sur son mari, que je lui ai dit de laisser tomber. Mes relations étant très bonnes avec son fils, je ne pensais pas faire une erreur. J’ai eu raison d’ailleurs.

Au moment des rencontres de parents, lors de la remise des bulletins, les enfants sont invités à venir avec leurs deux parents. Ce père fut particulièrement invité. Toutefois, il ne s’est jamais présenté... Finalement, un jour, vers la fin de l’année, j’ai rencontré ce jeune pour un autre problème d’impolitesse envers une suppléante. Il m’a répondu ceci : « Tu le sais que j’ai un problème ! On se parle tous de même chez nous. C’est rien ça ! T’as pas vu mon père ! Quand il est enragé, tu te tasses de là ! » Il faut faire attention, c’est délicat des commentaires comme ceux-là. Je lui ai dit : « Toi, tu n’aimes pas ça quand on te parle comme cela. Tu trouves cela désagréable. Tu dois donc aussi faire attention quand tu parles aux autres. » J’ai mis l’accent sur son propre comportement, ses propres sentiments, pour l’amener à prendre conscience qu’il ne doit pas faire la même chose aux autres...

Il y a plusieurs années, j’ai eu un enfant introverti dans ma classe, un peu comme Steven. En enseignement religieux, il y avait une activité où les élèves devaient interviewer l’un des leurs sur une activité qu’il faisait à l’extérieur de la classe. Comme certains savaient qu’il était bon au hockey, nous lui avons demandé s’il acceptait de vivre l’expérience. Il y avait deux autres enfants qui se prêtaient aussi au jeu. Il a accepté. Au moment de l’interview, les enfants de la classe ont découvert qu’ils avaient une vedette parmi eux. Il avait d’ailleurs été sélectionné pour le tournoi de hockey Pee-Wee. Comme pour Steven, le changement d’attitude chez cet enfant fut remarquable.

Depuis cette année là, je fais avec les enfants ce que j’ai appelé d’abord le « Coin moi » et maintenant le « Coin c’est à mon tour ». Chaque élève est l’élève-vedette de la semaine. Le lundi il présente des photos de lui, de voyages ou autres. Il nous présente aussi des objets qui le représentent ou qui ont de l’importance pour lui : médailles, trophées, jouets fétiches, souvenirs, collections etc... Tout ceci demeure exposé dans la classe pour la semaine. Le vendredi, les enfants et moi l’interviewons. C’est une autre façon de faire découvrir les enfants. Finalement, ils ne sont pas que des élèves. Je tiens à ce qu’ils se sentent bien. S’ils le sont, la matière passe mieux.