© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

Version imprimable:

Préambule : C'est le récit d'une enseignante en deuxième année du primaire possédant huit ans d'expérience. Elle évoque l'expérience vécue avec un enfant qu'elle a dans sa classe au moment de l'entrevue. Son récit retrace donc les événements, diagnostics et interventions auprès de l'enfant et de ses parents depuis le début de l'année jusqu'au mois de mai.

TITRE: CHERCHER LA CLEF

Cet enfant était ici l'an dernier, en première année. Son enseignant en parlait beaucoup. Je l'entendais dire de lui qu'il ne fonctionnait pas, qu'il n'apprenait pas, que ça ne marchait pas. Aussi, je pouvais l'observer par moi-même aux récréations ainsi qu'aux entrées et aux sorties. J'avais un bon portrait de lui avant de débuter l'année.

Les difficultés de l'enfant se situaient davantage en lecture qu'en mathématiques. Il avait aussi des difficultés sur le plan social ; il n'entrait pas en contact avec les autres. Il était très lent et parlait avec difficulté. Tenant compte du fait qu'il n'avait pas les acquis de première année, il avait été décidé de l'envoyer en deuxième année pour des raisons d'adaptation. Il avait eu de la difficulté à s'adapter au groupe, c'est pourquoi il était préférable qu'il monte en deuxième année pour favoriser son développement social. Je trouvais que ce n'était pas une bonne raison (1). On m'envoyait un enfant qui n'avait pas les acquis. Il ne maîtrisait même pas ses syllabes directes : B-I, B-A, B-E, et c'est de l'acquisition de moitié de première année. En plus d'être très lent, il ne réagissait à aucune consigne. Tout ce qu'il manifestait, c'étaient des pleurs, des gémissements, des petits sons de détresse. Les autres élèves de la classe se sont mis à le protéger. Au moment d'aller chercher leur sac, quelqu'un se chargeait de prendre son sac parce qu'il ne réagissait pas. Ce n'était pas nécessairement l'aider, car plus on en fait, moins il en fait et plus il reste comme ça.

Je voulais qu'on rencontre rapidement, dès les premiers jours d'école, les parents pour discuter des attentes de tout le monde. Pour moi, c'est important de savoir à quoi ils s'attendent. Mon but ultime, à travers tout ce qu'il peut y avoir dans ma classe, c'est de faire réussir aux enfants leur deuxième année. Si c'est l'attente de tout le monde envers cet enfant, je peux déjà dire que je ne pense pas que ça va marcher. J'étais très déstabilisée. Je ne me trouvais pas professionnelle d'admettre ça a priori, avant même d'avoir essayé. D'un autre côté, c'est professionnel d'être capable de signifier aux autres qu'il y a quelque chose qui ne va pas. J'avais quand même 24 autres élèves. Si je mets tout mon temps sur lui, qu'est-ce que je vais faire pour les autres ?

Deux ou trois semaines après le début des classes, il y a eu une rencontre avec les deux parents, la direction de l'école, la psychologue, l'orthopédagogue et moi. Rapidement, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'on allait travailler ensemble à développer les habiletés sociales de l'enfant, c'est-à-dire qu'il devait se mettre à la tâche rapidement, écouter les consignes et parler de façon à être entendu. Les parents ont présenté beaucoup de résistance ; ils discutaient beaucoup la pertinence de la méthode globale. Ce sont des gens scolarisés et ils s'appuyaient sur des études disant que la méthode globale en lecture ne convenait pas aux enfants de cet âge. Si leur enfant n'apprenait pas, c'était parce que la méthode n'était pas bonne. Ils remettaient beaucoup en question tous les gestes posés par les enseignants, le système scolaire, notre façon de fonctionner, l'organisation... On s'est quand même entendus et je leur ai donné du matériel de première année sur les syllabes, sur les sons, pour qu'ils travaillent, au moins à la maison, ses faiblesses en lecture (2). Après la réunion, j'étais soulagée : « Personne ne s'attend à ce qu'il passe sa deuxième année. » Je trouvais quand même qu'on me demandait encore beaucoup. J'ai une deuxième année à faire avec un groupe et avec lui. Je ne savais pas par quel bout commencer.

Il fallait que je travaille sur moi parce que son comportement m'agressait beaucoup. Quand il se mettait à faire des sons comme un petit chien qui a peur, ça me mettait hors de moi. À 14h00, je n'avais plus de patience. Je lui demandais d'arrêter et quand il n'arrêtait pas, je l'isolais. C'était ma limite, sinon je savais qu'à un moment donné je pouvais dépasser les bornes. C'était bien important pour moi de toujours me protéger, en quelque sorte.

C'était toujours trop difficile pour lui. Si on avait 10 numéros à faire et qu'il n'était pas capable de faire le premier, il refusait de faire les autres. C'est un enfant qui dessine de façon prodigieuse, qui a une main d'écriture que je rêverais d'avoir. Pour lui, tracer une lettre c'était long, parce qu'il fallait qu'elle soit parfaite. J'ai réalisé alors qu'il était perfectionniste et qu'il craignait sûrement l'échec. J'ai essayé de le rassurer. Au début, j'ai essayé la douceur. J’allais à son bureau, je lui expliquais doucement et je l'encourageais. Parfois, je me mettais en situation d'échec : « Regarde, je me suis trompée. Ce n'est pas grave, je recommence. » J'ai vraiment essayé de lui démontrer que faire une erreur n'était pas effrayant, qu'on a le droit de se tromper, d'essayer et de recommencer. Parfois, il faisait un pas, mais il pouvait se remettre aussitôt à capoter. Tout ce temps-là, quand il me parlait, je ne comprenais jamais ce qu'il me disait, car il marmonnait. Je lui disais : « Je ne te comprends pas. Il faudrait que tu me parles pour que je te comprenne. » J'attendais, j'étais patiente. Ce fut ma première stratégie, mais je trouvais que finalement ça ne donnait pas grand chose. Pourtant, la psychologue est venue le voir dans la classe et elle a trouvé qu'il avait progressé. Effectivement, il y a des choses, comme les cris, les gémissements, qui ont complètement disparu pendant la première étape. Pour certaines situations, j'avais mis les limites bien claires sur un comportement et il l'avait vite compris. En même temps, je me questionnais. « Comment écrit-il, dessine-t-il si bien ? Il n'est sûrement pas complètement dépourvu. » Je ne savais pas par quel bout le prendre, je savais ce qui marchait et ce qui ne marchait pas, mais je cherchais encore la clef de compréhension. Je voyais que la douceur et que la grande patience donnaient des résultats, mais je m'occupais de lui tout le temps et ça n'avançait pas tant que ça. Donc j'étais toujours insatisfaite.

À un moment donné, j'ai appris à doser mon énergie entre le groupe et lui. Par exemple, pendant les dictées, j'avais un critère : tout le monde a fini, j'ai attendu un peu, je continue. Les moments de dictée représentaient une torture pour lui. Il pleurait sans cesse. Je passais la dictée à dire à voix basse : « Arrête de pleurer, essaie. Essaie, si tu n'essayes pas... » Quand j'arrivais chez moi, j'avais une barre dans le dos. Je m'interrogeais : « C'est bien beau, il n'a pas fait sa dictée, mais pourquoi il n'aurait pas de conséquences ? » Les autres qui l'ont faite et qui ont eu des fautes copient trois fois chaque mot pour lesquels ils ont fait une erreur. J'ai des règles et les élèves les connaissent. Lui, je lui en passe. Ce n'est pas correct. Tout le monde a accepté qu'il soit dans ma classe, il devrait vivre avec les conséquences de ma classe. D'un autre côté, j'avais ses parents qui me trouvaient exigeante. Ils m'ont toujours dit qu'ils me trouvaient bien correcte, mais... Je constatais qu'ils se posaient des questions sur mes méthodes. Je leur sortais des travaux d'enfants de ma classe : « Regardez ce qu'ils sont capables de faire. Ce n'est sûrement pas trop difficile. » (3)

J'ai demandé aux parents de venir me rencontrer avec leur enfant, parce que j'avais le goût d'essayer, s'ils étaient tous trois d'accord, quelque chose qui a déjà marché avec d'autres élèves. Il s'agit de passer un contrat avec l'enfant pour lui faire respecter une consigne. Il y a cinq évaluations durant la journée à l’aide de bonhommes-sourires et la récompense est une sortie ensemble quand on aura 20 journées qui auront bien été. Cette feuille d'évaluation retournait à la maison tous les soirs. Les parents allaient savoir à chaque jour comment ça avait été à l'école par rapport à ça. De cette façon, je m'attendais à un soutien. On a donc passé le contrat et la consigne était : « Je me mets à la tâche dans un délai raisonnable. » L'élève venait à mon bureau à cinq moments durant la journée. On s'arrêtait ensemble : « Qu'est-ce que tu en penses ? » Il ne disait jamais rien. Il était pas mal toujours d'accord avec moi sauf quand il avait été inerte sur sa chaise, c'était le bonhomme « le sourire par en bas », comme disent les enfants, et à ce moment-là, il boudait. Mais il fallait que je sois franche là-dedans.

Assez rapidement, il s'est mis à la tâche dans un délai raisonnable, probablement parce qu'il avait un bonbon au bout. Il comprenait très bien le système, ce qui me surprenait parce que ce n'est pas simple à comprendre pour un enfant qui ne comprend rien d'habitude. Après un mois et demi, il avait obtenu ses 20 journées avec réussite. Son comportement en classe avec moi s'améliorait un peu, ce qui n'était pas nécessairement le cas avec ses autres professeurs. Quand je lui disais d'arrêter de pleurer et de faire le deuxième numéro, je voyais qu'il marchait sur lui et qu'il le faisait. Un jour, il a débloqué en lecture. Les enfants qui ne sont pas très bons en lecture, j'évite de leur demander de lire à voix haute pour ne pas les humilier, mais à un moment donné, son nom m'a échappé. Il a lu la phrase et spontanément les élèves se sont mis à applaudir. Il s'est mis à vivre des succès, il s'est mis à fonctionner.

À Noël, on a eu les vacances. Quand on est revenus en janvier, il recommençait à pleurer. Je recommençais à zéro. J'étais découragée, je me demandais ce qui s'était passé pendant les vacances. J'ai communiqué avec les parents : il ne s'était rien passé. Qu'est-ce que je pourrais faire ? J'avais décidé qu'on recommencerait la fiche si ça venait de lui. Sauf que je me disais : « On ne peut pas marcher au bonbon tout le temps. » Et ça a été un déclic dans ma tête : « Il est capable. Il me niaise. Je lui ai donné plein de chances. C'est terminé. Il va faire sa dictée en même temps que les autres. » À la dictée, il s'est mis à pleurer. J'ai dit : « Non, ce matin tu ne pleures pas, tu fais ta dictée comme les amis. » Il répond : « Je ne suis pas capable, je ne les sais pas les mots. » J'ai répliqué : « Oui tu les sais, tu les savais et tu les sais encore. Si ça prend beaucoup de temps, on va le prendre le temps et si à la récréation tu n'as pas fini je vais rester avec toi et je vais la faire. Si ça prend deux, trois récréations, ça en prendra deux, trois, mais tu fais ta dictée comme les autres. Plus de passe-droits. Tu m'as donné des indices que tu étais capable. » Il a pleuré pendant trois ou quatre récréations, et ça a été fini. Les dictées, maintenant, il les fait en même temps que les autres, sans fautes ! Depuis que j'ai adopté avec lui et avec ses parents cette ligne-là, il y a beaucoup de changements. Il continue d'avoir de grands moments où il ne fait rien, il résiste mais il continue de m'aimer beaucoup.

Au début, quand je me suis aperçue qu'il fallait être ferme, j'étais fâchée. Je me suis dit qu'il m'avait niaisée tout ce temps-là. Sauf que la clef, je ne l'avais pas. Ce sont plein de petites choses qui m'ont éclairée, par exemple, cet enfant est en morale. Il ne comprend jamais ses consignes de devoirs et de leçons, mais il comprend qu'il ne doit pas écrire les devoirs de catéchèse. Un enfant qui est normalement dans la lune, il copie ça, sans se rendre compte que ce n'est pas pour lui. Jamais il ne l'a fait. Il y a d'autres enseignants qui m'ont donné des pistes. Un jour, le professeur de morale me dit : « C'est drôle, il ne fait jamais rien et aujourd'hui je leur ai expliqué un jeu super compliqué et tout de suite il l'a fait. » Aussi, il m'arrivait d'expliquer une consigne de quelque chose à faire à la maison. « Est-ce que tu pourrais me la réexpliquer ? » C'était long, mais il me la réexpliquait. « Est-ce que c'est sûr que tu as compris ? » « Oui. » Il revenait le lendemain, ce n'était pas fait. Pourquoi ? Il ne me répondait pas. J'appelais les parents et ils me disaient : « Il ne comprenait pas la consigne. Tu ne l'expliques pas. » Je me souviens que dès les premières semaines, la psychologue m'avait dit qu'il était manipulateur et je ne l'ai pas crue. Je pensais : « Ça ne se peut pas. Il est tellement démuni. » Pourtant, j’avais vu ses constructions complexes en Lego. Un enfant qui a un déficit de l’attention n’est pas capable de rester longtemps à une telle tâche. Il y avait ses dessins aussi ; s'il faisait une maison en briques, il faisait tous les détails. Ça m’a pris quatre, cinq mois pour m’apercevoir, avec tous les petits indices qu’il m’a laissés, que ce n'était pas un problème d’apprentissage qu'il avait, mais un problème de comportement. Je me suis trompée, mais je me suis trompée avec ce que j’avais comme éléments.

Quant aux parents, j'ai aussi arrêté de les écouter tout le temps. Ils grugeaient beaucoup de mon temps et de mes énergies. Quand j'ai vu, en janvier, l'espèce de régression qui s'était passée en deux semaines, je me suis interrogée. Les parents me signifiaient qu'il n'écoutait pas, qu'il était résistant aux punitions, qu'il se couchait tard, qu'il avait peur. Je leur ai dit : « Peut-être qu'il vous niaise un petit peu. Moi je remarque que quand il est coincé, il agit. Alors, peut-être que s'il était coincé plus souvent... » Au début, quand j'ai dit aux parents que j'allais être ferme, ils n'étaient pas contents et ils sont allés se plaindre. Sur le coup, ça m'a fait de la peine. Et après, j'ai pensé : « Oui, c'est ça. Je suis plus ferme avec les parents et avec l'enfant. » Je pense qu'il y a beaucoup de liens à faire. Ils ne viennent plus à l'école une ou deux fois par semaine pour me parler comme avant. Je leur ai dit que ça prenait un rendez-vous pour me rencontrer. Ça me libère aussi.

Je pense qu'il a fait des pas, mais ce n'est pas encore gagné. Je suis contente, mais en même temps je suis déçue parce qu'il ne passera pas sa deuxième année (4). C'est ça, au début de l'année, qui me tourmentait tant. Je trouvais que la marche était haute, parce qu'il fallait absolument que je le sauve. Une clef importante est qu'il ne faudra pas lâcher, mais aussi il faut comprendre que je ne suis pas le seul facteur de réussite. Si ça ne se continue pas à la maison, c'est bien dommage, mais ça ne m'appartient pas et ça ne marchera pas. Ça a été une limite pour moi de me dire que ce n’était pas impossible d'arriver à ce qu'il réussisse dans ces conditions, mais ce serait très difficile. J’ai essayé d’aider les parents, de leur donner du temps. Je leur donnais beaucoup de privilèges à eux autres aussi. Si les 25 parents venaient me rencontrer sans rendez-vous, une à deux fois par semaine, je ne m'en sortirais pas. Le système dont ils se plaignaient, ils en abusaient aussi. Je me sentais aussi, quelques fois, un peu coupable : « Il faut que je sois disponible. » Ils disent tellement que les professeurs sont biens, qu'ils ont des vacances l'été. Je me disais : « Si je leur dis une limite, ça va confirmer ce qu'ils pensent. » Comme leur fils, ils ont besoin d’une limite. Je me suis usée à donner du temps et à me préoccuper.

Si j’avais un autre enfant de ce type-là ou une famille qui serait comme ça, je pense que dès le départ je mettrais des limites claires : voici ma tâche, voici mon rôle. Une de mes forces, c'est le contact avec les parents et je continue de croire à la collaboration avec les parents. Il faut être gentil avec eux, mais il faut mettre nos limites avec eux aussi.


1- L'enseignante rapporte une discussion avec les parents au sujet du redoublement de leur enfant

J'avais eu une discussion avec les parents, sur le pas de la porte, l'an dernier. Ils m'avaient demandé ce que je pensais à propos de faire redoubler un enfant avec le même enseignant. J'avais dit qu'il y a plein de choses à considérer, que ce n'est pas nécessairement mauvais. Dans une école où il y a deux, trois classes, on peut peut-être l'éviter. Quand on ne peut pas, comme ici, on vit avec cette contrainte. Personne ne s'en porte plus mal. S’ils tiennent vraiment à ce que leur enfant reprenne sa première année avec un autre enseignant, ils peuvent l'envoyer dans une autre école. Cependant, ça veut dire une nouvelle adaptation.

2- L'enseignante expose quelques interventions faites auprès des parents

Parfois, je peux lancer des messages aux parents. Une fois, j’ai été très claire avec un de ces parents sur les devoirs et les leçons. Le parent disait que l'enfant pleurait pendant une heure et que ça l'épuisait. Je lui ai dit que leur enfant était très brillant. Il a juste à pleurer une heure et après, il a la paix. Il peut aller écouter la télé, il peut jouer avec ses blocs Lego, il peut lire. Ça vaut la peine de brailler une heure pour avoir la paix. Les parents ne savaient pas comment intervenir autrement. Je leur avais dit de lui enlever des privilèges. Quand il ne fait pas ses devoirs, il ne joue pas aux Lego ou ne regarde pas la télé. C'est la seule fois où j'ai suggéré directement une intervention. La plupart du temps, je propose des lectures, de l’aide, mais ça leur appartient. Je leur ai proposé en lecture « Les parents ont le pouvoir », c’est ma bible, il est sur ma table de chevet. Mais ce n’est pas une recette. Je leur ai aussi parlé du CLSC où il y a des travailleurs sociaux qui peuvent les rencontrer et leur donner des trucs. Quelquefois, on fait des choses qui n'aident pas nos enfants. On ne fait pas ça pour mal faire, on les aime et on veut juste qu'ils soient heureux.

Au début, j’étais très « travailleuse sociale » avec les parents. Ça, c’était mon côté maternelle-maison. Quand j’y ai travaillé, j’ai animé des rencontres de parents sur les thèmes de discipline, entre autres. C'est un bagage qui me sert encore avec les parents à l'école. Par exemple, j’explique aux parents que, moi aussi, j’ai de la misère avec mes trois enfants. Parfois, ils doivent penser que mes enfants sont des monstres parce que je leur raconte toutes sortes d’histoires, mais c'est pour leur dire : « Je vous comprends. Moi aussi, je vis ça. Ce n’est pas insurmontable. »

3- L'enseignante parle d'une de ses valeurs, l'exigence

Oui, je suis exigeante, c'est ma façon de procéder. Je le sais que je suis exigeante, mais j'y crois à mes exigences. Et ça marche avec les autres. Pourquoi arrêterait-on les enfants ? Pourquoi leur dirait-on que c'est trop difficile ? Bien non ! Ils sont capables. Dans mes valeurs, il faut les pousser. Quand quelqu'un est capable, tu pousses, tu pousses, tu pousses. Tu ne dis pas : « Ah non. C'est trop difficile, arrête. » Si j'en ai qui sont capables d'écrire des textes de 20 phrases, c'est vrai que ce n'est pas du niveau de deuxième année, mais je ne les arrêterai pas au bout de 10 phrases pour leur dire : « Là c'est assez ! »

À un moment donné, j’ai pensé qu'il faudrait que je m’assouplisse un peu. Mais j'ai réalisé que c’est correct d'avoir un encadrement très serré, avec toute la douceur et le climat qui l'accompagnent. Je crois aux valeurs d’autonomie prônées dans ma classe. Devenir grand, c’est aussi respecter les règles et vivre avec les conséquences et les privilèges qui vont avec les règles. C’est l’histoire d'une vie.

4- L'enseignante parle du futur qui attend l'enfant et du suivi qu'elle est prête à offrir

J’ai de la misère à couper le cordon, au mois de juin. Je veux le meilleur pour cet élève, je veux qu’il continue d’avancer. Je ne veux pas qu’après, parce qu’on prend une décision administrative, ce soit fini. Il a fait des pas et je voudrais que ça serve. La décision finale n’est pas prise encore. Mais c’est clair qu’il ne peut pas rester ici, parce qu’il demande trop ; il fait encore des crises. Je voudrais communiquer avec les gens qui vont continuer de travailler avec lui, mais il y a deux lignes de pensée là-dedans. Il y a des enseignants qui ne veulent rien savoir à propos des élèves qu’ils reçoivent : « Je vais me faire mon idée par moi-même. » Je ne crois pas ça. Si quelqu’un investit dix mois de travail avec un enfant, j’ai le goût de le savoir. Après, je fais ce que je veux de ce que l’autre adulte m’a dit. Quand j’ai travaillé fort avec un enfant comme ça, j’ai le souci de dire : « Regarde ! J’ai fait ça. C’est ça que j’en pense !», le plus objectivement possible, sans porter de jugement de valeur. Je pense que je suis professionnelle, je suis capable de faire ça. Après, il en fera ce qu’il veut, mais j’ai le sentiment du devoir accompli. C’est sûr que, parfois, ça peut te jouer des tours. Par exemple, je savais un petit peu ce qui s’en venait et peut-être que je me suis laissée influencer par ça. Je ne pouvais pas faire complètement abstraction de ça. Quand un élève arrive d’une autre école, quelquefois, c’est le choc. J’en ai eu des téléphones d'enseignants concernant des enfants qui sont partis d’ici disant : « Qu’est-ce que tu as essayé ? » Je vais avoir le souci avec cet enfant-là de dire : « Écoutez, c’est le chemin que j’ai fait. » S'ils veulent tout recommencer à zéro, c’est correct. Peut-être que dans un autre contexte, il va avoir à s’adapter à autre chose aussi.