© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : C’est le récit d’une enseignante de 27 ans d’expérience. Elle enseigne pour l'instant en quatrième année, un degré qu’elle affectionne particulièrement. Elle nous explique le fonctionnement de sa classe : un fonctionnement non traditionnel, qu’elle a mis en place il y a une vingtaine d’années et qu'elle continue de perfectionner au fil des années.

TITRE: CINQUANTE MILLE CHOSES À FAIRE !

Je travaille en gestion participative (1). J'aime que les enfants gèrent leurs apprentissages eux-mêmes, les devoirs y compris. Cette année-là, j’avais un groupe d’élèves intéressants qui avaient le goût de s’impliquer dans des projets. Je leur donnais donc le plan d'études de la semaine (P.E.I., qui signifie plan d’études individuelles). Ils avaient à le placer eux-mêmes dans leur horaire. Ils géraient aussi leurs travaux à la maison. Ça fonctionnait assez bien en général.

Il faut dire que c’était un fonctionnement tout à fait nouveau pour eux. En ce qui concerne la gestion du travail personnel et des devoirs, ils n’avaient pas eu l’occasion de développer leur autonomie. Il est donc certain que cette année-là, comme les précédentes, j’ai pris le temps de les initier doucement à une telle gestion. Habituellement, en novembre, c’est implanté et ça roule assez bien pour la majorité des élèves.

Les enfants aiment mon fonctionnement, parce que c'est nouveau. Ils font des choix et ils ont l’impression d’avoir un certain contrôle. D’ailleurs, je leur rappelle souvent, de même qu’à leurs parents, qu’ils sont responsables de leurs apprentissages. Naturellement, il y a toujours des élèves que je dois accompagner davantage. Cependant, cette année-là, j'en avais un (et je ne m’y attendais pas) qui avait vraiment besoin d'être plus encadré, plus structuré. Ce qui m'a amenée à m'ajuster. C’est de cela dont il est question dans mon récit.

Alors, comme je l’ai mentionné, ça fonctionnait bien : mes élèves complétaient leur horaire avec le plan de travail (P.E.I.) que je leur présentais en début de semaine. Ils choisissaient même leurs devoirs à l’intérieur de ce plan d’études. Ils avançaient donc à leur rythme. C'est sûr qu'il y en a qui prennent du retard et je suis alors obligée d'intervenir... Parfois, quand le retard est trop grand et que je sais qu’ils ont perdu du temps dans la semaine, ils doivent apporter leur sac la fin de semaine afin de se rattraper. Les autres élèves qui n’ont pas nécessairement perdu de temps, mais qui sont en difficulté d’apprentissage, je les garde avec moi à la récréation ou après l’école et je termine avec eux. Dans la classe, il y a un tableau de contrôle qui permet aux élèves de visualiser les travaux qu’ils ont terminés ainsi que ceux qu’ils doivent faire. J’ai également une feuille de consignation. Si, par exemple, ils ont un retard dans un travail en particulier et que je tiens à ce qu’ils le terminent dans les plus brefs délais, je mets un point de couleur rouge. Cela signifie que l'échéance est fixée pour le lendemain. Ils savent alors qu’ils perdront leur récréation ou une partie de cette dernière afin de terminer le travail en question. On a des difficultés souvent en quatrième année à recevoir les travaux au moment où on les demande.

De plus, je donne les leçons pour la semaine. Je les demande le vendredi, puis les parents doivent signer le résultat le lundi suivant, après que l’enfant ait fait sa correction. Cela a été expliqué aux parents (2). Ces derniers aiment bien ce fonctionnement. Ainsi, ils peuvent mieux suivre les progrès de leur enfant. Ce sont des règles établies dans la classe, les parents et les enfants les connaissent bien. Les élèves doivent revenir avec la récitation des leçons corrigée et signée le mardi matin. Si ce n'est pas fait, ils partent avec leur sac le midi. Ça les tanne énormément, mais on n’a pas beaucoup de moyens ; c’est d’ailleurs ce que j'explique aux parents lors de la rencontre en début d’année.

Après trois semaines, les élèves qui ont conservé une moyenne de 80 % dans leurs récitations n’ont pas de leçons la semaine suivante. Cette semaine-là est utilisée pour permettre aux autres élèves de réviser ce qu’ils maîtrisent moins bien. À part la récitation des leçons, je leur demande également des produits de facteurs (tables de multiplications) que je vérifie de la même façon à tous les vendredis. Ils doivent également corriger et faire signer cette feuille par leurs parents le lundi soir. Selon leurs résultats, ils étudieront la table suivante pendant la semaine en cours ou ils réviseront. Ils avancent donc à leur rythme, là aussi. Je peux avoir un élève qui étudie les tables deux, trois et quatre, pendant qu’un autre se rend jusqu’à sept.

Un beau mardi matin, j'ai un petit « Pit » qui me remet sa feuille de calcul mental de la semaine précédente, ni corrigée, ni signée. Il n’a pas plus de deux ou trois fautes ; c’est un enfant qui a beaucoup de facilité en mathématiques. Toutefois, c’est aussi un enfant qui me remet très souvent ses travaux en retard et il a toujours une raison à invoquer. À l’heure du dîner, je lui dis donc, ainsi qu’à deux autres camarades, qu’ils doivent apporter leur sac. L'adrénaline monte très vite chez mon jeune ami ; il s'en va dans le corridor et il est vraiment hors de lui. Les deux autres s'en vont sans rien dire, mais lui, il bourrasse en prenant ses affaires et sort dans le corridor.

Je n'attache pas d'importance à l’événement, je ne réagis pas ; je le laisse faire. Comme il n’y a presque plus d’enfants dans le corridor, je rentre dans ma classe et me remets au travail. Je l’entends bien bougonner et dire qu’il ne reviendra plus à l’école, mais je n’en crois rien. Un enfant lui dit qu’il ne le croit pas et qu’il reviendra à l'école comme prévu. D’ailleurs, cette petite fille est venue m’en informer, mais je lui ai répondu qu’il a dit cela parce qu'il était fâché.

Je savais qu'il m'aimait bien et qu’il se sentait bien dans ma classe. Pour moi, ça ne se pouvait pas qu'il fasse quelque chose d'épouvantable, parce que c'est un petit gars qui aime rire, qui aime s'amuser ; il a bon caractère. Je ne l’avais jamais vu en colère. De plus, chaque fois qu’il arrivait à l’école ou en repartait, il avait toujours quelque chose à me raconter dans le corridor. Même que je trouvais cela un peu agaçant parfois.

Il est donc parti ainsi. Pour ma part, je suis allée dîner à la salle des profs. À un moment donné (30 à 40 minutes environ), je vois mon petit bonhomme qui se pointe le nez dans la porte ; il veut me parler. Il est encore en colère. C’est là que j’ai réalisé pour la première fois comment il était impulsif. Je vais donc le rejoindre. Il est accompagné de son beau-père (c’est une famille reconstituée). Ce dernier veut savoir ce qui se passe, parce que son gars est arrivé à la maison, en voulant tout arracher tellement il était enragé. Je lui explique donc la situation. Puis, je m’adresse aussi au jeune en lui disant : « Écoute, tu as des choses à faire, c’est ton rôle d’élève. Tu respectes les échéances. » Je profite également de l’occasion pour dire au père qu'il a du retard et que les échéances sont rarement respectées.

Ce qui m'a particulièrement frappée au cours de cette conversation, mais je ne l’ai pas réalisé sur le moment, c’est une phrase qu’il m’a dite : « On a cinquante mille affaires à faire ! » Je le vois encore avec ses bras dans les airs. Le petit gars me dit ça dans sa détresse, dans sa colère : « cinquante mille affaires à faire. » J'explique alors au père comment je fonctionne et pourquoi c'est une règle de la classe (le sac le midi). Je dis même à l’enfant : « Je ne comprends pas pourquoi tu te fâches comme ça ce midi, ce n'est pas la première fois que ça t'arrive. Il y en a deux autres qui sont dans la même situation et ils n'ont pas fait de colère comme ça. C'est une règle de la classe que tu connais ; ce que tu dois faire c'est tout simplement apporter ton sac avec toi... Je veux que tu prennes le temps de dîner, que tu te reposes. Tu subis cet inconvénient parce que ta feuille n'est pas encore corrigée, ni signée et en plus de cela, ça fait longtemps que j'attends après. Ça devait être fait la semaine dernière. »

Il a vraiment pris la mouche pour une niaiserie. À ce moment-là, je pense qu'on s'est expliqué. J'essaie vraiment, à la fin de l’entretien, que ça se termine bien. D’ailleurs, je trouve important qu’il en soit toujours ainsi. Il repart de bonne humeur. Selon moi, ça s'est bien terminé ; je suis satisfaite et je pense que le père l'est aussi. L'explication a duré une dizaine de minutes, je crois. Dans l’après-midi, nous commencions par une période d’ateliers ; les élèves adorent cela. Quand je reviens en classe, je l’observe pour m’assurer que tout se passe vraiment bien. Son attitude n’a rien d’inhabituel. Puis, je surveille aussi les autres élèves parce qu'il y en a qui ont eu connaissance de sa colère et ils lui avaient dit : « Tu vas venir à l'école quand même. » Je craignais que les enfants l'agacent un petit peu ; ils pouvaient fort bien revenir là-dessus dans l'après-midi pour le narguer. J’ai donc surveillé cela de près, mais ça ne s'est pas produit. Je suis restée près d’eux quand ils se sont déshabillés et il n'y a pas d'enfants qui ont relevé ce qu'il avait dit en partant. Lui, comme d’habitude, il jasait, il était vraiment de bonne humeur. C'est un enfant qui est expressif et qui parle beaucoup ; il est plutôt extraverti.

Une fois dans la classe, nous avons fait notre période de dix minutes de relaxation, comme d’habitude, et il l’a très bien faite. Ensuite, les deux autres m'ont donné leur feuille signée et complétée. Lui, il me remet sa feuille, mais il n'y a rien de fait encore : ni correction, ni signature. Je le fais venir à mon pupitre et lui dis : « Regarde, je t'avais demandé de la faire signer ; je sais que ton père l'a vue, mais ce n'est quand même pas signé. De plus, tu n’as pas encore corrigé tes erreurs. Je veux que tu reviennes sans faute avec la signature demain matin, mais en attendant, tu prends ton matériel (lexique mathématique) et tu vas me corriger ces deux ou trois erreurs à l’extérieur de la classe. Il y a des règles que nous avons établies ensemble et qui doivent être respectées. Tu vas donc aller faire ce que je t’avais demandé et tu reviendras faire des ateliers avec les autres par la suite. Prends ton lexique, ce sera encore moins long. » Je n’étais vraiment pas contente. J’avais quand même été claire et ferme avec le père le midi et je n’avais pas du tout l’intention de revenir sur cette règle. C'est une question d'équité pour les autres aussi. De plus, ça faisait plus d’une semaine que j'attendais après cela et il avait un important retard sur les autres dans le plan de travail. C'était finalement une question de principe ; je trouvais qu'il m'avait assez niaisée.

Il prend donc ses affaires puis il sort calmement, sans bougonner, ni bourrasser. Je ne me méfie pas du tout de ce qui m'attend, pas du tout. Les autres élèves sont en ateliers et j’interviens auprès d’eux selon les besoins. Ça faisait peut-être une dizaine de minutes qu’il était sorti et il n’était pas encore revenu. Ce que je lui avais demandé ne pouvait pas lui prendre autant de temps. Je sors dans le corridor. L’enseignante en face de ma classe y était avec un élève. Je lui demande alors si elle n’avait pas vu l’un de mes élèves quitter l’école, c’est à cela que j’ai tout de suite pensé. Elle me répond qu’il est effectivement sorti : « Il s'est habillé et il a quitté l’école. » Je reviens alors en classe pour récupérer ma liste d’élèves et leurs numéros de téléphone.

Je vais appeler à la maison, car je savais que le beau-père devait être là. C'est sa mère qui me répond, je lui dis alors : « Je vous appelle pour vous prévenir qu'il y a un problème avec votre fils actuellement. » Elle dit : « Oui, en effet, il rentre le problème. » Elle était calme et positive. Comme je n'avais pas eu d’explication avec elle, je lui raconte ce qui s'est passé le midi. Je lui demande de le ramener en classe. Elle me dit : « C'est beau, on vous le ramène immédiatement. »

Toutefois, cela a pris un certain temps. Quand il est revenu, il avait les yeux rouges, il avait probablement pleuré. Je ne dis rien, il s'assoit à sa place, il fait ce qu'il a à faire comme s’il ne s’était rien passé. À la récréation, je passe près de son pupitre et je lui demande s'il prenait l'autobus le soir ; il ne le prenait pas. Je lui dis donc : « Je pense qu'il y a des choses qui ne sont pas réglées, il faut vraiment qu'on se parle tous les deux. » Il est très réceptif. C'est un enfant souriant, beau comme un cœur. Je n'aurais jamais pensé qu'un enfant comme ça aurait réagi de cette façon. C'est pour cela que je ne m'en suis jamais méfiée. C'est un enfant qui est toujours de bonne humeur ; il n'aime pas l'école plus qu'il ne faut et comme plusieurs élèves, il préfère jouer. En équipe, c'est sûr qu'il faut que j'aille le voir de temps en temps, car il va parler de choses et d'autres, mais il est toujours de bonne humeur.

Comme prévu, après l'école on se parle : « Tu sais, tu ne dois pas être bien avec ce que tu as vécu aujourd’hui, mais ce que je veux te dire, c'est que moi aussi je n'étais pas très bien. Quand j'ai constaté que tu étais parti, je n'ai pas vécu cela très bien. Tu m'en voulais probablement pour une raison que j’ignore. Je pense que tu as réagi à quelque chose que je t'ai dit ou que je t'ai fait. Toi, es-tu capable de me le dire ? » Il me dit que non, que lui parfois il est comme ça : « C'est vrai que ces temps-ci je suis souvent comme ça, je me fâche. » Il est très calme, il me dit qu’il n'avait rien contre moi et je pense qu'il était sincère. Je termine ainsi : « J'aimerais ça, quand il y a quelque chose, ou que tu es trop fâché après moi, que tu me dises : Là, je suis fâché après toi, je veux qu'on se parle. » Il est d’accord et s’en retourne à la maison comme si rien ne s’était passé.

L'incident est clos pour lui, mais pas pour moi à cause de sa fameuse phrase qui me revient en tête : « On a cinquante mille affaires à faire. » Elle me travaille cette phrase-là parce que je sais bien qu'ils n'ont pas cinquante mille choses à faire, mais c’est sa façon à lui de me dire qu’il est dépassé par les événements. Cela m'a donc amenée à réfléchir sur ma fameuse feuille que je trouvais extraordinaire et à me dire qu'elle ne convenait peut-être pas à tout le monde. Elle amène les élèves à gérer leurs devoirs ainsi que leurs travaux en classe afin de compléter leur plan de travail pour le vendredi. Il est clair que cet élève avait de la difficulté à se gérer, à s’organiser dans tout cela. Même que plus tard, je lui ai dit : « Tu sais, j'ai compris ce que tu voulais dire par On a cinquante mille choses à faire. ».

Dans le fond, il faut lire entre les lignes (3). Je savais que ça cachait quelque chose, qu'il était dépassé finalement. S’il se sent comme cela, il y en a sûrement d'autres aussi. C'est peut-être trop leur demander, en quatrième année, de gérer tout ça. Je suis vraiment restée accrochée à cette phrase, elle me revenait souvent à l’esprit et je me suis dit qu'il fallait que je change quelque chose. Lui, il était surchargé ; il ne savait plus par quel bout prendre cela, je pense. C’était finalement comme un appel au secours et il fallait que j’intervienne.

C'est un enfant très agréable, même qu'à chaque fois qu'il entre le matin, il a toujours quelque chose à me raconter. C’est aussi un enfant qui apprécie grandement les récréations. En ayant souvent du retard dans son travail, il en a perdu quelques-unes, car si un projet n'est pas fini à telle date, bien là, ils doivent le finir à la récréation. C'est sûr que je les aide mais bon, même s'ils perdent cinq minutes, c'est cinq minutes de moins pour s’amuser avec les copains.

J'ai donc changé ma feuille de route pour le plan de travail. Au lieu qu'ils aient tout sur une même feuille, j'ai séparé cela en deux. Ils continuent à gérer leurs devoirs comme je voulais qu'ils le fassent, mais c'est sur un plan de travail unique, c’est à part. Pour les travaux personnels, le plan de travail est sur une autre feuille. Ils ont donc deux P.E.I. différents qui sont conservés dans des transparents de deux couleurs différentes.

Cela a vraiment contribué à diminuer le stress chez les élèves en difficulté. Les travaux personnels, ils n'ont pas à les finir à la maison. Ils vont cocher quand ils commencent un travail et quand ce dernier est terminé, je fais un deuxième crochet. Ils ne peuvent pas commencer plus de deux travaux en même temps. Il y a de la consolidation, des projets d'écriture, etc. Pendant la période de travail personnel, je circule pour les aider et ils font leur autocorrection. À la fin, je ramasse le tout pour vérifier et corriger les plages que je me suis gardées. Ce n'est pas à finir à la maison, il y a juste les P.E.I. devoirs qui doivent être complétés pour le vendredi. Le travail se fait à la maison. Le P.E.I. des travaux personnels reste à l’école.

Quand tout était sur le même P.E.I., l’élève devait décider lui-même ce qu’il faisait à l’école et ce qu’il réservait pour la maison. Pour l'enfant qui a de la difficulté à s’organiser, c’est plus difficile. S’il n’arrive pas à en faire suffisamment en classe, il a donc plus de travail à la maison. Par contre, avec la façon dont je fonctionne maintenant, je trouve que c'est vraiment mieux. Ça respecte davantage leur rythme.

Si son « cinquante mille choses à faire » m'a autant chicotée, c’est parce que dans le fond je savais que ça s'adressait à moi ; c’était un message qui m’était destiné. Il a eu beau dire : « Je suis comme ça ces temps-ci... », c'est contre moi qu'il a réagi. Même si c’est un enfant très impulsif, l’avenir l’a d’ailleurs clairement démontré, il faut quand même toujours être à l’écoute. Si les élèves sont bien, s’ils se sentent respectés, ils seront plus réceptifs.

J'ai choisi cet événement parce que je trouvais qu'il m'a fait avancer beaucoup cette année (4). Je trouve aussi que ça nous a rapprochés beaucoup tous les deux. Cela a même développé une certaine complicité entre nous ; il a le goût de me faire plaisir, il fait son possible pour bien travailler, il est fier de lui. Il a progressé aussi dans ses apprentissages. D'élève faible, je dirais qu'il est passé à élève moyen. Son estime de soi a augmenté parce qu'il se sent plus compétent étant donné qu'il est capable de mieux gérer son travail. Il fallait que je le récupère parce que pour moi, un enfant qui n'est pas bien dans ta classe et qui ne t'aime pas ne peut pas apprendre ; il ne peut pas fonctionner.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, les autres élèves de la classe n’ont eu connaissance de rien. Vers la fin de l’année, c’est lui qui en a parlé à certains d’entre eux et comme ils ne le croyaient pas, il est venu me trouver pour que je leur confirme que c’était bien vrai ce qu’il leur avait raconté.


1- Elle nous en dit un peu plus sur sa gestion participative

Je ne suis pas capable d'enseigner de façon traditionnelle. Dès mes premières années d'enseignement, j’ai commencé un fonctionnement plus individualisé. J’ai d’ailleurs été encouragée par une stagiaire. C'est vraiment elle qui m'a aidée au début à ne pas tout lâcher parce que, quand j'ai commencé à travailler, je tentais d’individualiser, mais j'avais juste ma petite tête à moi. Je n'avais suivi aucun perfectionnement.

Je voulais toujours savoir lesquels, parmi mes élèves, avaient compris ou n'avaient pas compris. Alors, pour le savoir, il faut que tu leur fasses faire le travail, que tu le corriges ensuite. Des élèves qui attendent à mon pupitre, je ne pouvais pas supporter cela. Je me ramassais avec des piles de cahiers puis je me disais : « Il faut que je trouve une façon de procéder autrement. » Leur faire faire le travail et qu'on corrige tous ensemble après, alors qu'il y en a les trois quarts qui n'écoutent pas, je ne suis pas capable de supporter cela.

Je ne me souviens pas avoir enseigné deux ans de suite de la même façon. Je ne comprends pas qu’on puisse le faire non plus, parce qu'on n'a pas les mêmes enfants ; ils n’ont pas les mêmes besoins. Je n'utilise pas non plus tout à fait le même matériel d'une année à l'autre ; ça dépend vraiment des enfants. J'ai accumulé beaucoup, beaucoup de matériel. Il y a toujours des nouveautés qui sont éditées à chaque année. Si je trouve ce matériel intéressant, je m’en procure un, quelques-uns ou même une série d’exemplaires que j’exploite selon les besoins de ma classe.

J'aime beaucoup les défis, les projets de toutes sortes. Il est essentiel que j’aie de nouveaux défis à relever, de nouveaux projets à présenter à mes élèves. C’est probablement à cause de ce besoin que j’ai toujours continué à me perfectionner. Ça me nourrit, ça m’ouvre la porte à des expériences nouvelles dont je peux faire profiter mes jeunes.

2- La relation avec les parents

Je donne mon numéro de téléphone aux parents parce que je veux régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. D’ailleurs, les relations avec les parents, les enfants en bénéficient, car ça évite les malentendus. De plus, ça me permet de recevoir de temps en temps des feed-back des parents en ce qui concerne les travaux à domicile. C’est d’autant plus important pour moi que je sais qu’il faut que je fasse attention, car je suis un bourreau de travail. Je dois toujours veiller au grain, vu que j’ai tendance à croire que tout le monde est comme moi. Les commentaires occasionnels de certains parents me permettent parfois de m’ajuster et je les apprécie.

Il y a plusieurs années (je n'oublierai jamais cet événement), une mère avait laissé un message à la secrétaire de l’école disant de la rappeler le plus tôt possible. Dans ce temps-là, j'écrivais les travaux sur le tableau vert. Les élèves avaient à choisir les travaux qu'ils voulaient faire ainsi que la date à laquelle ils prévoyaient terminer. Je regardais l’échéance fixée ainsi que le travail choisi et j’approuvais le P.E.I. en question ou je le modifiais avec l’enfant. La mère me dit, (je n'en ai pas dîné ce midi-là tellement ça m’a troublée) : « J'ai un problème, ma petite fille avait des tics nerveux avant, mais ils avaient complètement disparu. Mais, voilà que c'est tout en train de revenir. » Elle ne m'accusait de rien ; la mère comme la petite fille étaient des personnes très gentilles. De son côté, elle s'inquiétait seulement et me demandait si j’avais remarqué la même chose à l'école. Mais moi, j'ai plutôt compris que pour cette enfant, le fonctionnement était peut-être trop exigeant. C’était une petite fille perfectionniste et, de plus, j’étais à mes débuts de carrière. Je l’ai donc observée dans l’après-midi pour constater que la mère avait effectivement raison. Je me suis donc approchée de la petite et lui ai demandé si elle trouvait cela stressant d’avoir des travaux comme avec des échéances à respecter. Nous avons discuté et j’ai constaté que c’était effectivement le cas. J’ai dit aux enfants : « Ça ne fonctionne pas très bien de cette façon. On va reprendre tout cela, mais autrement. »

Au cours de mes années d’enseignement, j’ai fait cela très souvent. C’est probablement pour cette raison que j’ai tenu le coup avec peu de perfectionnement au départ et que maintenant, je me sens aussi bien. Je n’ai jamais craint de dire aux enfants que je m’étais peut-être trompée et que, par conséquent, je modifiais telle ou telle chose. Ils l’ont toujours apprécié. De plus à chaque année, il y a toujours des enfants que je laisse filer davantage et d’autres que j’encadre plus ; ils ont des besoins différents.

Dans les messages des parents comme dans ceux des enfants, j’essaie toujours de décoder ce que leurs mots sous-entendent. Sans être obsédée, parfois cela permet des ajustements qui sont facilement réalisables et qui peuvent rendre service à tout le monde. Si tout le monde est heureux, on passera une meilleure année scolaire et les apprentissages passeront probablement mieux. Finalement, il est important de sécuriser les parents comme les enfants. Je fais donc toujours attention quand je leur parle. Souvent je vais commencer par les sécuriser et ensuite je leur dis : « Je vais regarder ça demain avec votre enfant ou je vais l’observer, puis on va se réajuster s’il y a lieu. Si vous trouvez que la situation ne s’améliore pas, rappelez-moi. »

3- Ce qu'elle entend par « lire entre les lignes »

Ça fait quand même longtemps que je travaille en gestion participative et je m'ajuste en fonction des élèves. Pour certains d’entre eux, il faut en demander moins. Malheureusement, on a tendance à ne pas trop en enlever parce qu'on veut tellement qu’ils progressent. De plus, il y a des projets qui sont intéressants et ils veulent les faire, eux aussi. Il faut être vigilant et décoder les messages verbaux et non verbaux. Par exemple, j'en ai un actuellement qui est de niveau de troisième année en mathématique. J’ai donc du matériel de troisième année pour cette matière. En français, c'est notre matériel de quatrième que j'adapte pour lui.

Les enfants qui ont des gros retards d'apprentissage ont souvent de la difficulté à s'organiser, sauf que cette façon de procéder les aide à apprendre, à se planifier. Au début, c'est moi qui prends le contrôle. Je les guide : « Bon, là, tu as fait ça. O.K. Maintenant tu fais quoi ? » Je les laisse aller puis, si ça ne va toujours pas, je reprends le contrôle. Parfois même, il faut qu'ils viennent me le dire quand ils ont un devoir à choisir eux-mêmes : « C'est ça que je veux faire ce soir. » J’accepte, je les encourage ou je discute avec eux si je crois qu’ils n’ont pas vraiment fait un choix judicieux. Il faut comprendre les messages, lire entre les lignes, s'ajuster et récupérer surtout parce qu'il ne faut pas que tu perdes aucun des enfants qui sont devant toi. Ils ne peuvent pas apprendre s’ils détestent ou en veulent à la personne qui est devant eux à tous les jours. C'est nous les adultes qui devons récupérer l’enfant en difficulté.

Pour revenir à mon récit, je ne pouvais pas comprendre qu'une règle ordinaire de la classe ait déclenché cette réaction. Il avait déjà apporté son sac dans le passé. Pour moi, il était clair que son comportement cachait autre chose ; il me fallait donc le découvrir et récupérer le tout.

4- Savoir doser ses exigences

J'ai tendance à confier beaucoup de responsabilités à mes élèves. Je considère que ce sont eux les acteurs principaux ; ils sont responsables de leurs apprentissages. Les intervenants autour doivent jouer uniquement le rôle de guide. Toutefois, il faut faire attention, car tous les élèves ne sont pas rendus au même point dans leur cheminement. Il y en a qui ont besoin d’être plus encadrés.

Lorsque j’élabore les plans de travail (P.E.I.), je trouve toujours cela difficile à doser. J’y mets beaucoup de temps. En début d’année, à chaque vendredi, je demande aux élèves de compléter une feuille d’évaluation sur laquelle on retrouve les éléments suivants : ce que j’ai le plus aimé dans ma semaine, ce que j’ai le moins aimé, ce qui m’inquiète ainsi que les questions que j’ai le goût de poser à mon prof. Lorsque c’est pertinent, je leur réponds et je dépose ma réponse sur leur pupitre le lundi matin. Ça me permet donc de voir comment se porte ma classe, s’il y a des éléments que je devrais modifier, etc.

Je les observe également lorsqu’ils travaillent seuls ou en coopération. Ils ont aussi des évaluations à faire de leur équipe de travail. Cela les fait progresser beaucoup. Il y a toujours des élèves qu’il faut surveiller du coin de l’œil. Pour certains élèves, je vais même jusqu’à leur dire : « C’est assez, tu restes assis, tu finis telle et telle chose. Je reviens te voir dans 10 minutes. » Après les Fêtes, les élèves sont assez habiles. Ils deviennent de plus en plus autonomes et les parents constatent également des changements à la maison.

Il faut prendre le temps de les connaître au début de l'année. Je commence tranquillement. En même temps que j'aborde ma façon de travailler avec eux, je les sécurise beaucoup et leur demande souvent des rétroactions. J'apprends aussi à les connaître, à voir qui ils sont. Parfois, il va m'arriver de m'interroger pour un enfant ; je vais même aller voir l’enseignante de l'année précédente. Il faut leur donner le temps de s'adapter ; après, ça baigne dans l’huile car ils se sentent respectés. Ils apprécient beaucoup le fait d’avoir des choix à faire, d’avoir leur mot à dire dans la classe. Les conseils de coopération sont également aidants à ce sujet.

Finalement, je fais toujours une classe nature en tout début d’année. Cela m’aide énormément à installer un bon climat de classe. Quand ce dernier est acquis, le reste suit. J’ai souvent des anciens élèves qui viennent me voir et me disent comment ils ont aimé leur quatrième année et le fonctionnement de la classe. De plus, j’ai toujours pris en considération les commentaires qu’ils me faisaient lors de l’évaluation de notre année à la fin du mois de juin. Je crois que c’est tout cela qui m’a permis de bien évoluer et je suis très satisfaite de ce que je fais, de ce que je vis actuellement avec mes élèves.