© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Le récit que vous allez lire est celui d'un enseignant de mathématiques de deuxième secondaire. Il a 27 ans d'expérience en sciences (chimie, physique, biologie, sciences physiques et écologie) et en mathématiques (première, deuxième et troisième secondaire). Il a également une expérience en animation, en chant et en théâtre. Cet enseignant a occupé des postes de direction par intérim à 2 reprises et, l'année précédant son récit, il a travaillé comme conseiller pédagogique à sa commission scolaire. Dans le cadre de ce travail, il a donné des perfectionnements sur l'enseignement stratégique et sur les nouveaux programmes de mathématiques au secondaire à plusieurs enseignants de sa commission scolaire.

TITRE: LE RETOUR...

Le choix du récit

Je me suis donc retrouvé, en septembre cette année, avec quatre groupes d'élèves que je ne connaissais pas, ayant été absent l'an dernier. Quand on est là, certains enseignants nous parlent de leurs groupes ou de certains élèves ; de sorte que, l'année suivante, quand on reçoit nos groupes, on a déjà une idée... Donc là, je ne les connaissais pas et eux non plus ne me connaissaient pas. J'étais, pour eux, un nouvel enseignant venu de nulle part. Dans les premières périodes avec mes quatre groupes, j'ai établi mes règles de vie dans la classe (1), j'ai fixé mes limites. J'ai aussi commencé à me faire une idée de chacun. Un groupe me semblait plus intéressant parce qu'il avait l'air un petit peu plus dynamique, un autre que je qualifierais de normal et les deux autres constitués d'élèves démotivés : des élèves en mesure d'appui qui reprenaient leurs mathématiques de deuxième secondaire pour la deuxième, troisième et même quatrième fois. Mais voilà, mon récit ne parlera pas des élèves en difficulté, parce qu'avec eux j'ai été obligé dès le début de réagir autrement ; Ils n'avaient pas les mêmes besoins que les élèves du régulier. Je parlerai plutôt d'un des groupes réguliers, plus précisément celui où je pensais que tout irait pour le mieux. Je veux, par ce récit, démontrer que tout n'est pas facile, même avec de l'expérience. On ne pose pas nécessairement les bons gestes du premier coup et il faut souvent s'ajuster à la clientèle que nous avons devant nous. À la fin du récit, vous verrez que le problème n'est pas encore complètement résolu et qu'il ne le sera peut-être pas ; c'est aussi pour cela que j'ai voulu vous en faire la narration.

Un mois de septembre en questionnement

J'ai de la misère : comparativement à mes autres années d'enseignement, ça ne marche pas. J'ai beau essayer des stratégies, il y a toujours quelque chose qui cloche. Au début tout le monde était souriant, tout le monde avait l'air vivant. Je me disais : « Ils sont vivants et je vais y arriver. » Tout ce que je posais comme geste avait l'effet inverse de ce que je voulais. Prenons, par exemple, ceux avec qui je pensais pouvoir m'amuser. Si je leur disais : « Qu'est-ce que vous avez fait en fin de semaine ? », ils ne disaient rien et je pouvais percevoir dans leur tête que leur réponse était : « Écœure-nous pas avec ça, c'est notre monde et on ne veut pas le partager avec toi. » La classe était muette et j'étais incapable d'entrer en contact, donc je n'avançais pas.

J'essaie de poser les mêmes gestes que je répète depuis des années, mais il n'y a rien qui se passe. C'est le silence et là je me rends compte que c'est comme s'ils me disaient : « T'es payé pour nous donner des cours alors donne-les. Nous autres on ne veut rien savoir de toi à part ça. » Mes petites règles de fonctionnement sont déjà contestées par certains, mais je continue quand même en me disant : « J'ai peut-être perdu l'habitude avec eux autres. »

Septembre se passe et pendant tout ce temps je me dis : « Ça va se tasser. J'ai les mêmes habitudes que j'avais avant. Je veux leur parler, avoir un contact avec eux et surtout avoir du plaisir à leur enseigner. » Pourtant, il n'y a rien qui marche.

Il y a dynamique et il y a excité

Nous nous trouvons alors à peu près à la fin de septembre et je me suis buté jusque-là à toutes sortes de situations : des élèves qui n'écoutent pas, des élèves qui font autre chose que ce que je demande en classe, sans parler des élèves qui répliquent sur tout ce qui se dit en classe. Je ne me retrouvais plus dans mon monde régulier ; je me suis alors remis en question. Je me suis dit : « Est-ce que ça se peut qu'après un an, tu sois déconnecté de la réalité ? Tu ne sais plus comment enseigner, tu ne sais plus comment les prendre. » Ces réflexions ont été très dures, parce qu'elles remettaient en question cette année à perfectionner mes pairs en enseignement stratégique. Je n'arrivais pas à être stratégique dans tout ce que j'essayais et j'en avais toujours des contrecoups.

J'ai décidé de me retourner vers mes pairs et je leur ai avoué que j'avais des problèmes avec un groupe. À ma grande surprise, on m'a dit : « Nous avons tous le même problème ; ces groupes-là sont difficiles et nous sommes incapables de les arrêter. En première secondaire, ils étaient pareils. » Ce fut un soulagement et je me suis senti un petit peu moins coupable. Puis, à partir de cet instant, j'ai voulu essayer quelque chose d'autre pour que ça fonctionne. Tant et aussi longtemps que je me remettais en cause par rapport à mon année à titre de non-enseignant, c'est comme si je me disais : « C'est juste de ta faute. » J'avais alors pris conscience qu'il fallait que j'essaie autrement, car les élèves étaient eux aussi en cause.

Actions-réactions. Petit à petit on comprend et on s'ajuste

Voici un exemple des actions posées dans ce groupe depuis le début de l'année. Si je parlais, il y en avait au moins 5-6 qui parlaient entre eux et cela, je ne pouvais le supporter. Donc, j'ai posé un premier geste : quand ils parlaient, je me taisais, mais voilà, ils ne s'arrêtaient pas tout de suite. Il fallait beaucoup de temps avant qu'ils ne s'arrêtent. J'essayais de leur expliquer : « Êtes-vous conscients qu'on vient de perdre 5 minutes parce que vous parlez en même temps que moi ? », mais ça ne changeait rien. J'ai dû faire au moins une dizaine d'interventions du type : je m'arrête, j'attends, j'explique un peu ce qui se passe puis je recommence le cours. Le temps du cours, ils se calmaient et le lendemain, c'était à recommencer ; j'en perdais un peu mes moyens...

Pourtant, j'essayais d'être stratégique : j'écrivais au tableau ce que je voulais faire, je leur disais exactement les objectifs que je voulais atteindre. J'appliquais mon modèle en me disant : « Si je leur dis où on s'en va, si je leur donne ma façon de voir ces choses-là ; si je leur explique que tout peut devenir facile si on s'applique ensemble, il me semble qu'ils devraient embarquer là-dedans. » Mais je vivais d'illusions.

À parler avec mes confrères, j'en ai appris un peu plus sur le groupe. D'abord, plusieurs de mes élèves étaient dans des groupes d'appui l'année précédente ; ils se connaissaient pour la plupart, ils avaient un an de vécu ensemble et les amitiés étaient fortes. De plus, ces élèves étaient habitués d'être en petits groupes et ils faisaient, je ne dirais pas n'importe quoi, mais ils pouvaient se permettre de jaser ensemble, de parler, de passer des commentaires. Si vous êtes 10 dans une classe, il est peut-être plus facile de gérer les commentaires de l'un et de l'autre, mais quand tu en as 28-30, là c'est plus difficile (2).

La fin de l'étape et la rencontre de parents

Il y a encore du temps qui a passé... beaucoup de temps. La fin de la première étape arrive et là, je rencontre des parents pour la remise des bulletins. Il y a des parents qui me disent : « Ça marche pas dans ce groupe-là, ma fille perd son temps et je ne veux pas qu'elle échoue son année. » D'autres me disent que ça n'a pas de bon sens. Je dis : « Effectivement, c'est un groupe difficile, mais je travaille fort là-dessus et j'espère que les choses vont se tasser. » Cette rencontre est bénéfique et j'en apprends aussi sur certains de mes élèves. Les parents donnent souvent des feed-back un petit peu pointus sur leur enfant (soupçon de drogue, mauvais amis, etc.). Donc, je repars avec ça. C'est comme si j'avais un renforcement en me disant : « Il faut continuer. » C'est peut-être dans ma nature de croire qu'il y a quelque chose à faire. Je pense que j'aurais, d'une certaine façon, battu en retraite si les parents m'avaient assommé lors de cette rencontre-là. Par exemple, si on m'avait dit : « Qu'est-ce que vous faites ? Vous n'êtes pas capable de les prendre en main ? Ils ne travaillent pas et ils perdent leur temps dans votre classe ! » Autrement dit, le fait de constater que les parents comprennent un peu la situation m'a donné un nouveau souffle. Les parents ne m'ont pas dit : « Vous n'êtes pas correct ! », mais plutôt : « Je pense qu'il y a un problème dans ce groupe-là... », dans le sens de « Je vous fais confiance. Je viens simplement vous dire ce que je ressens par rapport à la situation vécue par mon enfant. » Je ne me suis pas senti attaqué et je suis reparti en disant : « Bon ! on se retrousse les manches et on remet ça sur le métier. »

Des actions encore des actions

À un moment donné, à la fin d'un cours, une élève me dit de façon informelle : « Je suis écœurée, je veux travailler et je ne suis pas capable. » Je sentais qu'il y en avait aussi dans la classe qui voulaient travailler, mais qui n'étaient pas capables, parce que l'on perdait du temps. Par contre, ces jeunes-là sont très amis avec ceux qui dérangent. Afin de créer un climat propice au travail, lorsque j'entrais en classe, j'avais décidé que je ne parlerais plus tant et aussi longtemps qu'il n'y aurait pas silence. Voici d'autres exemples d'actions que j'ai posées : les élèves ont des agendas et à chaque fois que le cours commence, il y en a toujours 5-6 qui n'écoutent pas et qui écrivent dans leur agenda. Je demande, entre autres, de ne plus voir les agendas sur les tables. J'ai réglé le cas des agendas en disant : « Il est interdit d'avoir son agenda sur son bureau. » Une autre journée, ils sont arrivés et j'ai écrit au tableau : « Ceux qui veulent travailler, avancez-vous en avant. » Et à ma grande surprise, tout le monde s'est avancé. Je me suis alors dit : « Ça y est, je les ai ; ils viennent de prendre conscience qu'ils doivent travailler. » Sauf que ça n'a rien donné ; leur attitude n'a pas changé après. Ils avaient conscience qu'ils devaient travailler, mais ils n'avaient pas l'idée de changement dans leur tête. Donc, j'avais ceux qui voulaient travailler qui sont venus en avant, mais j'avais aussi les autres (les rebelles) qui ne voulaient pas être identifiés comme des non-travaillants et qui allaient entraîner les suiveux d'une certaine façon. Durant la période, ça allait très bien. L'autre période d'après, ça allait très bien aussi et je leur ai dit : « Je suis content de vous ; la période a été très intéressante. Si nous pouvions continuer comme ça, ce serait parfait. » Ils n'ont pas eu de réaction, comme s'ils me disaient : « On n'embarque pas dans ton histoire. » J'ai l'impression qu'ils le prennent, mais qu'ils ne veulent pas continuer dans le même sens.

Dans les périodes qui ont suivi, j'ai été obligé de dire à trois personnes de prendre leurs affaires et de s'en aller en arrière de la classe (j'ai une grande classe avec des tables pour le travail d'équipe en arrière), car je ne voulais plus rien savoir d'eux. J'avais donc le reste de ma gang qui travaillait un peu mieux, sauf que les trois en arrière ne travaillaient plus ; leur plaisir était de regarder tout le monde, de rire, de faire n'importe quoi. J'ai eu beau essayer de les ignorer, ils me dérangeaient et dérangeaient aussi les autres élèves. Il s'est produit aussi un phénomène qui m'a intrigué : bien qu'ils soient dissipés, lorsque je disais au reste des élèves de faire tel exercice, ils sortaient leur cahier et se mettaient au travail. Je saisis par ces gestes qu'ils ont conscience de leur devoir, mais que le reste est beaucoup plus facile et que cela demande moins d'efforts.

Un geste prémédité qui ne tourne pas comme prévu

Il me restait à régler le cas du travail : ça ne travaillait pas encore et ça placotait. Ce placotage me tombant royalement sur les nerfs, j'ai décidé d'arrêter tout ça, et je leur ai dit que le cours d'après, on allait faire une discussion. Il n'y aura pas de mathématiques cette période-là ; on va jaser de ce qui s'est passé avant et de ce que nous pourrions faire dans le futur. La discussion devra partir d'eux autres contrairement à ce que je faisais avant où c'était toujours moi qui expliquais la situation dans la classe.

Voici un autre geste important que j'ai posé à la suite d'un cours particulièrement difficile. En ce début de cours, la cloche a sonné et je les ai laissé jaser sans intervenir, mais ça n'arrêtait pas. Après 15 minutes, ils ont commencé à se regarder puis ils se sont arrêtés ; je suis resté silencieux au moins 5 minutes après qu'ils se soient arrêtés. Cinq minutes de silence difficiles où je sentais leur interrogation. Tous se demandaient ce qui allait se passer, ce que j'allais faire. Je leur ai dit : « Nous avons un problème. J'avais prévu des choses pour le cours et c'est difficile d'avancer de la façon dont vous agissez. » Leur réponse fut : « Nous sommes en silence depuis 5 minutes. C'est donc à cause de toi si nous ne travaillons pas. »

Pendant tout le reste de la période, nous avons jasé comme je l'avais prévu. J'ai vite fait une constatation alarmante : ils avaient comme habitude de toujours relancer la balle vers quelqu'un d'autre, sauf vers eux-mêmes. Ils ne prenaient pas conscience des gestes qu'ils posaient et de l'effet que ça pouvait avoir ; c'étaient toujours les autres ou moi, comme prof. Ils ne se sentaient pas responsables du cheminement.

J'ai aussi senti, à l'intérieur de la discussion, que les élèves étaient écœurés de mon attitude parce que, qu'on le veuille ou non, j'avais l'air bête. Quand tu n'es pas capable de rien faire, tu deviens un peu maussade ; tu n'as pas le goût de faire des blagues avec eux autres et ça rendait le climat assez tendu. Les gestes que les élèves posaient me provoquaient et moi, je les provoquais par mon attitude. Nous n'allions nulle part et je me devais, comme pédagogue, de trouver une voie où tous y trouveraient un certain profit.

Puisque tous ne s'étaient pas exprimés pendant cette période difficile, j'ai décidé à la toute fin de leur donner un devoir spécial : « Vous m'écrivez personnellement ce qui ne va pas dans la classe et aussi ce que chacun de vous devrait faire pour améliorer la situation. » Le lendemain, je ramassais le tout et je leur ai proposé de nouveau d'en jaser et d'essayer ensemble de voir ce que nous pourrions faire. Et là, bien sûr, ça a recommencé : « T'es de mauvaise humeur. » Il faut dire ici que ce sont les rebelles qui prennent la parole en premier, puis ceux qui sont très près d'eux par la suite : « Tu es de mauvaise humeur. On n'a pas de fun. On travaille tout le temps. On n'a plus le droit de rien faire. » J'étais la cible de toutes leurs revendications. Alors, je leur ai dit : « Il me semble que tout cela n'a pas de bon sens ! Il n'y a pas juste moi de coupable là-dedans ! Vous devez vous aussi avoir quelque chose à faire là-dedans. » C'est dur de leur faire admettre qu'ils ont quelque chose à faire là-dedans, mais je sens, dans leur façon de réagir, dans leur façon de parler dans la discussion, que je les accroche un peu. Par exemple, un de mes rebelles a dit : « Ah, c'est vrai que je ne suis pas un cadeau, mais je ne suis pas capable de m'arrêter. Je voudrais bien, mais je ne suis pas capable ; je suis toujours comme ça et il n'y a jamais personne qui a réussi à m'arrêter. Tu ne seras pas capable de m'arrêter. » Je sens un bon vouloir, mais je ne sens pas qu'il y a un vouloir de changement. Quelques-uns vont dire : « C'est vrai qu'on est mémères.» Donc je commence à percevoir un petit message qui me dit : « On a sûrement un peu de torts nous aussi. »

Ils font aussi la comparaison avec les autres groupes : « Comment ça se fait que les autres groupes nous disent que t'es le fun et qu'ils s'amusent dans tes cours ? » Je saisis cette perche et je leur explique : « Écoutez, si je suis obligé de m'arrêter à chaque fois que je veux parler parce que vous parlez, si à chaque fois que je veux faire quelque chose, je suis obligé d'intervenir auprès de 5-6 personnes parce qu'ils ne font pas ce que je demande, pensez-vous que j'ai le goût de m'amuser avec vous autres ? Vous ne me donnez pas la chance, vous me demandez, par votre attitude, d'être strict pour que je réussisse à faire un minimum et je n'y arrive même pas. La journée où je veux essayer d'être un petit peu moins sévère, vous recommencez, donc j'arrête puis je reprends mon air sérieux et c'est un éternel recommencement. »

Une solution qui vient d'eux et qui m'ouvre une porte

La période tirait à sa fin et je leur ai dit : « Avez-vous quelque chose à me proposer qui nous aiderait ? » La réponse est unanime : ils aimeraient travailler en équipes comme les autres groupes. Je leur ai expliqué que le travail d'équipe ce n'est pas une foire où l'on peut faire tout ce que l'on veut : il y a du travail à faire. Si vous êtes ensemble pour mémérer, nous perdrons notre temps de la même façon qu'avant. Leur réponse m'a satisfait : « Tu devrais essayer. Tu vas voir, on va être capables ! » Je tiens maintenant une petite clé ; elle n'est pas grosse, mais elle est là. Je n'ai pas pris d'engagement, mais je leur ai dit : « Je vais regarder ce que je peux faire. »

La semaine d'après, volontairement, je n'ai pas fait pas de travail d'équipe ; je voulais m'assurer, en regardant les équipes que j'avais constituées lors de la première étape, que j'avais encore du potentiel dans chacune et que je ne mettais pas mes indisciplinés ensemble... Les équipes étaient formées de quatre élèves. Lors de la première étape, je m'étais dit que j'allais leur proposer comme un double partage : tu me nommes une personne avec qui tu veux travailler et une personne avec qui tu ne veux pas travailler, moi je m'engage à respecter ces deux choix-là, mais je vais te placer avec d'autres personnes... Je trouvais que c'était comme un bon compromis. Je respectais leur choix et je pouvais respecter le mien aussi. Les équipes étaient donc faites depuis la première étape, mais ils n'avaient jamais travaillé en équipes. Je voulais m'assurer que les équipes que j'avais faites correspondaient à l'image que j'avais maintenant d'eux autres. Puis, en plus de ça, la matière s'y prêtait moins. J'ai eu droit pendant cette semaine-là à plusieurs questions du genre : « Il me semble que tu avais dit que nous travaillerions en équipes et tu ne le fais pas ! » J'ai menti un peu sur les vraies raisons, sachant que cette attente était bénéfique et qu'ils devaient désirer de plus en plus cette nouvelle façon de procéder qui leur tenait à cœur.

Le jour « J »

La semaine d'après, je suis arrivé un matin en leur disant : « Voici le plan de la période et une partie se fera en travail d'équipe. » Cette première tentative de travail d'équipe s'est merveilleusement bien déroulée ; ils étaient contents et moi aussi. Tout cela a fait en sorte que, par la suite, dans les autres cours, il y a eu un genre de vouloir collectif et les élèves se sont dit entre eux des choses pour être capables de continuer à faire du travail d'équipe. Par exemple, ils entrent en classe, la cloche sonne et j'entends des élèves dire à d'autres élèves de se fermer. Chacun y allait de sa petite façon à lui pour faire en sorte qu'ils puissent continuer à travailler en équipes, parce qu'ils ont trouvé cela plaisant. Je dirais que dans leur façon d'être en classe, il y avait un changement. Je disais : « Prenez votre cahier. » Ils prenaient leur cahier, ce que je n'obtenais pas nécessairement avant. Donc, c'étaient des petites manifestations... J'espère que vous sentez tout au long de ce récit qu'il n'y a pas de gestes grandioses, mais bien des petites manifestations qui me faisaient dire que, lentement, j'avançais avec eux autres.

Nous nous retrouvons à la troisième étape

Il y a deux semaines, une élève m'a dit : « Sais-tu que je trouve ça le fun quand on travaille ! C'était bien plus plate quand on foirait, quand on faisait rien, quand je parlais tout le temps avec mes voisins. » Vous voyez, c'est comme si, tranquillement, la vapeur avait tourné. L'élève rebelle dont je parlais au début de mon récit est devenu lentement un élève qui était à sa place. Il s'est rendu compte, un moment donné, que ce n'était pas à lui que j'en voulais, que c'était sa façon d'agir qui me dérangeait. Il a saisi, dans le fond, qu'il pourrait continuer longtemps à déranger, mais qu'il ne serait pas mis à la porte du cours. Il a alors décidé d'embarquer un peu dans le jeu et, sans dire que c'est un élève modèle, je peux dire que c'est un élève qui, aussitôt que je demande de travailler, se met au travail. Aussitôt que je demande de prendre telle chose, il le prend. Si je dis : « Prenez votre volume à la page 135... », avant il aurait dit : « Quelle page t'as dit ? » Aujourd'hui, c'est lui qui indique aux autres la page où nous sommes.

J'ai de plus en plus de manifestations que je suis en train de conquérir ce groupe-là ; les élèves commencent à me voir comme quelqu'un de plaisant. Je peux réussir à faire des blagues avec eux autres de temps en temps. Ils ne me trouvent pas nécessairement drôle encore, mais la blague passe mieux qu'avant. Je sens qu'avec les élèves, je peux me le permettre et que je n'aurai pas à prendre 10 minutes après pour retrouver le calme propice au travail. Je commence tranquillement à être plus à l'aise avec eux ; ils arrivent en classe et nous parlons. Les contacts sont plus fréquents et il m'arrive même de me chamailler avec l'un puis avec l'autre. C'est comme si les élèves, tranquillement, me découvrent aussi. Ils ne m'ont jamais vu avec la possibilité d'une certaine liberté d'action. Je me sentais coincé dans mes actes, dans mes gestes parce que j'anticipais tout le temps une réaction pas correcte aux gestes que je posais. Donc, j'évitais d'en faire. Les élèves le sentent ça. La journée où je suis un peu plus dégagé parce que ça va bien puis qu'il y a quelque chose qui se passe, les élèves le sentent. Même s'ils ne me le disent pas tous les jours, je sens qu'ils ont compris. Tout cela me fait dire que je suis sur la bonne voie

Le point tournant

Je vous dirais que le point tournant a été, en premier lieu, le travail d'équipe ; je leur ai fait tellement plaisir. Pourtant je n'ai pas fait grand chose, j'ai juste accepté de dire : « O.K., on a des problèmes et vous me dites que cela pourrait se régler en travaillant en équipes. Alors je suis d'accord pour essayer. »

Mais il ne faudrait pas oublier que les périodes de discussion ont constitué l'élément déclencheur : je me suis permis de perdre deux périodes, mais ce temps-là, je l'ai regagné depuis bien longtemps.

Mon groupe est-il devenu parfait ?

Tout n'est pas réglé, il y a encore des élèves facilement identifiables avec qui j'ai encore de la difficulté. Mais dans l'ensemble, ces cas sont moins répandus et ces élèves-là ont moins d'effet sur le groupe qu'ils en avaient avant. Je ne fais pas de travail d'équipe à tous les jours et ma démarche est lente avec mon groupe ; je ne veux pas non plus sauter d'étapes, manquer mon coup. Je commence à les avoir. Quand je les regarde, il y a une énorme différence avec le début de l'année ou plutôt la deuxième et troisième semaines, car, souvenez-vous, je les trouvais bien fins, mais que je me suis vite rendu compte que j'avais des problèmes majeurs avec eux. D'après moi ce groupe-là, à la fin de l'année, devrait être un des groupes avec lequel je vais m'amuser le plus. Ma gang de rebelles devient un groupe de personnes avec qui je peux maintenant m'arranger et je peux entrevoir un meilleur avenir avec eux. Prenons par exemple celui qui me disait qu'il n'y avait rien à faire pour l'arrêter de parler ; j'ai le goût de lui donner des responsabilités, mais j'attends encore un peu. Il pourrait devenir un bon responsable d'équipe ; cela fera en sorte qu'il va écouter davantage ce qui va se faire dans son équipe et il va être heureux de l'expliquer. Dans mon cheminement, je sais que j'ai le devoir de lui donner une image plus positive de lui-même. Il a pris conscience qu'il est capable de travailler comme tout le monde et maintenant on devrait peut-être travailler sur sa vision de sa réussite scolaire. Il commence à se rendre compte que ça porte fruit de ne pas placoter, car il a eu 60 % au dernier examen.

Je ne pose plus de gestes d'éclat devant tout le groupe. Je vais plutôt voir la personne à son bureau et je lui dis : « Regarde, tu ne travailles pas, j'en prends note et ça va faire partie de ton dossier quand je voudrai parler de toi à la direction ou à tes parents. » « Regarde, tu es en train d'écrire je ne sais quoi, tu vas me donner ce que tu écris. Je ne le lirai pas, mais cela va faire partie de ce que j'aurai comme document pour expliquer à tes parents ton implication en classe et ton goût de réussir. » Ce que j'espère avant tout, c'est que l'élève se ressaisisse et qu'à plus long terme, il se rende compte que je lui donne aussi la possibilité de se reprendre en main en se disant : « Si j'écoutais un petit peu, si je faisais un peu plus attention j'aurais plus de chances de réussir. Si, au lieu de placoter, je me mettais au travail immédiatement, j'augmenterais mes chances aussi. »

Ce fut une belle expérience parce que c'était la première fois que je vivais quelque chose qui était aussi long comme démarche. Je crois que si je n'avais pas quitté l'enseignement pendant un an, j'aurais peut-être réagi plus vite à la situation pour essayer de la modifier. Il y a eu, à cause de cela, une période latente de questionnement personnel ; les essais que je faisais étaient en fonction de moi, et non pas en fonction du groupe. La démarche que j'ai suivie, je ne peux pas assurer que je l'aurais faite autrement, mais j'ai l'impression que j'aurais été plus rapidement vers les actions et les gestes à poser. J'ai été un peu distrait de mon réflexe habituel. Et au moment où l'année tire à sa fin, je peux dire que je n'ai peut-être pas autant de plaisir à enseigner à ce groupe d'élèves que j'en ai eu avant, avec d'autres groupes, mais l'expérience est belle parce que je travaille avec eux autres. Je travaille avec les gens qui sont là...


1- Cet enseignant nous explique son fonctionnement habituel en début d'année pour installer un climat de confiance

Dès la première période, je parle de mes exigences, de mes règles de vie en classe. Ils savent ce que je veux et ils savent aussi que l'on peut s'amuser ensemble. Au début, les élèves trouvent ça un peu encadrant, sévère même, mais par la suite ils se rendent compte que dans le fond, ce n'est pas si sévère que ça, c'est juste une règle du jeu pour ne pas que ça déborde trop. Je leur donne droit à la gomme, mâchée adéquatement bien sûr, et si ce n'est pas le cas, un seul geste suffit pour qu'ils aillent la jeter. Ils peuvent s'asseoir où ils veulent en classe à la condition de ne pas me déranger ou déranger le groupe. Ils ont le droit de quitter la classe à deux reprises pendant l'année et chaque élève a le loisir de gérer ses sorties à sa guise (aller aux toilettes, aller chercher un volume, un devoir, etc.). Ils me regardent tous comme si j'étais un dictateur parce que, dans certains cours, ils sortent n'importe quand.

J'établis ces règles et dès les premiers cours, je suis très strict sur les règles établies. Au deuxième cours, il y a toujours un ou une élève qui me demande de sortir de la classe. À ce moment, je lui demande s'il veut vraiment utiliser sa fois aussi tôt dans l'année, car il va trouver le temps long si un jour il a vraiment une envie pressante. Un autre s'essaie avec de la gomme, et je la vois ; sans dire un mot, je fais le geste et les élèves se disent rapidement que les règles de vie seront respectées pour tous, sans exception. Donc, les règles sont établies, ils savent que je ne dérogerai pas à ces règles-là. Par contre, il ne faudrait pas penser que je suis un enseignant qui ne vit que pour les règles. Afin d'être près d'eux, j'aime bien leur demander ce qu'ils ont fait la veille ou durant leur fin de semaine, m'occuper d'eux, en savoir un peu plus sur leur vie (leur sport favori, les films qu'ils aiment, la musique qu'ils écoutent, les partys qu'ils font, etc.). Au début, ils sont réticents un peu, mais en les questionnant, j'arrive à aller les chercher. En retour, je leur parle de moi, de ce que je vis, de mes activités, de ce que j'aime et habituellement, les élèves aiment bien.

Je suis aussi une personne qui aime jouer avec les mots, qui aime jouer avec les élèves, leur jouer des tours. Il m'arrive souvent de jouer avec les noms et les prénoms des élèves. Par exemple, un jour j'ai eu un élève qui s'appelait Jonathan. Donc, je lui ai dit : « Vert, passe c'est à toi. » Les élèves ne comprenaient pas et Jonathan non plus. J'ajoute alors : « Lorsque la lumière de circulation est jaune, qu'est-ce que cela veut dire ? Jaune attend et vert voudrait dire passe. » Vider un étui à crayons pour moi, c'était normal. Mettre le billet des absences un peu partout pour que la surveillante le cherche, c'est aussi normal. Faire dire à haute voix un mot de passe (une phrase où je vante les mérites du professeur de mathématiques) à un élève qui est sorti de la classe, cela fait partie de mon quotidien. J'aime faire sursauter les élèves lorsqu'ils sont en train de travailler en silence. Je crée ainsi un climat de confiance et de connivence avec les élèves. Par la suite, il est facile d'embarquer dans ta matière, le tout passe mieux.

Je peux devenir sérieux rapidement et cela transcende sur l'atmosphère aussi. Les élèves le sentent et ils comprennent que j'ai le contrôle de la situation et qu'ils ne pourront pas faire n'importe quoi. En deuxième secondaire, il faut que l'élève soit conscient que le geste qu'il pose a des conséquences sur l'atmosphère de la classe, sur son rendement scolaire, sur un tas de choses. La journée où il en prend conscience, il a peut-être encore l'idée de vouloir renvoyer toute la responsabilité sur le prof mais, quelque part, ça continue à faire son petit bout de chemin.

On a tous une réputation. La mienne, je la résumerais sans vantardise ainsi : « Tu vas voir, c'est le fun avec lui, il est drôle mais assure-toi de respecter les règles si tu veux avoir du plaisir. » Donc, je pars toujours gagnant d'une certaine façon parce que ça se dit. Les élèves en recevant leur horaire s'informent de leurs profs et ils arrivent habituellement en classe en se disant : « Ça va être le fun avec lui. » Donc, quand j'arrive à la première période, et que je suis très sérieux, que je donne mes règles, ils me regardent et ils se disent : « Ouais ! c'était supposé être plaisant. » Je leur dis aussi à ce premier cours : « Voulez-vous me faire plaisir ? J'aimerais que vous vous fassiez votre propre opinion de moi. Il y en a probablement qui vous ont dit que j'étais un prof « le fun », il y en a d'autres qui vous ont peut-être dit que j'étais bête. Il y en a qui vous ont dit : « Tiens-toi les fesses serrées parce que tu vas voir que ça marche, ça passe par là. » Ce que je vous demande, c'est qu'on se fasse mutuellement confiance. Si vous fonctionnez bien, vous allez voir que ça va être le fun, mais si vous fonctionnez mal, bien je vais avoir mon air bête et ce ne sera pas plaisant pour personne. » Je les mets comme dans le bain en leur disant qu'ils ont quelque chose à faire pour qu'il y ait un bon climat et j'essaie d'établir ce climat tout de suite. Je sais que je perds du temps mais j'installe, d'une certaine façon, cette complicité-là comme je l'installe aussi avec les billets d'absence dont j'ai parlé un peu plus haut.

Je me permets de revenir sur ce point afin de vous montrer de quelle complicité je vous parle. D'habitude, tu mets les billets dans la porte, mais moi je peux les mettre en haut de la porte pour que la surveillante ne soit pas capable de l'atteindre. Les élèves trouvent ça bien drôle puis, le cours suivant, ils vont me proposer toutes sortes de places où je pourrais mettre le billet. Cela fait en sorte de créer cette complicité justement. Cette complicité te permet, après ça, de faire n'importe quoi : « O.K. gang, c'est parti, on se met au travail. » Et voilà que tout le monde se met au travail.

2- Chaque enseignant a un style bien particulier pour composer avec des élèves plus difficiles

Par exemple, l'élève qui me dit : « Pourquoi tu ne me sors pas de la classe ? » Il a des habitudes acquises lors des années antérieures. S'il est tannant, il se fait sortir et il aime ça. Moi, je lui lance comme message que je veux le garder en classe et qu'il est là pour travailler comme tous les autres. Ce n'est pas dans mes habitudes de mettre quelqu'un à la porte pour rien ; je trouve que ce n'est pas pédagogique. J'aime mieux travailler avec lui et peut-être vivre une certaine animosité. Je veux essayer jusqu'à la dernière limite. De plus, j'ai une bonne raison de le garder. Si je le sors, je règle mon problème pour un cours, deux cours, mais il devra revenir dans ma classe. Je le sais, par expérience ; les fois où je me suis choqué très fort et que j'ai mis un élève à la porte, j'ai été obligé de le reprendre par après. C'est toi qui as le contrecoup à ce moment-là.

Voici un autre exemple : un élève très revendicateur arrive en retard. J'ouvre la porte et je lui demande pourquoi il est en retard. Il me répond qu'il n'a aucune raison. Je lui demande s'il arrive souvent en retard comme cela dans les autres cours. Il me répond : « Oui et il n'y a jamais personne qui m'en empêche. » Je l'installe dans le corridor et je lui dis de m'attendre. Je continue mon cours pendant plusieurs minutes et je reviens à mon grand gars qui clame : « Qu'est-ce que je t'ai fait pour que tu me fasses ça ? » Il est au bord des larmes et je le regarde en disant : « Vois-tu comment on se sent quand quelqu'un nous niaise ? C'est exactement cela que tu as fait depuis le début de l'année. » Puis je l'ai laissé entrer. Je n'avais pas nécessairement de raisons de le laisser dans le corridor, je voulais simplement qu'il réfléchisse sur sa façon d'agir en classe. Je ne sais pas si j'ai fait ça inconsciemment, mais ce dont je me suis rendu compte c'est que cet élève-là, depuis cette situation, a descendu d'un cran par rapport à son agressivité et sa façon de me voir a changé. Peut-être est-ce une façade, mais ce que je sens de la part de l'élève, c'est qu'il se dit : « Oups ! il me laisse plus de corde, il n'ira pas tout de suite me pendre devant tout le monde. » J'ai l'impression que je lui ai fait prendre conscience, juste à lui car il n'y a personne d'autre qui a entendu ce que je lui ai dit. Maintenant au lieu de dire ou faire n'importe quoi, il va peut-être y penser.