© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

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Préambule : Un enseignant de première secondaire débute une seconde carrière dans l'enseignement du français après avoir travaillé 15 ans en information scolaire et professionnelle. Il est confronté à un problème de « tricherie » dans une récitation. S'il ne trouve pas de solutions, les élèves profiteront de la situation. Cet enseignant ne veut pas perdre son intégrité vis-à-vis de la direction, des parents ainsi que des autres élèves.

TITRE: LA TRICHERIE IMPARFAITE

Habituellement, en début de semaine, j'annonce les mots de vocabulaire à apprendre pour le vendredi ; les élèves ont à peu près une trentaine de mots à étudier et je leur en demande vingt dans la récitation. J'écris au tableau ce qu'ils ont à apprendre pour le vendredi afin qu'ils puissent, avec leur agenda, planifier leur temps. Le vendredi arrive. Normalement, c'est en début de période que je donne ma récitation de vocabulaire ; j'en demande vingt parmi les trente et je corrige toujours la fin de semaine à la maison. Je remets les feuilles le lundi matin, pour leur donner les résultats. En distribuant les feuilles, je fais des commentaires : « C'est bien, on voit ceux qui ont étudié et ceux qui n'ont pas étudié. » Une élève, N., a un résultat de 10 sur 20. À cette époque, je faisais signer la récitation corrigée, ce que je ne fais plus aujourd'hui. Je voulais que les parents voient les bons résultats comme les mauvais ; les jeunes apportaient leur feuille de récitation le lundi soir pour la faire signer et le mardi, je ramassais les feuilles signées.

Le lendemain, c'est-à-dire le mardi, N. me dit : « C'est bien de valeur à dire, je n'ai pas 10 sur 20, j'ai 17 sur 20. Ma mère a regardé la copie. » Elle dit ça devant les autres, en entrant dans la classe. Déjà au départ, c'est une petite fille qui est un peu paresseuse : elle est plus vieille que les autres et les enseignants se plaignent un peu de différentes choses à son sujet. Je regarde sa copie et je vois une note dans le bas disant : « Monsieur, je souhaite une plus grande vigilance de votre part. » La petite fille disait que je lui en voulais et elle a dit ça fort. Bien sûr, les autres élèves écoutaient. Je lui réponds : « Voyons, N., je ne t'en veux pas. Je n'en veux à personne, je ne vous connais pas et puis on commence l'année (1). » C'était ma première récitation, on était peut-être le 10 octobre et je n'avais pas eu de problème avant. J'ai dit : « Je m'excuse, ça se peut N., mais je ne t'en veux pas, ça c'est sûr. » Peut-être que j'avais l'idée ailleurs et j'ai mis des crochets. C'était surprenant, car la différence était énorme. « En tout cas, il y a une autre récitation vendredi, les amis », parce que moi je les appelle les amis. « Les amis, est-ce qu'il y en a d'autres qui ont des erreurs ? » « Non ? D'accord ! Bien là, N., je me pose des questions. » Elle va s'asseoir, je regarde rapidement sa feuille et lui dis que je vais changer la note dans mon cahier. Je mets 17, puis on passe à autre chose. Je range les feuilles, mais ça ne reste pas là. Je réfléchis à la situation, j'y repense le soir. Mardi soir, j'ai sa copie, je la regarde. Je vois qu'il y a des marques de gomme à effacer ; je suis sûr qu'il y a une tricherie à quelque part. La mère a écrit une note, elle est peut-être de connivence ? Parce qu'on le veuille ou pas, il y a des parents qui couvrent leurs jeunes.

Qu'est-ce que je pouvais bien faire ? Au stylo, ils vont prendre du liquide correcteur, je ne serai pas plus avancé ; si je corrige sa copie tout de suite, il faut que je corrige celles des autres, je n'ai pas le temps. Ça ne marche pas mon affaire. On arrivait au vendredi pour la récitation de vocabulaire et je n'avais rien réglé encore. Je me disais que c'était peut-être juste une fois, qu'elle s'était essayée... C'était trop flagrant, il y a quelque chose qui s'est passé. Sa mère était-elle de connivence ou si l'élève a corrigé ses fautes avant et qu'elle a raconté quelque chose à sa mère ? Je ne le sais pas. Je donne ma récitation, je corrige durant la fin de semaine qui suit. Cette fois N. a 11 sur 20 et il y en a d'autres aussi qui ont des résultats faibles. Pendant la fin de semaine, j'y avais pensé et je me suis dit : « Je m'en vais au secrétariat lundi matin pour faire une photocopie. » J'ai fait une photocopie intégrale avec mes crochets et ensuite j'ai donné les résultats, je ne cherchais pas des poux : « Faites signer les parents. » N. lance, un peu en boutade : « Surveillez vos copies, le prof fait des erreurs. »

Je leur dis comme d'habitude : « Demain matin, vous revenez avec votre copie signée par les parents. » Elle revient avec un sourire : « Regarde, tu m'en veux, j'ai 18. » Je suis très surpris, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Sa mère a même écrit : « Vous avez quelque chose contre ma fille, je vais me plaindre à la direction. » J'attendais ce moment pour la confondre : « N., il y a quelque chose qui s'est passé, je vais te le dire bien, bien franchement. » Je le dis aussi aux autres : « Ça arrive des fois qu'on essaye. Je suis déjà allé à l'école, je me suis essayé, moi aussi. » Après 15 ans d'enseignement, j'avais une certaine expérience, même si ce n'était pas en français, mais en information scolaire et professionnelle. Je lui dis : « N., regarde, j'ai gardé ta photocopie, O.K. ? On va regarder ensemble. Je vais appeler ta mère. » « Arrête, n'appelle pas ma mère. » ; je viens de m'apercevoir que la mère n'était pas de connivence. Bien sûr, je ne pouvais laisser les choses comme cela, je passais pour qui, moi, auprès des autres élèves ?

Les autres n'ont rien dit. J'ai entendu les commentaires de quelques élèves :

« Ouais, il les a les trucs dans son sac.

  • -Oui, puis j'en ai d'autres. Ce n'est pas parce qu'on est prof d'école, les amis, qu'on ne voit pas clair... On s'est essayé, puis on s'est fait pincer ; on a du vécu. C'est sûr, qu'on n'attrape peut-être pas tout le monde, mais là, ça vient toucher mon intégrité. »

Je ne leur ai pas raconté ce qui était écrit. J'ai dit à N. : « N., je vais appeler ta mère. » Elle m'a répondu : « Ne l'appelle pas, ça va mal aller chez nous, elle va me disputer. » J'ai continué : « N., regarde, je ne parle pas de ce qui est écrit dans le bas. Si tu veux montrer les remarques à tout le monde. » Je ne voulais pas le dire devant le groupe ; j'avais encore des doutes quant à la participation de la mère. Si j'en parle trop fort, les jeunes vont peut-être la juger en disant qu'elle est manipulatrice : une affaire de personnalité qui va nous mener où ? Des paroles parfois, ça peut aller loin : ce sont des jeunes.

Quand j'ai vu que c'était un moyen « moineau » et qu'elle s'est mise à pleurer (« n'appelle pas »), je lui ai demandé : « N., est-ce que ça s'arrête là ? » Elle me dit : « Oui! » et on a continué à travailler. Mais en même temps, je me demandais si je devais me plaindre au directeur. Est-ce qu'elle mérite d'être punie plus que ça ? Elle est seulement en première secondaire, même si elle est un petit peu plus vieille... Comment la mère me perçoit-elle en tant qu'enseignant ? Les parents se parlent entre eux. N. m'avait supplié de ne pas appeler la mère ; je lui avais dit que j'allais y repenser, parce que je ne voulais pas enclencher de l'agressivité. Si je ne l'appelle pas et qu'elle reste sur ce doute, elle peut aussi bien appeler le directeur. Avant d'en arriver là, que ça passe par le directeur, j'ai décidé de l'appeler. Normalement, je ne passe pas par la direction pour régler mes problèmes. Alors le soir, j'ai décidé d'appeler la mère ; j'avais ma réputation à protéger. Je l'ai rejointe tout de suite après l'école. Elle me répond : « Oui monsieur j'ai vu ses copies ».

Elle était arrogante aussi, la mère ; j'en avais entendu parler par des collègues du primaire. Elle poursuit en disant :

« J'ai vu ça oui, je vous ai mis des remarques. J'espère que ça va porter fruit ?

  • -Ça vient justement de porter fruit. Votre fille vous a monté un bateau.
  • -Comment ça ? Normalement elle est correcte.
  • -Oui, peut-être normalement, mais là, elle a corrigé ses fautes et elle a apporté sa copie pour la faire signer.
  • -Elle ferait ça ? »

Je voyais qu'elle cherchait encore à couvrir sa fille.

« À la deuxième récitation que vous avez signée, madame, vous vouliez vous plaindre à la direction que je n'étais pas consciencieux. Je ne lui en veux pas, madame, je n'ai aucun préjugé. J'ai une photocopie, on peut se rencontrer.

  • -Je ne pensais pas qu'elle était de même, qu'elle irait si loin, corriger ses choses. Je vais y voir !
  • -Remarquez bien qu'elle était mal à l'aise ; je crois qu'elle a eu une petite leçon. C'est sûr que ce serait bien de votre côté, de faire une petite leçon parce que moi je lui en ai parlé un petit peu, mais je n'ai pas voulu la détruire. Elle en avait assez, je lui en ai dit assez. Ça sert de leçon un petit peu pour les autres aussi, parce qu'elle a dit aux autres de surveiller leurs copies et que peut-être que j'en voulais à certains élèves ; ça, c'est un jugement qui n'est absolument pas fondé. Il faut la récupérer, il ne faut pas la détruire non plus. Mais d'un autre côté je veux qu'elle sente aussi que ce qui est arrivé est grave. »

Quand j'ai parlé à la mère, j'ai dit que c'était un incident de parcours, qu'ils peuvent s'essayer ; je n'ai pas dit que ça devait être difficile de l'élever. Comme ça, je n'entre pas dans sa vie privée non plus. Je l'ai prévenue que je serais plus vigilant ; pour sa part, elle a dit qu'elle le serait aussi. C'était un peu ça le message. Après ce téléphone, j'ai eu une bonne collaboration avec la mère. La petite fille, sans avoir de très bons résultats par la suite, a passé une année avec une performance assez moyenne ; je la surveillais. La mère est venue pour la remise des bulletins ; on n'en a pas parlé et je ne suis pas revenu là-dessus. La mère devait déjà être assez humiliée de se faire jouer des tours comme ça par sa fille.

Il fallait que j'y voie, car je n'ai pas la réputation d'être un bourreau. Je suis un prof qui est aimé à l'école ; j'ai quatre groupes de français, je leur parle, je les comprends et je suis patient. Je ne pouvais accepter de faire dire de moi que je n'étais pas correct et que les élèves aient des doutes. À la suite de ça, on n'a pas eu de problèmes et je n'ai pas gardé rancune à N. ; c'est une élève comme les autres et je l'encourageais. C'était un incident de parcours. J'ai su aussi qu'elle s'est essayée en mathématiques ; j'en ai jasé avec les autres profs pour leur dire un peu qu'elle manipulait sa mère et aussi pour tenter de la récupérer afin qu'elle ne s'en aille pas dans les tricheries, qu'on soit vigilant, qu'on la surveille. Un moment donné je leur ai dit : « La tricherie, ça ne rapporte pas, on se fait toujours prendre un jour ou l'autre. » Voici une chose que j'ai apprise : quand un mot n'est pas bon, je le raye au complet, dans une dictée, une récitation de vocabulaire ou une production écrite. J'ai choisi ce cas en pensant à un jeune prof qui pourrait rencontrer assez tôt une telle situation ; il va se faire essayer. Peu importe, il faut montrer une certaine vigilance comme celle qu'on peut trouver dans ce récit. Moi, je voulais qu'un jeune prof qui lit le récit puisse se dire que ça peut lui arriver, pas juste en français, ça peut être dans n'importe quelle matière.


1- Voici comment cet enseignant se décrit

Je suis un genre de gars foncièrement bon : j'aime les jeunes, peu importe ce qu'ils font. Parfois, ils vivent des situations difficiles ; peu importe ce qui arrive, je ne leur en veux pas. Je leur dis aux jeunes que je les aime. Je suis un gars pour qui le côté humain est très important, les valeurs et le respect ; je veux que tout le monde se sente à l'aise. Qu'on le veuille ou non, dans les groupes, il y a toujours des éléments forts, des petites gangs et il y a des rejets aussi. Les rejets, je les connais un petit peu ; il y en a qui sont à l'écart pour différentes raisons. Je leur dis : « Ensemble, on va développer le respect ; ensemble on va développer des valeurs. Ici, dans ma classe il y a des bolés, des grands, des petits, des gênés, des moins gênés. Moi, je veux que tout le monde soit à l'aise ; je vais faire parler tout le monde. Tu peux lever la main, ça va me faire plaisir si tu lèves la main, mais soyez sans crainte, je n'irai pas toujours demander ceux qui lèvent la main. Ceux et celles qui sont en retrait, je vais aller vous chercher. Si la réponse n'est pas correcte, on ne rit pas des gens ; je fais lire tout le monde, même ceux et celles qui ont certaines difficultés. Il y en a qui vont hésiter, qui ont de la difficulté à lire : on les écoute, pas de commentaires. » Je leur parle doucement. Je circule dans les rangées, je leur mets la main sur l'épaule : je suis un gars comme ça, je suis un gars humain. Je vais les agacer, parfois, ils m'agacent, je me mets en cause, ils voient que je ne me prends pas pour un autre. Il y a un certain respect, je ne suis pas tellement haut par rapport à eux autres.

Je me souviens d'une fois où un élève a dit à un autre : « Tu es un fifi. » Je n'ai pas réfléchi beaucoup, j'ai dit : « Ça, je n'en veux pas. Des choses de même, je n'en veux pas ici, O.K. ? Je sais que vous ne m'avez pas choisi, je ne vous ai pas choisis, mais je vous aime ; j'aime tout le monde. Je ne vous demande pas d'aimer tout le monde, par exemple. Je ne vous demande pas d'aimer un tel mais je ne veux pas de choses semblables ici. De dire qu'un tel est gros, laid ou qu'une telle couche avec tout le monde, je n'en veux pas c'est clair ? » Mon message, je le véhicule pour tout le groupe.

Je ne donne pas beaucoup de devoirs. L'effort que je leur demande n'est pas de travailler deux ou trois heures par soir : « Le spectacle va durer 75 minutes devant toi, fais l'effort d'écouter, d'emmagasiner, O.K. ? » C'est une pièce de théâtre que je joue avec eux, je suis comédien en avant. « Vous autres, vous venez assister à la pièce de théâtre et des fois, on fait de l'interaction. C'est un show que je vous donne. » Faire l'école c'est un show. Je les appelle par leur prénom, c'est important pour avoir un contact humain : « Ouvre tes petits tiroirs. » Je sais qu'il y a des choses qui vont passer tout droit, que je vais les répéter au cours de l'année. Ma femme me dit parfois : « Si tu allais en quatrième et en cinquième, ce serait moins difficile de faire la discipline » ; en cinquième secondaire, ils sont débarqués un peu du système. Je l'aime cette clientèle-là, je leur dis : « Les amis, vous ne me ferez pas faire de dépression parce qu'il y en a qui travaillent, et d'autres qui ne travaillent pas. Ça ne me fera pas maigrir même si ma femme aimerait bien ça. » Moi, personnellement, c'est un climat comme ça que j'aime ; j'en rencontre de toutes les sortes et il y a toutes sortes de choses extérieures pour les déranger. Si tu te fâches toujours vis-à-vis de ces cas-là, tu vas être brûlé. Je leur dis « Fais ton effort, je ne t'en demande pas beaucoup. »