© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

Version imprimable:

Préambule : Un enseignant de mathématiques raconte une situation qui s’est produite dans un groupe de mesure d'appui de troisième secondaire. Il les rencontre 8 fois sur 9 jours, donc pratiquement tous les jours.

TITRE: ATTENTION À L'HUMILIATION

Le fait qu'on se rencontre tous les jours depuis le début de l'année explique que c'est un groupe très solidaire, qui se tient beaucoup. Ils se tiennent beaucoup entre eux et avec moi ; ils m'aiment beaucoup. J'ai sept ou huit élèves que j'ai eus en mesure d'appui l'an passé ; je les voyais alors à tous les jours et ils sont revenus encore en mesure d'appui cette année. Ça forme un noyau pas mal homogène. Notre relation est très, très bonne (1) ; nous avons même une relation un peu privilégiée. Pour nous situer, disons qu'à Noël, on a fait un dîner dans la classe et on a pris une période sur les mathématiques, la dernière période de l'avant-midi qu'on a étirée jusqu'au dîner. De plus, à la fin de l'année, au mois de juin, j'ai prévu une sortie avec eux : je vais en pique-nique et au cinéma dans l'après-midi. C'est planifié depuis le début de l'année.

Au mois de novembre, après la première étape, la directrice est venue me voir et m'a demandé d'accepter dans ce groupe une élève qui était en difficulté au secteur régulier ; elle avait à peu près 43 % comme résultat en mathématiques. La direction a essayé d'acheminer cette élève au cheminement particulier, parce qu'elle avait vraiment de gros problèmes dans toutes ses matières, en plus de problèmes affectifs et de problèmes de comportement. Ajoutons qu'elle est obèse. La direction estimait qu'elle devrait s'en aller en cheminement particulier ; les parents n'ont pas voulu et ils ont fait des pressions pour qu'elle change de groupe et s'en vienne en mathématiques avec moi, pour essayer au moins de régler son problème de mathématiques. La direction m'a demandé si je voulais accepter Isabelle dans mon groupe. Bien que je ne l'aie jamais eue comme élève, je la connais pour l'avoir vue dans l'école. C'est ce qu'on appelait un cas-problème ; elle est obèse et ça lui crée des problèmes. Je ne lui avais jamais parlé et elle ne me semblait pas plus sympathique qu'il fallait, mais en tout cas j'ai dit oui ; je n'avais pas le choix. Toujours est-il qu'elle arrive dans ma classe ; il s'est produit quelque chose d'extraordinaire, je suis comme un peu tombé « en amour » avec elle. Le courant passe bien entre nous deux. Elle aime me taquiner et je la taquine aussi beaucoup ; je pense que c'est comme ça que je l'ai intégrée au groupe, avec beaucoup d'humour. Voici un exemple de l'humour qu'on vit : elle est arrivée dans mon cours avec une note de 43 % à sa première étape et elle m'a dit qu'elle avait l'intention d'augmenter sa note... Je lui ai dit de ne pas trop l'augmenter parce que si elle dépassait les 70 %, je la retournerais avec son ancien prof. À son premier examen, elle a eu 76 %, et je lui ai dit que je la baisserais un petit peu, que je lui mettrais 72 % et je lui ai dit de faire attention. Je l'agace constamment, pas seulement elle mais en particulier, mais parce que j'ai du plaisir avec elle, chose que je n'aurais pas pensée la première fois que je l'ai vue dans ma classe. J'ai rencontré sa mère et elle m'a dit que Isabelle n'a jamais été aussi heureuse en mathématiques et qu'elle m'apprécie beaucoup.

Pendant une période d'enseignement, j'étais assis à mon bureau et les élèves travaillaient en équipes de deux, trois ou quatre ; ils sont regroupés par affinité. Isabelle est assise sur le bord du mur et elle travaille avec une de ses amies. Le climat était correct, normal, tout allait bien, c'était détendu ; j'avais une petite musique de fond, ils travaillaient bien (2). À un moment donné, Isabelle me demande : « Viendrais-tu m'expliquer tel numéro ? » Je suis assis à mon bureau et pour faire une blague, je dis à Isabelle : « Je ne vais pas à ta place, tu as juste à venir à mon bureau, j'ai 52 ans et je suis fatigué de me promener, je reste assis aujourd'hui, puis à part de ça, tu as besoin d'exercice. » Je dis ça tout bonnement, sans penser à rien, je n'avais pas pensé qu'elle était obèse. Il n'y a rien d'extraordinaire, sauf que, dans le fond de la classe, il y a une élève qui dit : « Ouais, tu peux te lever et marcher, à la grosseur que tu as, tu en as besoin. » Ce que j'avais dit prenait alors une autre tournure. Isabelle est rouge comme une tomate, elle s'était levée pour venir me trouver et c'est à ce moment que l'autre élève a dit ça. Alors, elle a figé sur place, elle est devenue rouge et elle s'est rassise. Moi, j'avais l'air fou avec ce que j'avais dit parce que ça avait été amplifié ; je sentais que ça allait mal. Ce n'était pas une situation qui était très, très agréable. J'ai arrêté tout ça et j'ai dit à la gang : « Stop ! on arrête tout, il faut qu'on se parle. » Ce que j'avais dit avait dépassé un peu ma pensée et ce que Diane, l'autre élève, avait ajouté venait en remettre de telle sorte qu'on était en train de rire d'elle ; ce n'est pas ça que je voulais au départ. On a parlé.

J'ai parlé au groupe et à Isabelle : « Je m'excuse de t'avoir dit ça parce que je sais que je t'ai blessée. Ce qui serait bien c'est que celle qui a dit son commentaire, en arrière, s'excuse aussi », ce qu'elle a fait tout bonnement parce que l'esprit dans ce groupe-là est tellement bon qu'on se dit nos quatre vérités en pleine face et on ne se fâche pas. Alors, Diane s'est excusée : « Je n'ai pas été fine, je retire ce que j'ai dit. » J'ai demandé à Isabelle si nos excuses la satisfaisaient et elle a dit : « Tout est sous contrôle, c'est correct, on oublie ça. »

Il m'est passé toutes sortes de choses par la tête. C'est un peu comme quelqu'un qui va mourir ; il voit sa vie dans deux ou trois secondes. J'étais dans le trouble : le fait qu'elle était grosse, qu'elle était obèse et le fait d'avoir dit : « Tu as plus besoin d'exercice que moi, déplace-toi, viens à mon bureau. » J'avais dit ça tout bonnement comme si on avait été juste elle et moi, mais il y avait 30 personnes présentes et un commentaire très désobligeant est venu amplifier tout ça ; je l’avais humiliée. Toute la classe te regarde en voulant dire : « Qu'est-ce que tu vas faire ? L'autre élève en arrière a renchéri, on te regarde, amuse-toi ! » C'est ça l'impression que ça fait ; tu as 30 élèves qui te regardent, la petite fille dans le coin qui est rouge, tu ne sais pas si elle va se mettre à pleurer, alors tu réagis vite. Ce que j'ai vu, c'est que je venais de lui donner une bonne claque dans la face ; son obésité, elle la traîne depuis qu'elle est là et je le sais que c'est un gros problème pour elle. Je venais de l'assommer avec son problème à elle, puis en plus devant tout le groupe. Alors, j'ai réagi tout de suite et ma première réaction n'a pas été d'attaquer Diane. Ma première réaction, étant donné que c'est moi qui avais amorcé le tout, était de m'excuser ; je voulais dire que j'avais fait une erreur en parlant comme ça pour ensuite amener la personne qui avait renchéri à s'excuser. Je ne sais pas jusqu'où je serais allé pour m'excuser, mais je serais allé loin, jusqu'à ce qu'elle me pardonne.

Diane, je la connais : c'est une élève qui a parlé de la même façon qu'elle dirait un peu n'importe quoi, sans réfléchir, pour s'excuser après. C'est exactement ce qu'elle a fait, sauf qu'elle a mis le feu aux poudres, mais ce n'était pas méchant et elle aurait dit une chose aussi blessante à n'importe qui d'autre, quitte à s'excuser après ; c'est son genre. Mais il était quand même important qu'elle s'excuse. Je ne pensais pas qu'elle le ferait ; elle l'a fait spontanément, aussi spontanément que moi, probablement en suivant mon exemple, elle s'est dit : « Il est capable de s'excuser, je suis capable de le faire aussi. » Je me rappelle ce qu'elle a dit : « Je m'excuse, j'ai été méchante puis je ne voulais pas être méchante. » C'est ça qu'elle a dit et ça avait l'air tellement facile pour elle de dire ça !

Dans ma tête, je voyais sa mère arriver, je me voyais chez le directeur avec l'élève, je voyais un paquet de problèmes possibles qui pouvaient m'arriver ; il fallait que ça se règle. Il y avait un autre facteur tout aussi important : je ne l'ai pas réglé juste pour éviter les problèmes, je l'ai réglé pour Isabelle, parce que je lui avais fait de la peine et l'autre fille lui avait fait de la peine. Diane n'aurait jamais fait ça si moi je n'avais pas commencé l'affaire, par erreur. Pour le côté humain, je n'aime pas mettre mes élèves en boîte ; j'aime ça les agacer, les provoquer, les piquer, mais je ne veux pas leur faire mal dans leur être. Je l'avais fait et il fallait que je me rétracte. Il y avait ce côté-là aussi qui m'est passé par la tête, qui est venu en même temps que tout ce qui pouvait m'arriver. Il y avait ces deux aspects-là. Le fait qu'Isabelle soit un cas-problème dans l'école était suffisant ; je ne voulais pas que ça soit un cas-problème avec moi. Je voulais qu'on ait une bonne relation ; on avait une relation privilégiée et je ne voulais pas que ça se brise. Je ne voyais pas d'autres solutions que de faire ce que j'ai fait avec elle sur le moment, quand c'est arrivé.

J'aurais pu avoir du trouble, les parents auraient pu s'en mêler... Ça s'est fait en début de période et je l'ai réglé tout de suite. J'avais peur que si je laissais ça là et que je dise : « On réglera ça plus tard... », j'avais peur que l'élève parte, passe une journée dans cette situation-là, que ça fasse le tour des autres élèves, le tour des autres groupes, que ça se rende à la maison le soir. Mon intention était que ça ne déborde pas à l'extérieur de la classe et que ça ne fasse pas un plat dans toute l'école.

Il y a mon statut précaire aussi ; je ne suis même pas permanent. J'en ai vu ici, ailleurs aussi, des précaires se mettre les pieds dans les plats et ça ne pardonne pas. Tu n'as pas de poids, parce que la direction va te foutre à la porte si elle voit qu'elle est pour avoir ne serait-ce qu'un peu de difficulté avec toi, à cause d'un comportement que tu aurais eu. Il y a des profs ici qui étaient précaires et ils ne sont jamais revenus parce qu'ils ont eu du trouble avec des élèves et qu'ils n'ont pas su le gérer. Moi, je voulais gérer celui-là, mais il n'y avait pas juste le côté précaire non plus. Il y avait aussi le respect d'Isabelle, le respect de la personne et il n'était pas question que je glisse là-dessus. On peut faire beaucoup de choses, mais pas humilier un élève. Elle était insultée et elle était humiliée, ça paraissait dans sa personne. Il fallait que je désamorce ça et je l'ai fait. Ce n'est pas évident devant une classe de 30 personnes de dire à une élève que tu t'excuses de ce que tu as fait, que tu ne voulais pas que ça prenne cette tournure. Ce n'est pas évident non plus de demander à une autre élève de s'excuser à propos de ce qu'elle avait dit et elle l'a fait.

Ça a fonctionné. J'ai demandé à Isabelle si mes excuses lui convenaient. Est-ce qu'on réglait ça à sa satisfaction ? C'est sûr que Isabelle, à 15 ans, n'était pas pour commencer à faire une dissertation sur ce que j'aurais peut-être dû... patati... patata... Elle m'a dit qu'elle était contente et que c'était correct ; elle n'a pas élaboré beaucoup. Quand j’ai vu les yeux d'Isabelle, dans les yeux on voit tout, j'ai vu qu'on se comprenait. Je savais que c'était réglé, il n'y avait pas de problème pour moi. Quand Isabelle m'a regardé puis qu'elle m'a fait signe que tout était beau, je savais que c'était réglé. J'ai vu sa mère aux bulletins la dernière fois, peut-être un mois après, et elle ne m'en a pas parlé. Je suis sûr qu'Isabelle n'en a même pas parlé à sa mère.

Tout est rentré dans l'ordre et l'élève est aussi heureuse qu'avant dans mon cours ; je suis sûr qu'elle a oublié ça. Je pense qu'à partir de ce moment-là, Isabelle a compris qu'elle était acceptée dans le groupe par moi et que, par ricochet, les autres élèves allaient l'accepter telle qu'elle était. Je m'étais excusé devant elle, devant le groupe pour elle et je pense qu'elle s'est dit : « Il est de mon côté. » Cette situation ne pouvait pas se régler juste entre elle et moi. Ce n'était pas possible de régler ça tout seul, j'avais dit ça devant le groupe ; ça ne pouvait se régler autrement. Depuis ce temps-là, je suis surpris un peu moi-même ; on dirait que Isabelle est très bien acceptée dans le groupe et que les élèves ont plus tendance à aller lui parler. Le tout s'est réglé rapidement dans l'espace d'une période et c'est surprenant de voir la rapidité d'exécution avec laquelle on peut composer.

Nous ne sommes jamais revenus là-dessus ; ce n'est pas un sujet agréable à se rappeler. Ça a été une erreur de ma part et je ne tiens pas à en parler à toutes les périodes ; ça s'est réglé comme il le faut et ça n'a pas débordé de la classe. Je n'ai pas voulu disséquer la situation jusqu'au bout. Je le regrette un petit peu, j'aurais pu demander au groupe ce qu'ils en pensaient. C'est un genre de groupe qui m'aurait permis de faire une bonne discussion, car je l'ai déjà fait sur d'autres sujets ; je n'en ai pas senti le besoin. J'ai senti qu'avec mes excuses, les excuses de Diane, l'acceptation d'Isabelle, on venait de boucler la boucle. Pour moi, c'était satisfaisant (3). À la suite de cette situation, je crois que j'ai grandi dans le groupe en tant que prof parce qu'ils ont vu que j'étais correct. Ils le savent que je suis correct, ils me le disent souvent, mais ils ont vu que je pouvais m'excuser, que j'étais en fin de compte un humain comme eux autres et que je n'avais pas toujours raison. Je pense qu'ils ont senti que j'avais bien réglé l'affaire, qu'ils étaient contents probablement, du genre à se dire : « Bien, si c'était à moi que ça arrivait, il serait capable de discerner les choses. » Ils le savent, on en parle souvent, ils connaissent mon attitude. Mais ça l'a confirmée devant le groupe. En tout cas, il y a une chose qui est certaine, je n'ai pas perdu d'autorité, je n'ai pas perdu la face, je n'ai rien perdu. Je ne suis pas sûr si, à quelque part, je n'ai pas acquis quelque chose, mais je ne sais pas quoi... Les seuls commentaires de l'extérieur, les premiers que j'ai eus, c'est de ma femme. Quand je suis arrivé le soir, elle m'a dit : « Tu es pas mal bon de pouvoir t'excuser devant un groupe, d'avouer que tu as fait une gaffe et de demander à une élève de s'excuser. Ce n'est pas facile, la plupart du temps ils ne veulent pas s'excuser. La plupart du temps, ils ont toujours raison. » J'étais fier de moi. Le bout où j'étais le plus fier, c'est d'avoir revalorisé Isabelle, de l'avoir vue à terre puis de l'avoir relevée devant les autres élèves. Pour moi, elle était une personne importante, malgré le fait que plusieurs riaient d'elle à cause de son poids.


1- Une relation privilégiée

Étant donné que je les rencontre tous les jours, c'est spécial comme relation. Et j'ai toujours eu comme idée : « Je ne peux pas les rencontrer tous les jours pendant un an si je ne les aime pas. Si notre relation n'est pas bonne, maudit que ça va être long, que ça va être plate. » Alors, j'ai toujours essayé avec ces groupes-là de bâtir une relation privilégiée... Un groupe de réguliers, tu les vois le lundi et tu les revois le jeudi. Bon, s'ils ont été déplaisants le lundi, rendu au jeudi, c'est pratiquement oublié. Mais avec un groupe comme ça, que tu rencontres tous les jours, si ça ne va pas bien, ça n'aura pas de bon sens. Ma relation avec eux autres, c'est une relation bien différente : nous sommes proches, ils me racontent leurs choses, je leur en raconte, moi aussi. Ils connaissent ma femme et je leur ai montré des photos de chez nous. C'est une relation tellement, tellement différente, tellement proche. Je me dis : « Si on ne s'entend pas comme larrons en foire durant toute l'année, l'année ne sera pas vivable. » Alors, j'ai développé avec eux une bonne relation. Ils me parlent de leur vie, tout un chacun me raconte ses petits problèmes, ses petites choses. C'est ça qui fait que ça fait un climat de groupe différent.

Ils sont brillants, ils sont pratico-pratiques. Ils ne sont peut-être pas des génies en mathématiques, mais dans la vie courante, ils savent où ils vont. Ils vont directement au but. J'ai eu un problème avec un des élèves, il y a environ deux semaines : je me demande s'il n'a pas triché dans un examen. Je n'ai pas voulu lui donner sa note et les élèves se sont rangés derrière moi. Il y a même une élève qui lui a dit que ce serait le temps qu'il ferme sa boîte et qu'il prenne son trou ; ils voient clair. Je ne peux pas leur passer n'importe quoi et ils ne me passent pas n'importe quoi. On vit ensemble une heure et quart par jour, en plus, de façon libre. Ils peuvent s'exprimer, ils peuvent dire ce qu'ils veulent, alors ça crée des liens. Si tu es une heure et quart dans ton coin, puis que le prof est en avant et qu'il a l'air bête, personne ne se parle ; il ne se passe pas grand-chose. Mais quand tu vis une heure et quart par jour mais de façon libre, et que le prof te stimule à échanger, au bout de trois ou quatre mois, ça fait un groupe qui est intéressant en maudit et qui bouge. C'est ça que j'ai, que je vis actuellement.

2 Une relation qui transparaît sur le climat pédagogique

Ils travaillent régulièrement en équipes de deux ou de trois, sauf les fois où je présente la matière. J'ai de la musique de fond en classe pour eux ; l'ambiance est détendue. Je ne peux pas les faire travailler comme un groupe régulier ; je les vois à tous les jours et ils font une heure et quart de maths à tous les jours. Si j'essayais de les faire travailler au fouet, ça sauterait à quelque part ; ça ne pourrait pas fonctionner, car ils ont trop d'heures de maths pour être assidus à leur chaise et m'écouter pendant une heure et quart comme le ferait un élève régulier. Ils ont besoin de se défouler un peu et de bouger. J'essaye de changer souvent de formule : je ne ferai jamais une heure et quart de travail en équipes ou une heure et quart d'exposé en avant. Il faut que je fasse des choses différentes pour pouvoir les garder actifs, les garder éveillés. Il me vient un exemple : l'autre jour, j'expliquais quelque chose et il y avait des élèves qui ne comprenaient pas ; alors une élève a dit : « Est-ce que je peux aller au tableau ? Je vais leur expliquer. Je pense qu'ils vont me comprendre. »

On se parle en groupe. Parfois, dans ce groupe-là, quand je ne suis pas content de leurs résultats, je vais dire : « Nicolas, tu as eu 43 % à ton examen. Je ne suis pas satisfait, tu ne travailles pas. » Contrairement à d'autres groupes où je ne donnerai pas les notes des élèves devant tout le monde, je dis ça devant tout le groupe et ils me répondent devant les autres. Ça se passe en groupe, comme ça ; c'est spécial. Pour mon récit, j'aurais peut-être agi différemment dans un autre groupe, mais dans ce groupe-là, on s'est toujours dit nos quatre vérités. On n'a jamais laissé traîner les choses ; la relation est forte.

Ils sont durs entre eux, mais ils sont honnêtes et ils ne sont pas nécessairement méchants. Ils se parlent dur, mais dans mon récit on a vu que Diane s'est excusée. Si ça avait été mesquin, elle ne se serait pas excusée. Elle a dit ça comme ça, pour le dire, mais ça ne lui a pas fait grand chose de revenir en arrière et de dire : « Bien moi aussi, je m'excuse, je n'ai pas été gentille. »

3- Ce qui importe

Ce qui importe pour moi c'est l'individu, c'est la personne. Tu passes de la matière, mais pour moi, ce sont des individus que j'ai en avant de moi et dans ce cas-là, ce sont surtout des individus légèrement poqués de la vie, avec des problèmes ; c'est plus ça que je vois que des élèves à remplir de matière. C'est ma première approche et c'est pour ça d'ailleurs que j'ai tant de succès avec ce genre d'élèves. Ce ne sont pas des universitaires en recherche, ils ne l'ont pas, mais j'en fais des jeunes heureux de faire des maths pendant un an avec moi. C'est ma première préoccupation, après ça vient la matière. J'ai des témoignages de parents qui sont venus me voir : « Qu'est-ce qui arrive à ma fille ? Qu'est-ce qui arrive à mon gars ? » Il arrive qu'elle est bien avec moi en mathématiques. En dépit de ça, on a des résultats, ils progressent, je leur donne les mêmes examens qu'au régulier et j'ai des surprises. Même pour les examens du Ministère à la fin de l'année : tout le monde a la même évaluation et les résultats, en dépit du fait que ça soit relaxe, sont bien. Mes élèves peuvent s'exprimer, ils peuvent dire ce qu'ils ont à dire, ils peuvent vivre. C'est pas évident, tu ne rencontres pas ça partout.

Je n'ai pas peur de ces situations où ça brasse, où on me critique, où je suis mis en doute. Ça se peut que je n'aie pas raison ; on va s'asseoir et on va en parler. J'aime ça, ça ne me fait pas peur. On peut faire des tables rondes avec mes élèves puis jaser de n'importe quoi. C'est cette attitude-là qui m'a permis de régler ce cas en groupe.