© Desgagné, S. et Gervais, F. (2000).

Version imprimable:

Préambule : La situation est présentée par une enseignante de géographie de troisième secondaire. Elle a choisi ce récit à la suite d'une conversation qu’elle a eue avec une stagiaire. Celle-ci avait été témoin d’un incident, elle a été surprise de la réaction de l’enseignante. L'enseignante nous raconte la situation et la façon dont elle a agi.

TITRE: L’HUMEUR D’UN MATIN

Cette situation s'est passée un lundi matin, plus précisément le dernier lundi avant la session d'examens. Le lundi matin, on vit des situations différentes avec nos élèves : ou les groupes sont très, très calmes et même endormis, ou des fois, ce sont des petites bombes. Ce lundi, pour plusieurs raisons, les élèves étaient un peu surexcités. En premier lieu, j'avais la présence de la stagiaire ; c'était la première fois après Noël qu'elle revenait dans le contexte de la classe. Les élèves n'étaient pas habitués à avoir des stagiaires depuis le début de l'année et je pense qu'ils l'avaient vue peut-être une fois. C'était le retour de la fin de semaine et les élèves étaient nerveux. Je dois bien préciser que c'était un groupe très particulier (1) : dans le même groupe, j'ai des élèves qui sont très, très forts avec un gros potentiel au niveau des apprentissages, et l'autre moitié du groupe très, très faible. C'est assez particulier et je dois dire que j'ai dû m'arrêter à plusieurs reprises pour essayer de voir comment je pourrais m'y prendre avec ce groupe-là. J'ai essayé plusieurs procédés, j'ai échangé avec mes stagiaires, on a essayé des choses nouvelles. Si j'ai affaire à mon groupe d’élèves qui comprend très rapidement, j'explique une fois et pour eux c'est enregistré, tout est compris. Par contre, si je n'explique qu'une fois, je perds la moitié de mon groupe d’élèves, parce qu'ils ont un rythme beaucoup plus lent et sont portés à parler lorsqu'ils n'ont pas compris. Alors, ils ont manqué une partie du cours. Par contre, si je m'intéresse à mon groupe très, très faible et que je répète trois ou quatre fois, et là je n'exagère pas, parce que si je veux qu'ils comprennent, c'est ce que je dois faire, je perds mon groupe de forts. Si j'explique une fois, j'en perds la moitié, si je répète 4 fois, je perds l'autre moitié. Tout ça fait que c'est un groupe qui est très fragile. Disons que ça me demande beaucoup plus d'énergie que dans mes autres groupes.

Nous voilà donc arrivés ce fameux lundi. J'ai une élève avec qui je n'ai jamais vraiment eu de problème ; c’est une élève qui ne se manifeste pas beaucoup, autant par la parole que par des choses négatives. Elle est dans la moyenne, si on veut, au niveau du comportement. Je me suis aperçue que mon groupe était un petit peu plus agité. L'élève, Josiane, arrive ; elle change de place sans ma permission pour aller s'asseoir à côté d'une de ses amies avec qui elle avait déjà entrepris une bonne conversation. Je n'ai rien contre ça ; disons qu'on est un petit peu plus souple, le lundi matin. On revient de la fin de semaine, on se permet quand même de se dire bonjour, puis de se demander si ça va bien. Par contre, dès le début de l'année, je leur parle de certaines petites règles ; ce n'est pas compliqué, je demande qu'on se respecte. Je veux que l'élève se respecte lui-même, elle-même et j'aime qu'ils respectent les personnes autour et qu'ils me respectent moi aussi. Je m'engage à faire la même chose de mon côté ; je pense que c'est une petite règle importante et j'essaie de l'appliquer, de la garder toujours présente dans la classe. Il y a aussi une autre règle que je demande à mes élèves de respecter, je leur dis : « Quand vous venez en géographie, je ne souhaite qu'une chose, c'est que vous soyez bien pendant le cours. On se respecte, tu arrives au cours, tu es bien. Si tu ne te sens pas bien, pour une raison ou pour une autre, que ce soit à cause d'une maladie, d'une peine, que ce soit quelque chose que tu as vécu et qui t'a bouleversé, viens me voir au début du cours, je vais m'organiser avec toi et si tu ne te sens pas apte à rester au cours, je préfère trouver une solution, on sort de la classe. Ce n'est pas en termes de punition, mais je préfère que tu ailles vivre quelque chose ailleurs. Moi, si j'ai tout le groupe, je ne peux pas t'accompagner là-dedans, mais on va trouver quelqu'un pendant le cours qui pourra le faire. » Alors, ce sont des règles que les jeunes connaissent.

C'est certain qu'il est parfois difficile pour un jeune de troisième secondaire de voir qu'il est perturbé, en arrivant au cours, et c'est un peu ce qui s'est passé avec Josiane. Alors, quand j'ai vu que le groupe était un peu perturbé et que Josiane était en grande conversation avec une bonne amie, j'ai dit : « Josiane, je souhaite que tu changes de place ; je pense que ça va être préférable pendant le cours. » Elle me répond sur un ton très inhabituel et je dirais même peut-être un petit peu arrogant. Je me suis dit en moi-même : « Non, je n'accepterai pas cette situation-là. » J'ai quand même pris le temps de me dire : « Qu'est-ce qui se passe ? » Elle a accepté de changer de place, mais elle a dit : « Pourquoi c'est juste moi qui dois changer de place alors qu'il y en a d'autres qui parlent ? » Ça a été sa réaction, mais sur un ton peut-être un petit peu plus arrogant. Je ne peux pas lui donner tort complètement, sauf que j'ai vu qu'elle ne fonctionnait pas et qu'elle est allée s'installer à côté d'une de ses amies qui placote beaucoup. Elle avait raison jusqu'à un certain point, mais c'est moi qui suis l'enseignante en avant. Je ne voulais pas qu'elle se mêle de ma régie de classe, d'une certaine façon. Alors je lui ai dit : « J'ai décidé que toi tu n'irais pas là, c'est ce que j'ai décidé aujourd'hui et je pense que c'est pour ton bien, c'est pour le bien de ta copine aussi. » Elles n’étaient pas nécessairement les plus fortes en classe. Je lui ai demandé : « Josiane, ça ne va pas aujourd'hui ? » Elle m'a répondu : « Non ! » J'ai enchaîné : « Tu sais, quand ça ne va pas et que tu ne te sens pas capable de rester dans le local, il serait peut-être préférable que tu ailles ailleurs. » Elle a rajouté : « C'est ça, O.K., je m'en vais ailleurs. » J’ai dit : « Parfait ! » et je lui ai fait un petit papier indiquant qu'on envoie une élève dans un autre local. Alors, les élèves ont vu qu'elle avait un petit peu élevé le ton puis que j'étais restée muette pendant quelques secondes. Ils se sont dit : « Mais voyons, qu'est-ce qui se passe aujourd'hui ? » Ils ont vu que Josiane sortait du local et ça les a un peu figés.

Tout ce temps, j'avais toujours ma stagiaire en classe. Je me disais : « Stagiaire ou pas, c'est l'attitude que j'adopte face à mes élèves parce que je veux qu'on me respecte. » Je trouve que c'était un manque de respect et je voulais que le cours se donne. On était au début de la période. Je pense que j’ai fait pour le mieux ; Josiane n'était pas dans un état pour qu'on puisse échanger et deuxièmement, je devais m'occuper de mon groupe. Elle est sortie et les élèves sont restés d'un calme surprenant. Ils m'ont regardée en voulant dire : « Tu as eu raison, ça s'est calmé, nous sommes prêts à commencer notre cours. » Et le cours s'est donné ; ça a été parfait, ça a été très calme. Je pense qu'il fallait qu'ils sentent que j'étais là pour arrêter l'agitation qu'il y avait au début du cours ; c'est ce que j'ai ressenti. Le fait que j'aie ma stagiaire n'a sûrement pas débalancé le groupe, parce que Valérie est une étudiante très posée, qui dégage justement beaucoup de calme. Elle est allée s'asseoir au fond de la classe, pour faire son observation et tout est rentré dans l'ordre.

Au fond, c'est une petite situation que l'on vit occasionnellement. Je ne peux pas dire que j'en vis tous les jours parce que j'essaie de beaucoup respecter les jeunes qui sont avec moi, les faire se sentir le mieux possible, et j'aime qu'on me rende la pareille (2). Mais là, cela a été un petit peu particulier. Après, c'était l'heure du dîner ; comme d'habitude, je m'en vais à la cafétéria et j'étais dans la file d'attente. Josiane s'approche et aussitôt qu'elle me voit dans la file, elle s'en vient vers moi et me dit : « Excuse-moi ! » Je lui ai répondu : « Qu'est-ce qui s'est passé avec toi ce matin, ça n’allait pas du tout ton affaire ? » Elle m'a dit : « Non, je m'excuse, j'ai été bête, je n'avais pas de raison d'être bête, ça ne fonctionnait pas. » J'ai poursuivi : « Dans ce temps-là, tu me le dis, ce n'est pas compliqué et j'essaie de te trouver un local où tu vas pouvoir te calmer et réfléchir, pour avancer dans le problème que tu vis. » Elle a enchaîné : « Tu as raison, mais je ne suis pas allée te le dire et puis je n'ai pas été gentille, j'ai été impolie envers toi, je m'en excuse. » J'ai alors terminé en disant : « Tu as bien raison, je ne reconnaissais pas la Josiane que je connaissais, je me suis dit : voyons qu'est-ce qui se passe avec elle ? »

Alors, ça s'est réglé comme ça. C'est certain que lorsqu'il nous arrive de petits événements comme ça avec des élèves, on a tendance à revenir là-dessus avec eux. Quand elle est revenue au cours suivant, j'ai dit : « Bonjour Josiane, ça va bien ? » Elle a répondu : « Oui, ça va bien. » C'était réglé ; c'est arrivé une fois, puis ça ne reviendra plus. Je fais quand même plus attention à elle, je m’informe plus souvent auprès d’elle : « Bon ça va bien Josiane ? Tu es de bonne humeur ce matin, la vie est belle ? » On dirait que depuis ce temps-là, elle sourit beaucoup plus qu'elle ne souriait avant. Je ne sais pas, peut-être que c'était une façon pour elle d'attirer mon attention. C'est ce que j'ai fait et c'est ce que je continue de faire. En retournant chez moi le soir, j'ai essayé de voir le message qu'elle a voulu me lancer ce matin-là ; elle a voulu me dire que ça n'allait pas bien. Est-ce qu'elle voulait me dire autre chose ? Voulait-elle que je la remarque plus ? Effectivement, ce n'est pas une élève qui a des problèmes, généralement. Des fois, il y en a qui sont plus fragiles que d'autres ou qui ont plus de troubles de comportement, mais elle, ce n'était pas le cas. Je n'ai pas, comment dire, à la questionner plus souvent qu'un autre ; habituellement elle me suit et elle répond. Mais là je me disais : « Peut-être que je ne lui donne pas assez d'attention dans ce groupe-là. » J'en ai tellement à qui il faut que je donne de l'attention dans le groupe. C'est peut-être un petit signe qu'elle m'a fait, je vais porter un petit peu plus attention. Puis, effectivement, c'est ce que je fais depuis et ça va très, très bien. Ça m'avait paru un événement assez ordinaire, mais Valérie, ma stagiaire, a été impressionnée. Elle m’a dit : « Comment as-tu fait pour décider que tu la sortais ? Tu aurais pu la confronter, tu aurais pu répondre, lui poser des questions, l'amener à parler. » Mais je me disais : « Il ne faut pas dire des paroles que je pourrais regretter ou qui dépasseraient ma pensée. » Et d'ailleurs, ce n'est pas dans ma nature de parler fort ou de crier après les élèves, je déteste ça. Elle venait de me manquer, d'une certaine façon, de respect et je me suis dit : « Il ne faut pas que j'embarque dans ce jeu-là. Je vais respecter ma règle, je la respecte, je la regarde aller un petit peu, j'essaie de lui rendre service en l'amenant dans un lieu plus calme. » Si ça avait été une fille arrogante à tous les cours, cela aurait été différent, mais ce n'était pas du tout le cas. Quant au groupe, c'est un groupe très difficile ; je suis intervenue beaucoup auprès d'individus, auprès du groupe aussi, je leur ai demandé d'écrire des suggestions afin que le groupe fonctionne mieux. Ça tournait pas mal autour du respect. Alors, ils voyaient la situation : est-ce que j’accepterais de ne pas être respectée, comment réagir là-dedans ? J'ai pris la décision de la sortir, et je pense que, jusqu'à un certain point, les jeunes s'attendaient à ça, parce que ce n'était pas acceptable. La preuve qu'ils l'ont acceptée, c'est qu'à partir du moment où j'ai dit : « Josiane, tu peux te retirer ! », les jeunes sont devenus très calmes.

Ce qui a frappé Valérie, c’est le fait que je ne m'étais pas emportée, que je n'étais pas embarquée dans son jeu d'arrogance. Comment avais-je choisi de la retirer du groupe, plutôt que de l'installer dans le fond de la classe ? C’est sûr que ça s'est fait vite, mais je n'ai pas répondu. Je l'ai écoutée, je l'ai observée et puis là, j'ai réagi. Elle s'est dit : « Comment expliquer que tu aies pensé à ça en l'espace d'une fraction de seconde ? » Moi je pensais à bien des choses, j'avais l'élève, j'avais le reste du groupe, j'avais la stagiaire, j'avais mes petites règles que je souhaite voir respectées en classe. À ce moment-là, la règle n’avait pas été respectée ; si j'accepte ça, spécifiquement dans ce groupe où j'ai de très gros problèmes de comportement, s’il y en a un qui saute, attention, parce que les autres ça bouille autour. Je voulais éviter une situation désagréable. J'ai pensé aussi à ces choses-là ! C'est ça que je lui expliquais. Dans l'état où Josiane était, ce n'était pas le temps parce que je la sentais un petit peu trop nerveuse, je ne la sentais pas bien dans sa peau. Ça ne donne rien d'alimenter des mots, des paroles ; on pourrait lever le ton, on pourrait le regretter puis ça va donner quoi ? Ça ne donnera rien. Tous les élèves vont être témoins, tout le monde va perdre du temps et tout le monde va se mêler de ce qui ne le regarde pas. Je ne trouvais pas qu'elle était dans un état pour continuer une conversation. Puis, si elle avait eu quelque chose de personnel, ce qui était le cas, elle n’avait pas à partager cela avec le reste de la classe. Son arrogance a fait en sorte que je me suis dit : « Non, ce n'est pas son état normal, il est bon que je fasse en sorte que sa pression diminue à quelque part. » La sortir du groupe, ce n'était vraiment pas pour la pénaliser ou quoi que ce soit, je pense plutôt qu'elle avait besoin de se retrouver seule dans un lieu plus calme. Pour moi, la meilleure situation, cela a été un retrait du groupe et je pense que pour cette fois-ci, c'était ce que je devais faire (3). En principe, quand on sort un élève, il y a des conséquences qui s'ensuivent : il doit venir sur l'heure du dîner par exemple, avoir une retenue à 4 heures, ou ça pourrait aussi être un samedi matin. Dans le fond, je devrais connaître mon règlement par cœur, mais c'est très rare que je sors un élève ; je vais m'en servir en cas d'extrême limite parce qu'habituellement, je règle les problèmes soit en classe, soit un petit retrait dans le corridor. On est capable de régler les situations dans notre régie interne de classe. C'est assez facile à gérer habituellement, mais parfois il y a des vécus un peu plus lourds que d'autres et là, je sentais que ce n'était pas juste une petite affaire. C'était plus lourd que ça, puis je me suis dit : « Je la reprendrai en dehors du cours. » J'ai fait en sorte qu'il n’y ait pas des conséquences ; j'ai réglé ça entre nous parce que je savais que ce n'était pas une habitude de sa part. Mais le fait qu'elle soit venue me rencontrer le midi, là, ça voulait tout dire.

J'ai un seuil de tolérance très élevé avec mes élèves, tant sur le plan de l'apprentissage que sur le plan du comportement. Avec des élèves qui ne comprennent pas, je vais être très tolérante : je vais répéter, je ne me fatiguerai pas de répéter parce que je sais que ça fait partie de mon rôle. Au niveau des comportements, je suis aussi tolérante, mais je les habitue à savoir quand arrêter, parce que si tu ne sais pas quand arrêter, rends-toi pas jusqu'au bout de ma patience, parce que là, il va être trop tard. Pour ça, je les avertis dès le début de l'année. Ce qui m'a fait tourner un petit peu la pointe du cœur, ça a été l'intonation, un petit peu arrogante, ce à quoi je ne suis pas habituée. Je ne parle pas fort à mes élèves et je n'aime pas qu'on élève le ton lorsqu'on s'adresse à moi. Je me suis sentie un peu débalancée et je me suis dit : « Oh ! oh ! ce n'est pas normal ça ici ce matin ! » et c'est ça qui m'a amenée à réagir ainsi.

Par la suite, ma pression est revenue tout à fait normale parce que j'ai vécu un très beau cours. Dans ce groupe, tu ne le sais jamais en entrant ; tu le sais quand tu sors, comment ça va. J'avais fini mon cours, je m'en allais à la cafétéria ; ça ne m'a pas tellement préoccupée. Je savais qu'il fallait que je la revoie, mon objectif était de la revoir dans le courant de la journée et j'avais une période libre. Il fallait que je la revoie, je ne pouvais pas laisser ça en suspens. Mais je n'ai pas eu le temps d'y penser, parce qu'elle m'a quasiment sauté dessus : j'étais dans la file et elle est arrivée en courant à la cafétéria, dans ma direction. Si ça avait été un élève qui l'avait dit sur un ton un petit peu moqueur, ça aurait été différent ; je n'aurais pas agi de la sorte, je n'aurais probablement pas fait sortir l'élève, dans ce cas. Dans son cas à elle, c'était de l'arrogance, mais c'est parce qu'au fond elle avait un problème ; il y avait quelque chose qui se passait en elle qui ne fonctionnait pas bien et elle est venue me le dire après. Il fallait qu'elle soit retirée et je pense que ça a été la meilleure solution. D'ailleurs, on en a reparlé après et elle m'a dit : « T'as bien fait de me sortir. De toute façon, j'aurais pas été là. » Il y a une chose aussi, c'est que ça s'est passé au début du cours. C'est très différent parce que si je traîne ça tout le cours, on va perdre le cours. Quand c'est à la fin d'un cours, c'est peut-être plus facile, tu laisses jaser un peu les autres ou finir un travail puis toi, tu t'en vas dans le corridor avec l'élève. Tu échanges et le jeune t'explique : « Écoute, j'ai vécu telle affaire, c'est pour ça que j'ai eu telle réaction. » (4) Mais là, ce n'était pas le cas, c'était au début du cours et je ne pouvais vraiment pas me permettre de traîner ça. Ce qui a surpris Valérie, c'est qu'habituellement c'est relativement calme pendant les cours. Elle n'est pas vraiment habituée à ce que ça saute. Si je m'aperçois qu'un jeune fonctionne moins bien, j'essaie de m'approcher de lui en classe, à son bureau, puis je dis : « Bon, ça va, est-ce que tu es de bonne humeur aujourd'hui ? Ça va bien ton travail ? » Habituellement ça se règle plus facilement, je n'ai pas d'éclat comme j'ai eu ce matin-là. Ce n'était quand même pas quelque chose d'irréparable, ce n'est pas ça que je veux dire, sauf que c'était inhabituel et ça manquait à la règle que Josiane devait respecter.

Le premier souci, ça a été le groupe, parce que c'est celui qui est le plus difficile à gérer. M'être retrouvée dans un autre groupe où je sais que j'en ai juste un qui peut sauter, je n'aurais pas réagi de la même façon. J'aurais dit : « Écoutez, prenez tel exercice, je vous laisse 5 minutes. Travaillez individuellement. » Je serais sortie dans le corridor avec l'élève et on aurait pu s'expliquer sur le moment. Les autres élèves, ça ne m'aurait même pas inquiétée, tout le monde aurait travaillé en silence, ce qui n'est pas le cas dans ce groupe. Je ne pouvais pas me permettre de sortir 5 minutes, car je les aurais perdus, pas 1, pas 2, pas 3, les 27. J'en ai 27 dans ce groupe-là, ce n'est pas pour rien. J'aurais pu en avoir 31, 32. Quand on en a 27, c'est parce qu'on a des cas lourds à traîner. Cette situation a montré qu'elle avait du caractère, la petite. Mais ça a démontré aussi qu'elle devait se servir un petit peu de son contrôle, contrôler un petit peu ses émotions. De mon côté, par la façon dont je lui avais demandé de changer de place, je n'avais pas été dure ; c'était un lundi matin, c'était en plus ma première période, j'étais très calme après une fin de semaine, puis là, oups !, elle m'a doublement surprise. Si ça avait été un vendredi après-midi, j'aurais dit : « Bon ! il s'est passé quelque chose jeudi soir... », ou quelque chose du genre. Si c'était à refaire, je reprendrais la même décision.


1- Un groupe particulier

Dès septembre, je me suis aperçue que j'avais affaire à un groupe hors de l'ordinaire. Pour avoir été dans l'enseignement depuis 1967, je pense que c'est la première fois que je vis une situation semblable avec un groupe. Je suis quand même chanceuse d'avoir quelques années d'expérience derrière moi pour réagir le plus positivement possible avec ce groupe-là. Par contre, il y a des cours qui fonctionnent tellement bien. Je m'en fais des fois beaucoup avant mon cours et par la suite, je me dis : « Mon Dieu, que ça a donc été agréable ! » J'ai essayé toutes sortes de petites approches ; des fois, ça ne fonctionne pas, mais des fois, ça va bien. J'ai essayé une chose, j'ai dit : « Essayons de former des équipes de deux. Une personne qui a un peu plus de difficulté dans certains domaines, puis l'autre qui a un peu plus de facilité. On va essayer de compléter nos informations, de s'entraider. » J'ai essayé ça pendant quelques cours et je me suis aperçue que même ma forte, sur qui j'avais misé pour aider une qui était en sérieux problèmes d'apprentissage, s'est mise à parler.

Ce qui a fonctionné le mieux, ça a été de diviser mon groupe en deux. « Toutes les personnes qui pensent que je peux les aider un petit peu en répétant ce qu'on a vu au début de l'année, venez en arrière avec moi. Les autres qui sont plus rapides, qui ont plus de facilité, j'ai un document de travail, des activités de perfectionnement, à condition que ça ne parle pas fort. Après on reviendra en plénière pour voir ce que nous avons fait. » En tout cas, avec ceux qui ont des problèmes d'apprentissage, cela a été extraordinaire. À la fin du cours, ils ont dit : « On a aimé ça aujourd'hui, on dirait que tu nous as montré que tu t'occupais juste de nous autres. » C'était tellement drôle, ils m'ont dit : « C'est comme si tu nous aimais vraiment là, tu as pris du temps juste pour nous, avec nos problèmes. » Je leur ai dit : « Il faut qu'on essaie de s'entraider. » Ceux d'en avant, ils ont assez bien travaillé ; c'est certain que ça a placoté un peu, mais dans l'ensemble c'était assez bien. Et quinze minutes avant la fin, nous sommes revenus en plénière. Les petits d'en arrière, je leur ai posé des questions, ils étaient tellement contents, ils étaient capables de répondre et les réponses étaient bonnes. Aux plus rapides, je posais des questions sur leur travail, ils étaient bien fiers de montrer aux autres ce qu'ils avaient fait, ça a été très bon.

Je ne peux pas faire ça toute seule tout le temps, car ça va tourner mal avec les plus forts, je le sais. Alors, j'ai dit à ma stagiaire : « Pendant que tu es là, tu t'occupes de mes forts en avant, ceux qui ont de la facilité, puis moi je vais m'occuper de ceux qui ont un petit peu plus de difficulté. » J'ai fait ça pendant trois cours et je me suis aperçue que ceux qui avaient un petit peu plus de facilité commençaient à trouver ça ordinaire ; c'est comme si je les négligeais. « Bon, nous allons revenir en groupe. » Il faut tellement varier avec eux. Alors, je suis revenue en groupe ; les deux derniers cours, ça a été super. Je continue à penser à des solutions ; comme autre solution, on va aller sur Internet. Je les ai jumelés avec un autre de mes groupes qui vit quatre périodes d'ordinateur par cycle. Ces derniers sont très habitués à l'ordinateur ; ils vont les initier à Internet, ils auront un petit travail à faire là-dessus. J'essaie de varier le plus possible, prendre à peu près tous les moyens qui sont à ma disposition, les transparents, par exemple ; ceux qui ont des difficultés, on dirait que ça les aide. Là, c'est Internet, on s'embarque là-dedans ; est-ce que ça va accrocher tout le monde ? Je ne rêve pas en couleurs, tu ne peux pas aller chercher tout ton monde avec un moyen que tu prends, mais ça devrait en accrocher plusieurs. Avec ce groupe, je ne sais jamais à quoi m'attendre. De plus, je ne veux pas dramatiser, mais je peux dire que je sors de ce cours-là vidée de mon énergie ; les jeunes qui sont en problème de conduite et de comportement, ils savent aller te chercher tes énergies et ils te vident pendant un cours.

2- Pour installer le respect dans le groupe

Au tout début de l'année, je parle à mes élèves : « On est trente cette année, il faut qu'on vive ensemble toute l'année. Pour qu'on soit bien ensemble, on va essayer de se respecter, on va se parler sur un ton respectable. L'autre est aussi fin que moi, tout le monde a besoin d'être respecté, autant vous que moi. On a tous quelque chose à apporter aux autres cette année. Quand vous arrivez en classe, on va essayer de se dire un petit bonjour puis de se sourire ; il me semble qu'on va être mieux dans notre classe. Moi, la géographie, je trouve que c'est une matière qui est agréable, qui est facile, il me semble que c'est facile à passer comme matière. » Habituellement, les élèves aiment assez la géographie. Je leur dis : « Au moins quand vous arrivez à votre cours de géographie, essayez donc d'être bien dans la classe. C'est tout ce que je veux, que vous soyez bien, et s'il y a des problèmes, on se le dit. »

Dès le début de l'année, je leur fais faire une petite recherche sur une des régions administratives du Québec, sur une région qu'ils connaissent, soit parce qu'ils sont allés en voyage à cet endroit, soit parce que les parents viennent de telle ou telle région. Je leur dis : « En géographie, on a tous des connaissances, tout le monde a quelque chose à apprendre à l'autre. Si toi tu viens de la Baie-James, moi je connais beaucoup moins ça ; tu es capable de nous en dire beaucoup de choses là-dessus. Il y a une chose que vous ne réalisez peut-être pas, mais vous en savez beaucoup, beaucoup de choses en géographie. » Puis je fais faire une présentation orale, pour leur faire réaliser qu'ils connaissent les choses et qu'on peut partager nos connaissances en géographie. Les jeunes, ça les intéresse et je trouve que ça les valorise aussi de parler d'un coin du Québec qu'ils connaissent. C'est mon début d'année, ça dure une couple de mois. Je sais que ça traumatise certains jeunes parce qu'ils doivent faire une présentation orale, mais je dis : « Faites comme si vous invitiez quelqu'un à aller en vacances avec vous dans tel coin du Québec. » Puis habituellement, ça fonctionne bien. À un moment donné, j'essaie de les rassembler en petites équipes, par exemple, ceux qui ont pris la région 02 : « Essayez de vous en parler un petit peu pour voir, qu'est-ce qui vous intéresse de parler de telle, telle autre chose. » Ça les met en confiance, ça leur fait connaître un petit peu d'autres jeunes qui viennent du même coin qu'eux. Ça les fait travailler en équipes un petit peu aussi tout en les faisant partager.

3- Un principe pédagogique

Mon objectif, c'est d'abord de donner un cours dans une ambiance propre à l'apprentissage. Alors, le fait qu'il y ait eu cet événement-là, ça ne devenait pas tellement propice à l'apprentissage ; il fallait rétablir le calme. Je dois aussi penser à me faire respecter parce que je ne suis quand même pas un élève, je suis une enseignante. Je respecte l'élève dans son rôle d'élève, mais on doit me respecter aussi dans mon rôle d'enseignante ; ce n'est pas dans le sens qu'un enseignant doit se sentir supérieur aux élèves, mais on a des fonctions qui sont différentes. Alors, l'élève a une fonction ; en situation d'apprentissage, il a sa fonction à lui d'être élève. Moi, je suis enseignante et c'est moi qui dois donner un certain apprentissage, d'une certaine façon. Alors, respectons-nous chacun dans nos rôles, chacun dans nos fonctions. J'aime être près de mes élèves, je les sens près de moi, mais respectons chacun nos rôles. C'est très important. Je pense qu'avec ça, tout le monde sait où il s'en va.

4- Ses échanges avec les élèves qui ont des problèmes personnels

Moi, je les laisse venir ; je me dis qu'il y a des ressources dans l'école. La seule chose que je dis aux jeunes : « Quand vous avez un petit problème —bien un petit problème, il peut être gros là— pour toi ou pour qui que ce soit, si vous avez un problème, peu importe la grosseur, vous avez le goût d'en parler. Dites-le nous. Des fois, ça ne veut pas dire que vous avez le goût d'en parler avec nous autres, mais on peut vous référer à une personne qui pourrait être disponible pour vous écouter à ce moment-là. Si tu as le goût d'en parler, tu ne te gênes pas, tu le demandes, tu le dis. Si tu penses que tu es capable de t'en aller dans ton petit coin, de réfléchir à ton affaire et que ça va bien, ou que tu préfères en parler avec ta mère ou avec ton père le soir, ou avec une amie, ou bien peu importe quelle personne, c'est parfait. Nous on est là si tu as besoin de nous. » Pour le cas de Josiane, elle a réglé sa situation ; ça a été une crisette qui était importante pour elle à ce moment-là, mais elle l'a réglée. Moi je respecte ça ; quand un jeune m'arrive en pleurs ou quoi que ce soit, c'est parce qu'il s'est passé quelque chose, il a de la peine et c'est sérieux. Elle, ça a été la même situation, mais elle a réagi agressivement, d'une façon un petit peu arrogante. Il y en a plusieurs qui sont référés à la psychologue ou en toxicomanie ou quelque chose comme ça. Ça m'arrive régulièrement de parler avec l'intervenante : « Bon, une telle ou un telle, c'est rendu où ? Est-ce que ça va bien ? » Parfois, ça nous aide nous aussi à réagir dans nos classes. Mais Josiane, ce n’était pas ce genre de cas-là...