© Larouche, H. (2006).

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Analyse d'un prototype du récit d'exploration défini comme:
une avancée dans l'inédit

L'apprivoisement d'un enfant difficile

La structure narrative

La structure narrative de ce prototype se déroule sur deux épisodes avant le passage à l'inédit, l'aveu d'une impasse et l'avancée dans l'inconnu pour résoudre le problème. Ce récit traite d'une situation où une enseignante tente avec les informations qu'elle reçoit d'un parent, le père, d'établir une relation avec un enfant provenant d'un milieu familial très perturbé. Elle qualifie le milieu de dysfonctionnel car l'enfant y a subi des sévices, de l'abus sexuel et est exposé à un climat tendu. La narratrice décrit comment elle réussira à entrer en relation avec l'enfant par une occasion inattendue qui se présente à elle.

L'ouverture du récit : la mise en situation

Au début du récit l'enseignante décrit sa façon habituelle d'entrer en contact avec les parents. Au mois d'octobre elle leur téléphone pour s'informer de l'adaptation de l'enfant à l'école. À cette occasion elle demande s'il y a des changements à la maison. C'est lors de ce premier contact que le père d'Antoine lui a raconté une partie de l'histoire. Cette partie de l'histoire, comme elle le dit, nous laisse entendre que la situation semble assez complexe. Voyons ce qu'elle dresse comme contexte pour situer le problème. Il provenait d'une famille de trois enfants, une sœur plus vieille et une sœur plus jeune qui ne venait pas encore à l'école. Les parents étaient séparés, le père s'occupait des trois enfants. Ils ont subi au cours de leur enfance un enlèvement par la mère et ils ont aussi subi des sévices sexuels. Il me disait qu'Antoine pouvait porter des gestes sur les autres enfants au niveau sexuel et il pouvait aussi être violent envers l'adulte et surtout envers la femme. Le père mettait beaucoup la faute sur la mère. Selon lui, la mère était responsable de tout. Par contre Antoine allait voir sa mère de façon régulière sous surveillance, avec ses deux sœurs. La mise en situation permet d'entrevoir que l'enseignante n'endosse pas entièrement les informations transmises par le père qui accuse la mère d'être responsable de tout. On sent dès le début du récit que la narratrice doute des informations transmises par le parent. Cette méfiance teintera tout le récit comme nous le verrons par la suite.

Premier épisode : avant le passage à l'inédit (l'aveu d'une impasse)

  • La description du problème

L'enseignante décrit son début d'année difficile, il n'était pas le seul, j'avais des enfants actifs mais lui était très lourd comme cas. Puis je ne peux pas dire que j'avais beaucoup de soutien. La narratrice donne peu d'éléments du contexte sinon pour une information qui nous semble particulièrement pertinente pour interpréter son récit : c'était sa deuxième année au préscolaire, avant elle était spécialiste en musique. On peut comprendre qu'elle a peu d'expérience et qu'elle se sent peut-être dépassée quand elle dit recevoir peu de soutien.

  • Les premières manifestations et les tentatives de résolution

L'enseignante décrit Antoine comme un type d'enfant très taciturne, renfermé, mais très sournois et violent physiquement. Cette description plutôt négative, avouons-le, permet de comprendre que la narratrice n'a pas beaucoup d'attirance envers l'enfant. Elle dira même être méfiante au début : J'étais méfiante, dans le sens où il ne faut pas que je m'approche trop, que je le colle trop. Alors j'observais comment je devais m'avancer, un peu comme le petit prince avec le renard...Le recours à la métaphore du petit prince apporte une nuance importante dans l'interprétation que l'on peut avancer de la relation entre l'enseignante et l'enfant. Il est possible d'y voir un défi qui vient piqué sa façon d'établir sa relation avec les enfants. On comprend dans ses propos, qu'habituellement elle a de la facilité à approcher les enfants, à les coller. Cet enfant, par son attitude, par les informations reçues du père, se démarque du reste du groupe. Elle dira d'ailleurs être très attentive pour l'observer.

L'enseignante décrit d'autres manifestations qui permettent de se représenter les comportements d'Antoine. En causerie il ne voulait pas participer, je lui disais : «C'est correct Antoine tu ne dis rien, on va passer à l'autre ami.» Antoine causait des problèmes, parce que des fois c'était la contestation, « non je ne le ferai pas », bon «O.K. tu ne le fais pas, on te retire», mais le temps de le retirer moi je perdais du temps avec mon groupe. Qu'il saute ça ne me dérangeait pas, mais j'étais inquiète par rapport aux autres enfants. Antoine était taciturne, il était indifférent, il ne répondait pas tellement, il ne voulait pas écouter les consignes, alors je l'envoyais s'asseoir sur une chaise. C'est un enfant très grand, très costaud, il est né au mois d'octobre. Alors quand je voulais le prendre pour aller l'asseoir, il se faisait comme mou, je ne pouvais pas l'immobiliser. Parmi les tentatives d'intervention, on comprend que l'enseignante cherche un équilibre entre les comportements acceptables -qu'il ne veule pas parler à la causerie- et ceux qui requièrent une intervention de sa part- le non respect des consignes. Mais au-delà du fait de ne pas respecter les consignes et du temps qu'elle perd avec le reste du groupe, la narratrice nous fait part d'une crainte qui l'habite : elle a peur qu'il soit violent avec les autres enfants. Voyons comment cette crainte se concrétise dans le prochain point.

  • L'aggravation du problème

La narratrice décrit une situation qui l'a marquée et qui représente un point culminant dans l'aggravation du problème. Il ne m'a jamais frappée, il ne m'a jamais touchée, mais une fois j'ai eu peur. Il avait blessé un enfant, je voulais le retirer en lui disant : «tu vas aller t'excuser.» Il m'a dit : « non je ne le ferai pas.» J'ai ajouté : «tu dois t'excuser pour ce que tu as fait, tu vas avoir un geste réparateur à faire pour ton ami.» Il dit «non je ne le ferai pas». J'ai dit : «Antoine ton père va être avisé parce que c'est un geste qu'on ne tolère pas en classe. Ce n'est pas terminé, je vais voir ce qu'on va faire avec ça.» C'est ça qui l'a fâché, qui l'a mis en colère, que j'appelle son père. Je sentais comme une tension entre nous deux, je me suis éloignée, j'ai respiré, j'ai dit : «o.k., Antoine assieds-toi cinq minutes, moi je me retire, on va se reparler dans cinq minutes.» Avec le regard qu'il avait, j'ai pris une distance d'un bras parce que j'ai eu peur qu'il me frappe. Mais il n'a pas rien fait. Il s'est assis et je suis allée voir l'autre enfant; il l'avait vraiment blessé. J'ai eu besoin de me retirer. Quand je suis revenue j'ai dit à Antoine : (...) «J'avais besoin de prendre du temps pour être calme avec toi. Est-ce que toi maintenant tu es prêt à me parler?» Je lui ai demandé ce qu'il devait faire. Il a dit : «M'excuser, j'ai un geste à faire mais je le sais que tu vas appeler chez moi.» J'ai dit : «oui je vais appeler chez toi, tu sais dans la classe notre politique c'est que quand on est conscient d'un geste, qu'on s'excuse, puis qu'il y a un geste réparateur, c'est quelque chose qu'on règle dans la classe. Par contre ton père doit le savoir.» La confrontation entre l'enseignante et l'enfant, malgré le fait que le conflit soit réglé, montre que le rapport au père participe du problème. Elle dira que c'est parce qu'elle veut informer le parent que l'enfant se met en colère. Cet événement est significatif pour l'enseignante, elle règle la situation en classe, mais que se passe-t-il à la maison pour que l'enfant réagisse aussi fortement?

Rappelons que le père a donné plusieurs informations à l'enseignante sur le milieu familial. On pourrait dire qu'il se montre plutôt collaboratif. Pourtant la narratrice ne semble pas apprécier cette collaboration. Voyons comment elle perçoit cette le père. Le père s'informait et venait souvent à l'école. Les enfants étaient suivis par toute une équipe de la DPJ [Direction de la protection de la jeunesse], de psychologue, de thérapie familiale et des services de l'école... (...), c'était assez complexe. À chaque fois qu'il se passait quelque chose j'appelais chez eux. Le père filtrait ses téléphones mais je l'avais prévenu : «je vous donne mon numéro de téléphone, vous pouvez m'appeler quand vous voulez par contre quand je vous appelle je veux que vous me retourniez mon appel parce que c'est important.» Il me retournait toujours l'appel, la communication était bonne. On le constate, le père collabore, elle réussit même à s'affirmer auprès de lui et exige qu'il retourne les appels téléphoniques. Il faut poursuivre dans la description qu'elle fait du père pour comprendre pourquoi elle considère que cette collaboration n'est pas aidante dans la relation qu'elle cherche à établir avec l'enfant. Le père n'était pas un mauvais bougre mais il savait tirer profit de tout de ce qui passait par exemple : aller à l'église et dire qu'il était tout seul pour élever ses enfants, -je ne travaille pas pourriez-vous m'aider-, demander à l'école les repas chauds, ils ont eu une piscine en cadeau, etc. Je pense qu'il y avait un petit peu d'abus. Ma préoccupation c'était les enfants et je me disais s'ils ont des repas chauds tant mieux, ils mangent au moins. Il faut noter ici que la narratrice semble devant un dilemme, elle constate que le père profite de tout ce qui passe, elle dira même qu'il y a de l'abus, mais elle accepte la situation pour les enfants. Cette contradiction l'amène tout de même à prioriser sa relation avec l'enfant comme elle l'affirme dans l'extrait suivant : À un moment le père a essayé de me dire que la mère était comme ci, qu'elle avait fait ça, en tout cas il avait dressé tout un tableau. Moi je suis une personne assez directe, je lui ai dit : «écoutez, moi je ne fonctionne pas avec la mère, je fonctionne avec l'enfant. Je veux savoir ce que l'enfant a vécu mais la mère ce n'est pas à moi de l'aider, c'est l'enfant que je veux aider!» Il a pris alors un peu de recul. Ne voulant pas se retrouver à prendre partie dans le conflit, l'enseignante choisit de se concentrer sur ce qu'elle considère comme prioritaire : aider l'enfant. Nous comprenons donc ici que l'enseignante dans sa tentative d'établir sa relation avec l'enfant ne reçoit aucune aide du milieu familial malgré ce qui semble à première vue comme une bonne collaboration avec le père. Poursuivons l'analyse sur l'impasse qui se pose à l'enseignante dans sa tentative de développer une relation avec Antoine, à l'apprivoiser.

  • L'aveu de l'échec

La narratrice avoue son impuissance en nous situant la période de l'année : Alors en octobre quand j'ai eu le portrait par le père, c'est sûr que j'ai informé la direction, j'ai fait un P.I.A., un plan d'intervention, mais ce n'était pas l'enfant qui répondait bien au plan d'intervention tellement il était comme «boqué». L'entente qu'on avait eu c'était le retrait, l'isolement, l'arrêt d'agir; parce qu'il pouvait lancer des objets aux autres et les blesser. Je crois qu'on était, pas en confrontation, mais qu'il me testait comme je pouvais le tester. Elle constate que l'arrêt d'agir, le retrait ne sont pas des stratégies très aidantes, disant que l'enfant est «boqué». Cet extrait, malgré une large part d'implicite, nous permet d'interpréter le constat d'échec auquel l'enseignante est confrontée. Non seulement ne peut-elle pas développer sa relation avec l'enfant, mais il y a méfiance de part et d'autre. La confrontation décrite plus haut venant aggraver le problème elle ne trouve aucune solution.

Il nous faut insister sur l'interprétation que l'on déduit de la collaboration non aidante du père dans ce récit. On admet que du point de vue de la narratrice sa priorité est d'aider l'enfant et non de prendre partie dans le conflit qui oppose les parents. Mais allons plus loin, comment ce rapport à la famille participe-t-il du problème? Est-ce qu'on peut croire qu'un enfant provenant d'un milieu familial perturbé présente une plus grande méfiance envers l'adulte? Alors comment l'aider à développer une relation de confiance quand il faut à la fois protéger les autres enfants et lui donner un cadre de fonctionnement? La narratrice se trouve dans une impasse, comment peut- elle aider l'enfant si celui-ci ne lui offre aucune occasion d'établir une relation de confiance ou du moins de respect? Le deuxième épisode du récit nous offre une solution inattendue à ce problème qui semble pour l'instant impossible à résoudre. Deuxième épisode : le passage dans l'inédit (une solution autre à découvrir)

  • La façon d'aborder le problème autrement

Le changement dans la structure narrative est notable dans le passage à l'inédit. La narratrice décrit Antoine sous un angle inconnu jusqu'à maintenant. Elle dira : Je dois dire malgré toutes ces difficultés que Antoine est un garçon très intelligent, très brillant, il a marqué ma vie, je l'ai trouvé très attachant. Cette description est contrastante comparativement à la description faite dans le premier épisode du récit. La narratrice dira qu'il a marqué sa vie; cette affirmation nous laisse entrevoir combien le défi était grand pour elle. Laissons-la poursuivre. Je voyais dans son regard qu'il était curieux mais il ne voulait pas le montrer. Et je voyais son potentiel, il regardait les mots quand j'écrivais des messages au tableau, je voyais qu'il découvrait les mots mais il ne le disait pas. Il n'était pas stimulé à la maison, mais tout ce qu'on demandait de faire en classe, il le faisait bien, il était bon en création, en arts, sauf qu'il ne voulait pas danser, chanter. Je l'ai laissé faire. Nous ne sommes pas encore dans la solution, mais on peut comprendre que l'enseignante continue d'observer attentivement l'enfant. Elle voit qu'il est intéressé par certaines activités mais il refuse quand même de s'investir.

  • La solution privilégiée

C'est parce qu'elle est attentive et continue d'observer attentivement l'enfant qu'elle trouvera la résolution du problème. Elle dira que ce fut une surprise. Puis un jour, vers le mois de janvier, j'ai eu une surprise J'avais un enfant très brillant dans cette classe, Maxime. Comme Antoine allait au service de garde avec Maxime, ils ont commencé à jouer aux échecs ensemble. Maxime, mon surdoué, il aimait ça jouer avec Antoine parce qu'il savait jouer. Ils se donnaient des trucs ensemble. Ça a été pour moi comme un déclic, j'ai demandé à Antoine de me montrer à jouer. On a commencé à avoir un lien comme ça. Ce moment a été décisif je crois dans le changement qui s'est opéré entre Antoine et moi. Il est pertinent de remarquer que la solution inattendue se présente par un autre élève, Maxime. Plus encore, l'enseignante note que les enfants jouent aux échecs quand ils sont au service de garde, donc un contexte autre que celui de la classe. Sa façon de développer sa relation trouve une solution par un intermédiaire, Maxime, et en dehors du cadre de la classe. On peut comprendre que la narratrice dans sa recherche de solution n'hésite pas à étendre ses interventions en incluant les ressources qui dépassent son contexte immédiat ou qui relèvent de son propre pouvoir d'agir (elle-même dans sa relation avec Antoine). Il est permis de penser que c'est parce qu'elle est en quelque sorte sortie de son cadre d'action qu'elle a pu porter un autre regard sur l'enfant.

  • Les effets bénéfiques constatés

Profitant de ce déclic, comme elle le dit elle-même, la narratrice saisit l'occasion de développer une relation positive avec Antoine. Voyons comment elle s'y prend. J'ai demandé au commissaire d'acheter des jeux. J'ai organisé une période de jeux d'échec et de dames. Les plus faibles jouaient aux dames, ceux qui avaient plus de difficulté d'apprentissage. Je donnais des responsabilités à Antoine : «peux-tu montrer ça à trois ou quatre amis pendant que je vais aller m'occuper de telle chose». Des fois il y avait des petits conflits, des petites chicanes, parce que lui suivait la règle, il savait le jeu parfaitement, mais les autres l'avaient modifiée. Je lui disais : «laisse-leur une petite chance, ils commencent». Parce que l'enseignante a senti que la relation s'établit, elle lui confie des responsabilités. Finie la méfiance mentionnée plus haut, la narratrice parle même de connivence dans l'extrait suivant : Alors il a commencé à apprendre à rentrer dans la routine de la classe. On a développé comme une espèce de connivence ensemble, des fois il me disait non mais il me regardait avec son petit sourire puis il disait : « je vais y aller ». Au lieu du climat de confrontation, on observe que l'enfant démontre une adaptation aux routines de la classe et même une affection à l'adulte. Il accepte les exigences de l'adulte sachant que celle-ci connaît son potentiel et ses capacités. On pourrait dire qu'elle a une bonne connaissance de l'enfant et que celui-ci comprend que celle-ci intervient pour son bien. Elle affirme dans le récit : Il me faisait énormément confiance, parce que je ne lui ai jamais menti, je lui ai toujours dit la vérité, j'étais conséquente. C'est un enfant qu'on devait aller chercher par la parole, le regard puis la patience. Il est légitime de se questionner sur ce changement qui s'opère de manière aussi rapide. Le point suivant nous démontre que la résolution ne tient pas du miracle et l'enseignante est très consciente des limites.

  • Les hauts et les bas des limites perçues

Bien que l'enseignante perçoive les effets bénéfiques de la relation de confiance qu'elle a su développer avec Antoine, elle dira continuer à être attentive. Bien sûr, Antoine n'a pas changé du tout au tout, des fois quand il dérapait, qu'il recommençait à se refermer, à se retirer, à dire non je ne le fais pas, ça ne me tente pas, je lui disais: « Écoute, tu as le choix, Antoine, le temps d'arrêt ou la poursuite de tes activités.» C'était un enfant très« up and down» au niveau des humeurs. Je l'avais toujours à l'œil, je regardais toujours comment il fonctionnait, dans la classe je voyais où il était, j'observais tout le temps. La narratrice nous prévient donc qu'un problème n'est jamais réglé une fois pour toute, il faut continuer d'être attentif à l'enfant. Toutefois si elle a choisi de raconter ce cas, c'est qu'elle désirait livrer un message sur l'apprivoisement des enfants difficiles. Voyons quelle leçon elle a tiré de cette situation.

La clôture (une leçon d'expérience à tirer)

Les propos de l'enseignante sont éloquents sur l'apprentissage réalisé grâce à Antoine. Ce qui j'ai appris avec Antoine, c'est un lien de tendresse et d'affection malgré un contexte de vie difficile. Je l'ai vu s'épanouir et qu'il pouvait être heureux. L'objectif que je me donne à chaque début d'année c'est que l'enfant puisse sortir de sa maternelle avec une chose qu'il a aimé, qu'il se rappelle de bons souvenirs de sa maternelle. Pour Antoine, avec les échecs et dames, j'ai réussi à lui faire aimer l'école. Les derniers mois ont été extraordinaires, j'ai eu du plaisir. L'élargissement de ce cas à une sorte de règle générale -que l'enfant se rappelle de bons souvenirs de sa maternelle- vient confirmer l'enseignante dans sa pratique. On comprend qu'elle a eu raison de miser sur sa relation avec l'enfant, que c'est grâce à la confiance que l'enfant a pu s'épanouir. Elle ajoute à la fin du récit les dernières paroles que l'enfant lui a dites : À la fin de l'année je leur dis toujours que je veux ma caresse avant de partir, il est venu dans mes bras, il m'a serré m'a demandé : «Vas-tu avoir ma petite sœur l'année prochaine?» Parce que sa petite sœur arrivait en maternelle. J'ai dit : «Trouves-tu qu'elle serait bien dans ma classe?» Il m'a répondu : «Oui j'aimerais ça.» L'année suivante, ils sont déménagés incognito dans un autre village. On n'a pas su où ils étaient partis. À noter le regard réaliste que la narratrice porte encore une fois sur le milieu familial. On comprend qu'elle est cohérente face à son choix d'aider l'enfant comme nous l'avons vu précédemment. La nature du message est d'ailleurs révélée dans les propos suivants : J'ai juste été un tremplin pour Antoine, dans le fond c'est comme si je lui avais permis de traverser le pont. C'est très important pour moi la relation, c'est la première chose que je dis à mes parents, lors de la première réunion. Ce n'est pas l'académique qui est important pour moi, c'est le contact, la confiance, que votre enfant développe un sentiment d'appartenance, une confiance entre lui et moi, après on commencera à parler d'apprentissage. C'est un des élèves qui m'a marquée beaucoup et qui a laissé de quoi dans mon enseignement. Est-ce qu'il faut comprendre que Antoine fut un révélateur dans ses débuts de carrière comme enseignante en maternelle? Il lui a permis de mieux comprendre ce qui est important pour elle, sur quoi il importe de miser. Dans la toute fin du récit, la narratrice nous apprend qu'elle a grandi dans un milieu dysfonctionnel, son père était alcoolique, elle dira : Je n'ai pas peur d'enfants en difficulté parce que j'ai été moi-même un enfant qu'on aurait pu étiqueter T.C. Les enfants comme Antoine je pense qu'ils m'attirent.

Le commentaire interprétatif

L'exemplarité de ce récit d'exploration tient à la capacité de l'enseignante d'élargir son pouvoir d'action à partir de ressources hors de la relation directe qu'elle tente d'établir avec l'enfant. C'est grâce à un autre enfant qu'elle a appris l'intérêt de Antoine pour les échecs, hors du contexte de classe également, c'est au service de garde que les enfants ont commencé à jouer aux échecs. L'avancée dans l'inédit, hors du contexte immédiat, prend ici tout son sens. L'enseignante désireuse d'apprivoiser l'enfant est très attentive à ce qui pourrait lui permettre d'établir une relation de confiance avec lui. Après avoir explicité la résistance de l'enfant au cadre qu'elle tente de lui donner dans sa routine de classe, elle saisit une occasion qui semble se présenter au hasard. Elle sort de son répertoire d'action et met en place un moyen (les échecs) pour rejoindre l'enfant dans ce qui l'intéresse. La confiance qu'elle a gagnée de la part de l'enfant la confirme dans sa conviction que c'est la relation qui prime, avant l'académique dit-elle aux parents en début d'année.

En quoi ce récit est-il porteur d'un message dans le rapport aux parents? Tout d'abord par la prudence que l'enseignante montre dans sa relation avec le père, elle comprend qu'il tente probablement de la manipuler. La réaction de l'enfant suite à la confrontation lui fait comprendre qu'elle ne peut compter sur son aide. En fait l'apprivoisement de l'enfant représente un plus grand défi que ce qu'elle soupçonnait au départ. Ensuite, par l'affirmation démontrée par l'enseignante pour établir ses limites face au père en priorisant l'aide qu'elle souhaite apporter à l'enfant. Cette prise de décision lui permet de définir l'angle par lequel elle désire résoudre le problème. Pour le dire autrement, connaissant la complexité de la problématique du milieu familial, elle constate qu'il lui faut trouver seule le meilleure façon de gagner la confiance de l'enfant.